4 septembre, 1948 - Cluj

Hier matin à six heures on m’a mise hors de ma chambre de force. J'ai tellement de chagrin ! Je les hais ! Deux grands et forts gaillards m’ont déménagée en moins d’une heure[1]. Ma pauvre maman ! si elle n’avait pas vu combien j’étais affolée, elle ne m’aurait pas permis de mettre mes meubles dans le salon. Si papa avait été ici ! Qu'est-ce qu'il dira quand il apprendra ! J’attends dorénavant avec impatience que nous partions. D’avoir passé les examens !

J’ai écrit une nouvelle aujourd’hui, serait-elle acceptée ? Je crois, même si un peu modifiée.

Mon cher journal, sais-tu que nous allons déménager à Bucarest, dans un beau pavillon ? Nous allons l’habiter ensemble aussi avec Henry, un collègue de bureau de papa. La maison a un petit jardin, j’y mettrai des fleurs. Au sous-sol, il paraît qu’il y a une pièce vaste comme une salle de bal. Moi, j’aurai la chambre d’en haut avec terrasse[2]. Ça sera tellement bien ! Bucarest est une grande belle ville ! Que je réussisse l'examen d'entrée au lycée ! Qu’on soit déjà là-bas !
Alors, nous aurons de nouveau des fruits tous les jours et de la bonne nourriture, à papa il en faut toujours. Il me gâtera comme si j’étais encore enfant et je ne serai plus du tout triste de quitter Kolozsvár. Mais d’abord il faudra réussir mon entrée au lycée et déménager à Bucarest.
Comme je serai heureuse une fois là-bas et mon examen passé !

Il faut toujours que je m’aide moi-même, maman me laisse résoudre mes problèmes trop souvent toute seule. Elle a le principe que chacun doit se débrouiller pour soi, et même quand elle m’aide un peu, inconsciemment, elle s’y tient. Je voudrais être une petite-fille riche et gâtée au moins à la maison. Peut-être, quand je serai vieille tout le monde sera riche, surtout ceux qui travaillent et aiment tant travailler comme papa.

Qu’écrire encore ? Pour le moment c’est assez. En écrivant, je me suis épuisée mais apaisée. J’ai déroulé mes pensées et j’ai trouvé ce qui se cachait profondément. Je dormirai. Bien.

2 novembre 1948 Cluj
On pardonne aux poètes s’ils écrivent mal un vers, on dit : “oui, les poètes ont le droit.” à un écrivain, on ne pardonne pas s’il rédige mal quelques lignes. Pourquoi ?

[1] La fille de propriétaire voulait récupérer le logement, mais c’était devenu de plus en plus une habitude, de jeter quelqu’un hors de son logement par force pour l’occuper.
[2] Finalement, c’est Henry qui l’a eu.

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