10 mai 1953

Je suis en train de lire Allemagne le cycle de poèmes de Heine adapté par Faludy. Que c’est beau ! Je suis toute pénétrée d’eux, ils sont magnifiques. Et aussi très intéressants. Je ne sais pas quelle partie est de Heine ou de Faludy, pourtant c’est grand du début à la fin.

À la douane... de Heinrich Heine

Pendant que je me demandais
S’il existe une sortie de la boue allemande,
Des douaniers en uniforme bleu
Retournèrent ma valise.

Ils étaient là droits, avec leurs visages froids
Au-dessus de mon linge retourné,
Cherchant des bijoux précieux,
Du vin de bourgogne et des livres à saisir,

Chers messieurs qui fouillez ma valise,
Croyez-moi, votre travail est peine perdue,
La contrebande que vous ne trouvez pas,
La contrebande est dans mon cerveau.

J'ai des dentelles, plus fines
Et piquantes que la dentelle de Bruges
Quand je vais les coudre sur vos visages
Votre peau va brûler et se détruire.

J'ai apporté dans ma tête,
Des milliers de bijoux étincelants
Et leurs feux brilleront
Encore pendant des siècles.

Il y a dedans un bâton pour le dos du ministre,
Des pétards allumés pour les tristes oreilles,
De nouvelles lumières pour les aveugles,
Et des sons déchaînés pour les sourds.

Et sans qu'on puisse le voir,
Ils bouillent dans ma tête,
Comme du vieux bourgogne,
Mes poèmes et le vieil Aristophane,

Candide et la nouvelle Héloïse.
Se pressent dans ma tête,
Comme le champagne, et bientôt
Ou plus tard, le bouchon sautera...
Quel bonheur pour un écrivain, un poète qu’il puisse dire ainsi :
“les livres à confisquer sont dans sa tête!”

Un autre de ses plus beaux poèmes est : “ Rêve, dans un lit mou allemand. ” Et quel rêve ! Comme c’est décrit ! Je suis curieuse de savoir ce que le traducteur a ajouté.

Je vois devant moi clairement le grand salon : d’un côté Christ, Marie et les apôtres débordant d’amour et de patience ; et de l’autre les révolutionnaires, Spartacus, Christ, Voltaire et lui, Heine. Je vois l’apôtre se rapprochant de Heine, tout en jonglant avec ses bombes. Le peuple suit l’apôtre au nom de l’amour. Ensuite l’apôtre en robe pourpre sur son cheval, devenu chef enferme Heine en prison “au nom de l’amour” et le condamne à mourir sur l’échafaud. La dernière image : la place vide après le mitraillage.

Finalement, le peuple a seulement reçu un nouveau tyran.




Voilà comment je montrais dans mon journal les doutes qui commenaient à m'assaillir de plus en plus.

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