Mes 60 ans sont légères

26 juillet 1994


J’ai eu 60 ans le 12, nous l'avons fêté le dimanche à Argenteuil avec nos enfants et leurs moitiés, (Agnès et Don, Lionel et Annelise, Valérie et Mohand) et bien sûr, François et mon premier petit-fils !

Le lendemain, j’ai déposé le bilan de Bip. J’ai remis une partie des papiers et bientôt le reste sera aussi aux archives. J’espère que la société sera clos définitivement en quelques mois et l’année prochaine une vie nouvelle commencera pour moi, une nouvelle époque de ma vie. Je dois quitter mon travail début octobre et ensuite il faudra décider ce que je ferais de mes jours, de mon énergie. Pour le moment j’attends que tout ça soit derrière moi. Me reposer, vraiment. Le pourrais–je ? Me laissera–t–on ? Après avoir récupéré mes forces, je foncerai probablement de nouveau vers... quelque part.

Les catastrophes d’Agnès : leurs vêtements ont été surchauffés au lavage. Catastrophe de François, comme toujours : je voulais jeter un sac de plastique, j’ai laissé une tasse dans ma chambre, je ne mange pas tout ce qu’il prépare... Je sais que Stéphanie et peut-être Suzanne aussi risquent de perdre bientôt leurs yeux EST une catastrophe. Mon travail ou la perte de Bip, non! juste des désagréments momentanés. Courage Julie !

20 Juin, 1994

Agnès m’a permis d’être beaucoup avec mon petit fils, pendant les trois jours où nous étions chez eux, et oui, je me sens grand-mère, "mamie" ! Puis nous avons eu une bonne semaine à San José, à la conférence des développeurs. Bientôt Agnès arrive à Paris et je serai de nouveau avec eux, avec Alexandre!

Je suis encore une fois devant un profond changement de ma vie - d’une partie de ma vie - celle professionnelle.

Je travaille déjà depuis 42 ans régulièrement, il est temps de le faire différemment. C’est drôle, je croyais que François s'arrêterait d’abord. De toute façon, j’ai divers projets, on verra celui qui réussira et ce qui en sortira.

Malgré tout, on appréhende toujours le changement, les bouleversements, même si on sait qu’on en sort grandi, meilleur. Mais le temps de la traversée n’est pas commode, n’est jamais facile...

François a chanté dimanche avec un chorale à l’église et il y a deux semaines il a joué de l’orgue pendant un mariage. Il profite de mieux en mieux de la vie. Et moi, je voudrais enfin réussir à écrire un nouveau livre sur les objets. Je sais dorénavant comme il devrait être, avant c’était vague. On le testera avant de l'écrire, en l’enseignant.

J'aurai les trois prochains mois bien remplis. Ce travail a été une bonne période pour moi, c’est pourquoi j'ai des regrets de le quitter. Mais j’en aurai d’autres. De meilleures. Même si c’est difficile de le croire aujourd’hui.

Julie, courage!
C'était la première fois avec mon premier petit fils: quelle joie! et aujourd'hui, il a déjà treize ans!
Mais que des choses se sont passées depuis...

5 mai 1994

Après-demain je vais rencontrer enfin Alexandre (dit aussi Coco), mon petit–fils de quatre mois ! et je me sentirai alors vraiment grande mère. Je sais, que ce n’est pas le but du voyage pour François, mais c’est le motif principal pour moi, cette fois-ci. Et cet été Agnès l'amènera à Paris pour deux semaines.

Le reste parait aussi aller de mieux en mieux. François est plein d’énergie - tout lui réussit, tout semble se réaliser comme il le veut. Ça sera fantastique à réunir IBM avec Apple, l'université et Cnam dans un même livre ! Nous ne sommes donc pas partis sur les traces d'AppleScript pour rien. Avec l'aide de Valérie nous pourrions aussi bien écrire notre partie.

15 avril 1994

Dix jours de vacances à la ferme, en Auvergne, au milieu de la France.

Tranquillité, chant des oiseaux, des vieux châteaux ou des ruines, de merveilleux villages, points de vue, coteaux, champs couverts de fleurs jaunes. Arbres avec leur feuillage vert frais luisants de printemps, étincelants dans le soleil ou après la pluie. Maisons bâtis de rocs, de pierres inégales - un peu comme notre maison du Bout du Chemin - j'ai vraiment commencé à les apprécier et à goûter la campagne.

C'est le pays où François a été enfant, où il se promenait avec son père pour ramasser des châtaignes, des pierres et les chemins qu'il avait désiré à prendre, mais n'avait jamais eu l'occasion de les parcourir - jusqu'à ce jour.

Une maison rustique au bout d'une route de montagne. J'écris ceci de sa véranda agréable en regardant les collines couvertes d'arbres et en écoutant le cot -coda des poules et des canards auquel les oiseaux répondent. Et nous, ici encore pour deux jours, en harmonie l'un avec l'autre et avec la nature environnante, les gens et les lieux.

Faire des promenades toute une journée - comme hier - c'était agréable. Mais rester sur le porche, à travailler, se sourire de temps en temps, se sentir bien ensemble, écouter le cot cot, est aussi fantastique. Très, très reposant, cela va nous donner plein d'élan et d'idées pour la suite.

Que le ciel est bleu

Encore du cahier "Nous, Que faire ?" 25 mars 1994

J’ai appris ces dernières semaines, l’importance énorme que NOUS, que François a pris pour moi. J’ai traversé une épreuve très dure dont je ne me suis pas encore tout à fait remis. Je ne le serais d’ailleurs jamais complètement - mais je retrouverai plus d’équilibre interne que j’en ai pour le moment.
Comme de tout mal de bien sort selon la sagesse de mon arrière grande mère, l'accident et la maladie de François nous ont encore plus rapprochés et ont augmenté le courage de François, lui donnant aussi une certaine légèreté de l’être, quoique fragile, une grand envie de vivre, de chanter, d'entreprendre. Le problème est que plus on se rapproche, plus on devient sensible aux pensés, sentiments de l’autre - en bien, en mal et cela peut freiner les élans les uns et des autres. J’espère que des circonstances extérieures, et moi inclus, n’ont pas coupé les ailes de François, ces élans, et - surtout son courage.
Momentanément je suis assez abattue, il me faudrait du temps pour reprendre mes forces et des périodes de détentes plus longues ou moins fatigants, moins de stress. D’habitude le niveau de stress supporté par moi est assez grand, ces temps-ci je les supporte moins bien. Je le comprends mieux, et oui, il a raison, je l’écoute plus ouvertement, mais pour le moment ça me fatigue beaucoup plus.
Nous avons survécus à la maladie très grave de François (moi mentalement) et ensuite à mon départ de dernier travail.
Depuis un mois je suis « libre », libre d’écrire, libre d’être davantage avec François. Libre de réfléchir sur ma vie passée, mes 50 ans pendant lesquels j’ai tenu des journaux. Et celui-ci ? Ce cahier ?
Celui-ci est spécial. Ce cahier, le douzième, ce n'est pas seulement sur moi, c'est aussi sur « Nous ». Ce nous, dont on parle peu pourtant dans ce cahier, ce Nous que nous avons pourtant réussi à forger ensemble. Ce Nous pour lequel chacun de nous travaille jour et nuit.
Les nuits quand nos corps se recherchent, s’accommodent l’un de l’autre, s’aidant à dormir plus heureux et plus tranquille. Les matins qu’on commence avec un sourire vers l’autre, sourire qui dit : “je t’aime, j’ai la joie de me réveiller avec toi, à côté de toi, bon matin, bonne journée !”
Et les “petits soins” qu’on a l’un pour l’autre. Puis la joie de prendre l’ascenseur ensemble, de rester jeune en corps et en âme ! De partager des opinions ou de discuter nos différences. De savoir rire de plus en plus souvent, des incompréhensions de ce qui parait au premier d’abord curieux dans l’autre. De se faire comprendre, de s’accepter et de se savoir compris. De se savoir aimé, bien aimé.

Que le ciel est bleu,
Que l’herbe est verte,
Que je suis heureuse
Parce que tu es là
Parce que tu m’aimes
Parce que je t’aime
Parce que je t’estime
Parce qu’on est NOUS.
Mais nous avons besoin (lui et moi aussi) également d'autres activités, nous comprenons quand l’autre travaille avec passion à préparer un cours, à tester un programme, l'écrire ou le recopier, le traduire. Lire, jouer du piano ou visiter des amis qui nous aiment.

Fin d’extrait de « que faire »

Bientôt, 50 ans que ma vie...

5 mars 1994

Bientôt il y aura 50 ans que ma vie tranquille a été bouleversée et que je suis sortie de mon enfance insouciante. J’étais pleine de pensées sombres.

Heureusement que j’ai lu des comptes rendus sur le film de Spielberg : La liste de Schindler, et que nous sommes venus pour cinq jours à Honfleur.

François m'avait dit depuis longtemps qu'il ne réussissait pas à bien respirer, pour nager par exemple, hélas, je ne le prenais pas assez sérieusement. Je m’en veux.

Maintenant il nage formidablement bien, pour le moment sur le dos, et en plus, sans se fatiguer. Nous avons fait une promenade au bord de la plage pendant toute la matinée et nous sommes revenus par la route. François ne s’est pas fatigué et presque jusqu’à la fin ses pieds l'ont bien supporté.

Pendant une partie de cette nuit j’ai pensé à la guerre et comment mes parents, eux-mêmes se cachant, ont caché un français évadé des camps, un Français qui était arrivé à Budapest et ne parlait pas un mot de hongrois. Puis aux diverses gens qui ont contribué à ce que j’existe encore - “des justes”. Il n’y a pas de “petits” justes. Chacun peut faire, ce dont il ou elle est capable, ou rien, ou mal. Mais il y a eu plus de gens bien qu’on ne s'en souvenait, dont on ne parlait plus.

Je me suis aussi demandé si mon père en savait assez pour nous procurer des papiers et nous faire quitter il y a juste 50 ans en une heure Kolozsvàr, notre appartement, tout - comment n’en savait-il pas assez pour faire la même chose pour Poussin et sa mère ? Il ne savait rien des camps des exterminations, je le crois, mais il connaissait le danger, oui. Pour nous. Mais ce danger existait aussi pour Poussin ! Et elle est partie, tenant sagement la main de sa mère, vers les “douches à gaz”. (Mais il les a fait venir de leur village à Kolozsvàr...)

Et nous ? C’est un collègue allemand qui a averti mon père, lui a conseillé de se faire des faux papiers et de se perdre dans une grande ville quand les Allemands arriveraient ; c’est un Russe qui nous a conseillé de partir quand les Russes s’approchaient du village croate ; un catholique Hongrois nous a envoyé chez sa femme comme concierge, et elle aussi, a admis de cacher le Français dans sa villa. Et mon père a réussi à sauver une fois de plus ce Français quand les Russes ont voulu le fusiller.

Et moi ? À l’époque j’avais 10 ans. Et après ?

J’ai aidé certains quand ils en avaient besoin. Je n’ai pas empêché, aurais-je pu ? d’autres à avoir des problèmes. J’ai lutté pour la petite fille de sept ans qu’on ne voulait pas sacrer pionnière à cause de son père arrêté ; je me suis occupée d'Édith quand ses parents ont été emprisonnés à tort. Puis ? à Ham et à Bip j’ai aidé autant des jeunes que j’ai pu à démarrer, débuter. Ici, de même. J’espère que mes deux livres ont aidé des inconnus, certains connus.

Oui, Julie continue ! fais ton devoir à ton échelle. Écris ton livre sur les objets, l’HyperCard, AppleScript, les évènements sémantiques... Réfléchis, parle avec François et Lionel, puis fonce ! Vas‑y ! Connus, inconnus qu'importe, si on peut les éclairer, leur donner de la confiance, du courage, d'exemple, les faire démarrer. Éventuellement les sortir d’un trou.

Spielberg a fait des classiques avec les films ET, Pourpre et La liste de Schindler. Le film n’est pas moins un art que les livres, les deux peuvent servir de diverses manières. Bien connaître les recettes et la technique n’est pas suffisante. Il faut en plus avoir souffert, avoir quelque chose à dire ; et en plus, avoir du talent. Et pourquoi pas, savoir se faire aider, là où on en a besoin.

La bouffée d’air, d’eau, de soleil et de vent à Honfleur nous a fait du bien, nous allons repartir différents, plus forts, plus calmes que nous sommes arrivés ! Je ne ressens plus le tremblement intérieur, ni la nervosité d’il y a encore deux ou trois jours. Un peu de fatigue mais c’est une “bonne fatigue” comme m’a dit l’hôtelière, et elle a raison.

François a découvert ce que je savais mais ne faisais pas, non plus, qu’à notre âge on n’ait plus le droit de ne pas faire de sport. Mais il fallait avant libérer ses poumons. Et moi ? On verra. Nager m’a toujours aidé.

Aujourd’hui François a été l’organiste à la messe de l'église ici. Demain c'est dimanche, il jouera de nouveau. Je lui ai fait hier de très bonnes photos ! J’ai encore une fois un “modèle amélioré” : un homme heureux de vivre. Que c’est bon !

Par contre, depuis le début de cette année, j’ai l’air d’une “chienne battue”. Ça passera, je l’espère. Mais il me faudra du temps, du repos et... quelque chose.

L’idée de petites vacances tous les mois n’est pas mauvaise ! on verra. Comme François le dit : “un peu plus de vacances chaque fois”. Faire de l’orgue au lieu d’enseigner, revenir à son amour de jeunesse et jouer en public. J'ai l’impression que déjà il prend plus de plaisir à ça qu’à l’informatique.

De l’opérette Don Quichotte :

What does it mean, To follow the quest ? Qu’est que signifie “chercher la voie ?”

to dream the impossible dream

to fight the unbeatable fight

to bear with unbearable sorrow

to run where the brave dare not go

to write the unwritable role

to love pure and chaste from a far

to try when your arms are weary

to reach the unreachable star

no matter how helpless,

no matter how far

to fight for the right.

And the world would be better for this.

Rêver la rêve irréalisable

lutter la lutte impossible

supporter un tristesse insupportable

aller là où même le courageux hésite

écrire un rôle inécrivable

aimer de loin, sincère, forte

Continuer quand on est lasse.

Tendre vers l’étoile lointaine

même s’il n’y a plus d’espoir

et n’importe combien ça parait loin

lutter pour ce qui est juste

Et le monde sera mieux pour ça !

Ce que je me reproche et qui m’a fait vieillir d’un coup - peut être ceci me passera - est de n’avoir pas bien écouté et cru François me parlant de sa fatigue, de n’avoir pas trouvé de bons docteurs, d’avoir cru que sa dépression était due aux fantômes du passé, quand en fait, son poumon, son sang ne fonctionnaient pas bien. Et bien sûr, en plus, le fait que je ne croyais pas qu’il était sérieusement malade ceci a été un facteur de plus pour le déprimer. Je me croyais malade du cœur et je demandais qu’on s’occupe de moi, pendant qu’il n’avait pas assez d'oxygène pour bien respirer.

Une phrase du livre de Deniaud : “Pour s’entendre, il faut d’abord entendre, c’est-à-dire comprendre.”

Mon mal de cœur à moi, d’après le docteur, est seulement nerveux. De toute façon j’en ai souffert, le choc, la peur et les évènements de novembre à février ont eu un impact très lourd sur moi. Depuis son retour de l'hôpital, François s’est rétabli avec une rapidité miraculeuse, il renaît avec une force et une vitalité tout à fait nouvelles. Moi, je commence à aller mieux, mais très doucement et avec beaucoup de rechutes. Je me sens encore épuisée.

Encore quelques extraits du livre de Deniaud.

La liberté c’est le droit de choisir. Encore faut-il pouvoir choisir. Donc comparer. Voir ce qui reste permanent et ce qui change. Ensuite, il faut vouloir choisir.

Avoir le courage de ses opinions. Allas... on n’aime pas beaucoup la vérité et ses messagers.. mais ce n’est pas une raison pour ne pas se battre.

Oser dire avant les autres, mieux que les autres ce qu’on pense.

Je n’aime pas le pouvoir des uns sur les autres.

Sur sa grave maladie :

On a traversé le miroir. On meurt parce qu’on arrête de lutter. Lutter. Désormais, j’ai eu envie de me consacrer davantage aux êtres et évènements qui, à mes yeux, en valaient la peine. Il y a ainsi des préoccupations que je n’arrive plus à prendre en considération. Le tri s’est fait de lui-même. L’espérance commence avec le refus de désespérer. Il faut rester debout, bouger, agir, réagir. Écrire est aussi une façon d’exister.

Le premier courage est d’abord de ne pas abandonner.

Prendre l’énième chance.

26 février 94

Nous venons de passer trois merveilleuses journées à la maisonnette de Celles. François se remet à une vitesse époustouflante, c'est moi qui commence à ne plus pouvoir suivre. Sa barbe, son sourire et sa joie de vivre lui vont à merveille!

Puis un nouveau choc : samedi soir il s'est cogné le pied et je n'ai pas réussi à contacter aucun de nos médecins. Cette fois-ci on n'avait pas réellement besoin d’eux. Mais si cela avait été indispensable? Cette idée nous a fort secoués.

Au travail, je me suis rendu compte qu’aucun de mes collègues n'avait envie de lutter pour moi, n'étaient pas solidaires. Depuis lors, j'ai de moins en moins envie d'y aller et de moins en moins le courage de continuer. Heureusement, Lionel m'a donné quelque chose à réaliser et je me connecte sur l'Internet dès le matin. Ce que j'y trouve et sa lecture, puis la mise en page de ce que j’en tire occupe presque la moitié de ma journée de travail - depuis que Trash a supprimé l’abonnement à l'hebdomadaire dans lequel je trouvais des informations d'avant-garde, c’est mon principal source d’information.

Lire me fatigue, la télé me fatigue, tout me fatigue.

J'aurais vraiment besoin de repos, d'amusements. François m'a acheté quelques vêtements rigolos au marché, ceci m'a aidée un peu, mais je ne réussis pas à me détendre.

Patience, Julie ! François va mieux !<>J'ai fait une photo de lui, dont je suis encore très fière et on y voit non seulement que le barbe lui allait bien, mais nos rapports chaleureux, d'alors, aussi.

Avant tourner le coin

8 février, 1994

Un mois seulement de son affreuse attaque et François est parti aujourd’hui tout seul à une conférence à l'autre bout de Paris. C'est merveilleux comme son organisme réagit! Il prend tout comme un cadeau.

Avec son nouveau sourire heureux et chaud de barbu, il me regarde et j'ai de nouveau “un modèle amélioré”, j'espère que moi aussi, j’en suis un pour lui.

C'est important que François se rende compte qu'il va bien, qu'il peut. Laisse-le faire et donne-lui envie d'agir! Un homme a besoin de plus d'activité qu'une femme.

Il faudrait recommencer à me trouver d'autres activités à moi aussi.

Vendredi, j'ai reçu ma lettre de non-renouvellement de mon contrat et je suis trop fatiguée pour lutter. Valérie m'a aidé à répondre, elle est fantastique! Et la façon dont elle m’a racontée: «Et j'ai répondu: c'est Julie la femme de papa!»

J'ai pensé pendant une seconde: «Aurai-je encore du travail?» C’est idiot. Peut‑être, ne serais-je plus jamais fonctionnaire rémunérée, mais du travail, j'en ai toujours eu, accompli, depuis mes 18 ans. 42 ans déjà! Et même avant, j’étais toujours fort active.

Je me suis arrêtée seulement pendant trois ans pour émigrer, élever Agnès, puis immigrer ailleurs. Ensuite quelques mois autour de mon doctorat et mon départ en Amérique. Mais bien sûr, je n'ai pas mes 38 années "réglementaires". D'ailleurs, ceux qui ont créé ces décrets n'ont pas pensé aux femmes.

Je pourrai aider François, je pourrai écrire, conseiller et probablement même enseigner un peu. Réfléchis à tout ça plus tard, quand le calme sera revenu. J'attends de revoir Stéphanie dans quelques jours, elle me fait du bien.

Peut-être pourrais-je même tirer quelque chose de mes journaux, de ma vie? Ou écrire de l'informatique qui arrive. Être grande mère. La femme de mon mari. Un riche avenir m'attend!

Demain c'est une longue journée. Je dois envoyer bientôt ma réponse au directeur. Ne pas avouer que je suis trop fatiguée pour lutter. Mais ils savent que je suis fragilisée par la maladie de François. Bon, laissons les choses venir, le sort fera le reste. Et il y en a qui nous aiment! Ils m'ont même écrit:' Les utilisateurs et votre hiérarchie ont été très contents de vous.'

Bon, passons. Une des meilleures choses dans ce travail était que j'ai pu aider tant de gens. Peut-être, trouverai-je une place où mes compétences seront encore plus utiles, plus utilisables. Sûrement. Courage!

3 février 1994

Voilà. Je commence à comprendre que la raison principale de ma très grande fatigue ait été que je n'ai pas dormi depuis longtemps détendue. Maintenant que François est à la maison et que nous dormons l'un dans le bras de l'autre, je commence vraiment à me décontracter et à être beaucoup moins fatigué. Oui, moi aussi j'ai besoin de ces dix jours de congé et pas seulement pour être avec lui. Je crois que nous avons enfin trouvé deux bons docteurs.

François vient de sortir tout seul, c'est comme si mon bébé sortait seul pour la première fois. Non, pire. Julie, sois adulte ! François est aussi adulte. Et il a besoin de sentir que "ça va", c'est très important psychologiquement. Comporte-toi comme une adulte et non pas comme une mère poule.

Son nouveau "look" sa barbe et sa moustache commencent à lui aller très bien et je commence à m'habituer. Les jours les plus graves s'éloignent.

En regardant mon journal je réalise combien d'émotions concentrées en peu de temps j'ai eues depuis le 25 décembre.

À la longue, probablement tout deviendra positif.

Quant au travail, de toutes les façons 10 heures loin de François, c'est trop. Il sera dorénavant mieux soigné. Quant à mon petit-fils, c'est bien de savoir que la vie continue, j'étais contente d'entendre "oui, mais"... Agnès l'a aussi compris. C'était aussi bien de sentir Lionel, Valérie et Agnès tellement à côté de nous, vraiment concernés.

Et moi qui croyais avant Noël, que cet hiver serait plus calme que le précédent. Espérons quand même que le prochain le sera.

28 janvier 94

Et aujourd’hui nous serons de nouveau ensemble!

Julie, fais plus d'attention à ce qu'il dit ou même essaie de montrer. Et à ses priorités, ses besoins.

Une nouvelle crise

23 janvier1994

Nous avons passé une journée de crise épouvantable.

François a eu une poussée de fièvre, jusqu'à 40 degrés. Il a eu un choc (son voisin de chambre est décédé à l'aube) et vers la fin d'après–midi, il a commencé à délirer, parler d'une façon incohérente.

Depuis tout s'est amélioré avec les antibiotiques, les soins, le moral. De nouveau il travaille, il fait des plans, brasse des idées. Il bouillonne comme d'habitude.

Dans quelques jours, il va me revenir, pas comme avant mais mieux, de toute façon, différent. Après une telle épreuve ni lui, ni moi, ne pouvons en sortir inchangés.

Nous allons, entre autres, mieux nous écouter, nous parler davantage, et vivre un peu différemment. Nous sommes les mêmes, mais nous avons traversé ensemble une rivière très turbulente.

Nous sommes fatigués pour l'instant, mais le moment venu nous allons en tirer les leçons, sinon nous serions bêtes, et nous ne le sommes pas tellement.

19 janvier 94

François est sorti de réanimation. C'est incroyable, il y a seulement trois ans qu'on s'est mariés ! et on s'est tellement rapprochés depuis l'un de l'autre!

18 janvier

Plus tard j’aurai de nouveau un travail intéressant et François se rétablira. C'est bon d'espérer, de croire en l'avenir dans des temps comme celui-ci. Mes enfants sont merveilleusement à côté de nous dans les difficultés, c'est formidable !

Je pourrais être davantage avec François à la maison et mes journées seront plus libres, de toute façon quelque part en moi je le désirais. Et j'aurai plus de temps aussi pour apprendre, penser, écrire, discuter et rencontrer les gens. Nager, se promener, vivre - autant qu'on peut. Bien. Et les 9 prochains mois je pourrai faire au travail à peu près ce que je veux, sans m'en soucier trop.

Je pourrai travailler avec les étudiants, apprendre, rester à la maison s'il faut, quand je le veux, écrire des lettres. Comme ils ne veulent pas que j'écrive sur ce qui a été, s'est passé, retourner la boue, ils me laissent plutôt en paix. Ils ne veulent plus de moi, j'étais trop critique. C'est douloureux de montrer la vérité et la bêtise, on ne le supporte pas. Mais, Julie, tu verras, ainsi cela sera mieux dans l'avenir.

"Higy és bizva bizzàl !" = Crois et continue à espérer !

De nouveau Stéphanie a eu raison : je recevrai des indemnités de chômage et, si le reste est vrai, aussi...

17 janvier 94

Demain à cette heure j'en saurais plus au sujet de mon avenir ; c'est toujours mieux de savoir que de craindre ce qui arrivera. Si on sait où l’on est, à partir de là on peut repartir et s'occuper d'autre chose.

L'important est que François aille mieux bientôt et que je sois forte, l'aider, tenir en lui le courage. Tant que nous vivons, pensons, aimons il y a de l'espoir. Le reste vient, part, diminue et quelquefois tourne au mieux.

Bonne nuit Julie, bonne nuit François, bonne nuit à tous ceux qui sont autour de moi et m'aiment et sont avec nous.

16 janvier 1994

Attention ! Julie. Tu lui transmets ton angoisse, ce n'est pas bien. Tu le lui montres et pour te "ménager" il commence à se cacher de nouveau, en ne disant pas tout. Essaie de l'écouter un peu plus détachée.

Je suis devenue tellement fatiguée d'angoisse que je l'ai fatigué, je lui ai transmis mon inquiétude. Mais je fais aussi réagir les docteurs davantage, c'est bien...

Courage Julie, courage François, ça va aller ! Un peu plus de patience seulement.

11 Janv. à 7 h

J'ai dormi de 8 h du soir à 2 heures du matin, puis j'ai travaillé jusqu'à 5. J'ai encore dormi deux heures, mais je me suis réveillée avec des cauchemars.

Comment se fait-il qu'il y a trois mois, Stéphanie a rêvé de François tombant dans la rue ? Elle vient de me dire que cette année, elle sent que les choses iront bien. Elle m'a conseillé de lutter pour mes droits à Cnam et de laisser François décider lui-même ce qu'il fera dans le futur ; que ce soit sa propre décision de continuer ou d'arrêter travailler. Elle m'a dit que de toute façon, beaucoup de plans communs se dessinent ! J'ai vu par moi-même que s'en mêler n'est pas bon, les rêves contrariés laissent de l'amertume, il ne faut pas avoir ça entre nous. Nous travaillerons ensemble s'il y a consensus, sinon, on conduira nos vies, chacun à sa guise.

Je vais aussi de nouveau consulter les docteurs, me faire examiner pour comprendre d'où viennent certains de mes malaises inexpliqués, soigner mes os et ma peau. Préparer mon cours et continuer l'analyse. Il faut faire réparer le Mac portable, sinon en emprunter un autre. Travailler, mais pas m'épuiser.

Les yeux de François recommencent à sourire. Ils ont encore pas mal de choses à traiter chez lui, mais il est en bonnes mains, dans le meilleur service de l’hopital.

Moi aussi, j'ai de quoi me plaindre de la Mutuelle. L'Ophtalmologue n'a rien dit ou observé sur ma paupière en septembre, le Dermatologue a dit que c'était très petit, pas grave et "ce n'est pas à moi de m'en occuper". Si je n'étais pas allée ailleurs, dans le privé, le "basal cell canceroma" de ma paupière aurait pu s’étendre. Il a fallu s'y prendre à deux fois en le brûlant à chaud, sous anesthésie. Il ne faudra pas les négliger non plus les irrégularités de mon cœur, voir d'où proviennent ces douleurs. L'âge n'explique pas tout, je n'ai que 60 ans. Stéphanie en a 80 et elle est encore agile. Mais ses yeux sont menacés de s'éteindre, sa fille et ses comportements pèsent trop sur elle, quelle solution trouver ?

Ionel vient ce soir dîner avec moi.


10 janvier, à 7 h du matin

Il paraît qu'on a réussi à passer les 48 heures les plus dangereuses, mais c'est seulement après l'examen que les docteurs pourront se prononcer.

Hier soir, François a été en grande forme et la tête pleine de projets, d'envie de réaliser tout ce qu'il n'a pas fait, sa thèse, écrire des livres, créer de nouveaux enseignements.

Je dois mieux l'écouter, le conseiller avec plus de tact et ne pas contrarier ses élans et ses désirs. Être tranquille, vivre sans foncer, ne pas travailler sur ce qui est important ou lui parait essentiel - ce n'est pas vraiment vivre pour lui. Il faudrait faire attention, apprendre de bien doser l'action dans notre vie, ce que nous désirons faire sans oublier le souci de notre santé.

Surtout, je dois apprendre à mieux l'écouter, réfléchir davantage - comme lui, le fait - avant de répondre ou de donner des opinions, de ne pas l'interrompre et de prendre très sérieusement tout ce qu'il dit.

J'ai parlé hier avec Agnès. Elle dit que depuis le 26 décembre le temps lui parait comme s'il n'y avait qu'une seule journée, vite passé. Pour moi, depuis samedi il me paraît qu'un siècle est passé. Rien n'est plus pareil. Le poids des choses a changé. Et pas seulement François, mais moi aussi, j'ai besoin, j'aurais besoin, de récupérer, même si différemment.

François est vraiment important pour moi, peut-être même plus que moi pour lui, puisque pour moi mon travail n'est pas à ce point essentiel.

9 janvier, le matin à 7 heures

Et cela dure : il a passé une ‘bonne’ nuit. Il parle.

Il est là. Je l'aime. Que cela continue !

Le reste, le travail, je peux toujours en trouver, l'argent, je ne vais pas mourir de faim. Maintenant je peux m'endormir plus tranquillement, mieux que cette nuit. Jó reggelt François ! Jó reggelt édesem ! (bon matin mon amour)! Le hongrois est resté quand même la langue à travers laquelle je ressens profondément les choses. Ces mots me parlent, me disent plus.

Je sais que je parle à toi, mon journal depuis un temps en français. Et en quelle langue je pense ? Aussi en français, la plupart du temps. Sur les choses qui se passent maintenant.

J'ai mesuré hier combien on est seul.

Valérie et Lionel sont là, présents, nous aiment et l’on peut compter sur eux. Stéphanie aussi, mais elle est loin. Sinon... Il faudra quand même sortir plus souvent de notre trou.

Où sont mes anciens journaux ? Les ai-je emportés à Celles?

Il nous faut du courage et de la chance, mais...

8 à 9 janvier 1994

Il nous faut du courage et de la chance... mais pas pour ce que je disais la dernière fois. Pour François et sa santé, sa guérison, sa survie de l'embolie pulmonaire.

Comme il me l’a dit, il a eu déjà de la chance : il est tombé à côté d'un agent de police, les gens l'ont remarqué rapidement, les pompiers et les docteurs sont venus vite, ils ont su quoi faire pour le réanimer, lui donnant rapidement l’oxygène qui lui manquait, on l'a amené à Bichât où le médecin d'urgence l'a bien diagnostiqué, traité, décidé et l'a fait admettre à Laennec.

Le Samu a été par contre au-dessous de tout : trois heures d’attente pour qu'ils arrivent. Mais enfin, on l'a emmené et à l’hôpital Lænec ils l'ont traité tout de suite avec tout l’art moderne et tout la gentillesse et soin attentif.

Le calme de François, tellement angoissé de tout, quand il a compris la gravité et le danger, me stupéfait : il se comporte en vrai héros. Il est même heureux de pouvoir prendre sa retraite ‘en beauté’ - il aura maintenant un motif. Et, tant mieux si ça embête ceux qui n'ont pas apprécié ses innovations et ses idées avancées, qu’il ne pourrait enseigner ce semestre.

Il décide déjà de ce qu'il va faire : apprendre, comprendre les nouvelles choses, construire par exemple un ‘partage de librairie’ et pour les 10 ans de Mac, écrire un bouquin sur le prochain Macintosh de l'intérieur.

J'espère seulement qu'on va bien le soigner pendant la nuit dans le service de réanimation, aussi bien que cette après-midi, c’était une très bonne équipe.

Que la nuit passe. Que 48 heures passent.

Qu'on prenne maintenant vraiment à cœur notre santé et ce qu'on a vraiment envie de faire. Entre autres, être plus et encore mieux ensemble. Peut-être que les gens qui veulent me mettre dehors de Cnam me font-ils un cadeau, me permettant ainsi d'être davantage avec François.

Je veux être encore longtemps avec lui, c'est un homme merveilleux. Je l'ai beaucoup apprécié, mais pas assez. Je l'admire, je l'estime beaucoup, aujourd'hui, encore plus.

Une nuit difficile pour nous deux : lui là et moi qui à la maison ne réussis pas à m'endormir malgré tout les calmants que j'ai pris. J'ai peut-être dormi 1 à 2 heures. Il faudrait dormir encore pour être forte demain, avec lui, devant lui. Je suis quand même une grande optimiste. Et la chance doit durer.

Courage, Julie!

7 janvier, 1994

Je suis entrée dans ma 60ème année.

Pendant que j'écrivais la dernière fois, Trash demandait mon départ de Cnam. « C'est un consensus général », me dit–il.

Je m'attendais à cela, mais c'est quand même un choc. Ça ne va pas se passer comme il le veut, doucement, en prenant ma retraite anticipée et en disparaissant, m'effaçant. Au moins, ils devront me mettre au chômage et ils seront obligés de me payer un certain temps, plus que si je prenais ma préretraite. Ensuite je trouverai une autre chose intéressante à faire.

Depuis, je commence à mieux voir. Qui l'a provoqué et qui ne l'a pas fait. Ce qui l'a précipité et ce qui pourrait l'empêcher. On verra. L'important est que je ‘joue cool’, ce que j'ai fait depuis... à la surface. Mais c'est là que c'est le plus important.

Ils ne pourront plus m'isoler, je n'ai plus rien à perdre ! J'utiliserai tout et tous pour essayer de rester encore trois ans. Si je réussis, bien, sinon - je sais que le sort sait certaines choses mieux que moi et qu'il peut même les tourner à mon avantage. L'important est de nous occuper mieux de notre santé, de rester actifs et surtout, pas angoissés.

Poilu et ses amis veulent reprendre le pouvoir, ils jouent les diverses personnes qui les gênent les unes contre les autres. N’importe qui perd alors, eux, ils gagnent. C'est ainsi que je le vois maintenant. On verra si mon estimation de la situation est bonne ou erronée.

Je dois préparer mon cours d’AppleScript pour 26 janvier, continuer l'analyse, écrire ce que je sais, ce que j'ai fait depuis que je suis ici et décrire les nouveautés. Et les faire SAVOIR. À beaucoup ! OUI. La caisse de résonance va sonner de nouveau!

Il y a des gens contre, il y a des gens pour et il n'y a pas du tout un "consensus général"! Jouer froidement, calmement, bien me renseigner et "faire des propositions positives", ceci a plu même au directeur. Le reste, on verra. De toute façon, je suis un tout petit pion dans ces jeux. Et tout le monde, pendant le cours, hier et aujourd'hui, a apprécié ma théorie de ‘tout Service est différent et a droit à un traitement personnalisé’ (c’était le logo de bip aussi).

Une lettre reçu fin d'année

Pendant que j'étais seule à Paris la fin d'année 1993, mon mari était à la montagne et neige avec une classe des étudiants. Voilà son lettre vers moi.
Ossois, mercredi après-midi

Ma très chère femme,

Enfin une demi journée tranquille. J’aurais pu aller faire une ballade à pied, mais j’ai un petit problème au genoux droit, suite à ma dernière chute de ce matin, une seule dans la matinée car j’ai été très prudent.

Ce matin à 8 h, une demi heure d’exercices dans le Mezzanine, une splendide salle avec baies panoramique sur toute la vallée. un peu dur, surtout pour les exercices au sol, ainsi je suis tombé sur le cul en dernier lieux. Maintenant cela va beaucoup mieux, c’est le genoux qui proteste plus que le dos.

Partout c’est formidable et très sympa. Demain matin on va faire du Skating, avec des skis spéciaux, plus courts et plus larges, avec lesquels on peut godiller à volonté!!! Seulement la moitié, les autres vont faire de l’entraînement en pleine neige.

Hier, ski toute la journée, 9h 15 à 18 h 15 avec une pause d’une demi heure pour le déjeuner, un chalet du parc de Bessons. On est monté jusqu’à Bonneval/Arc, au fin fond de la vallée, jusque le dernier village au pied de l’Pserau. Village fantastique, vieilles maisons datées, 15e ou 16e siècle, fermes Savoyardes avec balcons couverts - café à l’auberge du coin : une trompette, deux ténors et une clarinette, l’orchestre de Jars du coin. Une salle au sous-sol, intitulé Salle de Jeux, avec une table de billard au centre et éclairage rouge très réduit : jeux de mains, complète journée Dame du groupe : jeux de Villains, je vais pas le dire.

Le démarrage a été assez timide et prudent, le temps de retrouver les réflexes, et de me souvenir de la dernière fois (j’en ai fait à Montréal, dans le Parc Royal qui domine la ville et les deux Universités, Montréal d’un côté et Mac Guill de l’autre - et c’était il y a 16 ans l’année des Jeux Olympiques, et de Nadia Comaneci. Il y avait de 1m50 à 3 m de neige selon les endroits et j’en avais bien profité pendant trois semaines.

Mais c’est bien loin ; et j’ai quelque mal à retrouver les réflexes et surtout les altitudes. Avant, il faut remonter très loin à un Séminaire à St François de je ne sais quoi, où j’avais fait un malheur avec mon modèle des Micro Automates, abrégé bien entendu en Micromates, et avec celui du Plag Gromed systèmes classiques, et là je n’en avais fait qu’une après-midi.

Ici le temps se couvre, pour la première fois depuis lundi, temps magnifique jusqu’ici. J’ai bien fait de rester au bercail; j’ai fait une demi-heure de piano, comme lundi matin, le piano est assez bon, aussi aigus assez durs. Je viens de faire une heure de piano en plus, Mozart, Chopin, Bach, John Lenon, Bartok. J’ai vraiment besoin de travailler encore!

Comme élèves, c’est assez mitigé, certains très sympa mais peu m’aident et absence à peu près totale de demoiselles aux cours, chaque soir de 17 h 45 à 19 h avant le dîner. Comme on m’avait bien pressait de faire l’appel chaque jour, j’ai prévenu discrètement le responsable de classe que j’aimerai bien que les filles fassent un petit effort pour que j’ai puisse dire que je les ai vues au moins une fois. Pour le matériel, difficultés au début avec la projection mal adapté, maison m’en a installé un autre, et j’ai pu leur montrer Plus et ToolBook et leurs applications les plus spectaculaires.

J’ai passé une grande partie du lundi a m’installer MS DOS 5, Windows 3, ToolBook, Plus, et autres logiciels. Tout a très bien marché. C’est une bécane très agréable à utiliser et vraiment facile à transporter.

Actuellement c’est une informaticienne de Grande Ski de Fond, sœur d’un Gerge pour enfant d’Avras qui joue du Bach pendant que je continue cette lettre. La mère est retraité du CNRS, de je ne sais quoi, très grande Dame--

Pour les cours ; j’ai fait le début de la Date de Lendemain, et celle de Karel. Très bon présenter Karel comme un modèle d’Objet ouvert avec un comportement inné et une possibilité d’apprentissage. Je leur ai montré aussi Scripts divers et j’en écris souvent et leur montre le résultat avec les actions de Karel. Le vocabulaire, et la façon de présenter évoluent très bien, c’est formidable.

Ce que tu m’as dit de partage de travail avec ta collegue m’a enchanté, c’est prodigieux, sur tous les points. J’espère que cela va continuer!! Bravo!!

Hier soir j’ai attaqué les copies d’examen, c’est consternant ce qu’ils peuvent avoir écrit, surtout ceux que je ne connais pas!!! c’est effarant le niveau de connerie, ou de stupidité!! Très biens ce n’est pas toujours génial mais c’est moins bête en tout cas. Et comme confirmation de la validité de ma méthode pédagogique, c’est génial.

Une chose qui m’ennuie un peu c’est que j’ai laissé le sac à malice qui contenait les projets qui m’auraient permis de vérifier certaines affirmations très surprenants de certaines copies. Cela me fera beaucoup de travail Dimanche, je serai vers 8 h à la gare d’Orsay. il faut que je les donne les notes lundi matin.

En fait si j’avais les projets je ne sais pas ce que j’en ferai!!

Mais ce qui me ravit c’est la facilité, l’aisance avec laquelle je navigue dans les différents groupes ici, mes élèves, le groupe de Ski de Fond.

J’ai vraiment changé, et pas seulement en surface car je n’en ai fait jamais un telle aisance. Un point important c’est ne pas avoir de soucis de tenue. Ce que j’ai apporté est parfaitement adapté, complète, aujourd’hui tenue bleu roi, hier orange, le soir noir avec col roulé blanc ou polo hier soir. Ce soir Le nom de la Rose et le Noir intégral (polo Microsoft) tout à fait adapté!!
Tu vois je suis tout à fait en forme dans ce cadre absolument splendide : chalet en bois, tout confort, chambres très confortables, j’ai déjà réservé le chambre pour l’an prochain (avec toi bien sur si possible).

Donc je t’embrasse bien fort et longtemps, ou si tu préfères, 25 fois de chaque côté.

A bientôt, dimanche matin. Ma très chérie.
François
Bien sûr, ce n'est pas son prénom en réalité, mais cela me permet d'en parler de lui (relatif à moi et comment je le voyais)

Fin 1993: enfin grande mère!

28 décembre. 1993

Je suis devenue grand-mère ! Le 26 décembre, juste le jour de l'anniversaire de ma mère ! Comme tous les ans, j'ai acheté pour maman un cyclamen, j'ai pensé à elle. Et le même jour Agnès me téléphone qu'à sept heures du matin à Washington, treize heures à Paris, elle vient de donner naissance à un garçon. Mon premier petit-fils est né le même jour que Katinka, 90 années après. Ce jour va ainsi relier Alexandre Thibault à Katinka.

Maman, tu voulais tellement un petit enfant, mais tu n'as pas vécu assez pour voir Agnès, tu as disparu jeune, deux ans avant qu'elle vienne au monde. Mais je t'annonce que tu es devenue arrière-grand-mère et que Alexandre va avoir le même anniversaire que toi. Ainsi tu resteras présente encore plus longtemps, même si c'est seulement dans nos mémoires et nos imaginations. Bien sûr, devenir grand-mère, c'est l’événement le plus remarquable de cette année.

Mais qu'est-ce qui s'est passé d'autre au cours de 1993 ?

C'est l'année « AppleScript ». Au début de l'année je l'attendais. Je ne savais pas quoi faire, je me sentais coincée par Trash dans un coin. J'ai réussi à obtenir le langage AppleScript pour les développeurs en février, la version finale en mai, la version française en juillet, et en octobre celui incorporé à HyperCard. Les joies de la découverte du ce beau langage ressemblant celui de HyperCard, aussi élégant et presque aussi facile à comprendre, mais beaucoup plus riche et plus puissant. Son étude m'a enseigné des notions que je ne connaissais pas encore. Une fois comprise je cherche maintenant à les expliquer plus simplement aux autres. Mon stagiaire m'a aidée et stimulée dans ce travail.

C'est aussi l'année des objets. La programmation objets, l’analyse et la conception objets que je comprends dorénavant beaucoup mieux. Un livre qui n'est pas écrit, mais commence à se dessiner : ‘Les objets à votre service’. Le grand mouvement vers l'ouverture, la tolérance a commencé, même s'il faudrait encore deux ans pour les réaliser : tolérance des autres ordinateurs, autres systèmes, autres habitudes, autres langages.

Une année bien remplie.

Hélas, comme c'est normal j'ai aussi eu des temps durs.

Au début d'année j'étais déséquilibrée, en attente. L'été à cause d'Agnès. L'automne, j'ai eu l’alerte de mon cœur. Et les angoisses de François que je ne sais pas prévenir et pas toujours, pas vraiment dissiper. Mais cela ne veut pas dire qu'on ne s'entend pas très bien. Nous avons vraiment de la chance, mais nous l'avons aussi construite, nourrie tous les jours.

Lionel continue bien ses études et me visite, m'appelle régulièrement. Avec lui je sens que le contact reste ouvert. Comme je suis optimiste, je crois aussi aux miracles - un jour le contact avec Agnès va se rétablir. Peut-être autour de Alexandre, mon petit enfant, ou les suivants...

Cette année, c’était aussi mon année de « mise en boîte » par Trash au travail, mais ce répit m'a permis de progresser énormément en informatique distribuée, en programmation objet, en composants. Merci. Trash croyait que je m’ennuierais - comme si une personne créative pouvait s'ennuyer.

Il m'a d'abord repris le digitaliseur, ensuite le Mac portable, il ne m'a pas acheté les logiciels nécessaires, m'a coupé du réseau Apple. Il a tout essayé, une chose après l'autre. Mais je suis devenue développeur associé, je me suis liée à Internet, je me suis acheté les logiciels essentiels, procuré les autres, et j'ai continué. Je les ai informés régulièrement de ce qui arrivera dans le futur proche, qu'ils en ont tenu compte ou non, remerciée ou fait semblant d'ignorer mes informations. J'ai réussi à mettre le stagiaire sur de nouvelles voies. Et me voilà repartie pour une analyse informatique intéressante. Bientôt, j'aurai en stage trois autres étudiants. Je suis utile, et pas seulement pour la Veille Technologique !

Cette fin d'année, ce n'est pas moi qui pleure, c'est plutôt nouveau mon chef. J'espère qu'il continuera d'embêter tout le monde, jusqu’à ce qu'on le mette dehors ou dans une boîte. Lui, qu'y fera-t-il ?

8 décembre 1993

OK. Soi-disant, mon cœur va bien, il résiste à l'épreuve de la fatigue et cela veut dire que ça va. Puis deux jours plus tard, je soupçonne que je pourrais avoir un cancer au fond d'un de mes yeux, ceci serait une mort encore moins agréable qu’un simple arrêt cardiaque. À tout choisir...

Essayons d'oublier tout ça. Mais ce n’est pas facile...

Je viens de réaliser, pourquoi les six millions des morts à Auschwitz comptaient moins pour moi que Poussin : je m’identifiais à elle, j'aurais pu aussi être emmenée avec elle.

De 1944 à 1994, 50 ans de sursis déjà ! C'est énorme !

Alors pourquoi je me plains encore ?

Et il est même probable que je pourrai avoir dix bonnes années en plus, tel que François me l'a demandé ce matin. Je ne devrais pas lui raconter mes craintes, lui faire peur, mais il y a des soucis qui sont si difficiles à porter si on ne peut pas les partager avec quelqu’un qu'on aime. Je n'ai jamais pu enfermer en moi mes joies et mes peines sans les partager. C'est vrai, quelquefois je les ai partagés seulement avec Toi, mon Journal. J'ai finalement toujours assimilé mon Journal à quelqu'un. Et mon Mac aussi est pour moi beaucoup plus qu'une machine « ordinateur ».

Bientôt 50 ans que je tiens un journal et bientôt 50 ans que Poussin a été gazée et que moi, j'ai pu m'échapper de justesse avec ma famille, en changeant de place, de nom ; échappée plusieurs fois d'ailleurs. J'ai eu une vie très intéressante que je pourrais essayer de raconter si je savais écrire sans l'aide des autres. Vraiment. Pleine de hauts, de bas, pas monotone et rebondissant chaque fois. J'ai d'ailleurs l'impression que cette fois encore...

Après une année de Veille Technologique, on a de nouveau besoin de mes compétences ; mon brillant stagiaire pour trois mois veut continuer à collaborer avec moi ; et Trash, mon odieux chef, a été réprimandé, on commence à se plaindre de plus en plus de lui.

J'ai énormément appris cette année et ce n'est pas fini. Je crois d'avoir réussi à faire une bonne impression au stage Parler anglais en public ; et peut-être, même trouver des nouvelles amies. Agnès aura bientôt un fils, Lionel est en 3e année d'université, il débutera tard mais bien, ce qui est le plus important. Chaque âge, chaque génération a ses problèmes, pas toujours les mêmes et ceux qui ont moins de problèmes extérieurs, ont encore plus le temps d'avoir des problèmes internes...

Grâce au sort, j'ai eu assez de problèmes dans ma vie, et grâce à ma mère j'ai eu assez de force pour les traverser plus ou moins vite, sans être détruit par eux. Une vie pleine d'événements, donc une vie intéressante.

Merci Maman ! Merci arrière-grand-mère et père ! J'ai appris de vous, j’ai hérité de vous des choses qui m'ont beaucoup servi dans les difficultés et aussi dans mes périodes de joie. Mon optimisme inné à fait le reste.

Au revoir, à bientôt.

Mal au coeur?

8 novembre 93

J'ai mal au cœur. Vraiment, pas au figuré. Il serait quand même trop tôt pour disparaitre.

J'ai l'impression que les docteurs de notre Mutuelle sont nulles, depuis que j'ai commencé à les fréquenter, on m'a mal pris du sang, on m'a fait un tas d'analyses, mais je me sens pire qu’avant.

Le travail est intéressant, il avance bien, François est sympa, mon fils m'aime, ma fille attend mon petit enfant; ma santé devrait aller mieux, pas pire. Je ne réussis plus à dormir non plus, pourtant j'ai toujours bien dormi (à de rares exceptions près). Il me faut un bon médecin.

Je pourrais faire encore tellement de choses intéressantes!



15 Sept 93

C'est fantastique d'être bien marié, de dormir dans les bras d'un être qui vous aime tendrement, chaleureusement et vous joue une musique enchanteresse, dès le matin.

Hier soir, il avait son air d'enfant heureux, d'homme joyeux, cadeau rare qu'il me donne quelquefois et maintenant il joue du piano fantastiquement ! Ça me parle, me cajole et continue...

Quand il n'est pas sûr de lui, son jeu est hésitant, lent, fatiguant quelquefois, mais aujourd'hui ses doigts s’envolent et son jeu est devenu de plus en plus expressif et riche, plein de choses extraordinaires qui sont en lui et qu'il exprime par sa musique.

Au milieu de passage

20 Sept 93

Je recopie ici divers extraits de livre "Le Tiers Instruit" par Michel Serres qui m'ont fortement impressionnée. Je m'identifie avec ce qu'il exprime. Et quelle maitrise de la langue ! des expressions si imagées!
extraits de son livre recopiés dans mon journal:

L'invention est insupportable aux grosses organisations qui ne peuvent persévérer dans leur être qu'à condition de consommer de la redondance.

... Les solutions ne résident pas toujours aux lieux où on les cherche. Il faut chercher passionnément ce que vous êtes et non ce que l'on dit que vous êtes. Votre spécificité.
Ont la passion de la pédagogie ceux qui ont aimé apprendre.

... Vous reconnaîtrez l'œuvre et l'ouvrier authentique à ce signe qui ne manque pas : tous deux, ensemble rajeunissent. Ils mourront enfant.

... Et voici le moment du travail, où soudain, comme par grâce, tout devient facile, et l'on ne sait pourquoi. Voici l'instant où après des années d'entrainement, de volonté, d’acharnement, tout d'un coup... ce midi-là, je commence et je finis tout à la fois, je sais que je résoudrai le problème, recouvrerai la santé, finirai la traversée.

Voici le sommet où commence le cours. Il sait déjà, donc peut s'adapter, apprendre.

Nul ne sait nager vraiment, avant d'avoir traversé, seul, un fleuve large et impétueux. Partez, plongez. Après avoir laissé le rivage, vous demeurez quelque temps beaucoup plus près de lui. Jusqu'à un certain seuil, vous gardez la sécurité : on peut revenir. De l'autre côté de l'aventure vous vous trouvez assez voisin de la berge pour vous dire arrivé. Au contraire, le nageur sait qu'un second fleuve coule dans celui que tout le monde voit, entre les deux seuils, après ou avant lesquels toutes sécurités ont disparu.

Il faut traverser pour apprendre la solitude. Elle se reconnait à l’évanouissement des références.
Au milieu du passage, même le sol manque le vertige de la tête s'arrête parce qu'elle ne peut plus compter sur d'autre support que le sien, elle entre en confiance dans la brasse lente.
Il n'a pas seulement changé de berge, de langage, de mœurs, de genre, d'espace, mais il a connu le trait d'union. Le voici maintenant exilé, privé de maison, intermédiaire.

Messager. Tiret.

À jamais dehors de toute communauté, mais un peu et très légèrement dans toutes. Il parvient à l'autre rive.

Vous le croyez naturalisé, bouleversé. Il habite vraiment, quoique avec douleur, le second rivage. Le pensez-vous simple ? Non, bien sûr, double. Devenu droitier, il demeure gaucher. Bien adapté, mais fidèle à ce qu'il fut. Mais vous ne tenez pas compte du passage, de la souffrance, du courage, de l'apprentissage, des affres d'un naufrage probable. Vous le croyez double, et le voilà triple ou tiers, habitant les deux rives et habitant le milieu. Le voilà multiple, universel.

L'autre côté, de nouvelles mœurs, une langue étrangère. Mais, par‑dessus tout, il vient d'apprendre l'apprentissage, là où quelque direction qu'on adopte ou décide, la référence gît indifféremment loin. Dès lors, le solitaire, errant sans appartenance, peut tout recevoir et tout intégrer.

Partir exige un déchirement qui arrache une part de corps à la maison, à la culture de la langue et à la raideur des habitudes.

Qui ne bouge n'apprend rien. Pars, sors. Dehors manquent les abris. S'engager sur un chemin de traverse qui conduit en un lieu ignoré. Partir, sortir, se laisser un jour séduire. Devenir plusieurs, braver l’extérieur, bifurquer ailleurs. Séduire : conduire ailleurs. Je ne rien appris que ne sois parti, ni enseigné autrui sans l'inviter à quitter son nid.

Il n'y a pas d'apprentissage sans exposition, souvent dangereuse à l'autre. Il faut toujours payer, donc accepter de solder par quelque aveuglement ce changement de lieu, pour voir mieux.
L'enfant lance un pied par rapport à l'autre posé. Il s'expose. Il laisse le stable et s'écarte. Marche, court. Il laisse la rive et se lance. Nage. Il abandonne l'habitude pour essayer. Il évalue. Donne. Offre. Aime. Passe la balle. Oublie sa terre natale, monte, voyage, erre, connaît, regarde, invente, PENSE. Ne répète plus. Ouvre la porte, perce la paroi. Pendant ce passage, bien des choses changent.

Étudiez, travaillez. Et après? courrez au grand air. Partez, allez, jouez, faites, essayez. Pour créer, il faut savoir et donc avoir immensément travaillé. Mais il faut en plus prendre les risques maximums.

Le tiers instruit dont l'instruction ne cesse pas. Il a quitté son village de naissance, traversé plusieurs fleuves, à ses risques et périls.
Voilà ce qu'en dit Serres, dans son livre.

J'ajouterai une chose importante:
Souvent on ne part pas d'une rive : on est jeté dans le fleuve, poussé vers le milieu. On est souvent trop attaché à une rive pour partir sans qu'on doive le faire, sans que le sort nous y oblige.
Ayez alors au moins dans la tête : ‘cela servira.’

L'autre rive va vous apporter de nouvelles joies, des satisfactions, des expériences et la traversée vous fortifiera, vous apportera du courage pour les prochaines traversées. Et de moins en moins d'appréhension au départ. Un peu plus d'envie de s'y jeter. Mais ce n'est jamais facile de partir, de changer.

Me voilà, au milieu, mais je n'en suis même pas encore là, puisqu'on m'a poussée dans le fleuve, il n'y a plus de retour, mais je ne sais pas encore où la rivière et ma nage vont me mener, où et quand j’arriverai sur une autre rive, ni laquelle. C’est dur.

Avant d’avoir lu le livre de Serres je ne pensais pas qu'être gauchère contrariée a pu aussi m'aider, m'apprendre pour le futur. Comme aussi d'être fille. Apprendre tôt le sang et la douleur.

Être entre. Tiret. Ni juif, on y avait renoncé, ni chrétien, puisque jamais complètement intégré. Ni hongrois, ni roumain. Ni roumain, ni israélien. Ni israélien, ni français. Ni roumain - hongrois - juive - protestante - ni français. Pas tout à fait français mais presque américaine. Ni tout à fait chimiste, ni complètement informaticien. Et ainsi de suite.

Peut-être dans l'aventure de l'apprentissage des savoirs, des livres je me suis toujours lancée avec joie, passion, plaisir - mais l'apprentissage que la vie m'a imposé était surtout dû aux circonstances. Les évènements sont arrivés hors de ma volonté, j’ai seulement réagi. Ils m'ont apporté une vie riche que je suis heureuse d'avoir eu, même si souvent j'ai tout fait pour m'accrocher, au lieu de foncer, de plonger de moi-même.

Mais quand j'étais dans le fleuve, je nageais - et je savais que je pouvais compter sur moi. Je le sais toujours.

Elle a honte de moi?

30 août 93

Mais les problèmes ne s’arrêtent pas là.

Je croyais fermement en l’amour de mes enfants. Nous sommes allés chez Agnès, elle ressemble à ma fille, mais qu’est‑elle devenue ?

Elle a honte de moi...

En réalité, les problèmes avec elle ne datent pas de son dernier mariage, seulement je me refusais à voir, à comprendre.

Elle vit là-bas, loin. Elle a acquis de nouvelles façons “de voir, de ressentir” les choses, les gens. La communication entre nous est devenue impossible, presque nulle. Elle ressemble de plus en plus à Sandou qui se fichait de ce que les autres pensaient et voulaient, il savait tout mieux qu’eux, il ne tenait pas compte des autres. Agnès a dû hériter de l'inflexibilité et l'étroitesse d'esprit de son père. Je croyais jusqu'à maintenant, qu'elle ressemblait surtout à ma mère ; mais maman n’était pas ainsi, elle savait écouter.

Comme si mes problèmes ne intéressaient plus ma fille et elle n'avait pas envie de me raconter les siens, non plus. Elle parle à son mari en nous excluant. Ça me fait encore mal.

Être choquée que sa mère laisse sa jupe se relever au-dessus de ses genoux par le vent ou qu'elle parle pendant qu'elle mange ! Je crois qu'elle me regarde ainsi surtout à cause de sa belle-mère.

Voilà. J'ai aussi survécu à ça. Mais je ne l'ai pas encore digéré.

Mes rêves d'être beaucoup avec mes petits-enfants s’envolent. Il faudrait bien sûr être là, si besoin est. Heureusement, mon fils est chaleureux et compréhensif pour mes faiblesses.
Au travail je ne sais pas encore ce que je ferai cette année, on verra. Il faudrait sérieusement commencer à préparer le temps de ma retraite, trouver des occupations intéressantes, passionnantes et pas trop fatigantes. Pour moi, et pour François aussi.

Pour le moment je suis beaucoup plus désemparée que je veux bien l'admettre, je ne trouve plus à mon goût même mon AppleScript chéri. Par bonheur Stéphanie arrive bientôt, aura-t-elle de recette miraculeuse pour m'aider?

Comment se fait-il, qu'on puisse rester unie et liée à certaines de ses amies, et pas avec sa propre fille? Qu’est ce qui fait que la compréhension avec Alina, Anna et Stéphanie dure et se retrouve intacte, à travers le temps et l'espace?

Mais c'est vrai, j'ai perdu le contact avec d’autres, Véra, Édith, et même Marthe, alors...

J'ai survécu

3 Juillet 93

En quelques jours j’entrerai dans ma 59e année.

Il y a deux jours j’ai vu un documentaire fleuve, sur le meurtre des juifs en Pologne entre 1941 et 43.

Comment est-il possible que jusqu’en 1945, quand le peu de ceux qui ont survécu sont revenus, on ne savait pas ? Comment a-t-on pu gazer, brûler en Pologne et en Allemagne, sans que les communautés de juifs l’apprennent ? Comment a-t-on pu conduire tant de gens comme des moutons à leur mort et les berner presque jusqu’à leur dernière minute?

J’ai survécu à l'holocauste, parce que mes parents à moi se doutaient de quelque chose et que nous nous sommes cachés sous un faux nom là où on ne nous connaissait pas. Parce que maman ayant perdu sa bague en diamants a refusé d’aller à une pension d’où l’on nous aurait déportés et tués le lendemain. Mais Poussin à ses 10 ans y est restée, a été gazée, brûlée comme aussi ma tante et ma grand–mère ; mon grand–père mort étouffé déjà dans le wagon des bestiaux qui les amenait...

J’ai aussi survécu à l’arrestation et la détention de mon père innocent, mon exclusion de l'union de jeunesse communiste, la raréfaction de nos “amis”, sauf celui qui s'est occupé de nous même davantage.

J’ai aussi survécu quand, à cause de mon origine (de l'ancienne profession de mon père) on ne m’a pas laissée aller à la Faculté, malgré mes bonnes notes. J’ai fait des études, même seulement "à distance," tout en travaillant.

J’ai survécu à Elena Ceausescu, à cause de qui j’ai dû quitter mon travail de recherche, je n’ai pas eu mon diplôme d’ingénieur : on m'a exclue comme “ennemie du peuple“. Je suis partie de Roumanie surtout à cause d'elle. Heureusement que je suis partie. Et c'est elle qui est morte avant moi.

J’ai survécu à la haine de Déborah, ma méchante belle-mère. Mais ma mère n’a pas survécu, mon père non plus. D'abord, je n’ai pas cru dans son existence quand maman m'en parlait. Et j'ai défendu papa autant que j’ai pu pendant son dernier mois ; il n’a pas fini sa vie dans un asile d'aliénés où Déborah voulait le placer. Mais je n’ai pas pu empêcher qu’elle mette auprès de lui un infirmier roumain qui lui faisait du chantage jusqu’à ses derniers jours. J’ai su déjouer d'autres de ses plans et me défendre contre les innombrables procès qu’elle m’a intentés, tant bien que mal.

J’ai survécu au dédain d’un mauvais mari, au rejet comme femme, à ses manèges pour détruire ma personnalité et m'abaisser. Aux difficultés de l’émigration. J’en suis sortie avec deux merveilleux enfants, avec ma personnalité finalement retrouvée, avec ma confiance très lentement recréée. Avec assez de force et de volonté pour les élever à côté de moi, sans permettre qu'on me les arrache ni qu'on les monte contre moi. J’ai rebâti ma vie. J’ai réussi à finir mes études à Paris en travaillant en même temps, en m’occupant du ménage, des enfants, en luttant contre un mari coléreux et volage, puis les derniers mois seule, sans la sûreté de lendemain.

J’ai survécu aux angoisses qui m’ont assaillie à mon arrivé en Amérique : quand je n’arrivais même plus à déchiffrer les mots. J’ai montré de quoi j’étais capable. J’ai découvert ce que je pouvais réaliser et ce que je ne pouvais pas, en faisant une auto-évaluation utile par la suite. J’ai survécu aux intrigues autour de l’association de "lutte contre le cancer" et à la lutte - sans succès - pour rester en Amérique. Je me suis revalorisée là-bas comme femme.

J’ai survécu à un amant escroc, qui m’a bernée, abusée longtemps, qui a travaillé à la ruine de Bip et avec ma confiance pas trop détruite, récupérée.

J’ai survécu à mon cancer de la peau 'bénigne', à mon ostéoporose - pour le moment, mais je dois commencer à m’occuper plus sérieusement de ma santé.

J’ai survécu au travail intensif et à d'innombrables hauts et bas d’une société formée par moi, et même à sa décomposition, bientôt sa disparition totale. J’ai gagné en force, en connaissance : j’ai vécu.

Et je survivrai aussi aux machinations de ces gens dont mon travail heurte l’intérêt personnel et corporatiste. Pour le moment dans un petit trou, mais je suis encore ici. On n’a pas réussi à m'obliger à démissionne !

J’ai appris à lutter, à résister, à attendre, à espérer. Surtout, à ne pas m'autodétruire en me faisant trop de soucis.

J'ai appris aussi à peser l’échelle des difficultés et des problèmes.
  • Lutter autant qu’il m'est possible
  • éloigner de moi et de ma pensée tout ce contre quoi je ne peux pas lutter
  • ne pas me laisser détruire les nerfs par un méchant chef, ni par des détails, ni par l’angoisse ou haine vaine
  • continuer à vivre, revivre, m’occuper, créer.
J’ai un bon mari, amant et collaborateur de travail.
J'ai une fille bien mariée qui attend un enfant.
J'ai un fils qui réussit bien ses études, qui se soucie de moi.
Un emploi où je peux continuer à apprendre tranquillement. Veille technologique Mac ? ! OK. J'aime bien suivre ce qui arrivera, qui arrive déjà.

Et j’ai une force de caractère, héritée de mon père, développée par l’éducation de ma mère et forgée par les difficultés de ma vie.

10 Mai, 1993

Grande, grande nouvelle : ma fille est enceinte de cinq semaines ! Je serai grand-mère début 1994, à 60 ans.

Je suis seule à San José pour la conférence des développeurs Mac. C'est dur de s’habituer aux neuf heures de décalage. François m’a beaucoup manqué. Hier, à Berkeley, pendant ma promenade, j’aurais voulu partager avec lui l’odeur des fleurs et leur magnifique couleur.

C’est bien de s’éloigner de temps en temps, de loin on a de meilleures perspectives. C’est fou comme on s’entend bien, nous sommes devenus vraiment un couple. Sinon, l’absence de sommeil m’a profité, j’ai de nouvelles idées. Décrire comment j’ai réussi à contrer, survivre les pressions immondes de Trash, finalement surnager, à m'en sortir sans devenir malade.

Il m’avait tout présenté comme si cela venait de haut. Et j'ai aussi d'autres idées, inspirées par François, pour utiliser HyperCard comme un modèle de la programmation nouvelle.
J'ai un nouveau bureau sympa, la Veille Technologique comme travail principal et on m’a payé ce voyage, ce qui signifie que pour le moment ‘ça va’.

Peut-être, Trash ne va-t-il pas recommencer de sitôt à essayer de me rendre malade. Et puis, la prochaine fois, je me rebifferai plus rapidement. S’il recommence. Je sais que j’ai gêné certains, mais je crois que Poilu a joué un rôle non négligeable, Trash étant le principal exécutant et le plus hypocrite. C’est quand même mieux de savoir qui est qui et jusqu’où ils iront.

J’ai enfin sommeil, peut-être réussirai-je à m’endormir.

Harcèlement moral

26 février 1993

Certaines choses ne s’améliorent pas. Mais aujourd’hui je me suis coiffée, maquillée et je me sens de nouveau prête à l'attaque. Me défendre ! Fuir n’est ni sain ni utile.

Je vois de plus en plus clairement l’attaque contre mes nerfs, orchestrés volontairement par mon chef. Harcèlement moral caractérisé. Hier il s’est trahi en me disant : « J’en ai entendu beaucoup sur vous, mais pas que vous êtes paranoïaque. » et cela, tout de suite après m'avoir fait plusieurs vacheries évidentes et volontaires.

Pendant un mois j’ai essayé d’être douce, de composer, de trouver un accord avec mon ancien adjoint, lui démontrer que ma volonté n’est pas de l’attaquer, ni de reprendre mon poste, ni de l'accuser, mais ce comportement n’a servi à rien. Ça suffit ! Je vais attaquer, parler, suggérer. J’ai déjà commencé. Comme ils l'ont fait pendant des mois, pendant que je travaillais durement pour CNAM.

Heureusement Apple Script et les Apple Évents sont arrivés ! Avec ce nouveau langage d'Apple, un énorme travail de compréhension, d’explication commence pour moi.

Je me suis aussi rendu compte, que même si c’est vrai que j’ai des ennemis, (pas tous démasqués même), j’ai aussi beaucoup d’amis. Des gens qui n'aiment pas la corruption, le combat des loups. Qui respectent le bon travail, le savoir, le sérieux, l’honnêteté. Ah oui. On verra le fin fond de tout cela. La partie n’est pas encore terminée. Faire tout ce que Trash me déconseille. Je me suis rendu compte que depuis son arrivée, c’est lui qui a été mon plus grand ennemi. Une fois démasqué, c’est plus facile.

L'important est de faire attention à mes nerfs, d'écrire, de parler et de faire savoir.

Nous avons raison et l'avenir le prouvera, de plus en plus. François est fatigué. Je le comprends, on lui a orchestré des coups de plusieurs parts en même temps, à lui aussi, pourtant, quel enseignement formidable il a réussi à créer! Mais on a peur de son travail de pionnier... Comment lui redonner confiance ? Comment lui rendre l’envie de créer, de lutter. Et de s’amuser ?

Bilan fin 1992?

31 décembre 1992

Je devrais faire un bilan de fin d’année, puisque j’ai l’impression que ce n'est pas seulement une année qui s’achève. J’ai envie de tirer une conclusion plus générale. Bientôt, ce sera la fin de plusieurs périodes de ma vie.

Adoucie par le fait que mon fils s’est remis à étudier, à lire avec soif, par le réveillon qu’on passera ensemble avec Alina et son mari, par la musique que François est en train de jouer, par les joies partagées, la joie d’être ensemble.

Du bon ? Du constructif ? Les deux cours que nous avons bâtis tous ensemble. Le fait que les jeunes aussi aiment ma façon d’enseigner et cela malgré mon accent... La joie de l'entente amicale avec Alina, l'entente aux travail pour bâtir le cours entre François, Valérie et Lionel et moi.

Sinon ? Fin du local de la rue Duc. Hélas la partie “emmerdant“ de la société Bip, les comptes, ne sont pas encore clos. Bip a représenté dix ans de travail, dont au moins huit années acharnées. Tout est trié, jeté ou récupéré, fini. Point.

Pour le moment c’est encore trop douloureux pour fouiller dedans.

C’est la nuit que ça me revient : “et si je n’avais pas eu confiance en Paul” ; “si les dirigeants de Lettraset n’avaient pas été si vaches”... Mais qui sait, tout comme avec l'Amérique, probablement je n’aurais pas rencontré alors François et cela, je n’aurais voulu le rater pour rien au monde. Alors. On prend ce qui vient. Même chose avec le travail.

Bien sûr, ce n’est pas agréable de voir les gens mesquins, incapables, corporatistes, corrompus, chauvins triompher de moi, mais disons comme a dit à l’Académie Français Vaclav Havel “mes idées vont germer” même sans moi et éventuellement davantage. Enfin, au moins certaines.
Probablement était-ce orchestré avec maestria par Poilu, grand professeur et maître pour monter les uns contre les autres. À suivre ! Les autres, que j’ai probablement bousculés, étant plutôt des marionnettes. Si mon intuition est bonne, le directeur n’est que manipulé, mais en politique tout est possible, donc il ne faut rien exclure.

Je ferai un bilan des erreurs à ne plus répéter, les analyser pour en tirer des conclusions pour le futur... mais je n’ai pas encore assez de recul. Je ne suis pas une bonne joueuse d’échecs et j’ai donc reçu un coup sur ma tête étant trop visible, j’ai probablement dérangé des intérêts privés ou corporatistes...

Bonne année quand même Julie, on va à la rencontre de choses nouvelles, de merveilleuses réussites (me dit l’horoscope et Stéphanie), pourquoi ne pas les croire? Cela aide à leur réalisation. Sinon, au moins soigne ta santé et consacre plus de temps au repos, à la réflexion et pour ceux que tu aimes.

La fin du Bip

19 décembre 1992

Encore une fin d’année qui s’approche. Demain je vide complètement Bip et en quelques semaines la comptabilité finie, Bip aussi légalement fini, sinon dans mes souvenirs et quelques dernières tracasseries.

Ce n’est pas grave, j’étais dégoûtée de ce local depuis que le propriétaire du logement de Paul a couru après moi et j'évitais d'y aller pour qu’il ne m’y trouve pas. À ce moment-là, quelque chose s'est cassé en moi relativement à ce local, pourtant agréable.

Pourvu que rien n’arrive, qui casse quelque chose si gravement, si profondément, si irréparablement entre François et moi!

Est-ce le moment de faire le bilan de cette année ?

Au début, je suis allé trop vite, trop en avant. J’ai été trop visible, donc trop jalousée et oui - trop orgueilleuse et pas assez attentive à ce que je disais.... En mai, ou même avant, la cabale a commencé contre moi, plus fort, plus profond que je le croyais. Et je n’ai pas suivi le dicton “n’accule personne au mur !" qu'on m’avait appris pourtant il y a quelques années.

Bon, dommage, mais une leçon.

Trash me trompe-t-il ? Il m’a dit avant-hier : « Personne n’est capable de vivre autrement que selon sa propre nature, même s’il sait que ce n’est pas bien. Avec la tête on le sait, mais pas avec nos tripes. »

Bien sûr tout comme Gorbatchev et Vaclav Havel nous voulons changer des choses. Je dois retrouver le merveilleux discours de Havel tenu à l’Académie Française, quand je l’ai lu j’avais déjà une prémonition! On veut faire évoluer, aider. Hélas, la vie, les gens ont leur propre rythme et n'aiment pas être bousculés. Mais ce qu’on a semé va fleurir, s'accomplir, arriver - même si l'on n’est plus là, en train de diriger, de le soigner, l’arroser, disait-il.

Le temps est venu pour nous d’aller ailleurs, en avant, on a réussi à apporter ce petit mieux qu’on peut espérer et d’autres choses nous attendent, m’attendent, intéressantes, merveilleuses. Bien sûr, ce n’est pas toujours visible, bien sûr ce n’est pas trop agréable de lutter et d’être arrêté par des intrigants sur le chemin. Mais il y a tellement de voies. Tellement plus riches. La vie va m'en trouver, et moi, je lui donnerai un coup de main.

Nous avons créé le cours de troisième année avec François. Encore une improvisation. Chacun de nous, lui, Lionel et moi, à sa manière a apporté et a contribué à cette réussite. Et les briques sont tombées merveilleusement, comme si on avait répété, planifié le tout en détail, longtemps à l'avance. Pourtant on y a ajouté beaucoup de choses que nous avons appris seulement les dernières semaines et préparées juste quelques jours auparavant. C’était un excellent travail d’équipe, aucun de nous n’aurait si bien pu le réussir sans les autres. C'était enrichissant et m’a convaincue que je suis bonne pédagogue. Il faudra vraiment écrire ce cours, en faire un livre. Comment? Avec qui? On verra.

Ce cours me parait le plus positif pour moi pour cette année.

Quel progrès j’ai fait depuis ! Ça, c’est quelque chose de valable.

Oui. Trash ne voulait pas me laisser y aller, mais s’est rendu compte que je ne céderai pas là-dessus, c’était trop important pour moi. Est-ce un signe? On verra. Qui vivra, verra. Avec le temps, la vérité apparaîtra.

L’opportuniste fait ce qui lui parait le mieux momentanément. Lui suis-je utile ? Plutôt comme bête noire que comme conseillère!? Je commence à penser à tout cela avec détachement. C’est bien.

« Étudie autant que tu peux », me dit Stéphanie. Elle est très optimiste pour l’avenir de mon travail, mais pas ici, pas à Cnam. Bon, on verra.

Aujourd’hui j’ai eu beaucoup de chance, j'ai trouvé des déménageurs pour Bip. Je pensais devoir travailler deux semaines même avec l’aide de la famille et des amis pour en finir et tout vider. Ils le feront à notre place en une seule journée. Ainsi je pourrai me reposer, me soigner, m’amuser, nous pourrons nous promener, nous aimer jusqu’à la fin de l’année!

Bonne fin d’année!

Cette année 1992 a été aussi l’année Minitel rose pour François. Non, ceci ne nous a pas rapproché l’un de l’autre. Hélas. Mais la vie, dixit Stéphanie, est ainsi : quand on croit trop que tout va bien, qu’on est trop heureux et trop sûrs de nous, bang ! un coup sur la tête pour nous réveiller, pour nous apprendre à être moins orgueilleux, moins plein de nous. Nous rappeler que nous ne sommes pas “mieux que les autres”. Voilà.

J’espère que la vie trouvera qu’elle m’a donné assez de leçons pour le moment et s’arrêtera. Qu’au moins ce qui est entre nous restera, sans se casser. Ni lui, ni moi nous ne trouverons mieux, nous le savons. Mais ce n’est pas assez. Le cœur doit être là aussi en entier et non pas en petits morceaux et cela de la part de l'un comme de l'autre. J’espère toujours.

Je sens que le mois de janvier sera décisif, d’une façon ou d'une autre. L’année prochaine : m’occuper de ma santé, maigrir, me reposer, réfléchir, me détendre. Vivre.

Bonne nuit, Julie.