Le dilemme, le printemps

7 avril 1957

Je commence à comprendre Othello et Hamlet. Le doute qui commence avec une petite phrase échappée, puis grandit et s'enracine. Le dilemme, être ou ne pas être, l’indécision franchir le pas ou non, maintenant ou plus tard ?

Le printemps ! Le printemps enivrant des jeunes, le printemps des amoureux. C’est le premier printemps qui me bouleverse et réchauffe mon sang. “C’est devenir femme” dit ma mère. Plutôt une jeune fille bouleversée, d’après moi. C'est un grand problème.

Combien de millions de filles se sont posé cette question, ont subi cette lutte qui me ravage aujourd’hui. Mon sang me dit une chose, ma raison l’inverse. Tantôt c’est l'un qui gagne, tantôt l'autre. Et tout cela arrive à Bucarest, la ville des mœurs faciles, où l’on ne trouve que peu de jeunes restées filles après leurs 19 ans. À Cluj, la situation est différente, elles sont plus sérieuses dans ma ville natale tranquille, au moins je le pense.

Ce matin, je marchais vers le parc avec Simon, d’un coup, nous avons croisé Eugène. Que notre grande capitale peut être petite ! Je me suis promenée avec Simon autour du lac, sous les saules du parc Staline. C'était merveilleux. Les roses parfumées, une petite brise, discuter agréablement avec un garçon, sa main sur mon épaule.

Je dois avouer, son toucher léger m'a fait beaucoup de plaisir, plus qu'avec n'importe qui d'autre. Il doit sûrement savoir bien faire l'amour. Comme je l'ai lu et entendu, il faut de l'art et du savoir-faire aussi pour ça. Aujourd'hui, je m'en suis aperçue, un peu. Quand Eugène m'a touchée, rarement, je n'ai rien senti, sauf une seule fois, au début de cette année. Par contre, avec Simon, ça m'a vraiment plu.

Pendant notre promenade, Simon m'a raconté plein de choses intéressantes. Par exemple, il a parlé d’une fille superbe avec laquelle il a vécu pendant dix‑huit mois. Mais pendant ses deux mois d'absence pour raison de travail, elle est allée avec un autre dans son propre appartement, dont elle avait la clé.
Quand il est revenu :
-As-tu quelque chose à me dire ?
Elle pleure et reconnaît mais dit :
-C’est de ta faute, pourquoi m'as-tu laissée seule aussi longtemps ?
Il a envie de la battre, mais ne répond pas.
-Et maintenant qu'est ce que tu veux, tu restes ici ?
Elle éteint la lumière et se couche.
Il la rallume, met sur la table cent lei et s'en va.
ça s’est passé, il y a juste un mois. Depuis, il ne l'a plus revue, il ne veut jamais plus la revoir.

D'après Simon, mais aussi Eugène, le lien entre un garçon et une fille aboutira tôt ou tard à ça, où je ne veux pas aller. Je ne sais pas si c’est sage, si je ne vais pas le regretter, mais je ne le veux pas. Rester fille parmi tant de femmes qui ne le sont plus me fait plaisir, me flatte. Est-ce que cela vaut la peine d'être respectée ? Je ne le crois pas. Cela doit valoir quelque chose, mais pas énormément.



Pour ne plus parler de ce qui m'est arrivé cet après-midi. C’était horrible, c'est maintenant que j'ai vraiment compris Cella. Vasiliu l’avait démasquée depuis longtemps, il m’avait dit de me méfier. Je dois beaucoup à Vasiliu, il est devenu un bon copain (presque comme Alina), il me comprend bien et veille sur moi plus que mon père ne le pourrait.

Je n’oublierai jamais dans quelles conditions j'ai vu pour la première fois en ma vie la télévision. En réalité, comme dit maman, “rien de grave ne s'est passé”. Bien sûr, je suis revenue sans dégâts et maintenant, j'écris.




Invitée par Cella chez ses amis “pour regarder la télé”, la première fois de la vie, les garçons m’ont fait peur proposant “faisons l’amour, tous ” et Cella a pris leur parti en trouvant leur comportement normal. J’ai réussi à m’enfuir.




Que la vie est complexe ! Je mériterais vraiment d’être heureuse à côté d'un mari honnête, et je lutterai pour l'obtenir. C'est intéressant, combien de garçons j'ai autour de moi d'un coup. Même si, je dois le reconnaître, la plupart n'ont pas d'intention sérieuse, mais je leur plais à tous. Hélas, j’ai éloigné Michel, je n'ai pas su me comporter avec lui.

Oui, il faut que je reste fille, même si cela me paraît difficile, pour deux ans encore. Je serai toujours la même. Je ne deviendrai pas laide aussi vite ! Entre‑temps, j'espère me marier.
En réalité cette morale est mauvaise : les garçons, à partir de quinze ans peuvent écouter la voix de leur “sang”, vivre avec cent femmes, mais ils veulent ensuite que leur femme soit restée vierge. Il est possible que je le regrette plus tard, mais je ne le crois pas. Je me respecte mieux ainsi, et les autres me respecteront aussi.

Samedi je vais à un bal avec Alina et son mari, Vasiliu. Pour mardi, j’ai deux billets à l'opéra, mais avec qui y aller ? Devrais-je inviter Simon ? Ou me calfeutrer encore une fois toute seule dans ma chambre ?

Alina m'a beaucoup aidée pour mes examens aussi, me poussant quand j’étais lasse et prête à renoncer, je suis sûre qu’elle va encore me conseiller. Quel bonheur d'avoir de bons amis ! Quoi qu'on en dise, c'est beau l'amitié ! Je n'ai pas été déçue par eux et je ne le serai pas, parce que j'ai bien su les choisir. Aimer ses amis est beau parce que c’est désintéressé, seul aimer son enfant peut être encore plus beau. Je vais énormément aimer mes enfants. J'espère être assez intelligente pour me construire une vie heureuse en profitant de mon expérience et des conseils que j'ai reçus.

Hélas, il y a beaucoup de contradictions, un désir va à l'encontre d'un autre. Un homme laid par exemple fera un meilleur mari, un beau te trompera plus facilement. Mais comment aimer un homme laid...

J'écris déjà depuis 3/4 heures. Je me suis enfin décidée : j'attendrai. Je suivrai les conseils de Vasiliu. Je ne rencontrerai plus ni Simon ni Eugène, je vais les envoyer promener d'une façon ou d'une autre. Je vais serrer les dents et résisterai encore quelques mois, au moins, jusqu'au retour de papa.

Bonne nuit.

J'ai du courage n'est-ce pas ?! Je n'ai pas peur de dire ni de décrire des choses que craignent hélas les autres. Pourtant, si les filles en savaient davantage, elles se comporteraient différemment. Est-ce vrai ?

Il y a tant d’autres choses attirantes ! S’amuser, lire, danser, se promener...

Les hommes savent lutter, même si ce n’est pas toujours bien, les femmes savent moins bien se défendre. Quand elles le veulent, au moins, ou quand il le faut. Qu’est-ce qui est préférable ? Qui a raison ? Comment le savoir ? Tout est tellement relatif. Einstein avait raison, et la dialectique aussi.




Les hommes sont ainsi :
Passé par Paul Géraldy, du cycle “Toi et Moi”


Tu avais jadis, lorsque je t’ai prise,
il y a trois ans déjà,
des timidités, des pudeurs exquises.
Je te les ai désapprises.
Je les regrette à présent.

À présent, tu viens,
tu te déshabilles,
tu noues tes cheveux,
tu me tends ton corps

Tu n’étais pas si prompte alors,
Je t’appelais: ma jeune fille.
Tu t’approchais craintivement
Tu avais peur de la lumière.
Dans nos plus grands embrassements,
Je ne t’avais pas tout entière...
Je t’en voulais. J’étais avide,
ce pauvre baiser trop candide,
de le sentir répondre au mien.

Je te disais, tu t’en souviens:
“ Vous ne seriez pas si timide
si vous m’aimiez tout à fait bien! ”
Et maintenant je la regrette
cette enfant au front sérieux,
qui pour être un peu plus secrète
mettait son bras nu sur ses yeux.


Dans ma jeunesse, comme maintenant, les poèmes ont eu une grande rôle dans ma vie!

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