22 mars 1957

Je suis souvent méchante, mais je sais aussi être très bonne, et comme je l'avoue, on ne me croit pas : je suis donc encore pire ! Faites attention !

Je n'ai pas peur des mots. Je n'ai pas peur de proclamer ce que les autres pensent, mais n'osent pas dire, n'osent pas avouer. J'aime mettre des mots sur mes sentiments, mes sensations, mes pensés, sur tout. Pour moi, il n’y a pas de sujets dont “on ne doit pas parler”. Je suis superficielle, je le regrette beaucoup, ce n'est pas bien. Mais que faire ? Je suis ainsi. Je ne crois pas qu'on peut se débarrasser de ça.

Aujourd'hui, Florescu, le Ministre de l'Industrie Chimique a visité notre Institut. Ce qu'il a dit était très intéressant, c'est un homme très sympathique et intelligent.

Hier, un garçon est venu parler avec mon chef, il m'a beaucoup plu. Peut-être, parce qu'il m’a regardée comme si je n’existais pas. Je crois qu’il s’appelle Simon. Quelque chose en lui me rappelle le prof de l’école des antibiotiques dont j'étais entichée autrefois (ses mains écrivant sur le tableau noir m’avaient troublée.)

J'ai raconté à ma tante Irène ce qui m'était arrivé, pourtant j'ai assez de jugement, toute seule. Je le constate. Peut-être, saurai-je aussi comment me comporter avec mon mari. Aussi ?
Mais je suis un peu lâche, je crains que quelqu’un lise mon journal.

Penser, raconter est une chose, décrire noir sur blanc, c'est différent. Si maman le trouve ? Elle voudrait lire tout que j’écris. Où cacher ce cahier ? La curiosité est une habitude, un défaut humain. Les drames de la jalousie, de la haine, de l’indécision ont été décrits par Shakespeare, mais qui a décrit ceux de la curiosité ? Personne (autant que je sache), pourtant que de bon ou mauvais peut en sortir !

Eugène m’a manqué. Pourtant c'est moi qui me suis comportée hier d'une façon qui explique pourquoi il ne m'a pas appelée aujourd'hui. C'est moi qui aurais dû. Bon, demain. Ai-je réussi avec lui ce que je voulais ? Et pourtant je suis mécontente. Ce n'est pas bon qu'un garçon laisse tout reposer sur une fille, se laisse conduire, et fasse ce qu’elle paraît vouloir. De temps en temps il faut être un peu plus ferme, mais pas brutal : viril. Je n'aime pas provoquer, ni céder trop facilement. En rien d’ailleurs. Bonne nuit !

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