15 janvier 1961, Il y a cinq ans...

J'ai rencontré Sandou dans un train - il y a cinq ans. Il vient de m’apporter des jolies roses. Je ne me souvenais plus pourquoi, je me suis rappelée seulement plus tard la signification de cette journée.

À partir de demain, je commence vraiment à travailler, même si pour le moment ce n'est pas dans le laboratoire de la fabrique de beurre, sa construction n'est pas encore finie et, que bien sûr, ce n'est pas comme ingineur mais laborantine. Tout de même, demain à sept heures du matin je dois être là, moi aussi.

Bonne chance, Julie !

Depuis mon retour de Kolozsvàr, je suis plus calme, je sais mieux prendre Sandou et je m'entends bien avec lui.

Chacun, après son mariage doit s'habituer à son mari, les hommes sont si différents des femmes. Je ne peux pas lui demander de remplacer ma mère, il n'est pas femme et il ne ressent pas les choses comme les femmes. En plus, je dois me montrer forte devant lui, volontaire, sûre de moi. Alors, je reçois son soutien. Quand je me montre faible, je ne le reçois pas. Il ne faut pas s’appuyer sur lui, seulement sur toi﷓même - alors il aide ! Je me sens très bien, contente, tranquille, reposée.

Sandou vient de me dire, comme un compliment, que je suis devenue “tout à fait femme” et qu'il ne reste plus rien de la jeune fille - et c'est vrai. Je sens aussi que je suis devenue adulte aussi et que je sais enfin m'administrer toute seule.

Rencontre
(Souvenirs)

Julie se rappelle leur rencontre, cinq ans auparavant et c’est vrai, qu’à l’époque, elle ne lui avait pas donné tant d’importance que Sandou.

Enfin, des vraies vacances d’hiver ! Même si sans ski, mais à la montagne et neige pendant trois jours entiers. Ce n’était pas tout à fait facile d’obtenir des billets pour ce voyage spécial jeunes organisé par les syndicats, il fallait ne pas manquer aux manifestations, ne pas partir avant la fin, etc. etc.

C’était des week-ends spéciaux de Bucarest vers Predeal et de la station de train à pied vers les hauts. Après une nuit passée dans une cabane à seulement quelques kilomètres de l’arrivée, montée vers les hauteurs (2000 m) et la deuxième nuit dormir dans une cabane de bois tout en haut. Descente et le départ le lendemain soir, revenir dans la capitale vers minuit. Quatre heures de voyage dans ce train affrété spécialement avec retour aux mêmes compartiments et places que pour l’aller.

Au départ, le compartiment du train était plein de gens sympas et ils commencèrent à jouer à des jeux de société, en deux groupes, un sur chaque banquette du compartiment. Dans le groupe de Julie, il manquait une personne.

En sortant admirer le paysage enneigé (et aller quelque part), elle aperçut un garçon sympa avec des grandes lunettes blanches, qui fumait près de la fenêtre. Un garçon bien tassé, un peu rond lui faisant de la place toute suite et qui lui sourit avec sympathie. Et si on l’invitait pour jouer ? Pourquoi pas ?

Il est entré dans les jeux avec plaisir. Sans être génial, il faisait un effort pour les aider à gagner. Jusqu’à l’arrivée à la gare, il est resté dans le compartiment : c’était Sandou.

Le lendemain, on montait avec son groupe vers les cimes.

Oh, que la montagne était belle cet hiver ! De la neige en abondance, quelque fois dépassant les genoux. Le guide faisait des gros pas, des trous dans la neige on devait y mettre son pied sinon on s’enfonçait et c’était dur d’en sortir. Julie ayant appris à respirer régulièrement se concentrait de nouveau sur ses pas. De temps en temps, elle sortait son mouchoir. Un petit arrêt, le temps de souffler et d’admirer le paysage.

À la fin du week-end sportif, le groupe de Julie est arrivé au train juste cinq minutes avant le départ. Sandou était là, en les attendant dans leur compartiment. (Il avait suivi un autre groupe, avec des skis, pas en se promenant à pied comme Julie.) Il était en train de nettoyer ses lunettes à grosse monture blanche.

Quels jolis yeux bleus, clairs, intelligents, se dit Julie. Un garçon sérieux, même grave. Quoique pas très astucieux au jeu. Un peu trop modeste, d'aspect un peu insignifiant. Honte à toi, se dit﷓elle, je n’aime pas les garçons légers, au moins lui, parait un vraiment brave type !

Ils ont parlé des livres, puis du théâtre. Avant d’arriver, Sandou lui demanda s’il pouvait l’appeler.
— Si on allait ensemble une fois au théâtre ?
— Pourquoi pas, répondit-elle lui donnant son numéro de téléphone.
Un copain de plus, c’est toujours agréable, et puis, on a réussi si bien à bavarder. Enfin, quelqu’un avec qui sortir au théâtre, pas au cinéma.

Il n’est peut-être pas trop séduisant, se dit-elle, mais il est sérieux, avec un regard intelligent. Bien sûr comme amoureux, je voudrais un grand garçon brun, mais comme copain, ce Sandou blond et un peu plus petit que moi, pourquoi pas.

Pas longtemps après, Sandou a dû partir à l’armée pour deux ans.

Elle l’a revu une fois, lors d’une permission, il raconta comme l’armée était dure. À cause de son père, ancien épicier ‘exploiteur’, on ne l’a même pas mis dans l’armée régulière, mais au travail. D’abord, dans les mines. Après quelques jours extrêmement pénibles, il a réussi à se caser comme infirmier, faisant des piqûres. Rapidement, sans douleur, même en intraveineuses. « Mais on veut me mettre dans l’équipe sportive, vu mon passé de membre de l’équipe de rugby junior de Roumanie. Ils promettent une meilleure nourriture. Pas seulement des patates pourries comme ils servent là où je suis. Il faudrait d’abord résoudre le problème avec mes lunettes, j’ai une grande myopie, de six dioptries, c’est pour cela que je n’ai plus continué, je ne voyais plus la balle. » Il décida finalement qu’il ne voulait pas être sportif pour l’armée.

Quand Sandou finit son service, Julie était déjà en dernière année d’études, et avait justement rompu avec Simon. Les examens étaient durs. Une nuit, il fallait répéter, se préparer pour ceux de lendemain. Sandou est venu l’aider, l’interroger, surtout l’aider à se tenir éveillée. Ils étaient dans le salon (comme sa mère avait demandé), elle étudiait sur la grande table à manger, et de temps en temps il lui faisait du café. Pendant qu’elle s’accordait une petite pause, ils bavardaient.

Oui, il paraissait dès le début un brave garçon, si différent de Simon. Julie se souvient et son cœur se réchauffe, mais son âme pleure.

Simon, brun, grand, très attirant. Il avait toute sa famille sur ses épaules, son père en prison, pour ‘sabotage’. Simon, m’a aimée... embrassée, tenue tout près de lui, Simon voulait davantage, mais ne l’a jamais obtenu. Simon, je l’avais aimé, mais il ne m’a jamais aidée à étudier. Il était pourtant dans la même classe de la Faculté, même section. Simon avec qui maman ne m’aurait pas laissée toute seule une nuit entière... à étudier.

La mère de Sandou était d'origine grecque, d’où lui vient sa face méditerranéenne ronde, ses épaules larges musclées d’athlète et son prénom : Alexandre (diminutif Sandou) d’après le plus grand empereur grec, Alexandre le Grand. Il était de petite taille, un peu plus petit que Julie. Bien proportionné, musclé, mais avec un peu de bedon depuis qu’il a arrêté de faire du sport. Il fume tout le temps, une cigarette après l’autre.

Des inégalités, incompréhensions et éloignement: était-il pour elle ? On pouvait avoir confiance en lui, c’était le garçon sérieux, se dit-elle. Peut-être pas génial, ni spécialement séduisant, mais on peut compter sur lui au besoin.

C’était comme elle pensait, cinq ans avant.

Aujourd’hui, il lui paraissait très séduisant et attractif, mais déjà, elle se demandait si on pouvait compter sur lui. L’aimait-il comme elle l'avait espéré ?

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