10 août 1963

Cher Sandou, tu me manques beaucoup.

Aujourd’hui, revenant vers dix du cinéma je me suis dit, dommage qu’il n’est pas avec moi, tant pis. Par contre, une fois entrée par la porte qu’est ce que je n’aurais pas donné pour te trouver à la maison, j’avais envie de ta présence qu’une seconde – juste tant - j’avais l’impression que tu est dans le salon allongé sur le sofa. Mais c’était vide. Je suis allée voir Agnès, elle s’est réveillée quand je l’ai couverte, m’a demandé du thé et a voulu le boire seulement sur la chaise haut dans la cuisine et avec de la lumière. Après qu’elle a bu et fait sur le pot un peu de pipi, je l’ai mis au lit et elle s’est rendormi aussitôt. Elle a voulu, se réveillant, probablement tenir ta place. D’une certaine façon, elle a réussi, je ne me sens plus aussi seule. Mais je te désire autant.

J’ai eu des jours difficiles, Agnès a eu du fièvre, le docteur dit que c’est juste un refroidissement, jusque la lettre t’arrive on oubliera sûrement qu’elle était malade. Mais j’ai dû la tenir dans la maison, la majorité du temps et dans les trois derniers jours elle était très capricieuse, elle n’est pas habituellement. Je me suis pas mal énervée et ce soir madame Ansel est restée avec elle jusqu’à neuf heures et c’était une très bonne détente.

Comme j’aurais voulu parler avec toi ce soir. Mais même ainsi nous parlons, n’est-ce pas ? !


Bonne nuit mon amour,
tu m’entends ? Bonne nuit !
et je t’embrasse de loin
avec désir et chaleur,
Juli

Conseils de partout

Lettres reçus en France début août 1963 par le mari de Julie de partout.

Zürich, 1 août 1963

Cher Sandou,

En même temps que ta lettre du 25 juillet de Saint Didier, ils sont arrivés de Paris en retour :
Une lettre de Judit
Une lettre de nous
Le télégramme
envoyé de nous pour tes 30 ans.

Je te les renvoie pour t’amuser à tes temps libres. T’as aussi trois recommandés qu’ils ne veulent pas donner. On fera le nécessaire pour qu’ils te l’expédient à ton adresse actuelle. Si tu y restes un mois, tu les recevras en temps. L’un est de Roumanie, l’autre de France.

Je regret que t’aies été déçu à St. Didier, mais comme il s’agit seulement d’un mois d’essai, considère-le comme seulement un exercice pour la langue française, tu apprendras là sûrement davantage français.

Je viens de recevoir une lettre très optimiste de Julie bien qu’elle s’est foulé la cheville, elle a une lésion légère se corrigeant avec un bas élastique et malgré tout bonne disposition. Nous sommes ravis. Nous ne devons te dire qu’elle est ainsi surtout à cause de Agnès lui donnant des joies.

Ma sœur m’a écrit qu’elle y est allée la voir quelquefois, elles ont bavardé en français et ça allait très bien. Ils viennent vers dix en Europe, partant d’Israël avec un bateau, nous nous verrons quelque part en Suisse. Je te prie Sandou essaie tenir le moral comme jusqu’à maintenant je suis convaincue qu’à la fin tu réussiras comme tu le mérites selon tes capacités.

J’attends tes nouvelles et t’embrasse entre temps,

Cher Sandou, 4 août 63 Zürich

Avec beaucoup de mal, George a réussi sortir les deux lettres ajoutées ici, en général ils ne donnent les recommandés qu’à la personne adressé. J’ai ouverte celle de France puisque tu as mentionné attendre avec impatience la réponse de Marina, je regrette que rien n’est sortie de ce poste puisque j’avais l’impression que tu auras préféré y aller ayant aussi des conditions plus avantageux là. Sinon, il y aura d’autres et finalement tu trouveras la place te correspondant.
Il m’intéressera de savoir comment tu t’adaptes à rythme de travail de là-bas, si le travail proprement dit te plaît et les conditions correspondent à tes demandes. Je n’ai eu des nouvelles directes de Judith, mais Ila m’a dit que sa cheville va mieux et même un matin allant chez elle ne l’a pas trouvé à la maison, elle prenait une leçon de conduit.

Elle nous a écrit qu’elle continuera donner des examens jusqu’à elle obtient la licence. On peut se présenter là trois les trois semaines. Dis-moi Sandou, tu as l’occasion d’utiliser ta licence obtenu là? As-tu trouvé de société quelque part pour ne pas te sentir trop seul ?

Après les heures de travail il sera bien nous écrire en détail sur tout, ce qui se passe dans ta vie là-bas et quels plans tu as pour le futur proche.

Tu ne peux te plaindre d’absence de correspondance de notre part, prend l’exemple,
Chaleureusement,
Deborah et Pista
(Pista: le père de Julie et Deborah, la deuxième femme de Pista)


5 août 1963 (Julie à Sandou)
Mon cher mari, j’ai eu beaucoup de joie de la première lettre reçu de toi (celle écrite il y a trois jours), je n’ai pas reçu encore celle d’avant.

C’est bien que t’as commencé à travailler quelque part, même temporairement, puisque tu m’écris qu’en août les plupart des moulins sont fermés. Comme tu n’écris pas clairement des conditions, je peux rien y dire donc. Je me dépêche t’envoyer cette lettre avec la poste de l’après-midi, donc elle ne sera pas détaillée puisque Marika est ici et je l’aide en algèbre, je viens juste de faire une courte pause. Demain je commence à travailler chez Hermann pour quelques jours, j’ai donné Agnès pour sept jour à celle qui s’en occupe des enfants dans le parc, je dois l’amener à la maternelle et de là on la prend en charge. Elle est très contant d’aller de nouveau entre enfants et moi aussi. Dans une semaine j’irai à l’examen mais je doute de passer à la première fois. De toute façon, après 20 jours je peux recommencer.

Hier on m’a retiré une dent de sagesse, c’était pourri et m’a fait mal, ensuite je me suis bourré des médicaments et comme résultat en plus de ne pas avoir mal, je n’ai pas pu dormir la nuit. Pourquoi ? Je voudrais enfin terminer avec la série des situations ressemblantes. Mon pied foulé va bien. Agnès croit, elle a pris du poids et va au toilette, sort le culotte, s’assoit sur le pot, fait petit ou grand, s’essuie et jette au WC ce qu’est dans le pot et le range. Éventuellement, quand elle réussit, elle remet même sa culotte. Que dis tu de cela ! ? Bien sûr, je dois lui rappeler de temps en temps et la demander « Tu veux… ? »

Je t’aime beaucoup et comme tu as rien d’autre à faire pourquoi ne pas m’écrire une lettre de dix à douze pages ?Une occupation agréable n’est-ce pas. Sur toi, les gens autour, le village (ou ville), le patron, le moulin, etc.

Je t’embrasse tout fort,
Judit
PS écris-moi ton adresse plus lisiblement



Lettre du copain 5 août 1963 Nantes
Cher Sandou,
Que faire si tu oublie ? Jusqu’à la voiture de 1er août tu ne m’a rien écrit, donc t’avais rien. Enfin j’ai ton adresse. Je regret que la réalité chez les Piron, à toi, a dépassé tes suppositions. Sache que d’autres que toi sont passé à travers des situations semblables.
Au moins le patron soit un type agréable, le reste on l’ignore. Je te le souhaite de tout mon cœur. Au fond, l’atmosphère dans lequel tu travailles fait, en général, la moitié de l’importance dans le rendement. Ecris-moi comment tu t’entends avec le patron et les subalternes.
Chez nous tout va bien. Samedi je me suis procuré ma première voiture, aussitôt pour l’inaugurer, le mettre à l’épreuve, on s’est promené : elle marche à merveille, je suis très contant. J’ai fait samedi 200 km sur des chemins merveilleux, autour d’ici. Aujourd’hui je l’ai envoyé à un garage V.W . pour une révision générale et pour réparer la peinture, puisque la société s’est obligé de me le donner en état parfait. J’aurais tranquillité jusqu’à samedi (les enfants m’ont rendu fou pour que je les promène toute la journée). Entre temps, je m’occupe des papiers de la voiture, carte grise et assurance.

Vers la fin du mois je ferai probablement une stage à Paris chez une des usines que je vais représenter à partir de l’automne dans la région Poitiers.
Nous attendons de nouvelles de toi, bon et beaucoup. N’est-ce pas une bonne photo ?
Chaleureusement,
Eddy (Fianu)



Cher Sandou ! Zürich, 8 août 1963
J’ai reçu enfin ta lettre de 5 courant, les premières nouvelles détaillées sur Saint Didier. En ayant justement préparé une lettre pour Judith, j’ai inclus ta lettre, elle est désespérée à cause de ton silence. Elle m’a demandé d’écrire la vérité sur toi, si quelque chose ne t’était pas arrivé. Une lettre d’elle pour toi lui est revenue de Paris, je l’inclus ici. Entre temps, j’ai réussi à sortir de la poste les recommandés et je te les ai envoyés, j’espère qu’entre-temps tu les a reçus.
Ce que tu communiques de tes activités nous a un peu déprimé, mais j’espère encore quelque chose de plus grand et te correspondant mieux. Sûrement le début est difficile dans un nouvel pays où tu dois lutter aussi avec la langue. Je suis sûr que tu vaincras toutes les difficultés. Au sujet de ta venue ici entre 18 et 19, je ne peux te dire encore si nous serons ici cette date-là. C’est possible qu’on serait allé à Bruxelles et je crois que pour toi aussi venir en Belgique sera plus près. Si tu ne pourras pas à cause de ton travail te déplacer et ta décision à rester en France est définitive, nous ferons tout le possible à venir te visiter avant notre retour en Israël. Nous trouverons un hôtel pour quelques jours pour ne pas abuser de la bonne volonté du patron.
Je t’avais écrit que ma sœur Ila et son mari Boum viennent en Europe pour quelques jours, si tu pourras te libérer quelques jours on pourra être tous ensemble. En tout cas le 20 août nous devons être ici, Pista va au contrôle médical. Nous devons rester en correspondance plus intense pour savoir ce qu’on fait l’un et l’autre et trouver les bons dates de rencontre.

Je n’ai passé hélas l’examen de conduit, Pista non plus, mais j’ai eu un testeur très antipathique dès le début parti à ne pas nous laisser passer. Je peux t’affirmer, cher Sandou, que nous savons conduire très bien tous les deux. Probablement on ne peut avoir le carnet de conducteur sans se présenter deux ou trois fois. Nous habitons maintenant chez George et ça va. Je te prie cher Sandou écris-nous rapidement, mais aussi écris à Judith plus souvent, la pauvre fille est désespérée,
Je t’embrasse chaleureusement,
Deborah et Pista
7 août 63
Mon amour,
J’ai reçu ta lettre de 1 août aujourd’hui, c’est la deuxième de St. Didier. Oh que j’ai envie de toi d’un coup.
Enfin tu m’écris avec plus de détails, mais je voudrais que tu m’écris encore de tant des choses !
J’espère que le droit au travail se résoudra sinon ne te décourage pas peut-être ailleurs un autre propriétaire de moulin le résoudra. Si ça va, tant mieux. Je ne commence à travailler permanent jusque septembre, mais j’ai commencé hier (avec les huiles). Je ne sais pas encore combien il me donnera, j’espère pas mal puisque je veux l’économiser pour avoir d’argent de voyage. Je me réjouis que tu iras visiter papa, il entre en 20 en contrôle médical. Je crois qu’il s’est réconcilié avec l’idée que nous vivrons en Europe et ils essaient d’arranger lui aussi quelque chose là-bas. Tu ne dois pas payer ton repas pris chez la patronne ? Ne travaille pas samedi, tu les habitues mal. Y a-t-il une maternelle là ? C’est un village grand ou petit ? Loin de l’Ain ? Combien de Lyon ? A-t-il un cinéma ? Essaie de te faire des copains par là, je te prie. Je te promets, j’écrirai en Roumanie. Comment est le logement vide ?
C’est bien que tu as maigri, mais pas trop vite ! Je t’envoi dès aujourd’hui les livres. Ma lettre envoyée à l’hôtel renvoyé à George qui n’est pas à la maison t’arrivera en retard, à travers papa. Bien sûr, je t’écrirai dorénavant régulièrement, comme je sais où, mais s’il te plait, toi aussi ! Comment est là-bas avec les salaires ? En général c’est combien ? Le fait que tu reçois 480 francs ne veut rien dire, l’important est avec combien peut-on se débrouiller là.
C’est formidable qu’il ne s’est passé qu’un mois depuis que tu es parti et déjà tu travailles. Je n’aurais pas cru que tu pourras commencer aussi rapidement. Jusqu’à je viens, mets-toi au français, je lis couramment, mais tu sauras sûrement davantage jusqu’à mon arrivé. Je n’ai pas reçu encore la carte d’identité, bientôt. Tu comprends déjà quand on parle français ?
Avant-hier j’ai vu avec Marika un vieux film de trente ans, pas mal. Hier mes cousines Mary et Aghi sont venus dîner chez moi, elles n’avaient quoi manger chez eux, elles viennent de déménager près d’ici, j’espère que nous allons nous rencontrer souvent. Elles se sont senties bien ici et adorent Agnès. Maintenant elle est au Parc, bientôt j’irai la chercher. Je voulais t’envoyer aujourd’hui seulement une carte postale mais après l’arrivé de ta lettre j’ai trouvé plein à te dire et surtout que je t’aime, t’aime, beaucoup, énormément !Je transmettrai tes salutations à ma tante et aux autres. Si tu vas vers 11 à Zurich tu rencontreras Ila qui est venu me voir quatre fois en dix jours et elle pourra te raconter de nous et beaucoup sur Agnès. De toi par contre seulement toi peut me parler. Alors, allons, commence !
Tu sais, avant partir, tous me disaient : « Ce ne fait rien, il partira et verra qu’il n’y a rien à faire et se retournera. » Maintenant tous disent : « N’ai-je pas dit qu’il s’en sortira bien ! » J’ai envie de rire (de joie).
Je t’embrasse, je t’aime et tu me manques mais je n’arrive pas à l’exprimer en mots combien.Au revoir le plus tôt possible,
Judit
PS Papa et Deborah ont échoué à l’examen de conduit.

Je t'embrasse partout


Julie à Sandou

16 VII 1963

Mon cher garçon,
Hier soir j’ai reçu ta lettre de 12 juillet (63 et pas 62 comme tu l’avais écrit) et je me suis très très réjouis. En me couchant le soir je l’ai relu encore une fois et ce matin de nouveau. Je suis contente que tu est en bonne humeur, c’est important ! Je vois que t’as plus ou moins les mêmes intentions pour le futur proche que celui dont j’ai pensé moi aussi. Donne l’adresse de George et tu pourras retourner ou correspondre avec eux d’abord. Ne prends des tableaux que s’ils te plaisent beaucoup, mieux rien qu’un dont on s’en lassera rapidement.

J’espère que tu obtiendras le visa Allemand soit à partir de la France soit de Suisse. Je n’ai pas touché le coffre depuis que t’es parti. Maintenant, il m’est interdit de soulever pour encore quelques jours et les enfants se sont installés dessus, l’ont presque détruit (pas encore !) et je me suis décidée hier à donner de l’argent à quelqu’un pour me le descendre dans la cave.
Voilà les adresses demandées, celui de ton frère Traian à Bucarest et de notre amie Déri Agnès de Budapest et celle de tante Irène en Israël. Aux autres questions, je t’ai déjà répondu dans mes dernières deux lettres.

Autres nouvelles : j’étais chez T. il m’a dit que la production commence la semaine prochaine et qu’il aurait besoin de moi 1 à 2 jours par semaines (il parlera à son frère qui n’est pas dans le pays pour le moment, au besoin). Je crois qu’il sera arrangé jusqu’à septembre, tant mieux puisque en août il n’y a pas d’école maternelle et je ne voudrais pas prendre un travail à temps complète jusqu’à ce moment. J’ai fait des photos pour la carte d’identité, je les prendrai aujourd’hui, puis j’irai à m’inscrire à Histadrut (Sécurité Sociale). Les choses avancent, même si lentement et chaque jour j’essaie à réaliser quelque chose de nouveau pour ne pas sentir qu’il s’est passé pour rien. Fais de même tu verras quelle satisfaction apporte !

Mon chéri, je m’empresse à finir puisque le bus arrive bientôt et je ne suis pas encore habillée. Je t’embrasse avec amour et partout, je t’aime beaucoup et je te souhaite succès en tout que tu entreprends,

encore baisers, Juli (Judit)

Mon amour,

Je vais mieux, j’ai eu mal aux chevilles jusqu’à ce que j’ai pris Codisol fort. Je voudrais aller aujourd’hui au cinéma voir Autant en emporte le vent, un grand vieux film. Après-demain je commence à travailler de nouveau chez Hermann avec les huiles. Oncle Laci et sa famille nous ont visités et le jour quand j’étais à la tombe de grand-mère ils m’ont invités à un restaurant. Il est sympa et ressemble beaucoup à maman (surtout ses yeux chauds), son fils Thomas est de nouveau en vacances.

Combien c’est 800 francs relatifs aux salaires de là-bas ? N’est pas peur, je conduis déjà bien et avec sûreté, l’examen viendra en deux semaines (puis si besoin de nouveau trois semaines après cela), le chauffeur est en vacances pour le moment, en Chypre. Ce chauffeur est meilleur marché malgré le trajet que ceux d’ici.

Je te félicite de nouveau et je te souhaite de tout mon cœur que tout ce que tu te souhaites dans la vie se réalise,

Avec amour
Juli

2 août 63
Mon chéri,
que t’arrive ? J’attends, j’attends et aucune nouvelle. Je ne sais pas où tu es, quand et où peut t’arriver une lettre de moi chez toi, sacré nom de Dieu, donne au moins un signe de vie ! J’espère que tu ne m’as pas encore oublié et que tu te souviens encore de notre adresse, nous tes deux fille à toi !

A peine mon problème de cheville a terminé et je me suis réveillé avec mal au dents. Je vais chaque jour chez le dentiste (il y a un dans le cour) et je reviens ayant plus mal qu’avant. Cela passera aussi. La morale sinon va, sauf qu’on attend de toi une lettre ou au moins une carte postale.

Mon chéri, tu me manques, mais encore quelques mois et nous nous verrons n’est-ce pas ? Nous nous souviendrons comment c’était bon loin l’un de l’autre, tranquille, tous les deux pouvant faire ce qu’ils voulaient avec leur temps.

Je ne me sens pas du tout seule à cause d’Agnès, mais la solitude doit te peser énormément et tu te sens probablement de plus en plus seul. Ecris moi enfin ton adresse actuelle, monsieur ! Je te promets de t’écrire tous les jours alors !

Ouf, il fait très chaud ! Le matin ça va encore, autour de trois ou cinq est comme un four, puis arrive un léger vent, mais ensuite, à partir de sept ou huit tout cesse et c’est 30 à 32 degré et vers 12 de nouveau on ne peut plus respirer. Je ne me plains pas, j’ai entendu qu’à Bucarest et même chez vous est pire cette année. Mais il pleut quand même de temps en temps, n’est-ce pas ?

J’ai envoyé deux jupes à Mama[1] et Gabriella et commandé deux autres. En cinq jours je commence à travailler. Depuis aujourd’hui il n’y a plus de l’école maternelle et… j’attends avec impatience que le mois passe. Quand je pourrais je l’amènerai à la mer (je n’ai pas encore été). Papa cherche faire des affaires en Europe (il ne faut pas que tu le saches, c’est ma tante Irène qui me l’a confiée) et je crois qu’il s’est finalement fait à l’idée que nous resterons là.
Irène est heureuse de tes succès « je savais qu’il réussira » et moi je voudrais savoir si tu as réussi quelque chose ou non. Ce n’est pas urgent, tu n’es parti que depuis un mois (et sept jours). Que penses-tu, si le moulin ne travaille pas en août et tu ne veux pas voir d’autres pays, tu ne pourras pas suivre un cours d’un mois de français ? Dans tous les centres industriels (à Paris sûrement) mais aussi dans des autres grandes villes, il doit y avoir pour les étrangers (ex. les ouvriers italiens) des cours de langue. Ou alors ? Fais ce que tu veux mais écris-moi plus souvent jusqu’à je ne me fâche assez et t’écris une lettre que tu ne mettras pas dans la boîte !

Mon chéri, je voudrais t’écrire dans une façon qui exprime toute la chaleur avec laquelle je pense à toi et le bonheur que j’ai à t’avoir, que tu m’as, que nous avons une famille unie et « bien » comme est la notre. Je ne t’écris plus rien d’Agnès, chaque jour elle devient plus mignonne et plus sympa, j’ai peur de la gâter un peu mais tu m’as dit de l’aimer aussi à ta place, je lui donne donc des bisous, je l’embrasse aussi à ta place.

J’ai des ennuis avec son coucher le soir, mais ce n’est pas étonnant en telles chaleurs qu’elle ne réussit plus s’endormir facilement.

Je crois que la semaine prochaine je donnerai l’examen de conduit, le reste dépend de chance. Deborah m’a envoyé les lettres que tu lui as écrit mais la dernière date de 18 juillet. Je n’ai rien reçu de Roumanie, ni écrite, je n’avais rien de bon à écrire, seulement ma cheville, dents, etc.
Autrement, un peu bronzé me va bien, je suis un peu grossie et, les gens disent, que j’ai l’air – jeune.

Je suis bien avec tous, mais outre Agnès, les voisines Klàri, Zsuzsi et Mme Ansel d’en face et quelquefois Ila, Irène, je ne parle avec personne. Je lis beaucoup en allemand pour me perfectionner, ou alors devrais-je commencer à lire de nouveau en français ? J’attends à recevoir les papiers d’identité et je ménage mon pied qui se fait sentir de temps en temps à la fatigue. Et je pense à toi. Hier nuit je t’ai rêvé, jeune, gentil, galant et tu me courtisais comme avant les fiançailles, quelque chose comme ça.

Je t’embrasse avec amour,
Je te dis bonne nuit chaque soir mon chéri,
Judit

[1] Maman de Sandou

France perçu de loin

Mon chéri,

Comment est l’été là ? J’ai bu tout à l’heure un thé et maintenant l’eau coule de moi. Mary vient de partir, la petite s’est endormie, la maison est silencieuse.
Je viens faire une douche, je me sens merveilleusement.
Comment est le temps à Paris ?

J’ai cherché dans mon grand livre et j’ai réussi à trouver ton hôtel, il a deux étoiles et « B », j’étais très contente de l’avoir trouvé.

Écris à tes vieux toi aussi au moins pour qu’ils sachent où t’écrire pour ton anniversaire, pense à ta maman : il y a trente ans c’était elle qui a eu mal avec ta naissance, elle aussi mérite être félicité ! Parle avec Fianu aussi du problème de Stelian . J’ai reçu une carte postale de Deborah, ils sont bien arrivés.

Mon cher garçon, fais milles choses pour ne pas avoir du temps à penser que nous te manquons. C’est mieux. Conserve ton désir pour les quelques jours avant notre arrivé et le bonheur sera agrandi d’autant. Tu sais que nous sommes bien ici, en santé et nous t’aimons et te souhaitons tout le bien. Ne te laisse pas réfléchir maintenant aux choses non constructives.

Oui : « même en lettre elle me bat la tête, que c’est bien que c’est seulement par lettre! »

Je t’embrasse, mon garçon, mon mari,
mon cher amour,
bonne nuit !
Judit
(il m'appelait ainsi)


13 juillet 63

Mon chéri,

J’ai reçu en cadeau magnifique pour mon anniversaire vendredi midi : d’un coup trois lettres de toi, auxquelles je veux te répondre. Nous sommes le samedi, midi, Agnès dort, nous pouvons ainsi discuter tranquillement ensemble, toi et moi.

Est-ce ton opinion qu’au lieu de l’homme et le cœur et des relations, les relations et argent vont mieux ? ou je me trompe ?

Tu te plains que le temps passe lentement. Il faudra que tu fasses des connaissances pour apprendre un peu la langue en la parlant, sinon va dans un parc ou apprend la langue d’un livre. Il n’y a pas des cours que tu pourrais suivre quelque part ? Mange de temps en temps aussi des repas chauds !

Écris à tes parents et à papa. Il a été voir le docteur mais n’a pas encore le résultat. De nouveau ils habitent à « Hotel Urban » à Zürich, tu peux leur écrire là. Demande-leur de conseil, je crois que papa prend plaisir de donner son opinion et peut être même l’adresse de ses relations de Paris. Je viens le trouver. Je crois que T. parle aussi roumain, il habite 29 rue de Clichy Tri 0697. Dis-lui qui tu es (mari du fille de papa) et que t’es venu le visiter. Peut-être il te conseillera (qui sait, même aidera), il est riche vie en France depuis longtemps, il représente ici Cortimex de Roumanie. Moi je l’ai rencontré à Zurich quand nous étions là avec papa et oncle Bela il y a deux ans (il est sur la photo que je t’avais envoyé).

Chez nous tout est en ordre. Agnès va encore ce mois à l’école maternelle, puis elle jouera dans le cour. Vraiment, j’ai pas trop de travail avec elle. Papa m’a dit que je peux demander 300 lires par mois de l’oncle ou combien j’aurais besoin, et en plus ce qui est nécessaire pour arranger l’appartement. Jusque je trouve de travail, je n’aurai pas donc des problèmes financiers, ne t’en fais pas. J’ai commandé déjà les jupes pour Gabriella et maman, le mois prochaine je leur achèterai deux autres.

Comme je ne savais pas que ton copain de Pirée t’a envoyé ma lettre, j’avais répété certaines choses dans ma dernière lettre. Est-ce difficile à obtenir un visa d’entrée à la base du papier vert quand tu seras en Suisse ? Peut-être c’est possible. Pourquoi t’as pas pu aller à la préfecture ? Je ne crois pas que tu dois aller encore au Consulat. Cela ne vaut pas la peine à te dépêcher. Il ne s’agissait pas de voir d’abord aussi les possibilités dans d’autres pays auparavant ? Décide-toi seulement après. Apprends d’abord les diverses possibilités en détail, oriente-toi, reçois de l’expérience, etc. Tu m’écris rien, comment est avec le Droit au Travail ? Si l’hôtel ne te va pas ou tu veux rester à Paris encore au moins deux semaines, cherche une pension avec repas ou ailleurs, je peux t’envoyer en continuation les lettres à l’hôtel et tu passe pour les prendre, ils te le mettrons à côté et tes lettres arrivent ici en trois jours, ainsi après tu m’annonceras ton nouvel adresse, ne te fais pas une problème de ça. Demain j’irai demander ma Carte d’Identité après-demain pour parler avec quelqu’un de travail.

Je vois que t’es découragé des résultats obtenus jusque maintenant, je te dis sincèrement que je vois que tu as résolus et appris rapidement pleines des choses, plus vite que j’avais cru. N’attends pas que « tout marchera sur roulette » mais je vois que ça avance très bien. Il ne faut pas que tu sois impatient mon garçon, le temps ne s’enfuit pas, même si les jours passent.
Je t’envoie un « dessin » de ta fillette, je reçois chaque vendredi six dessins d’elle dans une enveloppe. Nous avons commencé ainsi, nous aussi !

Tu vois que le sort est bon avec toi : le huit t’était fâché que rien n’était résolu et le neuf tu reçois le journal avec pleines d’annonces ! Qui t’as aidé à écrire ton autobiographie en français ? Et tes réponses aux annonces ? Tout seul ? Je suis content que t’as pris enfin le crayon.
Par Deborah tu pourras parler avec George qui te dira où aller au sujet de tes problèmes en Suisse : il te faudra un traducteur comme il ne parle pas roumain, il est originaire de l’Hongrie, mais habite depuis vingt-cinq ans là et doit connaître où tu pourrait t’intéresser au sujet des moulins. Je crois que tu pourras passer le jour de tes 30 ans chez eux, c’était le deuxième point, n’est-ce pas là ? George t’indiquera sûrement un hôtel pas cher, de là tu pourras aller voir les autres endroits au besoin, par exemple à Genève. Tu trouveras un journal de Meunerie, j’écrirai à ta place à Deborah pour que le journal t’attend à ton arrivé et aussi en Allemagne. Tenant compte que tu as de l’argent là, il ne sera probablement une problème d’obtenir la prolongation au besoin. Tu pourras écrire à partir de là aussi en Allemagne, obtenir un visa, écourter le temps d’attente.

Je ne sais pas si mes conseils sont bons, voir utiles, mais c’est comme si nous discuterions ensemble et je te donnerai mon opinion. Réponds-moi. J’écrirai moi aussi à Deborah.
Je t’écris encore un peu sur nous.

Après trois jours au lit, avec Mary comme maman de replacement, elle ne voulait pas être « serviteur » j’ai dû donc hier nettoyer, laver la vaisselle et le linge, faire à manger, j’ai même fait un crème caramel pour les visiteurs c’était un succès. Irène, Dezso, Marica m’ont apporté des fleurs et une paire des sandales blanches, l’après-midi Ila, Boum et Miska (il te salue) m’ont apporté des fleurs et une vase. Papa a envoyé un télégramme et Deborah une étoffe pour une robe et j’ai reçu de toi trois lettres à la fois ! Le soir, Klàri et Zsuzsi et Laci sont passés rapidement et m’ont apporté eux aussi une minuscule vase avec une fleur ayant un magnifique odeur. J’ai un peu mal au ventre d’avoir resté tant sur le pieds (je suis à peine cinq jours après tu sais quoi) et en plus, tout la matinée aujourd’hui j’ai fait du l’ordre dans les armoires. Maintenant j’ai plein de place mais je ne suis pas encore décidée à sortir ou non les choses des coffres.

Un homme est venu et m’a mis une petite étiquette gravée sur noir sur la porte : A. Crisbaseanu, comme le logement est maintenant à nous. C’est une sensation extra !
Je me suis fait couper les cheveux et hier même coiffer, tous étaient enchantés du résultat. Boum disait que tu tomberais amoureux de moi de nouveau en me voyant ainsi et toutes les femmes m’ont demandé l’adresse de la coiffeuse pour se faire pareil. Hier j’ai eu bonne mine et j’ai le moral, je suis plein d’énergie et patience et de beaucoup, énormément d’amour pour toi et ta fille

Je t’embrasse mon garçon tendrement,
Judit


13 juillet 1963

Cher Sandou,

Quelle chance t’as que t’es pas avec moi !

Imagine-toi une après-midi calme de samedi, tous dorment, j’ai terminé te parler il y a juste une demi heure, je me suis couchée, puis levée et maintenant je continue à te parler et t’ennuyer encore un peu. Quelle chance, n’est pas, que tu n’est pas ici. Ainsi, tu es fantastiquement heureux (au moins je le crois) que je t’écris de nouveau. En plus, au moins jusque 15 ou 30 août, je suis « hors porté » et si tu serais ici, seulement on se torturerait réciproquement. Au moins jusqu’à ce date, n’ai pas trop envie de moi !

Étant à Paris, va au moins une fois à Louvre, même si tu vois seulement un ou deux beaux tableaux, te plaisant, cela le vaut. Voir tout est fatigant, mais un coin, non. Monte sur la tour Eiffel. Au moins, envoi un illustré de là, mais crois-moi que la vie est belle du haut comme du tour de l’église de Prague : tu t’en souviens ?

Peut-être George te prêtera sa voiture pour voir un peu Suisse, s’il l’a proposé à Deborah qui ne sait pas conduire, pourquoi pas à toi ? Ou peut-être il te montre lui-même. Vers le premier août, la sœur de Deborah, Ila et son mari Boum seront à Lausanne, en Suisse. Si ça va pas en voiture, comme tu seras en Suisse l’été, tu as de temps et je suis sure qu’un billet de train en troisième classe ne coûte pas trop cher, va voir, cela vaut la peine, c’est un beau pays. Et tu as 30 ans une fois ! Offre cela pour toi-même pour ton anniversaire.

Mon amour, tu me manques tant ! Mais je suis très contente que tu es là-bas et je voudrais beaucoup que tu ne te sentes pas seul. Au fond, c’est bien, quoique nous ne pouvons pas nous toucher un certain temps, nous pouvons parler à travers nos lettres, autant qu’on le veut aussi longtemps qu’on le désire et aussi souvent, n’est-ce pas ? !

Agnès dort depuis deux heures, elle a joué toute la matinée dehors avec Annie, Katy et les autres enfants des immeubles, ensemble ou ici ou chez Annie ou dans la cour. Elle n’est venue à la maison qu’une fois pour que je la change et trois fois demandant « pomme ! »

As-tu été voir le marché des fleurs la nuit ? Où c’est une décision difficile ? Tu n’as rien écrit du Riviera et de tes impressions. Quand tu ira chez les Fianu, allez une fois à un bar ensemble. Sois économe, mais pas trop près des sous, si on avait besoin, je gagnerai moi aussi et je pourrais envoyer si je peux, si tu avais besoin.

Agnès t’embrasse, elle est très rusée. Quand je la gronde ou me fâche, elle vient m’embrasser et me faire la bise. Je sais qu’elle te manque beaucoup, j’essayerai la prendre en photo, Mary m’a promis de m’emprunter un jour son appareil. Mais elle (Agnès) n’a changé du tout.
Je t’envoie cette lettre sans « express », écris-moi quelle est la différence entre les deux lettres envoyés le même jour pour savoir si le tarif « express » vaut la peine.

T’embrasse, ton épouse, (Judit)


Lettre des copains à Sandou

Le 15 juillet 1963, Grèce

Cher Sandou,

Je n’ai pas perdu le temps pour t’écrire quelques lignes, ce que tu peux constater sur cette feuille arrachée d’un cahier. Je me suis dit de ne pas perdre le temps à chercher de papier à lettres ce qui compte est l’écriture, n’est-ce pas ? Je suis content que tu as bien arrivé et qu’il existe malgré tout là es personnes ayant été roumains. Dans la deuxième partie où tu dis te sentir trop seul, je me rends compte que c’est dû aux sentiments de père et mari.

Je n’ai pas beaucoup à t’écrire autre que ta lettre m’a plu tant son style et son contenu et je parle des suivants :

Ce que tu me demandes fugitivement en deux mots seulement, faire une invitation officielle pour ta femme, je veux bien mais tu as été trop pauvre en explications. Ne me crois pas bête, mais qu’est-ce que tu entend par invitation officiel.

En ce qui concerne ta personne, je crois, que t’es arrivé à te réfugier dans le refuge des réfugiés des pays de l’est. Là s’est plus facile à traverser des barrières autrement impénétrables sur le chemin que tu t’es choisi. Intéresse-toi.

J’attends des détails de ta part,

Salut,

Puiu

Bucuresti, Roumanie, le 21.07.63

Cher Sandou,

J’ai trouvé ce soir en revenant ta lettre. Je ne sais pas si tu as reçu déjà la mienne. Je l’avais mise à la poste autour de 1 mai pour qu’il t’arrive en 15 puisque tu disait que tu déménageras de nouveau.

Ton dernière lettre date de 4 mai, depuis rien, juste deux illustrés. Je ne savais pas qu’est-ce qui se passe avec toi. Ton frère Stelian n’a reçu rien de toi non plus les derniers temps.

C’est vrai que c’est dur seul et sans nouvelles de femme et enfant mais il paraît que tu as un domicile instable maintenant, probablement tu auras des nouvelles d’elles avant que ma lettre te survient.

Tu m’écris que t’as envoyé divers offres à plusieurs moulins ! Dis-moi s’il te plaît je cherche depuis des années et je ne suis qu’en deuxième année de l’université de construction. Même si t’es plus jeune que moi avec trois ans, t’as une avance d’environ six ans.

Toute ma famille est en bonne santé.

J’étais tellement occupé ces derniers mois avec les examens que je n’ai pas eu le temps de voir les copains. J’étais une seule fois à Odobesti où j’ai rencontré Magurele qui revenait justement (notre « âne » travaille à l’Ouest depuis quelques mois). Je n’ai vu personne d’autre.

Je te souhait tout bien et beaucoup de chance dans ce que tu souhait accomplir. Baise les mains de Judith (quand tu la verras) et j’espère bientôt,

t’embrasse ton ami

Nelu

PS Si tu changes d’adresse où trouves de travail écris-moi rapidement ton adresse, en attendant écris encore de temps en temps même si tu n’as pas beaucoup à dire.

Verso

Tu penses t’établir en France ?

Tu écris à commencer à t’ennuyer, que t’as vu tout et avec chagrin. C’est vrai que dans ces conditions l’ennuie arrive vite. Je crois que l’hôtel te coûte assez et j’espère tu n’es pas dans une de première classe qui te prend même la peau des os.

En ce qui concerne l’ennui, le seul conseil que je puisse te donner est le suivant : tenant compte que tu seras encore en France pour un temps, ou éventuellement même t’établiras là, essaie vaincre l’ennuie en lisant et apprenant la langue française, avance les choses.

Je crois qu’en étant seul, finalement tu aurais certains jambes et seins comme il faut, et physionomie, puisqu’il nous faut à nous aussi de physionomie, nous pouvons qu’ainsi, c’est comme ça. Ça aussi est un remède contre l’ennui.

Autre chose nouvelle je n’ai que dire, je me suis mis à apprendre et j’ai il y a une semaine réussi à finir la classe X sans fréquentation, j’ai encore une puis le bac. On verra ce que je ferais ensuite. Nelu a fini aussi mais pas le X comme moi, mais le II de Faculté.

Daniella


Lettres de France (2)

Ma chère femme, 14 septembre 1963

Ce matin j’ai reçu ta lettre du 10, je l’ai lue d’abord sur l’escalier, et puis de nouveau et de nouveau, jusqu’au ce soir. Tu es tellement douce que je te mangerais, encore et encore, jusqu’à ce qu’il ne reste rien.

Aujourd’hui je me suis levé tard, parce que cette nuit ils m’ont réveillé à 4 heures du matin pour un dépannage au moulin. En me levant, j’ai trouvé ta lettre, dans laquelle tu réponds à presque toutes les questions que je t’ai posées seulement dans ma lettre d'hier. Probablement par télépathie.

J’ai réglé ensuite avec les propriétaires du moulin mon compte d’Août. J’ai reçu encore 380 francs, 120 f représentent la bouffe et l'acompte de 300 f. Je les ai déjà terminés aujourd’hui, je n’ai plus que 10 francs. Ils m’ont donné aussi le compte des dépenses.

Je devrais publier une annonce par l’intermédiaire de Eduard, l’ami de mon frère habitant à Nantes. Je dois faire quelque chose, l’insécurité me détruit. J’ai encore 225 F, mais j’aurais voulu m’acheter une paire de chaussures. J’ai aussi besoin d’une blouse de travail, bêtement je n’en ai pas pris quand je suis parti. Toutes mes affaires sont sales et je devrais les donner à laver. La dernière fois, à Paris, ils ne les ont pas trop bien lavées, mais ils ont très bien repassé mes chemises.

Moi aussi, j’ai des problèmes pour dormir. Aussitôt que je suis un peu reposé, je me réveille et je ne réussis plus à m’endormir. Peut-être est-ce de la télépathie, qui sait.

J’ai reçu une lettre de mon frère, il a trouvé un meilleur travail, il ne m’a pas oublié et il nous demande des nouvelles des médicaments qu’il avait demandé de lui envoyer, je crois que tu avais demandé à ton oncle de le faire. J’ai aussi reçu une lettre de mon copain d’enfance grec, il est sorti de Roumanie après moi, il s’est établi comme médecin au Nord de la Grèce et me demande comment c’est pour les docteurs en France. Je n’ai encore écrit à personne d’autre qu’à toi et je devrais aussi laver mes chaussettes. Je voudrais aussi aller au cinéma.

Quand je terminerai ma lettre, je ferai une promenade pour la mettre dans la boîte à lettres et je mangerai un gâteau. Ici le temps s’est refroidi, il fait frais et il pleut. Je pensais que, si tu étais ici, on ne pourrait pas se promener et qu'il faudrait trouver quelque chose à faire à la maison.
“Ensemble pour le meilleur et pour le pire!” Je vois que lorsque nous sommes séparés c’est mauvais, quand nous étions ensemble c’était bien. Depuis deux mois et demi déjà que dure notre divorce forcé, on pourra se remarier, je ne sais pas pour combien fois. J’espère bientôt.
Beaucoup de baisers pour ma femme dont j’ai beaucoup envie et pour la petite. Je t’embrasse mon amour,

j’espère que tu ne dérangeras pas mon sommeil cette nuit,
Votre Sandou


Chère enfant, le 16 septembre, 1963

Aujourd’hui après avoir bu mon café, j'ai rencontré le facteur. Tu es une femme si adorable. J’ai signé, j'ai pris ta lettre et j’ai lu.

Je viens de recevoir aussi une lettre de ma sœur, elle a reçu les jupes que tu lui as envoyées et t’en remercie, elle va t’écrire aussi à toi, mais souviens-toi que pour la première lettre de Roumanie il faut beaucoup de temps, à cause de la censure.

Je me réjouis de tes deux décisions, le Français et la gymnastique et je serai content si tu les mets en application. J’espère que tu as réussi ton examen de conduite et je te prie de demander à ton père d’envoyer les médicaments à mon frère. S’il te plaît, ne prends pas trop de somnifères, ni d’autres médicaments, plutôt casse quelque chose ou crie sur tes voisins.

Je t’embrasse ma fille chérie et aimée et je t’envoie un long et appuyé baiser sur ta bouche,
à bientôt, ton Sandou

Ma chère fillette, Saint Didier, 21 octobre 1963

Je ne comprends pas comment cela se fait, qu'aujourd’hui je n’ai rien reçu de toi. Samedi, je suis allé prendre la motocyclette que j’ai achetée. Ne te fâche pas, ne sois pas furieuse, 150F avec le moteur abîmé et un autre de rechange. J’ai travaillé samedi trois heures pour la réparer et aussi dimanche de midi jusqu’au soir, je l’ai mise en pièces détachées et je pourrai aller acheter les pièces abîmées manquantes. Avec cela nous avons passé un bon dimanche chez le mécanicien.
J’attendais de tes nouvelles, rien. Dis à ta cousine que je lui souhaite un bon mariage. Depuis un certain temps, tu n’as rien écrit à propos de ta tante Irène, ni de tes cousines. Je ne suis pas très bon pour leur écrire, envoie leur mes salutations et aussi souhaits de bonne santé, surtout à ton père. Je ne sais pas si tu trouves des motifs pour être fâchée avec certaines personnes de ta famille, mais maîtrise-TOI, dis-toi que tu seras longtemps loin d’eux. Ne prends pas mal que je te donne des conseils, suis-les.

Je vous embrasse toutes les deux, votre Sandou

Lettres vers la France (à Sandou) (1)

Lettres de Julie à son époux


25 juin 1963


Mon cher garçon,


Il est une heure de demie, j’ai couché Agnès, j’ai arrosé dehors devant la fenêtre de sa chambre pour que les enfants ne puissent jouer juste là et tout, tout est ici comme d’habitude. Seulement tu flottes sûrement déjà sur la mer en haut en bas comme les vagues vous portent.

Nous ne nous sommes éloignés depuis longtemps, mais déjà tu me manques un petit peu. Non que je voudrais que tu sois ici mais moi là.


J’ai réfléchi aujourd’hui à ce que tu as dit « Si je ne réussis pas maintenant la vie est finie » ou quelque chose dans ce genre. Je ne suis pas du tout d’accord. Je te souhaite de toute mon âme à réussir, vraiment crois-moi que même ta maman (écris lui s’il te plait vite !) ne peut pas te souhaiter davantage à réussir comme moi. Cette pensée, j’espère, va même t’aider.


Mais si cette fois-ci tu ne réussissais pas, crois-moi, tu ne perdras rien, tu gagneras beaucoup d’expérience.


S’il fallait revenir, c’est avec la pensé que la deuxième fois tu feras mieux. Je sais, par exemple, si tu vois maintenant que ne sachant une langue t’as dérangé, tu te mets et tu l’apprends bien ; si c’est une relation qui te manquait, tu te mets à commander et lire chaque semaine le journal de Meunerie, tu répond aux annonces, tu corresponds, etc etc. et tu essaies de nouveau. Ne me comprend pas mal, à peine tu es parti et moi, crois-moi sur Agnès, je ne pense du tout que tu échuerais, au contraire, je veux seulement que tu comprenne qu’il ne s’agit pas de la vie ou mort, et n’importe comment nous vivrons à la fin à l’endroit où tu aime, où tu seras content. Nous sommes jeunes, seulement 29 et 30 ans, et nous avons encore toute la vie en face de nous. Quelques mois, ou ans ne comptent pas tant.


J’espère que tu supporte bien le voyage et que tu as réussi à acheter des mines pour ton crayon, que tu as déjà fait des connaissances et que tu pourras te rencontrer avec ton ami d’enfance de Pirée. Transmets-lui mes salutations si tu reçois cette lettre avant de le rencontrer. J’espère que tu le recevras.


J’ai épaté le prof de conduit avec quatre revers bien réussis. Aujourd’hui j’ai conduit très bien mais je ne fais pas assez attention aux croisements aux voitures arrivant et ce n’est pas bien. À partir de vendredi je prendrai des leçons doubles.


J’ai réussi à dormir encore une heure après ton départ, ainsi maintenant je n’ai plus sommeil. La leçon de théorie a été repoussée pour jeudi, ainsi aujourd’hui j’ai fait la cuisine, ordre et nettoyage, puis j’ai pensé à toi, ensuite je suis allée prendre Agnès. Je lui ai lavé les cheveux, elle était très heureuse après que je l’ai sortie du bain et je lui ai dit « Fini – l’eau ». Elle a mangé très bien à midi et s’est aussitôt endormie.


Je t’embrasse avec beaucoup d’amour et envie de toi,ta Julie



Sandou, voilà ma lettre « express par avion » mais ne crois pas que c’est la première. Je n’ai déjà écrite une à Pirée, une carte postale à Marseille à l’adresse du bateau et une à la vieille adresse de Fianu. Au moins, tu recevras sûrement celui-là.

Je suis heureuse de voir que les choses démarrent bien, même si la partie difficile commence seulement maintenant, comme on le dit. Avec persévérance, je suis sûr qu’il te réussiront


D’abord, sur ce qu’arrive à la maison. À partir du premier juillet Agnès va à l’école maternelle près d’ici, elle aime mais le parc (et les enfants habituels) lui manque encore. Par hasard, son éducatrice sait roumain. Les autres ont deux à trois ans, elle est la plus petite. Elle a commencé à faire au pot (quand elle veut). Un matin elle s’est réveillée, m’a appelée et la première chose qu’elle m’a dit était : Sandou ? Sandou ? Je lui ai expliqué que tu es parti en avion (elle ne comprend pas encore bateau). Elle mange bien et en générale est obéissante, comme tu le sais. Nouveau : elle dit « voilà » quand elle me donne quelque chose et chaque jour elle parle mieux et plus, tant en roumain qu’en hébreux.


J’ai passé l’examen de code, merci pour les félicitations, ce n’était pas trop dur pourtant c’était en hébreux. Fin juillet sera la pratique. Déjà ça va très bien, je change assez facilement les vitesses, je ne suis pas encore assez attentif à la circulation.


Aujourd’hui on m’a retiré… le dent, c’est passé mieux que l’année dernière. Après dix jour d’avoir vomi dès le réveil, etc. je me sens enfin mieux.


Aujourd’hui Mary était avec moi toute la journée, elle vient juste de partir. Elle est très gentille et s’entend très bien avec Agnès. Demain elle viendra avec tante Irène. Ils ont des problèmes avec leur inscription à l’école, les deux filles n’ont pas été admises au lycée de Givataim. Je lui a lu ta dernière lettre et elle m’a demandé à ne pas t’expédier celle-ci comme elle veut ajouter aussi, mais je lui ai dit que je te l’enverrai demain matin et qu’elle t’écrive séparément.

Merci pour ton télégramme pour le 1 juillet et les jolie fleurs achetés. J’ai reçu des lettres pour l’occasion de nos trois ans de mariage, tant de Gabrielle que des vieux.


Je t’aime beaucoup mon mari et je te souhaite la réussite de tout mon cœur ! Mais je n’aime pas ce que tu disait avant de partir « ou maintenant, ou c’est fini », ce n’est pas bien de penser ainsi !


De tout échec, il faut apprendre et l’utiliser pour le futur. Fais ainsi, toi aussi, là-bas ! Si quelqu’un te refuse, n’abandonne pas aussitôt, essai d’apprendre pourquoi etc. pour ne pas faire chez le deuxième les mêmes erreurs ou utilise une autre tactique. Tu ne m’écris pas comment tu te débrouille avec la langue ?


Si possible, visite Saint Chapelle un matin ensoleillé et une autre fois le musée Rodin, puis écris-moi ce que tu en pense. J’espère qu’avec le temps tu prendras en amitié Paris, sinon tu pourras te promener dans ses environs.


J’aurai le droit de me lever dès vendredi, la famille Kertesz sera ici, ils n’ont toujours pas encore la nouvelle appartement. Aujourd’hui oncle Dezso m’a raccompagné chez moi dans sa voiture, c’était beau de sa part, son Peugeot va très bien. J’ai signé pour le logement et payé une partie, le reste pour 15 juillet et 15 août et c’est fini. Hier j’ai dit adieu à mon autre cousine Marie qui part en Amérique pour trois mois.


J’ai reçu ta lettre écrite sur le bateau et jusque maintenant je l’ai relu au moins trois fois, c’est vraiment le cadeau la plus belle que tu m’as jamais offert à un quelconque anniversaire de mariage, je suis sure que beaucoup des femmes m’envieraient avec un cadeau comme cela

Au début, je ne comprenais pas très bien que tu n’est pas rentré le soir à la maison, avec le temps, je m’habituerai. Je me couche presque en même temps que notre fillette


J’ai pas mal d’ennuis avec les enfants de la cour qui font de bruit, presque exprès quand je dois coucher Agnès et exactement devant sa fenêtre. Elle s’est presque habituée mais se réveille encore à un cri plus strident. Finalement, je la changerai de chambre et je dormirai moi là. Nous verrons.


Tout à l’heure elle s’est réveillée et je n’ai pas encore le droit de rester longtemps hors de lit, je l’ai pris avec moi, après dix minutes elle s’est endormi, je l’ai remis dans son lit, elle a demandé l’oreiller, je lui ai donné, elle dort de nouveau.


Je suis contente que tu a pu voir la Riviera même rapidement, mais tu ne m’écris rien d’elle ni du voyage, comment c’était la cabine, les repas, la santé.


Écris-moi plus et avec davantage de détails, ou – comme tu veux. L’important est que dans toutes tes lettres je sens le chaleur et que tu aimes tes deux filles,

Agnès et Julie qui t’embrassent avec amour,




Lettre de la mère de Sandou, attachée


Bucarest, Roumanie le 18/6/963


Nos chers, Julie, Sandou et Agnès[1]


Avec l’occasion de l’anniversaire de trois ans de mariage, nous vous souhaitons de tout cœur tous les bonheurs et beaucoup d’amour, solidarité et compréhension complète. Santé à toute la famille, tout bon et que tous vos souhaites se réalisent.


Nous sommes bien, nous aussi, et tous pensons souvent à vous et attendons de bonnes nouvelles de vous puisque nous avons de la joie d’avoir de vos bonnes nouvelles et qu’on puisse se câliner au moins en écrit et quand nous vous voyons en photo. Si le bon Dieu le veut, j’irai dans un mois faire des bains à Amora en espérant qu’ils m’aideront. Le temps est chaud mais le soir et nuit frais, nous avons régulièrement des pluies et les légumes et les céréales seront bons.


Nous vous souhaitons de bonne santé, au revoir,


Aphrodite[2]




Lettre de sœur de Sandou, attachée

10 juin 1963 Bucarest


Chers Judit, Sandou, notre chère petite Agnès,


Il y a longtemps que j’ai reçu ta lettre et j’étais très heureuse en la lisant comme si on parlait et je te voyais. C’est tout à fait vrai que c’est dur d’être si loin et si on serait ensemble nous serions comme deux sœurs. Que dire de moi, chérie. J’étais partie chez Vasile puisque j’ai eu des problèmes inattendus, j’aurais voulu aller à la mer mais il s’est remis pour une autre année. J’étais une semaine chez Vasile[3] et je suis partie fâchée pour rien du tout et deux semaines se sont passées depuis sans qu’il écrit ou vient. Je ne sais pas que dire, moi non plus, je suis devenue nerveuse tellement que de temps en temps je ne me reconnais pas moi-même, moi qui étais très douce et bonne, maintenant tout me fâche et me déprime.


Je regrette que toi non plus n’est pas tout à fait contente mais que faire ma chère Judit la vie est ainsi seulement troubles et rien pour nous satisfaire. Vous devez être content puisque vous avez la petite et jolie Agnès qui malgré toutes les difficultés de la vie vous caresse l’âme avec ses enfantillages. Moi, à côté du reste, je n’ai pas eu cette joie, seulement les pauvres vieux depuis beaucoup des années et je souffre ayant des troubles de conscience à chaque fois que je ne me suis pas comporté assez bien envers eux. Mais les choses s’accumulent.


Depuis un mois il n’y a pas de travail et je ne sais pas encore quand cela reprendra en plein. Tout sera encore bien si j’avais un bon logement, ce qui est un autre motif me faisant tant de chagrin. Je regret pour toi que tu dois vivre dans un minuscule logement, mais que faire, c’est ainsi.


Que le bon Dieu vous aide à réaliser quelque chose de mieux.


Qu’a fait mon cher frérot Sandou, il est parti ? nous lui souhaitons d’avoir chance et d’avoir une vie plus tranquille.

Je crois que lui aussi est très nerveux, il était déjà ici quand il n’avait pas encore les mêmes difficultés, mais que dire, les hommes sont ainsi, plus nerveux et brusques, en plus mon mari d’Olténie est entêté comme un âne mais cela lui a déjà passé et passera, je me suis habitué déjà avec ses caprices même s’ils me heurtent beaucoup. Quand je suis fâchée beaucoup passe dans ma tête, heureusement pour eux cela ne me dure pas longtemps et je ne reste pas ennemi, comme si rien n’avait arrivé. Je vois hélas que je suis fort changée, probablement avec l’âge on devient plus nerveuse et plus moche.


Aujourd’hui j’étais à la maison chez maman et j’ai nettoyé, elle ne peut plus tout seule ni bien frotter le parquet, mais elle a une grande chambre lumineuse et je n’ai pas réussi à mettre tout en ordre dans une seule journée.A un moment donné, en parlant de vous, comme souvent c’est le cas, elle eut tellement envie de vous qu’elle n’a pas réussi à se prendre en main, pourtant elle a une caractère résistante. Elle espère vivre assez longtemps pour vous revoir encore une fois. Elle me dit que notre Sandou était son petit chéri, le petit cadet câliné par tous.


Nous sommes en santé et vous souhaitons santé et la réalisation de vos souhaits. Beaucoup de bonheur, j’espère que vous recevrez ma lettre pour votre anniversaire de mariage. Chère Julika, transmets de notre part à ton Papa et Deborah[4]

des salutation chaleureuse et des vœux de bonne santé. Je vous embrasse tous avec chaleur et désir et embrasse mille fois de ma part la chère petite Agnès. Ecrivez-nous encore. Par ici, cette année l’été n’est pas trop chaud, mais plutôt agréable.


Je vous embrasse, Gabriella



Lettre de 2e épouse de père de Julie


Cher Sandou ! Zürich, 12 VII 1963


Hier nous avons reçu ta lettre tant attendue de dix mois courant et je te réponds aussitôt, pour que tu aies de nouvelles de nous et aussi des nouvelles de Juli et Agnès. Nous sommes arrivés ici le 3 juillet, jusqu’à notre départ, nous étions ensemble avec Judith, ou elle chez nous, ou nous chez elle. Agnès était gentille comme d’habitude et des fois disait « Sanou », elle a été mise dans un jardin d’enfant, seulement à trois maisons de notre logement et ainsi c’est beaucoup plus facile qu’avant, Judith a quelques heures libres. Elle se sent très bien et elle était très heureuse de ton télégramme envoyé à l’occasion de l’anniversaire de votre mariage. Reçois de notre part nos meilleurs souhaits. Avec le logement c’est arrangé, le contrat a été signé, bien sûr auparavant tous les point ont été clarifiés pour n’avoir pas des surprises ultérieurs.


Maintenant je veux passer à ta lettre. Je ne suis pas surpris de ce que tu écris, que tu as rencontré seulement des gens froids, etc. C’est ainsi que sont tous les gens s’ils sent qu’éventuellement tu pourras avoir besoin d’eux, d’une service de leur part. Il te tient plus longtemps loin. Mais cela ne doit pas diminuer ton enthousiasme ni te faire perdre ton courage. Avec persévérance tu réussiras sûrement et ensuite, tout ce qui s’est passé avant te paraîtra comme non important.

Je suis déjà très curieuse pour apprendre quelles réponses tu as eu à tes offres ?


Je m’en réjouis que tu te débrouilles avec la langue française, avec chaque jour en entendant partout français tu sauras de plus en plus. Je suis étonnée que ton impression de Paris est celle d’une ville morte. Je me souviens, qu’on disait toujours avec énormément de fierté que Bucarest est un petit Paris, la vie, le mouvement, les boites, etc. comme Paris, mais la ville plus petite. Mais c’est possible qu’en mois juillet, les vacances déjà commencées, beaucoup de monde est parti et Paris paraît comme abandonnée.


Nous avons été hier avec Pista chez le docteur, il doit, hélas, commencer un traitement assez douloureux et même s’interner un temps à l’hôpital. Comme le docteur part en vacances, il le commencera seulement en août. J’espère qu’entre temps Julie a reçu ton adresse et vous pourriez réciproquement vous tenir au courant de ce qui se passe. Je te souhaite encore une fois beaucoup du chance sur ton nouveau chemin et j’espère que tu réussis. Écris-nous régulièrement à l’adresse du George,

Déborah et Pista



[1] On l’appelait « Agi » prononcé « Aghie »

[2] mère de Sandou

[3] Gabrielle, sœur aînée de Sandou. Son mari Vasile travaillait et habitait à la compagne.

[4] Deuxième femme de Papa de Julika, (Juli, Judit ou Judith)



Lettres retrouvées

Je publie d'abord, les lettres que mon mari avait écrit et que j'avais gardé et puis traduit après toutes ces années. Seulement récément, en allant dans la cave, j'ai eu la surprise de retrouver les miens, que j'écrivais d'Israël à lui, déjà arrivé en France.

Ces dernières lettres traduits, dans "mon français" ne sont pas corrigés. Devrais-je les mettre ici, elles aussi?

Lettres de France (1)

Ma fillette, 3 septembre, 63 , Saint Didier France

Ce matin j’ai relu pour la troisième fois la lettre que tu m’as écrite. Tu es gentille, ma chère Julie, avec tes pensées et tes envies. On terminera ce divorce forcé, et espérons que quelque chose nous restera de ça, et, quand nous serons de nouveau ensemble, nous nous entendrons mieux qu’avant.

A moi aussi, le temps jusqu’à notre rencontre paraît sans fin. Je crois que quel que soit le métier que nous ferons en France, ce sera quand même mieux ensemble que seul et le coût est à peu près le même, dans les deux endroits.

À propos de ce que t’a écrit Déborah , laissons le temps nous montrer ce qu’il y a de mieux, ce que ton père fera - l’un de nous a du mal comprendre le vieux. Je voudrais que ce soit moi et pas sa femme.

Il y a ici un enfant de deux ans qui me sourit de temps en temps et me rappelle notre fillette. Même si ce ne sont que deux mois depuis que je suis parti, je crois qu’elle a encore grandi. Moi aussi je lis quelquefois mal tes lettres et je me fais du mauvais sang et dans la photo que tu as envoyée, tu as des seins qui hantent mon sommeil, j’ai envie de les manger. En attendant, je t’embrasse et je mords ta peau pleine de taches de rousseur.

Je te laisse ma fille aimée, bonne nuit, je n’ai plus envie de me séparer de toi-même en écriture.

Tout l’amour pour ma chère Agnes aussi, votre Sandou

9 septembre 1963, St. Didier

Ma chérie, la réparation de la voiture que je leur ai abîmée, je te l’ai envoyée aujourd’hui le détail, cela n’a pas été un accident très réussi à ce point de vue, le coût est approximativement égal à mon salaire pour deux mois. J’ai aussi discuté avec eux de mobilier, nous aurons une table, des chaises, une armoire, un réchaud à gaz et un chauffage. Ils ont aussi un lit d’enfant pour Agnès, mais, si tu ne le veux pas, apporte le sien. De toute façon c’est moins cher que d’acheter ici, dans le futur proche nous n’aurons pas beaucoup à dépenser. Comme tu crois.
J’aurais encore eu beaucoup à t’écrire, mais en relisant ta lettre j’ai commencé à rêver comme un adolescent et je suis resté là. Tout ce que je dois payer pour la voiture abîmée me fait peur, mais je n’ai pas d’autre issue, elle était assurée seulement pour les tiers et ils insistent pour utiliser seulement des pièces neuves.

Avec ton examen pour le permis de conduire, j’espère que tu auras le papier en mains lorsque tu recevras cette lettre. Je préférerais que tu ne loues pas une voiture mais de toute façon ne prends pas Agnès avec toi. J’espère que ton père tiendra ce qu’il a promis, et, alors, quand nous serons ensemble nous nous promènerons un peu partout. Mais si tu dois passer encore une fois l’examen, le mieux est de ne pas interrompre les leçons.

J’ai interrompu ma lettre et j’ai été au cinéma voir un film espagnol, moyen. Puis j’ai emprunté une radio et je ne l’ai rendue que ce matin, puisqu’ils m’ont demandé de travailler dorénavant de sept heures à midi.

Les patrons ont été toute la journée à la chasse. L’après-midi j’ai lu et dormi et au dîner, ils m’ont donné un tout petite poste de radio qui marche assez bien et me solutionne les leçons de français.

Je pense souvent au trou financier que j’ai causé et j’en deviens malade (de rage). Avec 1800F j’aurais pu m’acheter une bonne voiture d'occasion. Sans parler du fait qu'au début nous allons avoir des dépenses journalières supplémentaires et aussi pour la mise en route de notre ménage. Je crois que jusqu’à ta venue je pourrai arranger la maison pour pouvoir passer l’hiver sans problèmes. N’oublie pas de t’habiller bien chaudement et d’apporter le radiateur pour la chambre d’Agnès.

La semaine prochaine la laverie du village s’ouvre et je pourrai enfin donner mes affaires à laver, je n’ai plus qu’une seule chemise propre. Quand tu viendras, rappelle-moi de ne pas faire d’heures supplémentaires, de toute façon ils ne me les paient pas, mais pour le moment, comme je m’ennuie, pourquoi pas, j’ai le temps, ensuite j’entrerai dans un programme strict. Si tu ne viens pas rapidement, tu me trouveras aigri, le temps passe si difficilement. Si tu étais maintenant à côté de moi, je t’embrasserais si fort, comme un ours et je ne sais pas ce qui arriverait à tes os. Je sens que mes muscles tremblent déjà, probablement qu’aujourd’hui je me suis trop reposé. Cela ne fait rien, cela aussi passera.

Ce soir, j’ai joué un peu avec l’enfant des patrons. Elle est du même âge approximativement qu’Agnès et elle est très gentille. Cela m’a donné une très grande envie de ma petite. En pensée, je lui ai fait tout un programme, je l’ai vu grandie, je lui ai appris à conduire et je lui ai même fait un petit frère. J’ai même réfléchi à quel nom lui donner puisque cette fois c’est mon tour, mais je n’ai pas pu me décider encore. Nous avons encore du temps, peut-être, nous verrons.
Cela vaut la peine de m’écrire que tu m’aimes, puisque moi je t’aime, mon amour, et quand je le lis, je m’en réjouis chaque fois comme d’une nouveauté, comme à la première déclaration, comme quelque chose d’inattendu.

Je t’embrasse, mon amour et à bientôt, bonne nuit et baisers de Sandou

Sandou arrive en France

à Julie Crisbaseanu : Givataim, Israël


Ma chérie, St. Didier (AIN) France, 2 septembre 1963



C’est dimanche après-midi. Hier j’ai reçu ta lettre de jeudi - moi aussi je suis dans le même état sentimental que toi et je pourrais envoyer au diable toute la France et tout laisser tomber, pour être ensemble plus rapidement. Ce matin, je me suis senti comme “avant les règles" et tu as eu de la chance que je sois seul. Je pense avec chaleur à vous deux et je n’hésiterais pas une minute à revenir, s’il n'y avait pas ces foutues illusions que je me fais.


Dès que notre fille se sentira de nouveau bien, va la promener chez tes tantes, cela sera une détente pour toi et pour elle aussi. Je ne sais pas quoi te conseiller d’autre, comme je ne sais pas quoi me conseiller à moi-même. Je ne fais rien d’autre que travailler, je le fais avec conscience et application. Je n’ai pas encore lavé mes affaires, qui traînent partout.

Avec les patrons d’ici, j’ai l’impression que pas grand-chose va en sortir. Pour le moment, ils ne m’ont pas encore établi le contrat, ni les papiers pour le permis de travail, on aurait eu besoin pour cela d’une photo, mais ils ne me l’ont pas demandée. Je me rends compte, que je devrais chercher autre chose, mais je ne sais pas ce qui me retient. C’est maintenant qu’il faudrait que je le fasse, tant que je travaille encore ici, et que l’attente ne me coûte encore que mon temps. S'il faut changer, au moins ne pas perdre trop de temps au même endroit.

Le premier septembre est arrivé et s’est envolé, et à part les 300 francs d’acompte que j’ai reçus quand je suis allé voir ton père - rien. J’attendais qu’ils m’appellent hier, pour régler les comptes mais, rien, la semaine prochaine c’est moi qui devrai leur rappeler. Le pire est que je ne suis pas encore assez bien sur mes pieds, pour ‘rassembler mes jouets et ficher le camp d’ici’.


J’essaierai Chère épouse, enfant adoré !

Il est 10 h du soir et je suis de nouveau dans ma chambre et avec toi. J’ai lu trois fois toutes tes lettres, j’ai pensé à elles et j’ai vu surtout ton impatience. Tu as raison au sujet de la persévérance et du courage, mais je considère que d’abord je dois arranger ma situation ici et seulement après faire des projets pour le futur. Il n’y a rien de changé, mais je crois qu’il faudra qu’on soit d’abord ensemble, nous ferons ensuite nos autres plans futurs. Ces derniers jours ont été pleins de pensées confuses, mais ils commencent à s’illuminer. Dommage que nous ne puissions faire un pas aussi grand que nous voudrions toute suite. Il y a besoin d’un peu de patience aussi.


Aujourd’hui, j’ai été enfin invité à la mairie pour les papiers : le permis de travail et de séjour, mais comme le secrétaire n’était pas là, j’irai demain de nouveau. Quand j’aurai ces papiers, la prolongation de mon séjour en France se réglera aussi, et alors vous pourrez venir, vous aussi.
Ce n’est pas la peine de te faire des soucis pour le chauffage, le mobilier, etc. tout va se résoudre avec le temps. J’espère que jusqu’à ce que vous arriviez, dans la maison où l’on habitera à côté du moulin il y aura de l’eau courante et aussi de l’électricité.


Tu as eu raison de m’écrire en détail, je vais ainsi penser à tout et résoudre les problèmes, l’un après l'autre. En général cela vaut la peine d’acheter les choses là-bas, sauf les produits industriels qui sont moins chers ici.(...)

Ton mari qui t’aime fort, Sandou

Photos d'Israel et premier enfant

Jerusalem, 21 octobre 1961

Le matin, vers minuit le bébé est arrivé./

Notre petite Agnes est là!
La vie en famille commence.

J'étais très fière de ma fillette.

Voilà, vers un an et demi, ensemble à la piscine.

Et avec son papa avant son départ vers la France.

Première maternelle avant ses deux ans, avec Agnes encore en Israel, déjà Sandou était parti pour la France.

Journaux perdus

Mes journaux perdus

J’ai commencé à écrire dans un cahier simple, presque aussitôt arrivée en Israël. Sur l’accueil de ma famille, très chaleureux ou plutôt froid, selon ses membres, mes incertitudes pour le futur, mes lectures en français et anglais. Près de grand-mère, j’avais trouvé une bibliothèque de prêt. J’ai même trouvé – et étudié – les moyens utilisés par les maîtresses des rois de France pour les retenir.

Ce fut la goutte qui fit déborder le vase.

Un soir, j’ai essayé un des moyens, avec de la glace sur mon mari qui n’en soupçonna rien et... avec des effets désastreux. De toute façon, les initiatives ne pouvaient venir que de lui. J’ai consigné ce qui était arrivé dans mon journal et j’étais malgré tout, aimant à la folie à ce moment-là mon époux, décidée à essayer, sans rien lui dire un autre moyen. Un jour en voulant tout partager avec lui, je lui relisais, naïvement, (traduisant, puisqu’il ne savait pas le hongrois) des pages de mon journal.

- Et ça, c’est quoi, tu ne le lis pas ?
- Oh, ça n’est pas intéressant, c’est sur ce que j’ai essayé et qui n’a pas marché… tu sais, une des méthodes d’une maîtresse de roi… avec la glace.
- Quoi ? Tu écris des choses comme ça ?

Je n’ai plus beaucoup écrit.

Entre journal et mari aimé, je n’ai plus trop réfléchi.

Quand même, après son départ vers la France, j’ai recommencé à écrire dans un autre cahier, puisque le premier était rempli (de mes douleurs de dents, des nouveaux mouvements de mon bébé etc). Nous nous entendions si bien déjà et je suis devenue beaucoup plus femme, m’enflammais rapidement, je jouissais pleinement.

Mon mari me manquait. Lui et le sexe. De plus en plus. Ma voisine à qui j’ai dû me confier un jour, me fit connaître plusieurs hommes, mais aucun n’était à mon goût : son mari l’aurait été. Mais bien sûr, j’étais fidèle et puis, c’était le mari d’une bonne copine… Je décrivis ses réflexions dans mon cahier.

Avant de partir, je regardai le journal avec tristesse et je décidai de ne pas le prendre avec moi. Le jeter ? Une partie de moi-même ? Non, je ne le peux pas.Je l’ai confié à ma tante Irène, ancienne amie, qui habitait en Israël dorénavant.

Hélas, à cause de ma mégère de belle-mère, deuxième épouse de mon père, elle devint mon ennemie et je n’ai jamais pu récupérer ce journal. Avec le temps, j’ai même oublié que j’avais eu deux autres journaux, disparus.

Les plis, les traces

Les traces ou plis
Souvenir de débuts de mariage


Les traces restent, conscientes ou inconscientes. On apprend (comme disait mon arrière-grand-mère Paula) à les mettre sur le plus haut étage de la pièce la moins fréquentée et à se concentrer sur autre chose.

Pessah s’approche chez ma fille, ce soir elle aura des invités. Nous avons roulé avec l’aide des enfants les « mathos ball » (boules faites avec la farine de pain d’Azyme des pâques juives) et ils sont en train de bouillir dans la soupe.

Chacun des trois à son tour a cassé des œufs, mélangé et ajouté quelque chose à la préparation. J’ai ajouté l’huile requise, autant de cuillerées de soupe que d’œufs et ensuite les garçons ont roulé les boules avec des mains humides pour que la pâte ne colle pas aux doigts.
Je les ai ajoutées dans la soupe mijotant.

— Et maintenant ?
— Repasse s’il te plaît la nappe, surtout la blanche. Don rouspète toujours quand elle n’est pas repassée. Alexandre t’aidera.
Une boule s’est formée dans mon estomac. Un mari qui rouspète, blanc, repassage…
— Je ne sais pas repasser.
— Maman !
— Bien, mais ce ne sera pas impeccable.
— Cela ne l’a jamais été. Jamais assez.
— Elle sera mieux que maintenant.
— Pourquoi n’achètes-tu pas des nappes qu’on ne doit pas repasser ?
— Celle-ci est plus belle, damassée.
Bien, je ne discute plus. C’est un souvenir reçu de sa tante, la sœur de son père.
— Ton père…
Mais sa fille est déjà loin, elle a tant à faire. Sans relâche, elle se prépare pour la célébration de ce soir. Huit invités adultes, deux enfants, et eux cinq. Et moi. Dîner festif, spécial. Elle ne m’a pas demandé autre chose que d’aider les enfants à faire les boules – un plaisir – et de repasser une seule, mais énorme, nappe.
Ce n’est pas une chemise !
Alexandre, mon plus grand petit-fils, n’aime pas repasser non plus, mais il veut bien tirer. Pour passer le temps, je lui raconte une version édulcorée de son grand-père, d’après lequel il est nommé, et de ses chemises. Ce n’aide pas à dissoudre la boule dans mon estomac.
Je repasse et repasse, mais certaines rides restent ! Sur les tissus comme dans moi.


Dans le temps, on amidonnait les chemises de coton blanches pour qu’elles aient une meilleure teneur. On repassait les chemises longtemps, avec soin. Au début, c’était la sœur de Sandou (la tante qui a offert cette nappe à ma fille) qui repassait les chemises de son frère cadet, puis, lui-même. Un jour, il m’a raconté, qu’une chemise lui prenait une heure pour être impeccable, sans aucun pli.

Je le regardais, ébahie.
C’était l’époque où il me courtisait. Il venait chez moi, et quelquefois, m’étreignait. Il me donnait des baisers et je le lui rendais. En quelques minutes, la chemise repassée n’était plus impeccable – mais à l’époque, il ne me disait rien. Je ne savais pas encore que d’un seul élan, au coin de la rue, avant d’aller au théâtre, je détruisais le travail long et soigneux d’une heure entière.

Plus tard encore, après notre mariage, au début de notre vie commune, il attendait de moi que je lui repasse ses belles chemises blanches ou bleu clair.
Une vie, plusieurs traditions.
Je n’ai pas repassé souvent dans ma vie. Même quand nous avions assez d’argent pour une bonne à plein temps vivant avec nous, puis même plus pour une venant deux fois par semaine une demi-journée, laver – repasser était fait dans une pièce spéciale de la maison par une femme venant une fois par mois. Je m’y hasardais rarement et ma mère n’encouragea pas du tout ces incursions. Je n’ai pas appris non plus comment plier les chemises. Ma mère les sortait de l’armoire toute pliées chaque matin, mais je ne l’avais jamais vue de ma vie repasser.
J’avais appris à repasser un mouchoir, c’était facile, tout droit. Mais une chemise !

— Je te montre, dit Sandou, et je l’ai regardé pleine de bonne volonté d’épouse jeune, satisfaite et amoureuse. Voilà, conclut-il. A toi, maintenant.

J’ai dû m’arrêter d’écrire, une boule s’est formée dans ma gorge.

J’avais vraiment mis toute ma bonne volonté à repasser ses chemises et j’étais fière de l’avoir fait, montrant ainsi mon amour pour mon jeune mari.

Revenu à la maison de son travail, il fronça le nez.
— C’est quoi, ça ?
— Tes chemises repassées…
— Ça ? Repassée ?
— Oui…
— Regarde le pli là sur la manche. Et un autre, près du cou. Ce n’est pas acceptable. Recommence.
J’ai essayé, en vain. Un pli disparu, un autre apparaissait. C’était jamais tout à fait parfait, tout à fait à son goût. Enervé, il prit ses chemises repassées et les plongea dans l’eau.
— Ce sera plus facile de recommencer !
— Effarée, je regardais tout mon travail et tout l’effort se dissoudre dans l’eau.
— En quelques heures, elles seront assez sèches pour que tu puisse recommencer.
Le lendemain, le cœur lourd, je m’y suis mise de nouveau, en attaquant les chemises et essayant d’éviter les plis. Ne pas laisser des traces. Le soir, revenu, il regarda ses chemises d’un œil critique. Puis moi.
— Immettables.
— Pas si mauvais… que ça, Sandou, balbutiai-je.
— Tu n’es bonne à rien ? N’es pas capable même de faire ça !
— Ce pli-là, je le porte en moi. Même si je lui avais alors répondu seulement :
— Je te laisse dorénavant le repassage de tes chemises.

En repassant la nappe pour ma fille et en regardant les plis restants, j’ai ressenti la même appréhension, combinée avec ressentiment, que j’avais presque cinquante ans auparavant en repassant les chemises remouillées.
Agnès vient les prendre.
— Il reste des plis…
— Ça ne fait rien maman, c’est beaucoup mieux qu’avant.
Ça au moins, c’était vrai.
De toute façon, certains plis, de tissus ou d’âme, restent – et surgissent après de fort longues années encore.

— Cela fait au moins trente ans que je n’ai plus repassé, je dis à Alexandre. Je n’ai même pas un fer à repasser chez moi.
Don n’a fait aucune observation sur les plis et le repas était un succès. Le lendemain, je me suis rappelée que seulement quelques mois auparavant, ayant trouvé un fer à repasser à l’hôtel Holiday Inn de Cincinnati, j’était heureuse et je l’avais utilisé pour sécher mes chaussettes encore un peu humides, lavées le soir. J’étais partie en voyage « légère », avec juste un sac au dos. Oui, de temps en temps, repasser peut être encore utile.

Les plis de l’âme cachés, enfouis, restent malgré tout et resurgissant de temps en temps, des heurts laissent des cicatrices.
Chaque fois que je coupe des tomates, je regarde le milieu (que je n’enlève pas) et je me rappelle le premier jour de travail de mon mari en Israël. J’avais un petit bébé, je suis allée faire des courses avec la poussette.
Une belle journée d’automne. Avec beaucoup de joie, je lui ai préparé un bon dîner. Escalope de poulet, pommes de terre, salade de tomates, fruits.
— C’est quoi, ça ?
— Quoi ? demandai-je ébahie.
— Il me montra les tomates en salade.
— Je l’ai fait avec une sauce comme tu l’aimes, sans sucre.
— Comment as-tu pu !
— Quoi ? ? ?
— C’est immangeable !
Je le regarde.
— Pourquoi ?
— Tu n’as pas découpé le milieu.
Il sort une tranche de tomate et la met sous mon nez.
— Chez nous, on ne la sortait pas…
— Ma mère ne l’aurait jamais laissée ainsi ! déclara-t-il méprisant.
Je n’ai plus préparé aucun repas avec la même joie.

Encore une fois

Encore une fois, deux ans et demi de ma vie sans 'traces', mais surtout une année et demi, pendant laquelle j'étais avec Sandou et mon petite fille, ma bébé adoré. Je vais y ajouter quelques images parlant presque de soi.

C'était pas une période facile et en même temps c'était magnifique.

J'étais en plein épanouissement comme femme, je nourissais à sein mon bébé (presque neuf mois) et ensuite regardais avec émerveillement faire ses premiers pas. J'étais aussi assez seule, sans aide, la famille loin, ma grand-mère même ne pouvait m'aider. Nous habitions loin de tous. "Loin", cela veut dire qu'avec un bébé et sans voiture, aller voir quelqu'un était pas facile de tout. Maman me manquait.

Je n'étais pas seule, Sandou avait autant d'émerveillement pour sa fille et amour pour moi, à l'époque, que moi pour lui. Mais toute la journée il était parti travailler, pour un maigre salaire et dur, je restais avec le bébé, heureuse de la voir bouger, mais aussi heureuse quand enfin elle s'endormait le soir. Réveil, à cinq heure de matin, ca allait, je suis matinale.

Sandou était parti seul, je suis restée avec le bébé d'un an et demi encore plus esseulée, mais cela par contre est "documenté" puisque je lui écrivis des lettres qu'il les a gardé. Je ne pourais jamais assez lui remercier d'avoir gardé toute la correspondance! Après tant d'années, retrouvés, traduits. Mais avant, un petit "annecdote", puisque "tout" n'allait pas "toujours" si bien entre nous et les heurts on s'en souvienne plus profondément que les bonnes, magnifiques moments. Dommage. Il y eu pleine: c'est bien d'aimer, c'est bien d'avoir un mari amoureux, amant!

Souvenir: Le jour tant attendu

Le jour tant attendu…
Et le jour tant attendu est arrivé, Sandou était enfin avec Julie.

Était-ce son mari ? Celui qu’elle connaissait, aimait, attendait, celui dont elle rêvait ? Qui est cet étranger ? Ce fut un choc.

Secousse dissipée après quelques jours : leur corps se reconnurent. Il s'était détendu, elle s’était rassurée.

Ensuite, il fallait se décider rapidement : que faire ?

Le père de Julie leur promit de les aider matériellement s’ils restaient en Israël. Bien, mais il fallait apprendre la langue du pays. Allons-y, se dirent-ils et ensemble, ils partirent pour l'oulpan Etzion. Ils louèrent une chambre dans le quartier Bakaa de Jérusalem, à côté de l'école de langue ‘Oulpan’ gratuit pour les nouveaux venus et - même pour les touristes qu’ils étaient encore. Pour tous ceux, désireux d’apprendre la langue hébraïque.

Ils faisaient des longues promenades le soir pour la santé du bébé selon la recommandation du docteur et Julie allait faire des exercices de relaxation pour l'accouchement 'sans douleur' (utiles!) et ils découvraient les divers fruits orientaux.

Les études de Julie ont été interrompues par la naissance en octobre de leur fille Agnès. Ils avaient choisi un nom "international" : Agnès en français, Haggit en hébreu, Ágnes en hongrois, Angie en américain..

Le bébé avait trois semaines, à Jérusalem le temps était encore tiède et Julie l’avait sortie pour une heure dans le petit jardinet de la maison où ils avaient loué une pièce. Le bébé s'est endormi et sa mère est rentrée laver ses couches. Lorsque, un moment après, elle perçut un bruit, elle regarda dehors : rien. Quand elle sortie, elle trouva des petits cailloux sur la couverture de son bébé de trois semaines.

La fois suivante, quand elle la sortit, le bébé pleura : encore des cailloux sur sa couverture. Elle surveillait : les enfants palestiniens du voisin jetaient des cailloux sur la petite fille de trois semaines.

Elle alla parler avec les voisins, en vain.

Julie retourna donc chez sa grand-mère à Givataim, là, il n'y avait pas de danger pour le bébé.

Un mois plus tard Sandou, son cours de langue fini, la suivit. Bientôt, il trouva du travail temporaire : le premier, réparer un moulin. Mais un vendredi, le propriétaire religieux partit sans lui payer sa semaine, Sandou n'y retourna jamais. Par la suite, il trouva un travail chez un mécano auto, "profiteur" qui le paya peu : "Les juifs sont des salauds" dit-il à sa femme plus tard, en oubliant l'accueil chaleureux de grand-mère, de la famille entière qui le cajolait ; les copains de Julie devenus les siens qui l'appréciaient.

Un seul cas suffit quelquefois, hélas, pour généraliser, haïr...

Plus tard, la même chose se renouvela avec les hongrois : des douaniers hongrois l'ont tenu un été pendant longtemps à la frontière. Sandou tira la conclusion: "les Hongrois sont impossibles" oubliant la chaleur avec laquelle il était accueilli à chaque fois par la famille Déri ou par leurs copains hongrois d'Israël l’aidant à s'acclimater, tant qu'ils ont pu. Mais il avait entendu quelques personnes (qui ne savaient pas qu'il n'était pas juif) dire : "ces foutus goys".

Et c’est vrai que Julie aussi se dit qu’elle ne doit pas oublier que tous les palestiniens, tous les arabes ne jettent pas des cailloux sur des bébés innocents. Même si cela est arrivé à elle.

Julie ne pourrait jamais assez chanter les joies de l'allaitement, trouver des mots justes et assez forts pour décrire le plaisir de tenir son bébé contre son cœur, voir son premier sourire, ses premiers mouvements ou entendre ses premiers gazouillements. Dorénavant, elle savait, elle était convaincue : c'est un cadeau d’être née femme !

Sandou chrétien, se sentait mal à l'aise en Israël, il désirait retourner en Europe, si possible, aller en France. Mais ils n'avaient pas de l'argent pour payer le voyage. Même en bateaux, cela coûtait plus cher que leur moyens le permettaient.

Il reprochait déjà à Julie : « Pourquoi m'as-tu fait venir, m'as-tu obligée de te suivre en partant!»

Quand Agnès eut dix-huit mois, Sidonie, la grand-mère de Julie est décédée et leur laissa un peu d'argent avec lequel Sandou prit un bateau grec et il est parti essayer de s'établir en France.
Il avait tout juste de quoi vivre pour un mois.
J'avais écrit de journal pendant les deux ans et demi que j'avais vécu en Israel, mais ces deux journaux se sont perdus. Je les avais laissé à ma tante, puisque mon mari ne les aimaient pas, et hélas, ma tante à tournée contre moi. Mais cela c'est encore une autre histoire. Un jour, je vais tâcher de décrire aussi mes souvenirs sur ce temps-là.

Le bébé a bougé

Mon cher garçon, Givataim le 4 juin 1961

Hier on s’est couché vers minuit, mais comme nous n’avions pas sommeil nous avons encore discuté un peu avec grand-mère. Quand on s’est enfin décidé à dormir, quelqu’un a sonné à la porte trois fois.

Qui cela pourrait-il être à cette heure?

“Moi, Hanna” dit ma tante.

Rapidement j’ai mis une robe de chambre, j’ai eu la sensation qu’il ne pouvait pas y avoir d’autre motif pour cette visite nocturne que ton télégramme, mais je n’avais pas le courage d’espérer encore. J’ai ouvert la porte rapidement et Hanna est entrée avec son mari. Elle souriait et avait un télégramme dans sa main. Ils l’ont trouvé à la maison en revenant du cinéma et ils ont pris la voiture pour venir me l’apporter. Je l’ai embrassée, remerciée et ensuite ils sont repartis. Et moi j’ai commencé à relire le télégramme, encore et encore, je le sais déjà par cœur. Je ne pouvais plus m’endormir et nous avons encore discuté jusqu’à deux heures du matin, ensuite grand-mère s’est endormie. Moi, je n’avais pas sommeil, mais je ne le regrettais pas, tant de choses me sont passées par la tête!

Et comme j’étais couchée et tranquille - d’un coup je sens quelque chose, puis encore et encore. J’ai senti, au moins je le crois, que le bébé a bougé dans mon ventre. Et, ce matin, je l’ai encore senti. Tu t’imagines, deux bonheurs, à la fois! En réalité j’aurais dû le sentir seulement dans environ deux semaines, mais ou bien j’étais plus attentive (puisqu’il bouge avant, mais on ne le sent pas) ou bien, je crois plutôt ceci, la date est un peu avancée.

Mon chéri, je ne sais pas quand tu recevras cette lettre, mais j’espère qu’elle te trouvera encore là, comme tu dois quitter le logement j’écrirai ensuite à l’adresse de ton frère.

Je t’ai déjà écrit dans la dernière lettre que je voudrais t’attendre ici et pas à Bruxelles. Là-bas papa va t’accueillir et aussitôt que tu voudrais, il t’expédiera en avion ici. Nous pourrions aussi déjà parler au téléphone.

Après un peu de vacances, nous pourrons parler du futur - rester ici ou retourner en Europe, comme on voudra. Je voudrais que tu connaisses ma famille et comment c’est ici, et puis pour le moment j’ai des femmes auprès de moi, je n’en aurais pas à Bruxelles, et ceci est important dans mon état.

Qu’est-ce que tu en penses ? Je peux bien sûr encore changer selon ce que tu désires, deux semaines sont longues !

Mon amour, ne t’énerve pas et ne te laisse pas abattre s’il t’arrive encore des difficultés sur le chemin, sois calme et persévérant et dorénavant c'est sûr que nous allons nous retrouver bientôt.

Mets un costume de bain et une chemise avec des manches courtes aussi dans la valise avec laquelle tu arriveras. N’oublie pas d’apporter le foie gras pour Viorica, ils le méritent vraiment, et pour moi, si tu veux un grand flacon d’eau de Cologne ”Velours” et deux tubes de cold-cream. Mais, surtout et avant tout, Toi-même!

Je t’embrasse d’avance et je te prie salue toute la famille et nos amis de ma part, avec beaucoup de souhaits et bonheur, Julie

3 juin 1961

Mon chéri,

Du matin jusqu’au soir et la nuit aussi, je n’ai d’autre envie que de t’écrire des lettres. En pensée, je t’écris d’innombrables lettres chaudes, pleines d'envie de toi, des câlins et de jolis mots venant du cœur, quelquefois même en me querellant un peu avec toi ou au moins me disant, pourquoi n’est-il pas ici pour avoir la possibilité de me disputer au moins un peu. Où alors que tu me fâches, que je me fâche - mais au moins tu es dans la même chambre que moi. Comme la journée où nous nous sommes fâchés dans notre nid d'amour, tu étais sur le lit et moi terriblement fâchée assise par terre, mais je me sentais quand même très près de toi, tu te souviens? Et quand j’ai bonne mine, je voudrais tellement que tu sois là à me voir, te plaire.

Je commence à avoir des formes rondes en jupe, pas encore dans un costume de bain, on voit déjà que je suis au 5ème mois. Je reste souvent tranquille et j’essaie d'écouter, observer si l’enfant ne commence pas encore à bouger. Suzanne qui m’enseigne l’anglais m’a dit hier que plus le bébé a de vigueur plus on sent quand il donne des coups de pieds. Suzanne est aussi ma voisine, elle est plus âgée que moi de 10 ans, nous sommes devenues de bonnes amies. Elle a un garçon de 10 ans, une fillette de 3 et un mari très sympathique. Ils sont venus de Transylvanie il y a deux ans, elle est très bonne enseignante, à cause d'elle et aussi de mon application et assiduité je commence à bien progresser en anglais, j’ai déjà commencé à converser. Mais on bavarde aussi en dehors des heures officielles, hélas nous n’avons pas autant de temps que nous voudrions. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression qu’elle s’est attachée à moi.

J’ai aussi rencontré mon enseignante d'anglais de Roumanie, qui habite au centre de Givataim - pas au bout comme grand-mère - elle est venue me rendre visite une fois avec sa mère. De toute façon, ici les villes ne sont pas vraiment séparées, l’une est proche de l’autre, simplement à la fin d’une, une maison appartient à la ville, la prochaine est déjà dans la suivante. J’avais entendu dire qu’il y avait une piscine à Givatrambam, un jour j’ai décidé de partir à la découverte, et tu sais quoi, j’ai découvert que c’était seulement à quelques minutes d’ici, la piscine de 33 mètres à dix minutes à pied seulement et il n’y avait pas trop de monde.

Je suis arrivée vers la fin de mon papier à lettres, mais le temps passe rapidement sur la machine à écrire de grand-mère que j’utilise dorénavant, je pense de moins en moins aux touches, je les trouve plus facilement.

Je crois que ce serait bien si tu venais ici directement ou d’abord à Bruxelles, et de là, après deux trois jours ici, si cela ne te dérange pas. Je me suis occupée à savoir où nous pourrions être à la mer pour une semaine pour être au début seuls tous les deux. Ensuite, je te présenterai ma famille d’ici et entre-temps nous déciderons quoi faire ensuite. D’accord? Qu’en penses-tu? Nous aurons ainsi des vacances agréables et elles ne coûteront pas beaucoup, puisque nous savons faire des économies tous les deux. Nous méritons après tant de séparation une semaine de lune de miel. Ensuite, jusqu'à ce qu'on décide quoi faire nous pouvons habiter chez grand-mère, les conditions sont bonnes et je suis sûre que vous vous entendrez bien, elle est si bien.

Hier samedi toute la famille était ici chez grand-mère, sauf Marie qui viendra demain. Il fait beau et chaud, mais pas trop. Mon chéri, à bientôt, bientôt, aussi tôt que possible! Nous sommes déjà en réalité trois, unis, et la distance n’a pas d’importance,

je t’embrasse, Julie