juin 1950, Bucarest

Un des copains de mon père qui ne nous a pas évitées ni abandonnées dans cette époque douleureuse où on se comportait avec nous comme si nous avions de la peste, pour me consoler il a apporté ce poème qui osait dire : “il y a encore beaucoup de méchants ici!” Je l'avais recopié dans mon cahier de poésie en y ajoutant:

Ça fait très mal !


Conversation avec le camarade Lénine,

par Maïakovski

Nous avons habillé les démunies,

il y a plus d’acier, et de charbon,

c’est bien, n’est pas?!

Mais à côté, hélas, je dois vous rapporter

Il y a beaucoup d’ordures encore

et des paroles bêtes

Jusqu'à ce qu'on les vaincra, on s’épuisera.

Sans vous, beaucoup se sont égarés déjà.

Dans ce monde, même ici,

restent énormément de salauds encore

Il n’y a nombre assez grand à les compter,

ni assez de noms pour les nommer,

Combien il y a de fripouilles, de filous,

de koulaks, des sectaristes, d’ivrognes,

de lécheurs et de flatteurs,

D’orgueil leur poitrine gonflée

stylos, insignes

sur leurs poitrines

Bien sûr, on va en venir à bout,

Mais c’est très dur la lutte contre eux.

Encore une fois, Julie ne put écrire.

Elle n’a rien écrit donc sur son père emmené au milieu de la nuit par la police secrète roumaine (elle avait 15 ans et demi.) Sa mère lui interdit de peur qu’on saisisse son journal comme on avait emporté tous les siens.

Pendant six mois ils ne savaient même pas où il était (ni lui, ni ceux qui avaient travaillé avec lui.) Elle n'a pas décrit la “disparition” de son père emmené par la Securitate (la police politique secrète), ni la mise au ban de toute la famille : ils sont devenus d’un jour à l’autre des pestiférés. On les a déménagés dans un logement minuscule sous les toits, on a interdit à Julie de continuer à travailler avec les pionniers, on lui prit aussi sa carte de membre de l’Union de la Jeunesse Ouvrière qu’elle avait jusqu’alors portée sur les seins.

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