14 mars 1958

Est-ce que j'ai passé l’examen seulement hier ? Étrange. Combien ça peut paraître lointain quelquefois une distance d'une seule journée.

Hier j’ai eu une journée bien remplie : le matin l’examen (matières colorants, bien réussi), l’après-midi j’ai présenté à mon prof de thèse le projet et le soir je suis allée voir une opérette. Aujourd'hui, j’ai fait de la gymnastique, puis les calculs restants pour ma thèse d’Ingénieur et bien sûr, je n’en peux plus.

J'ai l'impression d’avoir le cerveau embrouillé, mon cœur bat la chamade.

Moi, qui ai toujours été pour faire une pause dans les études, je ne m’y suis pas tenue. J'ai aussi oublié qu’étant fatiguée, faire de l'exercice physique ne m'aide pas, au contraire ; pourtant l’excursion faite l’été dernier juste avant les examens me l'a démontré. Faire du sport avant d’étudier peut aider les autres, mais pas moi. Ma tête tourne, même en écrivant ceci.


Depuis longtemps je voulais noter une vérité que je ferais bien d’avoir toujours devant les yeux, ce n'est pas de moi, je l'ai prise de la Bible, mais c'est une vérité : « On peut tout réussir si on le veut énormément. » Il faut seulement le vouloir beaucoup, le vouloir assez. Et bien sûr, comme on vit dans un monde civilisé, ne pas foncer avec la tête contre le mur, mais avec de la volonté, de l’intelligence, de la stratégie, ou même, en prenant des chemins détournés - mais on peut l'atteindre.

Donc, si je le veux très fort, je réussirai à devenir Ingénieur Chimiste d'ici juillet. Je le veux, énormément. Que ces études interminables finissent ! Le premier pas a été de réussir ce dernier examen, et ensuite, sans pause, de commencer à réaliser mon “Projet de fin d’études”.
Je continuerais si je ne me sentais pas tout à fait épuisée. Je devrais peut‑être dormir 24 heures ou alors ne rien faire pendant une journée entière. Mais le puis–je ? Aujourd’hui, je n'ai pas pu dormir même deux heures : si je ne laisse pas maman écouter la radio très fort, elle me regarde en ennemi, comme si je voulais la tuer. C’est vraiment désolant qu’elle entende[1] si mal. Que faire ? Aller chez Alina ? Je dois finir rapidement ma thèse, mais je dois me reposer, au moins une journée. Ainsi, ce n’est plus possible de continuer.

Et j’ai aussi des problèmes avec l’argent. Depuis un temps, maman n’achète pas ce qu’il nous faut pour manger, ne me donne pas d’argent de poche non plus. Je ne peux pas demander sans cesse à papa, il ne veut plus m’en donner non plus. Je préférerais le jeter par la fenêtre, qu’il advienne ce qu’advient. Mais alors, ce sera de nouveau de ma faute, pourquoi j’ai dépensé à autre chose, l’argent de notre nourriture. Tant pis. Tout argent est horrible. Si je pouvais jamais en avoir dans les mains, s’il n’existait pas du tout. Maman est devenue tellement matérialiste, je ne la reconnais pas. Mes parents, seraient ça ?

Au moins, si je pouvais déjà bien gagner ma vie ! Hélas, je sais, je ne vais pas me libérer d’ici là de l’argent, j’aurai encore beaucoup d’ennuis à cause de lui. Quand on en a aussi et encore davantage quand on n’en a pas. D’autant plus, que je ne sais pas bien m’en procurer. S’il me tombe dans les mains ou que je le gagne, bien, mais je n’aime pas lutter pour l’argent, je n’aime pas ça du tout.

Ne jamais oublier : les amis, bonnes amies, sont bien, mais quand on est dans un grand ennui, on se retrouve très seule. Bien sûr, c’est idéal d’avoir un mariage où l’on vit tous les problèmes difficiles ensemble, mais est-ce possible ? Au moins, dans mon cas ?

Serai-je jamais amoureuse ?

Aurais-je quelqu’un bien pour moi, trouverai-je un homme sérieux, comme il faut pour moi, quelqu’un avec qui je pourrai être plus - ou moins heureuse ? Qui soit mon compagnon et soutien pour le meilleur et pour le pire ?

Cela me paraît maintenant sans espoir. Le film avait raison. Dans le Printemps à Moscou, une fille de vingt-quatre ans affirme : « Les garçons correspondant à mon âge sont déjà mariés ou ils ne veulent plus se marier. Que reste-t-il ? Seulement les divorcés, mais ils ne veulent pas se marier de nouveau, non plus. » Elle a raison, hélas. J’ai presque vingt-quatre ans, moi aussi. Toute fille désire un chez-soi, un mari, un compagnon qui soit là dans les problèmes, un amant. Pour le moment, je suis tout à fait refroidie, ai-je peu de tempérament ?

Je voudrais enfin devenir amoureuse d'un homme plus âgé, tranquille, bon, bien. Même cela me paraît improbable, puisqu’on aime mieux les jeunes filles fraîches, de bonne humeur, courageuses, exubérantes, comme on voit dans ce film. Je me sens de nouveau si isolée. C'est vrai que je n’ai pas revu Alina ni Edith, non plus. Je n’ai plus été en compagnie, depuis quand ? Depuis l’année dernière. Pourtant j'aime être avec les autres, même si ce ne sont pas ceux-là. Depuis que j’ai rompu avec lui.

Je vais me relever de ma promesse de ne jamais plus écrire au sujet de Simon, je n'en ai plus besoin. Je ne pense plus à lui du tout et notre relation me paraît si lointaine, même improbable, comme si ce n’était jamais arrivé, comme si ce n’était pas moi cette fille-là. Je me le rappelle avec mépris et dégoût : comment ai-je pu sortir avec ce type-là ? Je n'arrive plus à croire qu’il y ait eu un temps où je le trouvais bon (pourtant, il n'est pas mauvais). Que tout cela est loin !
J'ai pensé prévenir sa nouvelle. Que m'importe ? En plus, elle ne le mérite pas. Donc, pourquoi ? Je dois trouver un autre groupe, si possible hongrois, pas des roumains comme étaient ceux de Simon.

Il ne faut pas oublier qu'on vieillit. J’élèverai ma fille pour qu’elle commence à s'intéresser aux garçons dès ses quinze ou seize ans et qu'elle se marie vers dix-neuf ou vingt. Qu’elle ne soit pas en retard avec ça comme moi. Même si c'est dur un peu, l'amour stimule dit Cernasevski, dans le travail et l’étude et aide à trouver un but, est‑ce vrai ? Je vais prendre un bain, j’espère qu’il m’aidera à me détendre.

Est-ce que quelque chose sortira de ce qui est arrivé ce dimanche ? C'est excellent que Sandou soit réapparu, j'aurai de nouveau avec qui sortir de temps en temps, aller au théâtre ou me promener.

[1] Elle était malentendante depuis ma naissance, mais cela se détériorait de plus en plus

Aucun commentaire: