Je t'embrasse partout


Julie à Sandou

16 VII 1963

Mon cher garçon,
Hier soir j’ai reçu ta lettre de 12 juillet (63 et pas 62 comme tu l’avais écrit) et je me suis très très réjouis. En me couchant le soir je l’ai relu encore une fois et ce matin de nouveau. Je suis contente que tu est en bonne humeur, c’est important ! Je vois que t’as plus ou moins les mêmes intentions pour le futur proche que celui dont j’ai pensé moi aussi. Donne l’adresse de George et tu pourras retourner ou correspondre avec eux d’abord. Ne prends des tableaux que s’ils te plaisent beaucoup, mieux rien qu’un dont on s’en lassera rapidement.

J’espère que tu obtiendras le visa Allemand soit à partir de la France soit de Suisse. Je n’ai pas touché le coffre depuis que t’es parti. Maintenant, il m’est interdit de soulever pour encore quelques jours et les enfants se sont installés dessus, l’ont presque détruit (pas encore !) et je me suis décidée hier à donner de l’argent à quelqu’un pour me le descendre dans la cave.
Voilà les adresses demandées, celui de ton frère Traian à Bucarest et de notre amie Déri Agnès de Budapest et celle de tante Irène en Israël. Aux autres questions, je t’ai déjà répondu dans mes dernières deux lettres.

Autres nouvelles : j’étais chez T. il m’a dit que la production commence la semaine prochaine et qu’il aurait besoin de moi 1 à 2 jours par semaines (il parlera à son frère qui n’est pas dans le pays pour le moment, au besoin). Je crois qu’il sera arrangé jusqu’à septembre, tant mieux puisque en août il n’y a pas d’école maternelle et je ne voudrais pas prendre un travail à temps complète jusqu’à ce moment. J’ai fait des photos pour la carte d’identité, je les prendrai aujourd’hui, puis j’irai à m’inscrire à Histadrut (Sécurité Sociale). Les choses avancent, même si lentement et chaque jour j’essaie à réaliser quelque chose de nouveau pour ne pas sentir qu’il s’est passé pour rien. Fais de même tu verras quelle satisfaction apporte !

Mon chéri, je m’empresse à finir puisque le bus arrive bientôt et je ne suis pas encore habillée. Je t’embrasse avec amour et partout, je t’aime beaucoup et je te souhaite succès en tout que tu entreprends,

encore baisers, Juli (Judit)

Mon amour,

Je vais mieux, j’ai eu mal aux chevilles jusqu’à ce que j’ai pris Codisol fort. Je voudrais aller aujourd’hui au cinéma voir Autant en emporte le vent, un grand vieux film. Après-demain je commence à travailler de nouveau chez Hermann avec les huiles. Oncle Laci et sa famille nous ont visités et le jour quand j’étais à la tombe de grand-mère ils m’ont invités à un restaurant. Il est sympa et ressemble beaucoup à maman (surtout ses yeux chauds), son fils Thomas est de nouveau en vacances.

Combien c’est 800 francs relatifs aux salaires de là-bas ? N’est pas peur, je conduis déjà bien et avec sûreté, l’examen viendra en deux semaines (puis si besoin de nouveau trois semaines après cela), le chauffeur est en vacances pour le moment, en Chypre. Ce chauffeur est meilleur marché malgré le trajet que ceux d’ici.

Je te félicite de nouveau et je te souhaite de tout mon cœur que tout ce que tu te souhaites dans la vie se réalise,

Avec amour
Juli

2 août 63
Mon chéri,
que t’arrive ? J’attends, j’attends et aucune nouvelle. Je ne sais pas où tu es, quand et où peut t’arriver une lettre de moi chez toi, sacré nom de Dieu, donne au moins un signe de vie ! J’espère que tu ne m’as pas encore oublié et que tu te souviens encore de notre adresse, nous tes deux fille à toi !

A peine mon problème de cheville a terminé et je me suis réveillé avec mal au dents. Je vais chaque jour chez le dentiste (il y a un dans le cour) et je reviens ayant plus mal qu’avant. Cela passera aussi. La morale sinon va, sauf qu’on attend de toi une lettre ou au moins une carte postale.

Mon chéri, tu me manques, mais encore quelques mois et nous nous verrons n’est-ce pas ? Nous nous souviendrons comment c’était bon loin l’un de l’autre, tranquille, tous les deux pouvant faire ce qu’ils voulaient avec leur temps.

Je ne me sens pas du tout seule à cause d’Agnès, mais la solitude doit te peser énormément et tu te sens probablement de plus en plus seul. Ecris moi enfin ton adresse actuelle, monsieur ! Je te promets de t’écrire tous les jours alors !

Ouf, il fait très chaud ! Le matin ça va encore, autour de trois ou cinq est comme un four, puis arrive un léger vent, mais ensuite, à partir de sept ou huit tout cesse et c’est 30 à 32 degré et vers 12 de nouveau on ne peut plus respirer. Je ne me plains pas, j’ai entendu qu’à Bucarest et même chez vous est pire cette année. Mais il pleut quand même de temps en temps, n’est-ce pas ?

J’ai envoyé deux jupes à Mama[1] et Gabriella et commandé deux autres. En cinq jours je commence à travailler. Depuis aujourd’hui il n’y a plus de l’école maternelle et… j’attends avec impatience que le mois passe. Quand je pourrais je l’amènerai à la mer (je n’ai pas encore été). Papa cherche faire des affaires en Europe (il ne faut pas que tu le saches, c’est ma tante Irène qui me l’a confiée) et je crois qu’il s’est finalement fait à l’idée que nous resterons là.
Irène est heureuse de tes succès « je savais qu’il réussira » et moi je voudrais savoir si tu as réussi quelque chose ou non. Ce n’est pas urgent, tu n’es parti que depuis un mois (et sept jours). Que penses-tu, si le moulin ne travaille pas en août et tu ne veux pas voir d’autres pays, tu ne pourras pas suivre un cours d’un mois de français ? Dans tous les centres industriels (à Paris sûrement) mais aussi dans des autres grandes villes, il doit y avoir pour les étrangers (ex. les ouvriers italiens) des cours de langue. Ou alors ? Fais ce que tu veux mais écris-moi plus souvent jusqu’à je ne me fâche assez et t’écris une lettre que tu ne mettras pas dans la boîte !

Mon chéri, je voudrais t’écrire dans une façon qui exprime toute la chaleur avec laquelle je pense à toi et le bonheur que j’ai à t’avoir, que tu m’as, que nous avons une famille unie et « bien » comme est la notre. Je ne t’écris plus rien d’Agnès, chaque jour elle devient plus mignonne et plus sympa, j’ai peur de la gâter un peu mais tu m’as dit de l’aimer aussi à ta place, je lui donne donc des bisous, je l’embrasse aussi à ta place.

J’ai des ennuis avec son coucher le soir, mais ce n’est pas étonnant en telles chaleurs qu’elle ne réussit plus s’endormir facilement.

Je crois que la semaine prochaine je donnerai l’examen de conduit, le reste dépend de chance. Deborah m’a envoyé les lettres que tu lui as écrit mais la dernière date de 18 juillet. Je n’ai rien reçu de Roumanie, ni écrite, je n’avais rien de bon à écrire, seulement ma cheville, dents, etc.
Autrement, un peu bronzé me va bien, je suis un peu grossie et, les gens disent, que j’ai l’air – jeune.

Je suis bien avec tous, mais outre Agnès, les voisines Klàri, Zsuzsi et Mme Ansel d’en face et quelquefois Ila, Irène, je ne parle avec personne. Je lis beaucoup en allemand pour me perfectionner, ou alors devrais-je commencer à lire de nouveau en français ? J’attends à recevoir les papiers d’identité et je ménage mon pied qui se fait sentir de temps en temps à la fatigue. Et je pense à toi. Hier nuit je t’ai rêvé, jeune, gentil, galant et tu me courtisais comme avant les fiançailles, quelque chose comme ça.

Je t’embrasse avec amour,
Je te dis bonne nuit chaque soir mon chéri,
Judit

[1] Maman de Sandou

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