Je me décide d'en parler

15 juillet 1959

Je me suis décidée. J'écris, quand même. C'est mieux de le raconter ici, le fixer dans mon journal, que de le mettre dans une lettre ou d’en jaser. D'une façon ou de l'autre, je dois décharger mon cœur de tout ce qui tourbillonne en moi. Je suis curieuse de savoir ce que lui a raconté sur nos vacances à Fan, son meilleur copain.

Mais prenons-le du début.

Que c’était difficile cette semaine-là ! une semaine d'agonie... Oui, elle a duré juste une semaine. À partir du fameux dimanche, avec natation dans le lac la nuit, ses baisers troublants, ensuite notre promenade, jusqu’à l’après-midi du dimanche suivant et la tentative de “nous reposer” dans son nid.

Je me les rappelle si bien. Je travaillais debout à ma place de travail en collant des étiquettes sur les fioles pour l'essence des briquets et je réfléchissais : “Dois-je ou ne dois-je pas ?” En réalité, depuis longtemps c’était décidé, mes instincts, et puis ma tête, avaient déjà tranché - mais je me suis quand même tourmentée : « Oui ? non ? oui ? oui ? non ? oui ? »

Mes craintes... ce n'est pas bon d'agoniser. Ensuite, tout ça a disparu. Et jamais, jamais, je ne l'ai regretté et, j'espère, que je ne le regretterai jamais. Combien j'aurais perdu ! J’ai gagné non pas seulement la quiétude et l’expérience, mais surtout ce puissant sentiment interne liant deux personnes et ces merveilleuses deux semaines que nous venons de passer ensemble. Tout le monde doit partir pour une “lune de miel” ! Elle attache si fort deux personnes.

Dés la première journée, Sandou s'est bien comporté, avec soin, délicatesse, mieux dit affection. Je suis revenue à la maison et pendant plusieurs jours je me regardais dans la glace avec étonnement : « On ne voit aucun changement sur moi ! » Pourtant, quand j'étais jeune fille, j'étais persuadée que l’on pouvait voir de loin, qui est fille et qui ne l'est pas. Je ne me suis pas sentie femme encore, mais toujours une jeune fille. Aujourd'hui, je ne le suis plus.

Aujourd'hui, je me sens vraiment femme et c'est très bien ainsi. Une jeune femme de 25 ans et pas une vieille fille de 25 ans. Quelle différence ! N’est-ce pas ?! J'ai très bonne mine, je suis beaucoup plus calme et... Nous avons eu aussi des querelles, etc. mais peu et en général on s'entend très bien.

Et maintenant arrivent les deux semaines inoubliables passées ensemble à la campagne.
De retour de Kolozsvàr, après seulement cinq jours d’éloignement, l’un de l’autre, Sandou m'a plu énormément (et je crois que moi aussi à lui) : c'est la première fois que je m'en suis rendu compte, et j'étais heureuse, qu'il ait des bras si forts, si bronzés.

Dans le train, nous nous sommes sentis comme deux écoliers en vadrouille. Nous n’arrivions pas à croire que c'était vrai, que tout notre stratagème avait réussi et qu'on n'allait pas “nous arrêter sur le chemin”. Curtea d’Arges est une belle petite ville, elle nous a plu d'autant plus que nous l'avons regardée ensemble ! Ensuite nous sommes arrivés à Suici en bus.

Le beau-frère antipathique de Sandou (qui aurait ne plus être là) a commencé aussitôt à nous sermonner, alors nous sommes partis en promenade et nous avons regardé le petit village d’en haut, de la forêt. Et je peux témoigner que Claire se trompait quand elle disait que... ce n’est pas agréable ainsi... mais l'âge et l'atmosphère comptent.

Le lendemain, enfin seuls, nous avons réarrangé la chambre et si cela avait été possible, j'aurais tout bouleversé pour qu'il y ait un peu plus de moi et le minimum du beau-frère grincheux. Nous avons réussi à la réarranger de façon assez sympathique.

Les autres souvenirs ? Beaucoup de baisers, une promenade du soir dans les champs (le blé pique), la baignade et danse dans la rivière au clair de lune (sans rien sur nous)). Les excursions sur la colline avec ses champs couverts de marguerites, si grandes qu'elles nous cachaient complètement!

J'étais jalouse de tous et de tout ce qui me le prenait même pour une minute. J’ai été fâchée même quand il préparait le déjeuner ! Pourquoi ne s'occupe-t-il pas plutôt de moi ? De la jeune fille qui avait passé presque une journée avec nous, je n'étais pas plus jalouse que du temps passé par lui à cuire une crêpe. C'est vrai, que nous l’avons préparé, ça aussi, “à notre manière.”

Je garde en moi aussi le souvenir du cerisier sur lequel je suis grimpée pour bouder (il ne voulait dormir toute la nuit dans le même lit que moi) et, où j’ai cueilli d'énormes cerises juteuses.

C’était si bon de se baigner dans le ruisseau, je m’en suis délectée surtout une après-midi d’une très chaude journée. Mais nous nous sommes baignés aussi la nuit, sous les étoiles et la pleine lune.

Je viens de me souvenir d'une autre nuit étoilée, et notre baignade sage dans le lac à Bucarest, que ça paraît lointain ! Pourtant moins d'un an s’est écoulé.

Depuis que nous sommes revenus du voyage, je sens comme si nous étions mari et femme, il me semble plutôt amusant de donner un rendez-vous en ville à mon mari, et étrange le soir de lui dire au revoir. J'ai l'impression d'être vraiment, terriblement amoureuse.

Je crois que maintenant je serais capable de faire n'importe quoi. Ce qu'il voudrait. Peut-être même me marier avec lui. J'espère, que pour le moment, Sandou ne veut pas se marier encore et plus tard je serais capable de mieux réfléchir. Maintenant, je ne raisonne plus. Je l'aime seulement. Je suis seulement amoureuse. Et combien ! Je m'en suis rendu compte hier, mais je ne lui ai pas dit, heureusement. Mais j’avais absolument besoin de le raconter. Voilà, c’est fait.

Et sinon ? Que le monde est amusant : le dernier jour de mon séjour à Kolozsvàr, avant nos 12 jours inoubliables, les amis de ma tante ont tenté de me convaincre :

“Á 25 ans, ce n'est pas bien de rester vierge...” et aussi : "Se coucher, c'est bon et il le faut." Ils se sont même fâchés que je ne prenne pas au sérieux leurs conseils, j'en riais autant. Comment aurais-je pu m'empêcher de sourire de cette morale à l'envers et dont je n'avais plus besoin. Mais je ne pouvais leur dire.

Á mon retour de ma “lune de miel”, papa m’accueille : “Tu vois comme c'est bien quand tu es bonne, ma petite.” (Il croyait que je reviens de Kolozsvàr).

Ainsi le monde nous oblige à mentir. Je n'aime pas mentir, ce n'est pas ma nature. Au contraire. Je dis la vérité la plus souvent possible, même quand il ne le faut pas. Je commence à apprendr : “Mentir c'est bon, c'est bien, et il le faut”. Surtout, il le faut. Mais aussi que c'est bon, beau ! et en vaut la peine. Ce n'est pas aussi difficile qu'il me le paraissait jusqu’à maintenant. En ajoutant quelques détails concrets, ça marche.

Bien, Julie ! Je ne vois Sandou que demain ou après-demain soir. Non ! Non ! Demain !

2 commentaires:

Territoires Poétiques a dit…

c'est terriblement beau ce que tu racontes Julie, de cet amour, de la rivière, de la lune et des étoiles...

Anonyme a dit…

Moi aussi j'adore lire tes textes, c'est agréable de lire ton passé!