Lettres de France (1)

Ma fillette, 3 septembre, 63 , Saint Didier France

Ce matin j’ai relu pour la troisième fois la lettre que tu m’as écrite. Tu es gentille, ma chère Julie, avec tes pensées et tes envies. On terminera ce divorce forcé, et espérons que quelque chose nous restera de ça, et, quand nous serons de nouveau ensemble, nous nous entendrons mieux qu’avant.

A moi aussi, le temps jusqu’à notre rencontre paraît sans fin. Je crois que quel que soit le métier que nous ferons en France, ce sera quand même mieux ensemble que seul et le coût est à peu près le même, dans les deux endroits.

À propos de ce que t’a écrit Déborah , laissons le temps nous montrer ce qu’il y a de mieux, ce que ton père fera - l’un de nous a du mal comprendre le vieux. Je voudrais que ce soit moi et pas sa femme.

Il y a ici un enfant de deux ans qui me sourit de temps en temps et me rappelle notre fillette. Même si ce ne sont que deux mois depuis que je suis parti, je crois qu’elle a encore grandi. Moi aussi je lis quelquefois mal tes lettres et je me fais du mauvais sang et dans la photo que tu as envoyée, tu as des seins qui hantent mon sommeil, j’ai envie de les manger. En attendant, je t’embrasse et je mords ta peau pleine de taches de rousseur.

Je te laisse ma fille aimée, bonne nuit, je n’ai plus envie de me séparer de toi-même en écriture.

Tout l’amour pour ma chère Agnes aussi, votre Sandou

9 septembre 1963, St. Didier

Ma chérie, la réparation de la voiture que je leur ai abîmée, je te l’ai envoyée aujourd’hui le détail, cela n’a pas été un accident très réussi à ce point de vue, le coût est approximativement égal à mon salaire pour deux mois. J’ai aussi discuté avec eux de mobilier, nous aurons une table, des chaises, une armoire, un réchaud à gaz et un chauffage. Ils ont aussi un lit d’enfant pour Agnès, mais, si tu ne le veux pas, apporte le sien. De toute façon c’est moins cher que d’acheter ici, dans le futur proche nous n’aurons pas beaucoup à dépenser. Comme tu crois.
J’aurais encore eu beaucoup à t’écrire, mais en relisant ta lettre j’ai commencé à rêver comme un adolescent et je suis resté là. Tout ce que je dois payer pour la voiture abîmée me fait peur, mais je n’ai pas d’autre issue, elle était assurée seulement pour les tiers et ils insistent pour utiliser seulement des pièces neuves.

Avec ton examen pour le permis de conduire, j’espère que tu auras le papier en mains lorsque tu recevras cette lettre. Je préférerais que tu ne loues pas une voiture mais de toute façon ne prends pas Agnès avec toi. J’espère que ton père tiendra ce qu’il a promis, et, alors, quand nous serons ensemble nous nous promènerons un peu partout. Mais si tu dois passer encore une fois l’examen, le mieux est de ne pas interrompre les leçons.

J’ai interrompu ma lettre et j’ai été au cinéma voir un film espagnol, moyen. Puis j’ai emprunté une radio et je ne l’ai rendue que ce matin, puisqu’ils m’ont demandé de travailler dorénavant de sept heures à midi.

Les patrons ont été toute la journée à la chasse. L’après-midi j’ai lu et dormi et au dîner, ils m’ont donné un tout petite poste de radio qui marche assez bien et me solutionne les leçons de français.

Je pense souvent au trou financier que j’ai causé et j’en deviens malade (de rage). Avec 1800F j’aurais pu m’acheter une bonne voiture d'occasion. Sans parler du fait qu'au début nous allons avoir des dépenses journalières supplémentaires et aussi pour la mise en route de notre ménage. Je crois que jusqu’à ta venue je pourrai arranger la maison pour pouvoir passer l’hiver sans problèmes. N’oublie pas de t’habiller bien chaudement et d’apporter le radiateur pour la chambre d’Agnès.

La semaine prochaine la laverie du village s’ouvre et je pourrai enfin donner mes affaires à laver, je n’ai plus qu’une seule chemise propre. Quand tu viendras, rappelle-moi de ne pas faire d’heures supplémentaires, de toute façon ils ne me les paient pas, mais pour le moment, comme je m’ennuie, pourquoi pas, j’ai le temps, ensuite j’entrerai dans un programme strict. Si tu ne viens pas rapidement, tu me trouveras aigri, le temps passe si difficilement. Si tu étais maintenant à côté de moi, je t’embrasserais si fort, comme un ours et je ne sais pas ce qui arriverait à tes os. Je sens que mes muscles tremblent déjà, probablement qu’aujourd’hui je me suis trop reposé. Cela ne fait rien, cela aussi passera.

Ce soir, j’ai joué un peu avec l’enfant des patrons. Elle est du même âge approximativement qu’Agnès et elle est très gentille. Cela m’a donné une très grande envie de ma petite. En pensée, je lui ai fait tout un programme, je l’ai vu grandie, je lui ai appris à conduire et je lui ai même fait un petit frère. J’ai même réfléchi à quel nom lui donner puisque cette fois c’est mon tour, mais je n’ai pas pu me décider encore. Nous avons encore du temps, peut-être, nous verrons.
Cela vaut la peine de m’écrire que tu m’aimes, puisque moi je t’aime, mon amour, et quand je le lis, je m’en réjouis chaque fois comme d’une nouveauté, comme à la première déclaration, comme quelque chose d’inattendu.

Je t’embrasse, mon amour et à bientôt, bonne nuit et baisers de Sandou

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