J'ai recu ta première lettre!

Mon garçon bien aimé, Bruxelles, le 29 mars 61

J’ai reçu aujourd’hui un grand cadeau de toi: ta première lettre ! Ce matin, Viorica m’a réveillée d’un coup de fil : “Je suis sûre que tu ne serais pas fâchée que je te réveille, puisque t'as une lettre de Sandou!” Toute suite je me suis habillée et je suis allée la prendre.

Je ne te donne pas le droit de te sentir seul, Monsieur, m’entends-tu! Je suis tout le temps à côté de toi, mets bien ceci dans ta tête. Toi aussi, tu es à côté de moi et souvent tu me dictes ce que je fais ou dis.

Bien sûr, je me souviens du restaurant où une fois, une fille aux cheveux humides est allée avec toi, mais avant notre départ, ils étaient secs, n’est pas?!

Je suis contente que tu te sentes bien avec tes copains; donne à la cousine de maman ce qui lui appartient encore dans notre appartement, ensuite ne va plus chez elle, si ça t'ennuie. Je te prie, passe au moins une fois chez Maria. Va visiter la belle-mère d'Édith qui est de très bon conseil. Va voir aussi Monsieur Simon, sa femme fait si bien la cuisine et elle sera heureuse si tu lui apportes un bouquet de fleurs. Je me souviens qu’une fois, quand tu m’avais acheté des fleurs, elle avait cru qu’elles étaient pour elle et j’ai dû avec regret les laisser là.

Fais-toi confectionner rapidement deux costumes chez le tailleur de papa! Ceci est un ordre de ta femme. Tu m’as demandé que je te donne des ordres, je t’en donnerai, tu verras, pourras-tu seulement les exécuter tous. De toute façon, essaie.

Il faut que tu aies en toi, non seulement le désir, mais la certitude que nous serons bientôt ensemble: ceci est le plus important de tous mes ordres. Moi, j’ai cette certitude et malgré cela l’attente est dure. Mais je me sentirai beaucoup plus tranquille si je savais que toi, tu as aussi cette certitude. Je veux te sentir fort et avec nous: moi et notre enfant.

Aussitôt arrivée je suis allée chez le docteur. Il a constaté que j’étais enceinte “avec complications” et il m’a donné un certificat que j’ai envoyé aussitôt à l’ami de Marcel, il ira de nouveau en Roumanie dans une semaine. [Je n’ai pas ajouté, ce qu’il savait, « pour arranger la sortie de mon mari en contrepartie de l’argent »] Je t’enverrai des billets d’avion, quand tu en auras besoin télégraphie ou téléphone chez Marcel, ton Visa d’entrée en Belgique est prêt. J’espère, tu en auras besoin bientôt. De toute façon, prépare-toi.

Nos affaires sont arrivées. Expédie les tiennes, quand tu partiras, aussi par le train, en “bagage personnel urgent”. Elles arrivent rapidement. Tu pourras mettre entre tes vêtements quelques-uns de nos bibelots, alors ils ne se casseront pas.

À propos! Achète un salami sec pour Viorica, c’est ce qu’elle voudrait et aussi un foie gras! Cela n’est pas trop difficile là-bas, n’est pas? Le reste de l'oie mangez-le en famille. Ta sœur prépare si bien le foie dans la graisse de l’oie, Viorica et Marcel sont très gentils avec nous et cela peut leur faire plaisir.

S’il te plaît, envoie mes livres à ma tante Hanna, en Israël. D’abord les livres techniques, puis les autres. Et tous les livres que tu veux toi, bien sûr.

Cher Sandou, j’avais trouvé un poème au sujet d’une femme enceinte, il est dans mon cahier de poésies, à côté de nos albums photos. Cherche-le, c’est d’un auteur soviétique, lis-le et transcris-le pour moi : c’est très beau.

J’espère que depuis ta lettre, tu as fait de l’ordre dans l’appartement, dans l'armoire et que tu es aussi un peu plus tranquille. J’attends avec impatience d’entendre bientôt ta voix au téléphone. Tu as une voix si agréable, si tranquillisante, une voix d’ours !

Je ne peux pas décrire quelle joie et quelle tranquillité cela m’a donné que tes parents soient heureux de ton départ et je sais que cela compte beaucoup aussi pour toi. As-tu réussi à résoudre la question du logement?

Il est 6 h de l’après-midi et je suis très impatiente de t’entendre. Dis-moi, est-ce que le lait arrive encore tous les deux jours devant la porte? Qui nettoie l’appartement? S’il te plaît, écris-moi souvent! Tu me procures ainsi une grande joie. Ta lettre est arrivée rapidement, en 8 jours! Et les miennes? Je ne sais plus exactement si cette lettre est la quatrième ou cinquième.

Je ne sais encore rien de la possibilité de la poursuite de mes études, mais ce qui est sûr, c’est qu’en Colombie où habite mon oncle, je ne pourrais pas terminer. Peut-être en Israël.

Demain nous partons pour la Suisse, visiter le cousin de papa. Ensuite nous irons probablement en Israël visiter grand-mère, mais écris-moi pour le moment à Bruxelles, on m’enverra les lettres, elles arrivent en trois jours. Nous allons sûrement retourner à Bruxelles. Pour le moment on peut rester en Belgique six mois. Entre-temps, si tu as un problème urgent, adresse-toi à Marcel, il est un bon ami, comme il y en a peu.

Je t’ai déjà écrit des pages et pages, mais j’ai l’impression de n’avoir écrit que la moitié de ce qui bouillonne en moi. De toute façon, la chose la plus importante tu le sais: on aura un enfant!

Tante Hanna m’a écrit qu’avec mon métier je trouverai du travail là-bas, même enceinte. Tante Irène m’a écrit qu’elle aime déjà l’enfant qui viendra et quand je voudrai voyager je pourrai lui laisser et elle s’occupera avec joie de bébé.

Aujourd’hui, après avoir lu ta lettre, je suis allée visiter Bruxelles dans un bus des touristes. C’est la Grande Place, que j’ai aimée le plus, la plus jolie place de Belgique, construite en 1679, si je me rappelle bien. Elle est carrée, pas trop grande, avec des maisons noircies par le temps, avec des fenêtres et statues dorées. D’un côté, il y a une vieille église, avec un haute tour qui est comme dentelée. Vis-à-vis, se trouve la maison du Roi devenu un musé et tout autour des maisons typiques de Bruxelles: deux étages de même hauteur, minces et avec seulement deux fenêtres par étage. Dans cette place, chaque corps de métier avait une maison, ils ont essayé de les décorer, les unes mieux que les autres, ils ont beaucoup de statues, surtout en haut. Au milieu de la place il y a un marché aux fleurs. Tout autour, beaucoup de voitures en stationnement.


D’ailleurs je me rappelle tout Bruxelles ainsi, avec des maisons régulières et étroites. J'espère avoir réussi à te donner une impression appropriée de cette “Grande Place”. Je chercherai des cartes postales pour te les envoyer.

Aujourd’hui j’ai déjeuné chez Viorica. Il y a deux ans, nous avons mangé chacun chez soi, et nous nous sommes rencontrés seulement l’après-midi...

Il y a un an, nous avons mangé ensemble dans un restaurant où un tzigane jouait du violon. Te souviens-tu combien on était bien ensemble? N’est-ce pas? Ensuite, nous sommes allés porter des fleurs chez ma mère, elle m’a dit seulement “Arrange-toi les cheveux” ses dernières paroles... S’il te plaît, fais une photo de la maison où nous nous rencontrions, comme souvenir. Comme j’avais alors peur : comment ce sera... ? Et c’était bien, et puis, de mieux en mieux. Et maintenant on se demande de nouveau, comment ce sera? Et ça va être très très bien – tout ! Dans un an, nous allons manger chez nous, à la maison, tous les trois. Tu verras.

Il est seulement sept heures, comme le temps passe lentement quelquefois... Encore deux heures entières jusqu'à ce que je t’entende.

Cet après-midi je n’ai pas pu dormir d’émotion, mais autrement je dors bien et beaucoup. Je mange aussi assez bien, mais le restaurant n’est jamais comme à la maison. Hier soir papa a fait des courses et nous avons mangé dans la chambre d’hôtel, quel plaisir cela nous a fait!

Je t’embrasse, Julie

P.S. Comme c’est dur de ne pouvoir parler que quelques minutes. Je voulais te dire que je garderai l’enfant, mais je n’ai pas eu le temps, j’étais trop bouleversée. Mais dans 10 jours tu recevras cette lettre et les autres qui ne te sont pas encore arrivées. Moi, je continuerai de t’écrire souvent, comme toi.

Au revoir, mon amour, mon amant, mon cher ami,

je t’embrasse fiévreusement, Julie

1 commentaire:

Anonyme a dit…

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