22 décembre 1975

Je me suis coupé et coloré les cheveux, je me suis bien reposée, j'ai meilleur moral et je parais même plus mince.

J'ai pitié de Sandou. J'ai du être carrément vache, tant que j'avais eu peur qu’il ne veut pas déménager. Regretterai-je jamais, ce que j'ai décidé ? C'est fantastique avec quelle tranquillité j'ai pris quand il m'a déclaré: «Je me suis couché avec toi seulement quand j’ai senti que tu le voulais, seulement pour toi

J’écrirai dorénavant encore plus tranquillement à Ab, et ce n’est pas important ce qu’il me répondra, s'il m'écrira ou non. Il ne faut pas que je m'occupe tant de lui, non plus, même s’il restera pour toujours “mon troisième homme.”

Bonne année ! à Julie nouvelle, ancienne !

Heureux comme des enfants

12 décembre 1975

J'ai découvert en quoi nous nous ressemblions, Ab et moi.

Lui aussi, moi aussi, nous savons encore être heureux comme des enfants, avoir de la joie, subitement avec toute l'intensité, sincèrement, vraiment, “purement,” comme seulement les enfants savent rayonner, éclater de joie d'un coup, pour un cadeau ou d’un bon mot et être tout à fait dans le moment. Malgré tout qui c’est passé dans nos vies, nous ne sommes pas devenus des adultes froids, méprisants, cyniques et il nous est resté le don de se rapprocher instinctivement, "en se regardant simplement dans les yeux. C’est ainsi que commencent les vraies sympathies. Ce qu'on aperçoit alors, c'est vrai, plus vrai que ce qu'on “apprend” plus tard de l'autre. Et je ne me suis pas trompée.

Mais attention, ne pas vivre complètement dedans !

C’est un rêve lointain, impossible d'atteindre et non seulement à cause de la distance qui nous sépare[1] ! C'est bon de savoir qu'un homme comme lui existe. Même si celui-ci, n'est pas pour moi.


[1] Il était marié, père de deux petits enfants. Mais il a beaucoup compté dans ma vie: c'était mon troisième homme. Et je l'ai rencontré encore une fois une année plus tard à New York.

28 novembre 1975

Comme si ce n’était pas une semaine qui s’était passée depuis, mais une année ! Tout me paraît si lointain d’un coup. Mais je ne devrais plus penser au passé, même si c’est resté un joli souvenir, mais vivre dans le présent. Pas dans le futur, non plus.

Au moins, à cette occasion, j'ai rompu définitivement avec Sandou.

Après ceci, c'est plus facile d’être gentil avec lui et le regarder avec bienveillance et pas avoir peur que je pourrais lui succomber encore. Tant que je sentais que tout n'était pas rompu entre nous, j'étais franchement désagréable, je le craignais, il se promenait devant moi presque nu dans l’appartement (il n’avait pas encore déménagé) et je le fuyais tant que je pouvais. Dorénavant tout cela s'est envolé, emporté par le vent (avec les souvenirs de cette merveilleuse soirée et nuit.)

Je sens encore mieux la raison de mon divorce : la vie m'apporterait encore quelque chose, sinon elle n'aurait plus rien apporté d’agréable. Du point de vue des sentiments, ma vie était sèche.

Je ne suis pas celle qui, quand elle s'aperçoit, qu’on n’a plus rien à faire, attend quand même et se contente même des morceaux jetés par terre ! Et quand, même les morceaux n'arrivent plus ! S’il ne peut être heureux avec toi, s’il ne peut te donner même autant de gentillesse qu’à une inconnue qu’on rencontre pour quelques heures…

Mais savait-il en donner autant ? Ne l'ai-je pas choisi neutre, pour que je puisse m'en séparer s’il le fallait ? pour ne jamais souffrir comme ma mère ? Ce n'est pas si étonnant ce qui m’arrive, finalement je n'ai eu que ce que j'ai semé. Mais je l'ai aimé pourtant longtemps : aujourd'hui c’est vraiment fini, tout à fait fini ! Il y a quelques semaines, je me disais encore 'il me montre son beau corps bronzé et athlétique comme un gigolo'. Hier soir, il m'a dégoûté, je me sentais mal physiquement en l’apercevant presque nu.

Tous les hommes ne vont pas être aussi parfaits qu’Ab, mais je connaîtrai d’autres, pourquoi pas, et surtout, de nouveaux univers, autres vies et pensées divers. Les hommes sont différents, même s’ils se ressemblent par ailleurs.

Je commence à croire vraiment qu’il y a encore quelqu’un quelque part qui peut me plaire. Mais bien sûr, il ne faudrait pas me cacher dans mon trou et attendre qu'il vienne me trouver là-bas, (ne pas attendre que ça tombe tout cuit dans la bouche, comme dit un proverbe Hongrois). Sortir autant que possible, rechercher de la compagnie, circuler.

25 novembre 1975

Du 21 au 22 Novembre, j'ai complètement changé.

Il y a des choses qu'on ne peut pas croire, qu'on ne peut pas sentir, comprendre, tant qu’elles ne nous arrivent pas à nous.

D’abord, ma confiance en moi est revenue : je peux encore plaire, beaucoup, et même un homme sérieux, sympathique, intelligent, chaud et tendre peut encore avoir envie de moi.

Peut-être personne n'a été encore si intensivement heureux avec moi, grâce à moi, comme un enfant recevant un cadeau ! En plus, j’ai compris la magie de Paris, pourquoi c’est la ville d’amour, pourquoi on l’adore et pourquoi les amoureux s’en souviennent toujours. Et aussi, qu’on peut être amoureux, (même les femmes !) juste pour quelques heures et sans se soucier du reste, sans penser au passé ou l’avenir. C'est presque incroyable, mais c’est vrai, ceci m'est arrivé vraiment ainsi et j'ai été vraiment, complètement heureuse et c’était beau du début à la fin.

Que cela puisse exister, que quelqu'un si charmant, agréable, gentil puisse me rendre si heureuse, d’un coup et sans passé ni avenir... Peut-être était-ce aussi parfait parce que ça a duré seulement quelques heures, une journée ? !

Cela m'a fait tellement de bien après tant d’années que quelqu'un a été heureux avec moi de nouveau, m'ait embrassé chaleureusement, s'est endormi en me serrant dans ses bras et heureux, que je sois là.

Le matin il m'a mis devant le miroir, j'avais vraiment un visage si heureux et si transfiguré que je ne me suis presque pas reconnue! Depuis 5 ans ou même plus ? je n'ai plus été comme ainsi.

Donc ce n'est pas l’âge, la graisse etc. qui importe, mais surtout l’attitude, le sourire, le regard, les caresses. Et l’on peut se sentir tellement bien ensemble d'un coup, être si heureux tous les deux l'un de l'autre, en même temps et réciproquement.

C’était pour moi un événement neuf et inoubliable, exactement ce dont j'avais besoin maintenant pour me remettre complètement sur mes propres pieds ! C'est vrai, c'est moi qui l'a provoqué, cherché, mais il a réussi à merveille et cela je le lui dois à lui. Merci Ab et adieu. Une fois, par hasard, mais c’était tellement bon. Parfait.

Je suis devenue différente depuis. Bravo !

— Sais-tu, que je ne connais pas, même pas ton nom !
— Tu connais ma main, mes yeux, c’est le plus important. Moi. Le nom n’est pas l’important ! me répondit-il.

Oui. On peut donc éveiller l'illusion d’amour d’un coup même pour quelques heures. Mais peut-être finalement, est-ce que c’était si intéressant et beau, parce qu’aucun de nous ne savait ce qui arriverait, et c’est la surprise qui a fait son charme ?

Je me vois encore dans la voiture, après toute notre longue promenade à Paris puis le Butte Montmartre. Arrêté devant l’hôtel de Ab, je ne voulais proposer de monter et il craignait le proposer. Finalement, après presque demi heures je crois de baisers en voiture, il s’est décidé. Heureusement. Que je me sens bien dans tout mon corps. Et âme !

Je dois faire de la gymnastique et à nager régulièrement. Je me sens si bien dans mon corps.

La vie est belle !

14 novembre. 1975

Mais non, je n’aime plus Sandou ! Et c’est tant mieux que Pierre se soit défilé, ainsi je ne sors pas d'un écueil pour tomber dans un autre. C’était une bêtise tout ça, heureusement c'est terminé, ça aussi. L’important est de devenir et de rester indépendante, libre et d’attendre tranquillement ce qui arrivera.

« All the king's horses and all the king's man can't put the past together again .“ (On ne peut pas réchauffer un passion refroidi. Ce qui est cassé, est cassé à jamais.)

Combien je dois à Dale Carnagie :
« On ne peut pas changer le passé, pleurer dessus ne mène à rien. On peut modifier seulement les effets de ce qui s'est passé mais pas l'événement. »

Donc, je ne peux pas modifier ma vie ancienne, ce qui s'était passé, je ne le voudrais même pas, ni le bon, ni le mal. Essayer plutôt de l’analyser et en tirer des enseignements. Pourquoi s'est passé de cette façon, ce qui a été mal ou pourquoi cela parait comme tel ; pourquoi Sandou s'est comporté ainsi et pourquoi je l'ai supporté. Et, surtout, attention, de ne plus y tomber !

Sandou me dit, comme toujours, que pour lui «coucher avec une autre femme ne comptait pas plus que changer une chemise.» Hélas, il l’a dit et en a changé tant de fois ! Et puis, il soigne et s’occupe tellement de ses chemises…

La différence entre nos façons de voire la vie et la vivre, et de nos conceptions de mariage est trop grand. C’est assez. Penser à l’avenir.

Qu'est-ce que je voudrais ?

Être indépendante, vivre tel que j’ai envie. Ça vaut la peine de supporter aussi ses difficultés ; Attendre avec patience, cela arrivera! Surtout, ne pas tomber rapidement sur quelqu'un d'autre !

Faire attention, mieux choisir dorénavant, si possible ne pas me dépêcher. Utiliser tout qui arrive tant que j’aurai de l’énergie. Il existe tellement de choses intéressantes et belles dans la vie! En profiter, vivre! Penser au futur quand je vivrai comme je veux. M'occuper des enfants. Mais attention, sans exagérer.

Ne pas m'occuper plus de Sandou que les apparences le demandent à cause des enfants. Le reste, c'est son affaire, sa vie. Fini, pour moi c'est un chapitre fermé. C’est suffisant d’être poli. Et ne pas me disputer devant les enfants, en aucun cas.

De 1968 — 1975 cela fait 7 ans de trop ! (De 1966 c'est même neuf), de toute façon assez long pour tirer enfin des conclusions : « On ne peut pas faire un contrat d'amour », effectivement, tout comme il me l’affirmait déjà il y a neuf ans. On ne peut pas réchauffer non plus une passion refroidie, j’en ai l’expérience maintenant, son frère Traian avait raison nous le dire en 1970, alors je ne le croyais pas.

Regarde seulement en avant, pas en arrière, Julie !

Et puisque pour moi l'illusion d'amour est encore importante pour les rapports sexuelles, on ne peut pas, on ne doit pas continuer ce mariage. N’aigris pas, ne pleures pas sur le lait renversé, penses seulement à ce qui arrivera !

Le premier pas avait été Pierre, il y a 6 ans, mais Sandou n’a pas admis les conditions de réciprocité entre nous (lui il avait le droit d’avoir plusieurs amantes, moi personne.) Il m'a joué alors le grand amour revenu et il a détruit mon merveilleux lien avec Pierre. J’ai du le quitter. J’espérais encore pouvoir refaire notre famille, mais ça n’a pas marché, et pas seulement à cause de moi, il n’a pas tenu sa parole. Moi, tenant ma promesse, n’ai eu aucun contact avec Pierre et n’ai pas regardé un autre homme depuis tout ce temps. Sandou a bien rompu avec sa maîtresse d’alors, seulement pour en trouver une autre plus tard, encore plus jeune d’ailleurs. Tant pis, au moins cette fois-ci, il ne peut pas me rejouer la même scène, puisque je ne le crois plus sincère et j’ai l’expérience. Donc finir, divorcer. Il n’y a pas d’autre issue.

En plus, essayer sérieusement les anciennes techniques :
  • • être plus indépendante,
  • • ne pas donner trop d’importance d’opinions des autres,
  • • volonté et davantage de réflexion,
  • • être plus attentif aux autres (mais pas envers Sandou !),
  • • laisser s’approcher seulement ceux avec qui il ne faut pas tout le temps lutter,
  • • me retenir, laisser attendre,
  • • regagner ma tranquillité psychique, me revaloriser.
Tout s'achève. Même l'attachement envers Pierre est fini.

En réalité, ces derniers jours, c'est cela qui m'a causé le plus de chagrin, mais je ne me le suis pas avoué, même à moi-même. Pierre a raison, c’est fini, définitivement. C'est bien que cela aussi, soit passé. Mais pendant la traversée du désert, les années de mariage vides, c’était bon de rêver qu’il existe quelque part, quelqu’un.

Rencontre à Senlis

Souvenir

Le visage de Pierre était plus marqué que dans mes souvenirs, ses cheveux plus gris.

Merci, Pierre de m’avoir rendue à moi-même, cette après-midi brumeuse d’automne dans la forêt de Senlis. M’avoir donné un seul baiser qui m’avait soudain rappelé tout mon amour, nos amours de il y a sept ans, me rappelait de nouveau pourquoi je t’avais tant aimé, jadis.

Puis tu m’as dit : « Je dois rentrer, adieu ! »

Par ces mots tu m’as signalé qu’on n’ira pas plus loin, aussi loin que j’étais toute prête à aller avec toi, ce jour pluvieux d’Octobre. C’était fini, tout ce qui a été, aujourd’hui est enterré, enfui, terminé à jamais.

Je t’en voulais alors, mon cœur saignait. Tu te dérobais.

J’avais rêvé pendant sept ans de cette rencontre et jamais cela ne se terminait ainsi. Dans mes fantasmes, tu me prenais dans tes bras, tu me demandais comme chaque fois « Puis-je ? », tu me faisais l’amour. Avec fougue, tendresse comme autrefois.

J’ai dû me réveiller ce soir-là. Fantaisie et vie, Julie ! il ne faut pas les mélanger. Et c’est à partir de ce moment-là que je me suis mise sur mes propres pieds. J’ai commencé à faire face.

Pendant sept ans, sans nous voir, sans nous parler, sans nous écrire, je me sentais toujours à toi... Ta fiancée. Je gardais la bague de zircon à mon doigt. Ton seul cadeau que j’avais accepté, me liant ainsi à toi. Le soir même, en revenant de Senlis, j’ai retiré cette bague, comme j’avais retiré un mois auparavant ma bague de mariage, rompu mes liens conjugaux.

Je n’étais plus fiancée à toi, comme je n’étais plus mariée à Sandu, qui vivait encore, à cette époque-là, sous le toit de même appartement que moi, mais en fait depuis des mois déjà, dans une chambre bien à part. Je les sentais aussi éloignés de moi, dorénavant, lui et toi.

J’ai pleuré, j’ai fait le deuil de mes rêves d’amour, de bonheur.

Je suis restée seule. Non ! Pas seule ! Avec mes enfants. Avec mes amies. Mon travail. Non, hélas, rapidement aussi sans travail. Avec mes études que je me suis efforcée à terminer rapidement. L’argent de mon père, la chaleur de mes enfants et l’encouragement de mon amie Stéphanie m’ont aidée à le terminer. Puis partir.

Repartir d’un nouveau pied, dans une nouvelle vie, nouveau pays.

Merci Pierre, de cet « adieu » définitif et ferme, cet adieu qui m’a lancée, m’a poussée à marcher sur mes propres pieds.

***

Seulement plusieurs mois après avoir vécue seule, après que j’ai pleuré ses rêves perdus, me suis-je rendu compte qu’enfin, j’étais libre.

Libre de vivre telle que j’aimais aimais, libre d’écouter la musique qui me plaisait, libre de manger les plats comme dans mon enfance, libre de lire ou étudier toute la nuit. Et un jour, peut-être...

J’avais gagné surtout la liberté d’espérer de nouveau.

23 octobre 75

De jeudi à vendredi, j'avais enfin écrit la lettre après tant d’années de silence. Ce n’était d’ailleurs pas un lettre, mais un récit avec suites. J’y ai mis mon cœur, mon âme, comme s’ils étaient partis en même temps que ma lettre. Je me sens vidée de mon amour, mon enthousiasme et mes flammes passées. Ils se sont envolés et je suis restée ici, fatiguée, et vide.

C'est ainsi que la femme écrivain avec qui je corresponds doit se sentir chaque fois que son nouveau roman est fini et envoyé, un récit dans lequel elle a mis tout, trop de soi.

Avec le temps qui passe, je deviens plus fatiguée, et étant épuisée je deviens plus faible.

Je devrais le rencontrer. Au moins, une fois. Je l’appellerai. Ou à la fin de la semaine prochaine je devrais aller en excursion lui rendre visite, le voir à Ham. Même si ce serait un peu "fictif", forcé et sans la flamme d’antan (même préférable), au moins notre rencontre me donnerait un peu du courage et de la force pour résister encore quelques semaines.

J'ai vraiment une seule envie : dormir, dormir et que je le puisse, qu'on me laisse. Mais le soir est encore loin et je dois encore faire tant.


Il s'agit de lettre et rencontrer Pierre avec qui je n'avais plus eu aucun contact depuis mon départ de Ham, plus de cinq ans. Mais il était toujours dans mes rêves.

Le soleil me sourit

La nature m’a aidé à rebondir, j’en ai puisé de force, j’ai tiré du plaisir.

Une après-midi pluvieux, une femme revient après ses courses. Conduisant sa voiture les yeux inondés des larmes, elle ralentit de plus en plus. Tout est sombre en elle comme autour d’elle, se dit Julie. Le ciel pleure aussi. Ses enfants à l’école encore, elle ne doit pas se dépêcher. Personne ne l’attend, elle vient se séparer de son mari. Sa vie de femme est terminée, se dit Julie, ses espérances déçues, elle va déjà vers quarantaine. Son corps élancé jadis, s’est abîmé par les naissances, une opération et par le chagrin - elle a pris trop de poids, au lieu du 52 habituelle, elle était à 62.

— Il a raison Sandou, se disait-elle, personne ne voudrait plus de moi, je vivrai dorénavant seule, toute ma vie.

En revenant en voiture des Ullis, un rayon de soleil l’aveugle, elle lève la tête, le soleil commence à transpercer les nuages gris, la pluie s’est arrêtée, les nuages se défont, elle devient rapidement rose - bleu, une symphonie des couleurs. Le bonheur se joue dans le ciel qui l’éclaircie lentement devant elle.

— Que c’est beau, se dit-elle le cœur rempli de tant de beauté.

Elle arrête sa voiture au bord de la route pour admirer ce cadeau inattendu de la nature, elle essuie ses larmes, son âme apaisée. Elle observe les arbres fleuris resplendissant dans cette lumière rose, diffuse.

— Peut-être bien, je n’aurais plus plaisir d’un homme, mais j’aurai encore énormément des joies. Les bonheurs la nature m’en offrira tellement. Et la musique, les poèmes. Même si tous les hommes m'évitaient, la nature restera là, autour de moi, aussi pour moi, elle me sourit, me fait signe, me soulage, m’enchante.

Une coucher de ciel modifiant sans cesse le couleur des nuages, un ciel étoilé tiède, une rose sur mon chemin. Il y a encore de l’espoir !

— Ma vie n'est pas encore finie !
Je n'oublierai jamais ce ciel ni surtout tout qu'il m'avait apporté de courage pour le futur.

19 octobre, 1975

Le pire c’est que je l'aime encore. À cause de cela je souffre toujours, j'ai tellement de chagrin. Et, même je ne l'aimais plus, je regrette toujours qu’il ne m’aime pas, que les choses ne soient pas allées comme je l'espérais, qu’il ait tant changé.

Attention il s’agit de ma vie ! Maintenant, il s’est glissé dans la peau d'un mouton, mais dedans il est resté le même ! Comme c’est dur, heureusement c’est seulement moi qui sais que je ne reste pas aussi froide que je le voudrais.

Cette semaine, m’occuper des études de mon fils, de la préparation de l’anniversaire de ma fille, de mon travail de doctorat. C’est vraiment assez. Surtout, ne pas m’énerver !

Vendredi, après avoir envoyé à Pierre ma lettre, sont partis aussi avec elle les rêves sur lui. Pourtant, j’ai toujours su que c’était juste un mirage, du sable mouvant, et qu’il n’était pour moi. C’est mieux ainsi.

Je ne porte plus aucune de mes bagues, ni l’alliance de mariage que Sandou m’avait donné il y a 15 ans, ni la bague de zircon (imitation diamant) qui me faisait sentir être la “fiancée de Pierre”, il y a six ans, le seul cadeau que je lui ai permis de me l’offrir.

Je dois me remettre sur mes propres jambes, me débrouiller seule, ne pas aller de l'un à l'autre (même si là, à l’époque, le miel était plus doux).
Je pleurai, je pleurai, mais pas d'amour pour Sandou ou Pierre. Je pleurai sur mes espoirs decus, sur mes rêves définitivement envollés. Je ne savais pas à l'époque ce qui me faisait tellement mal, d'avoir dû définitivement reconnaître que je me suis trompé et que ma vie ne va pas se dérouler tel que je l'avais imaginé. Je ne savais pas que pleines des choses merveilleuses m'attandaient après le coin.

Photos et regrets


Sandou en 1975 après la décision de divorcer, dans notre salon du Gif sur Yvette, en essayant me reconquérir encore une fois (en vain), mais physiquement, probablement, je le désirais encore toujours. Et il le savait.

Famille blue jeans près de Lac de Garde, avant le départ de Sandou en Roumanie: Sandou, Julie, Lionel, Agnès. Il voulait conserver famille et maîtresse (s) en même temps et n'attendait pas à rénoncer à aucun.

Sandou avec Agnès quelques années avant (mais il n'avait pas changé encore tant que ça)et dans mon esprit d'ailleurs, il restera toujours ainsi.

Tenir!

10 octobre 1975
Tenir ! Tenir, même s’il essaie maintenant d'être gentil, tout faire pour me plaire, miroiter devant moi son corps bronzé, musclé, et faire tout comme je le “veux”. Ne pas m’attendrir. Rester de marbre, au moins en apparence.

Ne pas oublier non plus, que la photographie de cette jeune femme est toujours dans son portefeuille(1), ni qu’il est sorti tout l’argent restant sur notre compte dès notre première discussion.

Ne pas être avec lui plus qu’il le faut ; par contre bien m'occuper des enfants et ne pas leur faire sentir mes tourments !
Il a eu une horrible migraine et des vomissements, j'ai dû l'emmener à l'hôpital et là, on m'a demandé ses papiers. En cherchant son papier de secu et carte d'identité, j'ai tombé sur le portrait de la femme qu'il avait juré ne plus l'aimer, ne plus y tenir, le portrait qu'il portait toujours sur son coeur, dans son portofeuille. Si j'aurais eu le moindre hésitation avant, cela m'eut décidé définitivement.

9 octobre 1975

« Raccroche ! » Je ne croyais pas que j'avais si peu changé et lui non plus. Dommage que je sois devenue si grosse. Depuis hier, Sandou a recommencé l'attaque en étant « doux », il faut contrer son assaut. Curieusement, mes amies sont contre lui encore plus que moi. Attention, ne pas tomber d'un écueil dans un autre. Ne pas lui montrer non plus, autant que je peux, combien j'ai besoin de sa signature. Le prochain pas, que ce soit lui qui la demande, s'il le veut. Ne pas lui raconter trop. Faire attendre, se défendre et ne pas oublier les conseils de mes amies. Suivre le chemin sûre de moi, non pas comme une poule mouillée !
J'avais pris tout juste dix kilos de plus, j'avais alors 62 (trente moins que maintenant), mais je me voyais grosse et vieille relative à sa maitresse svelte de 18 ans

28 septembre, 75

J'ai appris quelque chose il y a cinq ans, je l'ai payé assez cher, comme il faut tout payer. « On ne peut pas revenir en arrière ! » Au moins cela, il ne faut plus l'oublier ! Je l'ai payé par sept ans et trop de chagrin, tristesse, espérance envolée.

Attention ! Ne pas recommencer les mêmes bêtises ! Sois forte, ne te laisse plus détruire, tiens à ta décision de divorcer.

Je suis au bord d’une dépression nerveuse mais je n'ai pas le droit : maintenant c’est hors de question !
Sandou a recommencé son opération "séduction" et se baladait devant moi avec son corps juste en costume de bains et son corps d'atléthe bronzé devant moi. J'ai une photo de cette époque, heureusement, je ne m'y suis plus prise dans ses "gentillesses", son côté agneau et beau garçon qu'il voulait d'un coup me montrer.

29 sept 75

J'ai toujours su combien peuvent être fantastiques ceux dont on s'attend le moins. Aux croisés des chemins de ma vie, je constate de nouveau que je ne suis pas aussi seule que je le croyais. Extraordinaire !

Stéphanie, mes collègues, ma fille… m’épaulent.

Je ne comprends pas pourquoi je suis dans un tel état nerveux bien que tout aille bien, au moins, mieux ? Ce n’est pas bien, je n’ai pas le droit de me laisser aller !

27 sept. 1975

(Notes écrites, avant de parler avec mon avocat et recopiés alors dans mon journal.)

En vérité :

• Sandou m’a frappée plusieurs fois. Il m’a même fait dégringoler l’escalier pendant que j’étais enceinte de six mois avec mon fils. Une autre fois il m'a jeté par terre puisque je me suis mis sur son chemin quand 'il voulait frapper ma fille avec son ceinture de cuir. Récemment, deux jours avant la visite de mon père, il m'a fait un œil au beurre noir «Tu ne te comporte assez bien avec mon frère». Il essayait depuis des années de m’abaisser par tous les moyens et tyranniser toute la famille.

• Il a eu une aventure de plusieurs années avec une femme mariée et jeune, souvent ne supportant même pas, pendant ce temps, que je le touche. Après notre arrivé à Paris, il a commencé à m’injurier pire, m'abaisser et me dire qu’il ne m’aimait plus et "si mon comportement ne te plaisait pas, tu n’as qu’à divorcer". Mais je n’avais plus, depuis que nous habitions près de Paris, le moyen de subsister avec les enfants seule.

• Il me reprochait mon bas salaire tout en parlant ironiquement : «Et ta qualification supérieure ? » Il se moquait de « l'intellectuelle, éternelle étudiante». Il disait que je n’étais bonne à rien, j’élevais mal nos enfants (je ne leur inspirais pas assez de crainte, je ne les «disciplinais» pas assez à son goût), je ne faisais pas assez bien la cuisine, que je ne conduisais pas assez rapidement la voiture... Et il supportait de plus en plus mal que j’étudie, bien que je travaillais en même temps et gagnais presque autant que lui. Il se moquait : «Tu ne sais aucune langue comme il faut.»

• Il me répétait, qu’il ne m’aimait plus. Toutes ses vacances, il le passait en Roumanie pour sortir avec des jeunes femmes. Même quand nous allions avec lui, il sortait, me laissant à la maison. Une fois, une des femmes de la bande est même venu à l’intérieur demandant pourquoi il tardait à venir.

• Il injuriait les Hongrois devant les enfants et se moquait même des « juifs martyrs ». Il m'empêchait rencontrer mes amies, les considérant toutes « des putains ».

• Quand j’ai travaillé à cinquante kilomètres de notre domicile et il rentrait tôt, il ne s’occupait pas ni des devoirs des enfants, ni de préparer le dîner pour la famille. Il m’aidait fort peu.

J'ai peur qu’il me prenne mon fils ! Il m’a menacé déjà : « Si tu as trop de prétentions, je prends le fils, toi la fille et je ne te dois plus rien. »

Et j’ai peur qu’il ne veuille pas me laisser tranquille : «Je peux changer d’avis quand je veux, me dit-il »

26 septembre 75

Sois forte, tiens, ne te laisse pas abattre, ni convaincre. Ceci est la dernière “chance” de ta vie pour pouvoir vivre normalement et d’après ton goût. Si je ne le fais pas maintenant, il sera trop tard et je serai tout à fait brisée, complètement détruite. J'ai le temps encore de changer ma vie et aussi la force, la volonté et les conditions pour la réussir. S’accrocher ! Tenir ferme !

Je viens de relire les deux premières pages de ce journal. Comment ai-je pu souffrir comme une idiote 7 + 2 = 9 années à cause de lui ! ?

Ce qui est bien, est que cette fois il n'y a plus vraiment de bonheur abîmé - seulement mes dernières illusions sur lui envolées. Et je peux me réjouir encore profondément des nuages rose orange aperçus dans le ciel, de l'air exquis et de la rose sur mon chemin. Un malentendu de 15 ans se termine.

Il est temps de passer à travers toutes les difficultés, “au-dessus des vallées et des collines” avec mes poings serrés, mais souriante. Ne plus cacher mes journaux, pouvoir écrire. Depuis que je n’écris plus, ma vie s’en est allée, sans que je puisse me souvenir, avec quoi ! ?

Raccroche!

25 sept 1975 Gif sur Yvette (nous avons déménagé)

Le temps passe et j'ai déjà 41 ans et pas 27 ni 35. Déjà alors, je ne me sentais pas jeune et déjà alors, mon mari séduisait des femmes de vingt ans, il le fait encore et de nouveau. Je crois que le temps est vraiment arrivé de mettre une fin à tout, maintenant, quand je peux dire encore et peut-être la dernière fois, que j'ai seulement 41 ans. Ceci ne sera pas facile, mais cela ne vaut vraiment pas la peine de continuer dans ces compromis.

Peut-être trouverai-je encore un homme qui me rendra heureuse, peut-être non, mais au moins, je ne serai pas malheureuse à côté de quelqu'un qui encore avant-hier m'a dit qu’il ne m’aimait pas, que je n’étais pas capable d’aimer, qu'il ne m’estimait pas, n’avait pas confiance en moi et que pour lui je représentais seulement une femme parmi beaucoup d’autres femmes.
Sandou a “arrangé” nos dernières vacances sans me prévenir, me laissant à l’attendre en Italie sans voiture pendant deux semaines, en partant subitement, encore une fois sans moi, en Roumanie.

Aujourd'hui, je viens de trouver une lettre d’amour par terre, une lettre écrite à mon mari par une jeune femme de Roumanie, la fiancée de dix huit ans du fils de sa cousine, elle lui parle des projets communs pour l'avenir.

Sandou m’a répondu cyniquement là dessus ce matin :
« Bien sûr je peux m'amuser un peu, en tournant la tête des filles. »

Avant-hier, il m’avait dit que cela lui était égal, si je n’étais pas contente de notre relation telle qu’elle je n’avais qu'à divorcer, il partirait dans « la minute même où je le lui dirais », il veut seulement être tranquille et que je le laisse en paix, le reste lui est indifférent. Il veut seulement silence.

Vraiment, vraiment, on peut pas continuer ainsi et je serais folle à lier si je supportais, avalais tout ça.

Julie, il faut maintenant être courageuse et sauter dans le vide !

Je ne dois pas laisser la peur m’envahir de nouveau, je ne peux plus continuer ainsi, sinon cette fois il me détruira complètement et irrémédiablement.

Déjà, à cause de ces derniers mois il me reste très peu de mon ancienne confiance. J'ai pourtant tout fait, vraiment tout pour qu'il m'aime de nouveau, j’ai même essayé de satisfaire ses envies sexuelles les plus terribles. Et cela m'a amenée à quoi ? Qu’il me méprise, me déconsidère et dit (et pense) de moi des choses fausses, probablement il me hait aussi.

Vraiment, je ne vais pas continuer toute ma vie à vivre ainsi, à être son bouc émissaire. Non ! Courage !

Je dois admettre que bien que j'ai tout essayé, vainement, il ne tombera pas amoureux de moi de nouveau, en plus, il n'est pas honnête et il ne me respecte plus : c'est donc assez, assez ! aussi dur et douloureux que ça soit.

Les années sont passées


Je n'ai pas écrit presque rien, ou vraiment très peu pendant cette période dans mon journal, mais les années se sont passés et beaucoup des choses sont arrivées dans ma vie et celle de mes enfants.

Mon fils, de deux ans en 1968, eu huit quand nous étions à Eabonne plus Gif sur Yvette, et ma fille, avait quatre ans de plus.

Moi, un diplôme de CAP informatique, difficilement gagné et dont j'étais très fière, plus en fait que de DEA Chimie Physique que très difficilement, mais j'ai réussi à obtenir aussi, passant une année à travailler, faire le trajet de 100 km aller et 100 km retour, et étudier et avoir soin de mes enfants en même temps. Tout cela m'a permis de préparer un doctorat, alors il ne fallait plus aller suivre des cours, mais le rest continuait.

Une fois, que nous avons changé de logement et j'ai travaillé près de mon lieu de travail, j'ai gagné quatre heures de vie, consacrés aux enfants et aux études. Nous sommes arrivés ainsi de 1968 ou 1970 en 1975.

C'est alors, la grande décision prise, que j'ai repris mon journal.

Déchirure

Les mêmes événements, décrits différement, quelques années plus tard que j'ai écrit "lac de garde" toujours en troisième personne, c'était plus facile à m'avouer à moi et à vous des vérités plus profondes.

Il faut un certain recul pour écrire des événements douloureux dans la vie. Vingt cinq ans, est-ce suffisant ?
Quand on demandait à Julie pourquoi elle a divorcé, elle répondait « mon mari était infidèle ». Quelquefois, elle ajoutait qu’il le dépréciait, l’humiliait, se moquait de son envie d’étudier.

Pour ses amies, elle raconta même en détail le jour, plutôt la nuit, quand elle s’est décidée à divorcer. « Je suis sortie au toilettes et là, par terre, j’ai trouvé une lettre. Sandou ne dormait depuis longtemps dans le même lit, ni la même chambre, d’abord il avait déménagé dans le salon, près de chambre à coucher, puis, comme j’avais découverte qu’il buvait des boissons forts en cachette, pendant la nuit, il a pris la chambre de notre fils, encore plus éloigné de la mienne. »

Après une pause, elle ajouta :
« Cette lettre parlait des projets d’avenir entre une jeune femme et mon mari. Elle lui écrivait que ce qu’il avait imaginé, lui paraissait trop compliqué et qu’il faudra faire quelque chose de plus simple pour qu’il puissent vivre enfin ensemble. Projet d’avenir ? J’avais déjà 45 ans, je n’attendrais pas davantage pour refaire ma vie, moi aussi à ma guise. Mais quand je veux, pas quand il se décide. »

Elle avait encore peur de son mari et surtout, qu’il veuille lui prendre son fils.

« La fille pour toi, le fils pour moi » dit-il une fois quand, mécontent de son comportement, elle menaçait de divorcer. « Un seul mot suffit, et je m’en vais » avait-il ajouté, légèrement, presque menaçant.

Pourtant, elle le connaissait. Il ne partira pas aussi facilement. Comme la dernière fois quand elle était décidée, il s’est accroché, l’a convaincu. De toute façon, pas question de se séparer de son fils. Ni de sa fille.

Elle relut la lettre encore une fois. La troisième fois elle regardât avec plus d’attention la signature. Elle venait de Danielle ! La jeune fiancée de neveu de Sandou, le futur ingénieur de Roumanie. Elle avait moitié son âge, leur âge. Et elle faisait déjà presque partie de la famille ! Famille ? Voilà l’arme qui lui manquait jusqu’à maintenant. Voila la pression qu’elle pourra utiliser. Sandou fera tout pour qu’elle ne montre pas cette lettre à sa famille roumaine, pour ne pas ternir son renom devant eux, lui leur préféré, leur héros.

« Et voilà, comment et pourquoi j’ai divorcé » disait Julie et elle ajouta quelquefois encore : «Pourtant, à l’époque, je croyais ma vie de femme fini, à cause de cela ».

Elle n’ajouta pas plus de détails et on ne lui demanda point.

Ses amies savait que la déchirure entre eux venait de loin et celles qui l’ont connu avant son divorce avaient assisté à la façon brutale qu’il la traitait, et si possible, elles le haïssaient davantage qu’elle, elles étaient contentes qu’enfin elle s’était décidée de se débarrasser de ce fardeau qui pesait sur ses épaules.

Julie était convaincue elle-même pendant longtemps que c’était le motif déclenchant son divorce, pourtant c’était seulement le moyen. La lettre, son sauvegarde et ceux de ses enfants. Le dernier grain de sable.


En fait, le déclencheur venait de plus loin, quelques semaines auparavant. C’était difficile à admettre même à soi-même, encore vingt ans après. Elle racontait l’incident, disant seulement : « Mon mari nous a emmené en Juillet en Italie pour nos vacances. Et après seulement quelques jours, il est parti en Roumanie, il y est resté deux semaine. »

Elle était révoltée surtout qu’on ne l’a pas prévenu d’avance, on ne lui a laissé la possibilité d’organiser ses vacances à sa guise. Pourtant, elle avait senti quelque chose de louche déjà au départ, sans lui donner trop d’importance sur le champ.

Tout le monde était dans la voiture, prêt au départ. La tente prêté par la comité d’entreprise, le petit bateau à voile acheté à 1000 francs d’occasion, attaché à leur Pegeot 404, les enfants déjà assis derrière et la nourriture pour la route à la main. Elle savait que son mari ne s’arrêtera pas sur la route, il fallait y être préparé.

Ils étaient déjà en train de sortir de la cour, quand Sandou, qui conduisait s’arrêta brusquement et demanda sa femme :
- Où sont les passeports ?
- Les passeports ?
- Oui, nos passeports, dit Sandou irrité.
- Nous n’avons pas besoin pour aller en Italie, c’est assez nos cartes d’identité. Je les ai dans mon sac.
- Va chercher les passeports !
- Pourquoi ?
- On ne sais jamais. Vas-y ! Tu n’es bonne à rien, on ne peut pas avoir confiance en toi, comme d’habitude, dit-il devant les enfants.

Julie se rembrunit et sans continuer la discussion, qu’elle savait perdu d’avance, sans attendre qu’il s’énerve encore davantage - et elle savait comment il conduira alors, comme un fou - elle alla chercher les passeports, bien qu’elle savait bien qu’entre la France et l’Italie personne ne leur demandera. Il avait décrit en détail le lac de Garda où ils allaient passer leur vacances, les premiers dans une tente.

Quand ils arrivèrent, fatigués, ils ont ouvert et, avec difficulté et fixé la tente. Presque aussitôt, elle tomba sur les enfants endormis. Pleurs. « T’es bonne à rien » dit-il, comme si c’était sa faute. Un voisin les sorti d’embarras et leur montra comment la fixer solidement. Pour un mois entier. Enfin, ils pouvaient dormir ! Enfin, il ne pouvait aller dormir ailleurs, loin, il était là, sur le grand matelas fourni aussi par la comité d’entreprise. Les enfants, séparés d’eux par un mince toile dormaient sur une autre compartiment, la grande tente permettait même d’avoir devant, un salon - cuisine couvert.

Le matin, elle prit sa fille Agnès par la main, elle devaient faire seulement quelques pas, elles étaient dans le lac en train de nager. Julie adorait nager dans un lac. Même à sept heures, l’eau était tiède et calme. C’était sa rêve pour une vacances, une rêve enfin réalisé. Il avait si bien choisi!

Le lendemain ils allèrent en voiture au marché de la petite ville italienne qui n’était qu’à trois kilomètres. Bien sûr, pas question de manger au restaurant, mais Julie était contente de préparer les repas, sur le petit réchaud devant leur tente, repas rapidement consommés, l’air, l’eau donnait beaucoup d’appétit. Différents appétits. Tout le corps de Julie se sentit revivre, s’éveiller. Finalement, ils n’avaient que quarante et quarante et un ans ! Sandou disait : «pas ce soir, les enfants ne dorment pas encore.»

Ils se sont fait photographier (la dernière de la famille ensemble: famille blue-jeans!)

Une semaine passa ainsi, plaisir d’eau dès le réveil, jeux avec les enfants, frustration le soir.

Un matin, Sandou s’arrangea pour que les enfants jouent avec les autres allemands et italiens et invita Julie à faire un tour avec le bateau à voile. À peine étaient-ils près du bateaux, il commença à chercher querelle, un motif après l’autre.

Que me veut-il se demanda-t-elle, il cherche querelle coûte que coûte, je ne lui ferais ce plaisir, je ne répondrai pas. Une fois sur l’eau, le vent les porta rapidement loin, c’était beau, le soleil brillait mais il continua à chercher querelle. Ils étaient en costume de bain et elle devenait rouge, sa peau ressemblant presque à une écrevisse. « Rentrons, s’il te plaît ». Il était magnifiquement bronzé. Et ses muscles, ses épaules ! Julie se rappela de son premier choc sexuelle due à ses muscles bronzés. Il y a presque vingt ans, et il est aussi attirant. (Il faudra regarder seulement l'image dans la photo de famille!)

Elle avait envie de les caresser.
- Pas ici ! Pas maintenant !
- Il n’y a aucun bateau autour.
- Ils peuvent apparaître à n’importe quelle minute.

Le vent s’arrêta soudain. Rien ne bougeait plus. Le bateau non plus. Seulement le coeur d’une femme battait davantage. Comment s’en sortir ? Il n’y avait même pas une rame, ni moteur bien sûr sur ce bateau.
- Nous attendrons, dit Sandou et se coucha se bronzer davantage.

Julie mit son chapeau de paille pour se protéger tant qu’elle pouvait de soleil et regarda son mari avec de plus en plus d’envie.
- C’est ta faute ! lança-t-il alors.
Se réveillant de sa fantasme, elle le regarda ébahi :
- De quoi parles-tu ?
- Nous sommes coincés, maintenant.
- Par ma faute ? ? ?
- T’as mal dirigé le bateau.
- Mais c’était la première fois, comment j’aurais pu...
Elle se tut. Pas répondre aujourd’hui. Pourtant, elle était pas loin d’exploser. Mais pas de fureur. De désir. Elle le toucha, il reculait.

Finalement, un petit vent se leva et au début d’après-midi ils purent atterrir pas loin de leur tente.

A peine ils amarrèrent, il déclara :
- Je pars.
- Tu vas où ? Au marché ?
- Je pars en Roumanie. Il ajouta : visiter ma famille.
Elle se dit, sans le prononcer « Et ta maîtresse. »
- Tu me laisses ici, sans voiture ? Avec deux enfants ?
- Je prendrai mon fils avec moi.
Bien sûr, se dit-elle, il n’a que huit ans, il ne comprendra et ne dérangera pas trop. Mais à haute voix elle dit seulement, tout en tremblant de tout son corps.
- Viens, entrons un peu sous notre tente.
- Je n’ai pas le temps.
Embarrassée, mais elle le dit finalement.
- Embrassons-nous avant de se quitter, les enfants ne sont pas ici, ne nous dérangeront pas.
- J’ai à peine le temps de ressembler mes affaires, je m’en vais dans une demi-heures. Pour une semaine.
- Demi-heure sera assez...
- Demi-heure pour mettre tout dans la voiture.
- S’il te plaît, viens !

Jamais de sa vie elle n’eut tellement envie de faire l’amour, jamais de sa vie, il ne l’a pas refusé avec tant de brutalité.
Il cria, même :
- Laisse-moi en paix, tu m’empêche à partir à temps. Ne restes pas dans mes pieds.

Une heure plus tard à peine, elle regarda la poussière que la voiture laissa après lui. Elle restât là, le coeur lourde, son désir inassouvi, l’amertume et ses pensées noirs.

Oui, c’était fini, vraiment fini. Alors, à ce moment-là.

L’eau du lac bleu s’assombrit, se refroidit, le camps devint soudainement inamical.

Quelques jours plus tard, un couple italienne s’installa près d’eux dans un camping-car. Julie ne parla pas l’italienne, l’italienne ne parla pas français, mais elles réussirent à s’entendre, à discuter.
- T’es seule ?
- Mon mari reviendra dans une semaine, il est allé voir ses parents. Avec mon fils.
Les jours passèrent, lentement, difficilement.

Le troisième jour, le beau-frère de Julie, le frère aîné et pas aimé de Sandou paru dans le camps.
- Que fais-tu ici ?
Il ne répondit pas.
Julie comprit que tout avait été arrangé depuis longtemps, ils ne l’ont pas tenu simplement au courant. Le lac, la querelle, tout. Elle se souvint alors du passeport. Ce n’était donc pas une décision soudain, comme il voulait faire paraître, en essayant à la faire sortir de soi, en cherchant querelle. Et il n’a même pas eu le décence de la préparer d’avance.

Sept jours passèrent.
- Alors, ton mari ? Je voudrais le connaître.
- Il arrive, bientôt.
- Et qui est celui-ci ?
- Mon beau-frère.
La voisine regarda avec scepticisme.

Dix jours passèrent. Rien.
- Où est-ce ton mari ?
L’italienne ne croyait plus du tout à son histoire, ni qu’elle a jamais eu un mari. Le lendemain ils partirent, sans voir l’hypothétique mari revenir. Y avait-il un ?

Le sexe était le dernier lien qui les unissait encore. Ce refus, brutal, ce départ précipité, soudain, cette horrible frustration mit fin à ses derniers liens, espoirs. Julie ne le reconnut longtemps, ne se rendit compte que plus tard, que c’est à ce moment-là qu’elle décida de divorcer, qu’elle décida qu’elle a assez supporté.

Sandou revint le dernier jour du mois, le dernier jour de ses vacances.
- Vite, préparez-vous, je dois être demain matin au travail.
- T’aurai pu revenir plus tôt, comme tu l’avais promis.
Les vacances étaient finis. Le mariage aussi. Depuis longtemps.

C’était la première fois, depuis des années, qu’elle répondit aux remontrances de son mari qui en se réveillant, lui reprochait :
- Tu n’as pas avancé que tant que ça ? Tu dors ?
- Il y avait de l’embouteillage.
- T’es bon a rien.
- Si tu crie, si tu continue ainsi, je divorce.
- Comme tu veux, dit-il en se moquant d’elle, ne la croyant pas et embrayant à fond.
Ils risquèrent avoir un accident. Elle descendit et ne voulu pas continuer.
- Tu seras capable de tuer tes enfants.
- Il est tard, viens, avec moi on va avancer. Sans accident.
Elle se tut. Il ne la croyait pas ?

Il croyait qu’elle resterai à côté de lui pour toujours, malgré tout. Mais la vase était débordé, un goûte en trop. Bien qu’elle croyait sa vie sexuelle, sa vie de femme fini elle demanda de divorcer et réussi à décider son mari.

Finalement, elle réussi à s’arracher de lui, mais n’était pas à cause de la lettre trouvé par terre cette nuit malheureuse, cette nuit heureuse de sa vie. Elle avait alors trouvé une lettre, mais son mari avait reçu plusieurs. Retrouvées, lues, traduites, trente ans plus tard.

Et la première acte de liberté retrouvé de Julie a était de se remettre à écrire librement dans son journal.

Lac de Garde, Italie

Ils partirent en vacances en Italie en 1975, à côté de Lac de Garde.

Toute la famille était déjà embarquée dans leur Peugeot 404, quand d’un coup Sandou s’exclama :
— Où tu a mis nos passeports ?
— Nous n’avons pas besoin de passeports pour l’Italie. Je ne les ai pas pris.
— Comment as-tu pu faire ça ! L’oublier, les laisser ! Incroyable ! T’es bonne à rien ! On ne peut pas te faire confiance, même à tout préparer.
— Mais nous n’aurons pas besoin.
— Qui sait. Tu auras du les prendre. Heureusement que j’y ai pensé.
Grommelant, rouspétant, il retourna les chercher.
« Pourquoi ? » se demanda-t-elle.

Ils trouvèrent un camping juste au bord du lac, tout près de l’eau. Sandou monta le tente, emprunté de comité d’entreprise de son travail. Une petite place pour les enfants, un autre pour les adultes et même une sorte de petit salon couverte avec deux fauteuils pliants. On gonfla les matelas pour dormir. Il faisait beau.

Le matin, dès l’aube, Julie et ses enfants plongèrent avec plaisir dans l’eau tiède et propre du lac du Garde. Le mari se décida de se promener avec le barque qu’il avait acheté d’un collègue.
— Je viens, dit Julie.
— Si tu tiens.
Les enfants ont trouvé d’autres gosses pour jouer, puis se sont couchés pour faire une sieste. Sandou cherche à trouver motif de querelle. Julie est trop contente à réagir. Il continue, il trouve autre chose pour l’irriter, la faire réagir, l’exploser.
« Tiens, qu’arrive-t-il ? Que cherche-t-il ? Oh ! Il le fait expresse. Il veut à tout prix trouver un motif pour se fâcher. Mais pourquoi ? Pourquoi ? De toute façon, je n’entrerai pas dans son jeu ! Quoiqu’il dise, je ne lui répondrai pas. »

Finalement, après qu’il a perdu des rames, qu’il l’a tenu au soleil pendant des heures, tout en sachant qu’elle n’en a pas le droit, que le docteur lui a déconseillé de s’exposer, en voyant que toujours elle n’explose pas, il lui sort des sujets anciens, douloureux. Rien à faire.

Julie sourit en elle même, elle sourit aussi à son mari, bronzé, se rappelant de choc sexuelle qu’il lui a causé dans leur jeunesse avec son bras bronzé et musclé :
— J’ai envie de…
— Rentrons, dit-il, la repoussant
— Un seul baiser, ici, au milieu du lac
— Pas maintenant !

Ils rentrent.
Le mari déclara aussitôt froidement :
— Je pars voir mes parents.
— Maintenant, soudainement ?
— J’amène mon fils avec moi
— Et nos vacances ?
— Tu restes ici, avec ta fille, mon frère viendra demain, il restera avec vous.
— Tu ne peux pas me faire ça ! Changer tout qu’on avait décidé pour vacances.
— Je reviendrai...
— Quand ?
— Dans une semaine
— Tu me laisses ici, sans voiture ? Sans savoir seule manipuler le bateaux ?
— Je pars toute suite ! après avoir fait mes bagages
— Reste au moins cette nuit, qu’on le passe ensemble
— Pas question
— Encore deux heures
— Laisse-moi en paix !
Il est parti, aussitôt.

Elle l’attendait. Avec patience au début, avec impatience plus tard. Sa voisine de camping voulait connaître son mari, il n’arriva pas. Sa voisine était convaincue qu’elle avait menti, qu’elle vivait seule.

Julie bouillait intérieurement. S’il l'avait averti, elle aura pu organiser ses vacances autrement. Le lac était beau, sa eau douce, mais attendre encore et encore était amère. « Jusqu’au quand ? » se disait-elle, de plus en plus amère.

Sandou n’arriva qu’au bout de douze jours, vers le fin de leur vacances.
Il était en plus fatigué, irrité, irascible, encore pire que au départ.
— On s’en va !
— Aujourd’hui ?
— Plions bagage. Vite ! Au travail, rassemble tout !

Sur le chemin, fatigué, il passe le volant à Julie et s’endort.

Sur l’autoroute l’embouteillage, on avance lentement.
Au réveil, Sandou s’écrie, irrité :
— Dans tout ce temps, quatre heures, tu n’as pas avancé que ça !
— Il y a trop de monde, le retour de vacances
— Donne-moi le volant !
Il reprend la voiture et commence à conduire comme un fou, en faisant de slalom, dépassant, changeant du fil, accélérant brutalement, klaxonnant.
— Arrête ! J’ai peur, j’ai marre, je descends !
— Tais-toi, tu es folle !
— Arrête ! J’en ai assez. Je veux descendre, je ne me tairai plus.
— T’es dingue !
— Si cela continue ainsi, je vais divorcer. J’en ai assez de supporter tout.

Le mot était lancé pour la première fois par elle, mais cette fois tout à fait sérieusement, cette fois-ci, elle le pensait, elle le désirait vraiment. Sandou était allé trop loin, en se moquant d’elle. En tout.

Mais elle avait toujours peur de lui, de ses réactions soudaines, de ses colères subites, des conséquences. Comment obtenir d’emmener les enfants ? Il lui avait dit, et aussi signalé pendant les vacances : « une pour toi, l’autre pour moi ». Non, jamais cela , elle ne va pas se séparer de ses enfants, ni de l’un ni de l’autre.

Elle s’absorba dans le travail et ses études de nouveau.

Deux mois plus tard, elle sorti au milieu de nuit au toilettes. Par terre elle trouva une lettre. Une lettre d’amour, une lettre désespéré, un appel au secours, une lettre pleine d’interrogations et discussions. Discussions sur l’avenir commun entre l’auteur de la lettre et Sandou.
« Non, ainsi n’est pas bien, faisons-le différemment »

La lettre a été écrite par qui ? « Ce n’est pas possible ! » se dit Julie.

Si. La lettre a été écrite par la jeune fiancée de fils de cousin du Sandou, un garçon à peine sorti de son service militaire. Une femme qui voulais s’en échapper du pays où habitait les parents de Sandou, une jeune femme de la famille, que Sandou a séduit. Elle lui rappela leurs amours, leurs complicités d'une façon tout à fait explicite. « Faisons autrement, pas comme tu l’as proposé, lentement » lui écrivait-elle. Julie était d’abord prostrée, choqué. Puis révoltée.

Je l'avais écrit en troisème personne, l'écrire autrement me faisait toujours trop mal, même après tout ce temps.

Je me suis demandée en 1975 : Vais-je attendre qu’il décide de mon futur comme il l’a fait de mes vacances ? Qu’à un moment donné il me met devant un fait accompli ? Pas possible ! Je divorce! Je serai mieux seule. Et puis, cette fois-ci, en plus, j’ai une arme en main. Sandou ne voudrait sûrement pas que je montre à sa famille cette lettre, sa famille qu’il a ainsi et si abjectement sali. »

Presque trente ans plus tard, j’ai retrouvé dans la cave deux autres lettres de la même jeune femme. Après tout ce temps, elles m’ont encore heurtées. Je vais vous le publier aussi. Et en décembre, il y a juste deux mois, j'ai tombé sur son portrait de mariée et je suis revenue encore malade. Pourquoi toute ceci me heurte encore après tout son temps passé?

Gif sur Yvette, souvenir

Pendant des années, Julie craignait les réactions soudaines et violentes de son mari. Elle se souvenait du jour quand il lui a fait un œil au beurre noir juste avant la visite de son père.
Elle ne savait plus pourquoi, quelle parole prononcée par elle a provoqué ce débordement de colère. En y repensant plus tard elle se disait qu’il avait voulu montrer qui est le patron, signaler à son père qu’il a perdu et sa fille appartient désormais à son mari tout à fait. Julie a inventé une raison pour son visage tuméfié et son oeil noirci mais son père ne le cru pas. Comment avouer à son père qu’il avait raison à dire à sa fille : ne te marie pas avec celui-ci ! C’était trop tard.
Que faire pour s’enfuir ? Mais où ?

Comment vivre avec les enfants d’un tout petit salaire, pendant qu’elle préparait son doctorat ? Comment trouver un travail plus rémunérateur ? Plus, elle avança dans ses études, plus son mari devenait brutal, tyrannisant. Elle travailla, étudia, s’occupa des enfants, elle avait trois heures de trajet par jour et faisait aussi le ménage. Pas trop pour se tourmenter.

Est-ce le même homme, que le garçon simple mais doux, chaud que j’ai connu, que j’ai épousé il y a quatorze ans ? se dit-elle. Il m’interdit, m’empêche d’être avec mes amies quand rarement elles viennent à Paris ou dans sa banlieue. Personne n’est assez bon pour lui ! Il a traité même ma copine de pute. Pourtant, c’est son mari qui l’a laissé tomber, il y a six ans, pendant qu’elle attendait leur deuxième enfant. N’est normal après des années, elle a trouvé un amant ? Aurait-elle du rester seule et inconsolée toute sa vie ?

Pour cesser à avoir des urticaires et des maux d’estomac, le docteur l’a conseillé, de prendre son mari “tel qu’il est” sans espérer à le transformer. Il a dit qu’il n’y a que deux sorties de sa situation si elle ne veut pas se rendre malade : elle le prend tel quel, ou elle s’en sépare. L’accepter ? Tel qu’il est devenu ? De doux brutal et tyrannique ? C’est dur, mais pour le moment, elle ne voit d’autre issue.

La laissera-t-il partir plus tard ? Ne pas y penser, étudier !

Julie faisait de recherches, de plus en plus indépendants à l’Institut de Chimie Naturel, sous la direction de son chef et dans la limite des faibles ressources de laboratoire. Il n’y avait pas d’argent pour commander ni pour demander des bibliographies informatiques, ni pour de s’abonner aux revues qu’elle aurait voulu lire régulièrement. Quand elle avait un peu de temps, elle allait à la bibliothèque les lire, mais c'étaient surtout des livres anciens et sujets lointains de sa domaine. En réalité, l’argent reçu par le laboratoire était employé par le chef et sa femme pour voyager, donner des conférences.

Madame, la femme du chef, était engagé comme technicienne au labo était en faite le vrai chef. Le matin, elle entrait d'un air hautain avec une heure de retard, coiffé fraîchement, maquillé et penché sur des hautes tallons, comme une reine elle venait inspecter les lieux d’un oeil inquisiteur. Regarder si tout le monde était à la place et travaillant. Elle s’asseyait devant un ballon qui tournait, le même pendant des mois, et tout en faisant semblant de surveiller ce qui se passait dans le ballon (jamais rien en réalité), elle surveillait, pas sa distillation mais les allés et venus des autres, faute de comprendre ce qu'ils font.

Le chef ne daignait pas à entrer dire bonjour. Aussitôt arrivé, il s’enferma dans son bureau, son tour d’ivoire, son château. Faut d’avoir perdu dans son pays d’origine son vrai château (au moins il prétendait d’en avoir eu, d’être noble).

De temps en temps, il convoquait un de ses trois ou quatre collaborateurs, mais bien sûr pas directement, en envoyant sa femme, le sous-chef, le caporal, pour annoncer d'une voix suave et dangereuse :
— Monsieur le Maître veux te parler !
— J’y vais alors.
— Non, pas maintenant, je t’appellerai quand il sera libre.

Alors commençait l’attente, l’anxiété. On révisait ses dernières notes, on se mémorisait les dernières expériences, on se rappelait les dernières instructions de chef et les dernières discussions rapides avec lui. On attendait dix minutes, vingt, une heure, deux.

C’était dur d’attendre coincées dans le labo sans pouvoir travailler là où il y étaient les plupart des instruments. Un jour, Julie ne pouvant plus supporter l’angoisse et sortit pour boire une café. Cinq minutes plus tard, quand elle revint, Madame le Maître lui dit d’un air pincé :
— Monsieur le Directeur le Maître t’attend, depuis dix minutes déjà !
— J’y vais toute suite.

Après cela, Julie sortit de plus en plus rapidement après la nouvelle de convocation annoncé et chaque fois qu’elle revenait, on l’attendait déjà. Ainsi le temps d’attente et de l’angoisse s’amenuisait.

Les recherches avançaient bien, même si pas dans la direction que son chef avait pensé au début. Il y avaient des résultats intéressants que monsieur le directeur réussi à décrire adroitement en trois articles, publiés dans les revus internationaux. Il fit aussi de nombreux conférences, dans lesquels son nom à elle n’était même pas mentionné. Même dans les articles, bien que c’était son travail, et en grand parti ses idées, son nom n’était que le quatrième, la dernière. Avant elle, bien sûr, le nom du chef, mais aussi celui de sa femme et d’un chercheur allemand arrivé récemment. Il avait fait des calculs utilisant les résultats de Julie.

Et Madame le Maître ? Des expériences biologiques sur les produits qu’elle avait préparé. Où, quand ? Mystère. Probablement dans le bureau de monsieur le Maître, lui quand il voulait savait les faire, seulement dans l’instrumentation nouvelle n’était-il pas au courant, mais il apprenait vite, en lisant la littérature que Julie lui avait photocopié, extrait, pour le convaincre d’utiliser quelques nouveau procédés.

Longtemps, Julie était rempli d’amertume, en discutant en elle-même avec son chef, en lui disant sans un mot tout qu’elle n’osait pas lui dire à haute voix, en face. Heureusement, elle trouva une livre parlant des angoisses, expliquant que la haine détruit celui qui la ressent sans nuire à l’être haï.

Sa haine tomba, elle réussi à penser, à rêver à autre chose et à accepter cette état de servitude qu’elle ressentait aussi à son travail. « Au moins, se disait-elle, je pourrais utiliser mon travail pour mon diplôme » Mais son chef n’était jamais contant, ce n’était jamais assez, il voulait plus.
Enfin, après trois ans de longues heures passés sur la route d’un banlieue à un autre, Julie réussi à persuader son mari qu’on aura avantage d’habiter près de son travail à elle (et pas près de celui à lui), ainsi elle pourra mieux s’occuper du ménage et surtout de son fils ayant des difficultés scolaires, des problèmes d’orthographe. Elle trouva un appartement à deux pas de l’institut, à peine dix minute à pieds. Une école tout près, au milieu d’un parc. Son mari le laissa se débrouiller seule, « c’est toi qui veux changer du place ! ». Elle déménagea tout, jour par jour, pendant presque une mois, puis Sandou amena les grand meubles avec un camarade de travail pendant un week-end.

La vie de Julie changea : elle avait de temps à elle !

Temps à lire, temps à écrire et même réfléchir. Gagner d’un coup trois à quatre heures par jour, c’était extraordinaire ! Presque incroyable ! Une joie profonde. « Jamais plus je n’habiterais loin de mon travail », se dit-elle.

L’appartement était agréable, avec une vue sur le foret voisine, pas loin de chemin de fer, mais il venait rarement et étant électrique, on entendait peu le bruit.

Ce changement de domicile, fut le début de la fin de leur mariage. Pour lui, pour elle.

Son mari commença à sortir de plus en plus souvent les week-end, à s’absenter même tout une nuit.
— Où vas-tu ?
— Aider mon frère dans son travail.
— Habillé dans tes meilleurs vêtements ? Les moteurs les saliront.
— Laisse moi en paix !
Il alla se doucher, se laver, se raser, se parfumer, se préparer.

Une autre fois, il l’invita après qu’ils ont fait leur course dans le grand centre commercial, voir un film, franchement pornographique. Elle trouva des choses dégouttants, voulait repartir, il ne voulait pas sortir. Elle attendu, dehors.

Sandou était de plus en plus distant, de plus en plus hautain.

— Sandou, s’il te plaît, au moins, montre-moi un peu de tendresse. Dis-moi quelque chose de gentil au moins de temps en temps, j’en peux plus.
— Si je ne te plais, tel que je suis, je m’en irai aussi tôt que tu le dis ! Laisse-moi en paix !
— Attention, ça pourra casser, je suis au bout.
— Laisse-moi vivre ! C’est tout.

Citations, recopiés pour m'aider

Dactylographiés, et collée dans le journal, quelques transcription de mes anciens journaux que je trouvais à propos à cette époque-là et qui m’aidaient à trouver mes réponses.

Citations de Proverbes de la Bible
Que la sagesse entre dans ta tête : et la science en toi deviendra merveille. le travail va te faire estimer, et la compréhension va te garder. Heureux est l’homme, qui conquiert la sagesse, et l’homme qui agrandit sa sagesse. Parce que cette marchandise est mieux que la marchandise d'argent, et l’or trouvé en terre, et ses chemins sont les chemins du bonheur, et ses sentiers, les sentiers de la paix. L’arbre de vie pour ceux qui l'acquièrent, ceux qui le gardent deviennent heureux...
(Le Bible dit qu’étudier est bien et rend heureux.)

À toi (1856)
" Qui que tu sois - j’ai peur, que tu prennes les chemins des rêves,
J’ai peur, que les vérités ainsi construites,
s’enfuissent sous tes pieds, s'échappent de tes mains, (...)
Aucune merveille n'attend autre, qui ne t’attendrait pas (...)
Qui que tu sois, tu peux exiger tout pour toi. "
Ces vers de Walt Whitman, qui me plaisent autant qu'il y a 21 ans.

Ma réponse à Withman : J'aimerais si on m'aimait, si on m'adorait comme avant. (Mais ce n'est pas assez de le vouloir...)

J’ai cru aussi... de Johannes R. Bêcher (parties)
Et je l’ai cru, oh, en quoi n’ai-je pas cru ? ...
Et je demandais : qu'est-ce qu'est la croyance ? la vérité,
ou l’outil du mensonge pour tous ?
ou le chapeau invisible, qu’on voit aujourd’hui,
de la croyance là, où mensonge se cache ?
entre les croyances diverses,
qui ne croit et trouve chemin à suivre ?
Il m’est arrivé de perdre ma croyance,
Mais il s’en est trouvée une autre à sa place.
J’ai vu, le croyant, peut tout faire avec courage,
du mensonge et de la tromperie sans honte,
et quand je suis devenu l’esclave du mensonge
je ne croyais plus rien - je le faisais en croyant en cela
L’aveugle lutte avec l’aveugle, le sourd avec le sourd
là, où une croyance s’oppose à l’autre.
Ne croyez pas aux miracles ! "
Mais où fini la croyance et où commence le savoir ?

Voila encore du Bible :
Ne vous laissez pas détourner par d’autres de votre chemin !
Et alors tu parcourras ta route avec courage,
ne redouteras la terreur soudaine ni l'attaque qui vienne des méchants,
tu n'auras pas peur, mais un merveilleux rêve tranquille,
tu ne craindras pas l'inattendue et de la destruction du méchant.

Gif sur Yvette, le 10 avril 1974

Ecrit à la machine à écrire, collé dans le journal.

On vit, vivote, et jour après jour on fait plein des choses qu’on croit importantes, on lutte pour elles, mais on s’arrête trop rarement à réfléchir, pourquoi. Où court-on ainsi ?

Peut-être, moi aussi, je devrais m’arrêter pour quelques minutes, heures, jours et repenser ce que je veux obtenir, pourquoi, surtout pour qui.

J’ai déjà lutté pour obtenir une chose après des plans précis et en y mettant tout ce dont j’étais capable, mais je n’ai pas beaucoup réfléchi sur les raisons pour lesquelles je voulais l’obtenir. Souvent la vie, les besoins d’existence nous font lutter; et de toute façon se démener pour réaliser quelque chose est mieux que juste vivoter.

Après ma discussion avec ma collègue de travail aujourd’hui, ça vient de me frapper : je dois réfléchir non seulement sur la route, mais aussi si ce que je veux obtenir est réellement important et ce que je vais penser de ma vie, vers sa fin.

En relisant mes journaux, je me suis rendue compte qu’ils ont beaucoup de sagesse que j’oublie souvent, je devrais mieux les utiliser. J'ai aussi observé qu’une partie de mes qualités je les avais à 10 ans déjà, par exemple, trouver dans une situation difficile ce qui est bon et aussi : je sais lutter, j’ai une forte volonté — la vie me l’a appris très tôt, j’en avais grand besoin.

Ce que je ne dois pas oublier, hélas, je suis encline à le faire, est qu’il ne faut pas continuer à tout prix, mais il faut me soucier aussi de ceux autour de moi. Je n’ai pas le droit, même s’il me parait très important à moi, de « mettre tout dans un seul panier », c’est trop dangereux. Il ne faut pas sacrifier trop des autres choses pour un seul but, je suis trop disposée à ça.

En réalité, c’est la voie de la facilité ( ?) ce que je fais ; j’affirme que mon diplôme et doctorat est important pour l'avenir et je fais tout pour l’obtenir. Bien sûr, c'est très agréable et très intéressant pour moi et c’est bon d’avoir un but, mais est-ce (y a-t-il) une raison valable ? Et même si cette raison existe, il faut que je réfléchisse attentivement, n’y a-t-il pas de but encore plus important ?

Réfléchir à mon comportement, pour ne pas faire trop de faux pas, ne pas vouloir trop ou pas assez. Travailler plus méthodiquement. Et, ne pas négliger de tenir compte aussi de Sandou, d’Agnès, mais surtout de Ionel qui maintenant a d’avantage besoin de moi.

La réponse, surtout relative à mes enfants, si j'en juge d’après mes journaux d’antan, est que c’est bon pour eux s’ils arrivent en face des épreuves, il faut seulement veiller, les épauler discrètement, ils apprendront ainsi à lutter et à s’en sortir d’eux-mêmes de leurs difficultés futures.
Encore une fois, après beaucoup de travail et des études, en même temps que mon travail des huit heures à l'institut de recherches CNRS de Gif, mon trajet de trois heures par jour de Eaubonne à Gif et retour et mon travail de ménagère et de mère à la maison, ainsi que mon travail pour préparer une diplôme, tant mon mari qui n'en voulait pas que ma collègue de travail pour qui je travaillais "trop" ont réussi à douter de moi; heureusement, cela n'a pas duré trop longtemps. J'ai continué et perseveré, en serrant les dents.

Comment je suis arrivé là, de laborantine à Argenteuil et chercheur sur contrat d'un an à chaque fois à Gif, c'est encore une autre histoire, qui n'est pas dans mon journal, que j'écrira un jour.

Coeur gelé

En 1974, je venais d’avoir quarante ans.

J’avais envoyé quelques lignes écrites de ma main à la revue Marie-Claire. Dans le dernier numéro de cette revue, il y avait une offre gratuite de graphologie. Je n’y croyais pas vraiment, mais je me suis souvenue que ma mère avait cru et l’avait étudié dans le temps, et puis cela me coûtera juste un timbre.

Cela faisait beaucoup d’années qu’elle n’était plus là, treize années, presque le même temps que j’étais mariée. A l’époque, j’avais cru, j’en étais convaincue, que Sandou remplacera le vide affectif laissé par maman. Maman m’aimait tellement !

Avec un mari volage, ayant un enfant unique, elle concentrait toute son attention sur moi. Affection, intérêt, amour, intelligence. C’est à cause de son intelligence qu’elle ne m’a pas trop gâtée. Elle me laissait me débrouiller seule, veillant seulement de loin, m’encourageant, mais n’intervenant pas dans mes luttes avec les autres. Grâce à quoi je survis aujourd’hui.

Maman morte, je me sentais comme une orpheline perdue et je me suis accrochée à André qui était là, avec moi, autour de moi, pendant l’agonie et la mort. Il m’a soutenu, m’a cajolé. Je me disais : on s’aidera, on s’aimera réciproquement, maintenant j’en suis sûre !

Il a fallu des années, pour que je me rende compte que l’année de deuil pas respecté m’a poussé à faire une chose désespérée. Je ne le regrettais pas pourtant. Malgré mon mariage raté, j’avais deux enfants magnifiques.

L'analyse graphologique est revenue. J’ai été fort étonné de sa justesse. Á côté de ma culture, études, etc. il ajouta : mais il y a un muscle, une Faculté que vous n’utilisez pas assez : votre cœur.

Cette observation m’a choqué, m’a fait réfléchir. J’aimais ardemment mes enfants ! Mais sinon, c’était vrai au fond, le graphologue l’avait bien deviné : mon cœur était gelé. Comment faire autrement ? Je l’aurai laissé chaude, j’aurai continué à aimer mon mari volage, mon cœur aura crevé, ce serait déchiré et j’aurai vieilli avant âge comme maman, je serai morte jeune comme elle de chagrin.

Sandou, « le fidèle compagnon aimant », m’avait trompé aussitôt après notre mariage. Heureusement encore, je ne l’ai su que plus tard, sept ans plus tard. Mais il avait continué. Les veux de fidélité ne signifiaient rien pour lui.

Il me sentait supérieur, la raison pour laquelle je lui ai plu au début, pour lequel il m’a épousé, il ne me pardonnait pas. Il fallait qu’il m’abaisse, qu’il se hisse, en faisant l’amour avec des femmes qui l’admiraient — ou faisaient semblant.

Mon cœur saignait, mon corps me faisait mal.

Mon docteur m’a averti : « vous ne pouvez pas le changer ! Vous vous rendez malade en essayant. Vous devez le prendre, tel quel, ou divorcer. Il n’y a pas une troisième solution. Comprenez-le, vous aller vous sentir mieux. » Je l’ai écouté.

J’ai gelé mon cœur pour ne pas souffrir, je l’ai mis au frigo. L'analyse graphologique avait raison, au moins en ce qui concerne mon mari, sinon, mon coeur était très chaud encore vis-à-vis de mes enfants et mes amies.

Mais je sentais une grande vide et je me suis plongée pendant des années dans mes études.

Tout en travaillant, tout en s’occupant de la maison et de mes enfants grandissants. Cela a occupé des longues années de vie. Et un jour, des mois plus tard, j’ai rencontré à l’Université un enseignant qui m’a fait de nouveau battre plus rapidement le cœur. « Tout n’est pas perdu » je me suis dit, même si je ne l’a plus revu, au moins pas pour de fort longs années (plus de quinze ans plus tard, il allait jouer une rôle important dans ma vie).

Le cœur gelé, avait moins mal dorénavant, puisque j'avais compris qu'il n'est que "congelé" et un jour, peut être, pourait revivre et même s'enflammer.

Le feu

C’était une nuit de 14 juillet, de quelle année ? Probablement 1973.

Je tenais les mains de ma fille Agnès, onze ans et de mon fils Ionel, sept ans. Mon mari était là, lui aussi, quelque part, probablement bavardant avec un copain de travail ou alors faisant la cour à une autre femme.

Nous venions d’admirer à Clamart une magnifique feu d’artifice, maintenant nous regardions le grand feu allumé au milieu du pré.

C’était le premier feu à l’air libre que mes enfants voyaient. Agnès décrivait les couleurs changeantes rouge orange, les flammes crépitantes, l’odeur du bois et du sapin, sa chaleur quand on s’est approché. C’est magnifique ! Et le français d’Agnès est beau et riche ! On sent qu’elle a fait toutes ses études ici.

— Allons un peu plus loin, il y a un petit vent qui s’est levé, je ne voudrais pas qu’on prenne feu.

Ionel veut lâcher ma main, se rapprocher, courir plus près, contourner le feu.

J’avais peur de les perdre dans cette foule, mais, oh ! que je le comprenais.

— Bon, allez-y, mais ensemble. Regardez ce poteau, je ne bouge pas d’ici. Puis, ainsi papa qui est quelque part par là pourra nous retrouver plus facilement.

Ils sont partis en sautillant, ravis.

Je regardais le cœur serré le feu crépiter, s’élever. Amère, triste, presque résignée.

J’aurais voulu me sentir légère de nouveau, avoir envie de courir autour de feu, danser la danse du feu, comme autrefois. L’amertume de femme mal aimée, pas appréciée m’en a empêché. « Oh, que ce serait différent si Sandou avait encore l’envie de rester à côté de moi, de tenir ma main. Si je pouvais moi aussi, l’aimer comme avant. Si... »

En regardant les flammes monter et descendre, en écoutant le crépitement du feu rougeâtre changeant, je me suis rappelé de mon premier feu.



J’avais vingt-trois ans. C’était au mois de juillet, la première journée de mes vacances. Je venais d’arriver passer quelques jours dans une station des Carpates avec la famille de ma tante. Un petit village, si loin d’ici.

Le soir même on a allumé le feu, juste pour nous et les copains. Un feu plus petit que celui-ci mais aussi beau, pour moi même plus, mon premier feu...

J’avais eu envie de danser autour de ce feu-là, fêter la joie de la nature, les flammes, le bien être d’une jeune fille aimée pour la première fois.

Non, je n’étais pas encore femme, malgré mon âge, mais j’étais enfin aimée. Je crois, que je l’aimais, moi aussi. J’étais profondément attachée à lui à ce moment-là, mais il était volage et j’attendais à un homme sérieux, fidèle. J’étais libre, fraîche, naïve, prête à tout ce qui arriverait.

Le lendemain, je me souviens, j’ai rencontré Lilla qui passait ses vacances, seule, dans la maison des artistes, pas loin de là. Mais elle était plus solitaire que moi et si amère, si triste et abattue - comme moi, aujourd’hui.


Lilla était ma collègue de classe lorsque nous avions onze ans, elle était la première de la classe et même dans l’école, seulement des « très bien » en tout, depuis les maths jusqu’à la gymnastique ou le chant. Malgré tout, elle n’était pas fière, imbue d'elle même, elle restait sympa, chaleureuse, nous l’aimions tous.

Notre prof de gym lui recommanda de faire du ballet. Justement, on acceptait des petites de notre âge à l’opéra où l’on donnait des cours gratuits.

“Moi aussi, je veux danser dans toutou, avais-je dit à maman.”

Nous sommes allées ensemble aux premiers cours.

Aussitôt, Lilla sauta plus haut, plus gracieusement que nous et trois mois plus tard elle était les premières danseuses dans les classes des petites.

Écœurée, j’ai renoncé ; je ne pourrais jamais y arriver.

Bon, j’étais doué pour écrire, j’ai commencé à faire des critiques de l’opérette et théâtre. On les a publiés, j’étais ravie. “Je suis écrivain”, me suis-je dit aussitôt.

Puis nous avons changé d’école, je suis partie de ma ville natale et nos chemins se sont séparés.

De temps en temps, j’ai entendu parler de succès de Lilla, de son ascension rapide et méritée. Une fois, je l’ai même vu danser ; une autre fois, je l’ai aperçu dans un film où elle avait un numéro. Elle était devenu la prime ballerine de l’opéra. Elle dansait gracieusement, merveilleusement bien. Elle avait le don, l’assiduité et en plus l’intelligence.


Dans les montages des Carpates, où nous nous sommes rencontrées par hasard, nous nous sommes promenées ensemble une journée entière. Je lui ai lu des parties de mon journal.

« Oh, que je t’envie ! me dit Lilla.

— Quoi ? Toi, tu m’envies, moi ?

— Oui. Tu es encore une jeune fille. Toute est devant toi. Pas derrière, continua-t-elle, comme pour moi. Tu n’es pas amère, désabusée, vidée, déçue par la vie. »

Oui, Lilla se sentait alors, comme moi, maintenant, quinze ans plus tard.

Lentement, elle m’a tout raconté. Ce n’était pas facile à comprendre, c’était la première fois que j’entendais parler des hommes, comme ça...

Elle a été très tôt entourée, courtisée : prima ballerine.

Sérieuse, mais naïve, finalement elle s’est laissé séduire par un copain, une autre étoile de danse, son égal.

“ Oh, qu’il était beau, je l’aimais tant, oh comme c’était divin de danser avec lui ! Oh, que nous nous aimions, croyais-je du moins. Nous nous sommes aimés, nous dansions ensemble, nous nous sommes mariés.

J’étais aux anges, jusqu’à ce que je découvre la vérité. En réalité, ajouta-t-elle finalement, il aimait les hommes.”

Lilla, il l’utilisait seulement pour de la poudre aux yeux, autour de lui. Tout s’est écroulé autour d’elle.

Plus tard, elle a encore essayé l’un ou l’autre, mais elle aimait toujours seulement son mari. Elle n’aime plus personne et vient de décider de divorcer.

— Je n’attends plus rien de la vie, par contre, tout est encore devant toi, dit-elle. Elle n’avait pas ajouté, mais c’était sous-entendu : “Fais attention.”

Je l’ai écoutée. Je croyais l’avoir écouté. J’ai finalement choisi le plus brave garçon, celui dont je croyais qu’il m’aimerait toujours, qu’il me sera toujours fidèle.



Le feu du pré de Clamart baissait.

Ni mes enfants, ni Sandou n’étaient encore en vue. Où pouvaient-ils être ? Tout à coup, j’aperçus mes enfants, ils dansaient une ronde avec trois autres petits.

Mais Sandou ? Il nous conduit à la fête, puis nous plante pour toute la soirée.

Où est la fête ?

Oh, que je voudrais danser. Retrouver mon ancien amant, mon amoureux de jadis. Même, surtout, celui d’avant notre mariage...

En regardant toujours le feu danser, je me suis souvenue d’un autre feu, cette fois interne, dans la cheminée.



J’avais vingt-quatre ans déjà. J’avais rompu avec Simon, l’inconstant depuis plusieurs mois. J’aimais Sandou et il m’adorait, me respectait, encore.

Il tenait sa promesse de ne pas aller plus loin...

Mais ce soir-là, il m’a emmenée chez sa sœur. Il n’y avait personne d’autre que nous et un grand lit pour s’embrasser. Il était le début d’automne, un peu frisquet. Il alluma un beau feu dans la cheminée.

Nous étions près l’un à côté de l’autre, je lui lisais des poèmes. Il m’embrassait. Nous admirions le feu en nous sentant si proches. Si amoureux.

J’ai eu honte de me le rappeler et pendant encore des mois je n’ai rien fait de pareil.

“ Il fait trop chaud, déshabillons-nous,” dit Sandou.

Lentement, il me déshabilla. Pour la première fois, j’étais toute nue devant lui, devant un homme, devant le feu qui seul illuminait ma nudité.

“ Non, tu n’as pas de quoi avoir honte. Et je te respecte. Je tiens ma promesse. Que tu es belle !”

Déshabillée, sans rien sur moi, devant un garçon ? Le feu faisait oublier ma réserve. Puis, je l’aimais, il m’aimait, j’avais presque vingt-cinq ans ! C’était bon de sentir sa peau nue à côté de la mienne, naturel; le goût de ses baisers dans ma bouche, sur mon cou; ses mains touchant légèrement mes seins, pour la première fois. Mais il a tenu sa promesse.

C’est plus tard, pendant qu’il me raccompagnait à la maison que je me suis rendu compte :

“ Je ne pourrais jamais plus prétendre à être cent pour cent vierge ! Que dirai-je à mon futur mari ?

Bon, c’est vrai, nous ne sommes pas allés plus loin, mais il m’a vue toute nue. Il a même touché mes seins. Dorénavant, je suis souillée. Comme si...”

J’étais effrayée, désolée. Comment l’avouer ?

Six mois après, je suis devenue son amante, puis encore quelques mois et nous nous sommes fiancés et finalement mariés. Il n’y avait rien à cacher, à avouer, le mari, c’était lui, Sandou. Celui, dont je croyais, pendant longtemps, qu’il m’aimerait toujours. Qu’il serait le seul homme de ma vie...



Et voilà, il revient. Nos enfants aussi.

« Dansons un peu, s’il te plaît, lui demandai-je.

— Non, pas question, nous sommes trop vieux pour ça, répond-il. Nous partons immédiatement ! Sans discussions, assez ! Je vous ai sortis vous amuser. Cela suffit. »

Nous rentrâmes tous à la maison avec tristesse, mal au cœur même les enfants auraient voulu s’amuser encore.

La fête était finie.

Comme Lilla, il y a des années. Pas pour le même motif, non. Sandou aimait les femmes, mais les femmes comme j’avais été autrefois.

Septembre 1972

Citations d'André Maurois : Lettre à l'Inconnue

"Ne dites jamais de mal de vous-même. Vos amis en diront toujours assez.

Trop d'êtres humains sont ainsi faits, qu'ils s'accoutument aisément à être aimés et qu'ils n'attachent plus assez de prix à un sentiment dont ils sont trop sûrs. Éviter les disputes sur les choses indifférentes. Les arguments, s’ils sont développés sur le ton de la querelle exaspèrent l'interlocuteur. Plus encore si vous avez raison. Tout bon raisonnement offense, disait Stendhal. L'autre devra peut-être avouer que votre démonstration est irréfutable; il ne vous le pardonnera jamais.

J'ai souvent eu envie de dire à une femme trop naïvement sincère en amour : La coquetterie, Madame, vous ne savez pas ce que vous méprisez. Elle demeure une arme d'une puissance surprenante et redoutable. Elle est ce manège, qui consiste à offrir, puis à refuser, à feindre de donner, puis à reprendre. Et, à y réfléchir, c'est naturel ( ? ?). Sans la première coquetterie, qui fait naître une première expérience, l'amour ne s'éveille guère chez la plupart des hommes. Pour plaire aux autres, il faut parler de ce qu'ils aiment et, ce qui les touche, éviter les disputes sur des choses indifférentes... Oui, si l'on veut se faire aimer, il faut parler aux autres non de ce qui nous touche, mais de qui les touche. Et, qu'est-ce qui les touche ? Eux-mêmes. Nous n'ennuyons jamais une femme en définissant son caractère, sa beauté, en l'interrogeant sur son enfance, sur ses goûts, ses regrets.

Vous n'ennuierez jamais un homme en le faisant parler de lui.

Valéry disait, dit Maurois : " Il faut, en cas d'obsession, rusez avec l'esprit. Occupez-le sans arrêt. Peu à peu, l'odieuse vibration faiblira, s'éloignera, s'éteindra. Un peu de patience, un peu de persistance, et le divertissement vaincront. Même si nous devons, malgré nos efforts, subir le malheur, nous pouvons le vaincre par notre manière de le supporter. Heureuses les femmes tendres et douces, car elles sont mieux aimées."

(Hélas ! Adieu. )


Je me débattais, ne sachant pas comment en sortir.

Trop durs à jouer!

27 Juin 1972, Argenteuil

Wells avait écrit un roman en 1911. En quelques pages, j’ai l’impression comme si c’était aussi mon histoire à moi. Comme c'est vrai qu'un écrivain est immortel ! Les années s’envolent et d'un coup, comme s’il avait décrit ta propre histoire.

" Il y a une phase dans toute affaire amoureuse quand la mort et la ruine paraissent des additions agréables. Des gens timides pourraient hésiter mais ni Isabelle ni moi nous ne sommes timides. Nous avions mesuré ce qui avait été contre nous. Nous avons décidé, exactement comme des milliers de gens ont décidé dans ce sujet, que si c’est possible de le tenir entre-nous, il n’y avait rien contre. Et ainsi nous avons fait le premier pas.

Avec la soif d'amour en nous, c’était facile de conclure qu'on peut être amants et la tenir quand même juste pour nous... Et alors, nous avons trouvé, comme ces milliers de gens partout l’ont découvert aussi, que nous ne pouvons pas le garder pour nous. L’amour éclate.... C’est ce que les gens ne comprennent pas. Je n’essais pas d’excuser mon retour. C’est inexcusable J’aurai du me tenir, je ne pouvais pas. Je désirais Isabelle (Pierre), je la voulais si fort d’un coup, que toute autre chose dans le monde paraissait fantomatique.

Personne ne peut comprendre l'amour... seulement celui qui l'a vécu. Ça m’a apporté plus d'amertume et de tristesse que je croyais pouvoir supporter, mais même maintenant je ne vais pas dire que je le regrette ce retour. Nous nous sommes aimés énormément.

( ! ! ! Julie : Un autre arrivera aussi, un jour !)

"Tout le monde a changé pour elle et moi; et nous avons essayé de faire comme si rien n’avait changé, sauf une petite chose entre nous. Nous avons cru, honnêtement alors qu'on peut tenir la chose entre nous. Nous avons cru, comme croient les gens profondément amoureux et qui ne peuvent pas se marier et vont le croire jusqu’à la fin des temps. Ils vont croire malgré l’existence de toutes les considérations qui les séparait jusque ils se sont rencontrés. Et ils vont compter le coût, comme nous avons dû... D’un coup notre travail s’est magiquement amélioré.

J’ai considéré peut-être, la possibilité d’en finir, ce qui avait commencé si passionnément. Si je l’ai fait, il a disparu la journée suivante, à sa vue... Mais si Marie (Sandou) ne va pas le savoir, aucun mal ne peut arriver de ceci. Nous avons essayé de soutenir ça... Je crois qu'il n’y a rien de si désagréable, que la réalisation des rumeurs qui circulent sur vous. Ne croyez pas que je me retire de [la responsabilité de ] ce que nous avons fait. Il est le temps de payer. Nous ne devrions pas payer si nous étions restés sur la voie. Mais je ne vais jamais le regretter, jamais !

Est-ce qu'il veut continuer - sachant ça ?

Pourquoi je ne l’aime plus ?

De temps en temps elle (il) essaie d’être gentil avec moi. Mais je veux vivre seule. 'Ce n'est pas jouer le jeu'.

Mais certains jeux, sont trop durs à jouer !
Il s'est passé plus de deux ans depuis que je n'étais plus avec Pierre, mais je n'arrivais pas, même de loin, même sans aucun contact avec lui, l'oublier.

C'est fini, vraiment fini

24 mai 1972

Tout cela est bien joli, mais la vérité est ce que j'ai lu récemment : “Seulement cet amour vaut vraiment, que tu ne peux pas oublier, même quand tu le veux, même quand il le faut”.

C’est fini, vraiment fini - mais ça me fait encore très mal. On ne peut pas l’analyser, ceci n'aide pas, ce n’est pas rationnel, ce n'est pas raisonnable. Je me débats à gauche, à droite, en gourmandise, en mangeant (j’ai 8 kg en plus), en étudiant ou en lisant, mais je ne réussis pas à rétablir ma tranquillité interne. Pourtant ça serait important. Depuis des mois, depuis que j’ai dû le quitter, je me suis développée, j'ai étudié histoire de France, Mathématiques modernes, Anglais, l’Informatique, mais cela en vaut-il la peine ? Les années passent, et pourquoi, où s’en vont-elles ?

Ajouté en 86 :

Wells disait que le temps aide et diminue la souffrance. Je ne le croyais pas. Pourtant c’est vrai. La rupture avec Pierre m’a fait souffrir la plus, probablement parce qu’il ne m’a pas blessée, ce n’était pas à cause de lui que j’ai du rompre ? !

Que faire dorénavant?

Argenteuil, le 15 décembre 1971

C'est très important de parler avec moi-même et je crois qu’en écrivant je réussis à mieux réfléchir sur la situation. Dommage que j'ai peur que quelqu'un pourrait lire ce que j’écris donc de temps en temps mon journal n'est pas aussi sincère et ouvert, mais l'important est que je me comprenne. Je l'écris seulement pour moi et pas pour le lire à quelqu'un d’autre.

J’ai l’impression qu’un chapitre de ma vie est terminé, une page est définitivement tournée. Il faut que j'y mette un point ! C'est important d'analyser la situation, me tranquilliser enfin, comprendre ce que je devrai faire dans le futur proche ou lointain.

Je viens de lire un livre qui m’aide :
La psychologie de la motivation”.
Chacun interprète les réactions d'autrui, non seulement les actions, mais aussi les intentions, en se demandant quel sentiment aurait pu motiver en lui-même tel comportement. Le lien, entre le monde extérieur et intérieur, est le désir. Plus les désirs se multiplient, plus grande devient la nécessité vitale de les ordonner. Par le jeu de l’imagination on projette les désirs momentanément irréalisables dans un avenir : c’est le germe de la formation du projet. Le projet, pour être utile vitalement, doit avoir un but précis, et un moyen de le réaliser afin de vaincre l’obstacle momentané. Mais le but idéal de toute valorisation est : l’harmonie psychique.

La connexion harmonieuse des désirs est source de joie. La souffrance exaltée due à l’insatisfaction du désir essentiel. Le conscient inclut le choix. Une spontanéité sans aucune détermination ferait de l’homme le contraire d’un être libre et responsable, le jouet du hasard et des caprices.

On doit analyser ses propres hésitations. L’obstacle, déchirant la réaction réflexe, crée l’insuffisance, l’inquiétude, et déclenche le besoin de le surmonter. Le réflexe, doit devenir réflexion, le déchiffrement de la signification motivante libère l’homme de l’obsession subconsciente. En révisant les excitations retenues on les valorise à leur juste valeur.

La force du désir peut diminuer soit par sa satisfaction soit par l’acceptation d’échec qui ne doit être employée que si la réalisation sensée devient impossible. Il faut comparer les désirs selon leur valeur relative à la satisfaction : intensité, persistance et aussi leur réalisabilité.

J'ai essayé d'en tirer l’important pour moi.

Le 101ème lieu

C'est un long récit, écrit en 1998, sur tout une période de ma vie qui n'avait pas laissée des traces dans mon journal intime. Pierre et l'après Pierre. Je n'arrive pas à le couper en petits morceaux, mais je ne mettrai plus rien pendant quelques jours. Peut-être, si vous voulez le lire petit à petit, mieux vaut le copier et coller dans Word ou autre traitement de text et le lire hors web.
J’ai fait récemment la liste de cent et un lieux où j’avais été dans ma vie: peut être une idée en sortira, quelque chose de quoi écrire. A la fin, je me suis dit tristement: rien n’en ait sorti, hélas, aucune idée intéressante.

Ce n’est pas vrai!

En relisant ces cents et un endroits par où j’ai vécu ou passé, je me suis rendu compte que j’avais mentionné seulement les lieux où j’avais été heureuse, où j’étais bien et je n’ai pas parlé des endroits horribles de ma vie.

Je me suis d’abord souvenue du trou bétonné pour le charbon dans la cave pendant le siège de Budapest à mes 10 ans, où nous dormions ensemble avec neuf autres personnes, c’est là que j’ai commencé d’écrire mon journal.

Et le lendemain, en apercevant par la fenêtre du métro un hôtel minable, je me suis rappelée de l’hôtel infesté des punaises du centre d’Argenteuil et avant celle-ci, de l’hôtel de Meudon le Forêt où, en me cataloguant de mère ne sachant pas offrir des conditions de vie décentes à ses enfants, on m’a menacé à me les prendre.

Combien de temps ai-je habité dans cet hôtel plein des punaises, pire que tous les autres lieux, dans l’époque le plus sombre, sans espoir, de ma vie? Dix jours? Trois semaines? Chaque nuit, comptait pour triple.

J’ai eu de chance et je n’ai pas dû y rester le mois entier qu’on avait payé d’avance, parce que j’ai dû aller m’occuper de ma fille, à l’appel de mon père âgé chez qui je l’avais envoyé et que sa femme avait quitté juste à ce moment-là. Oui, il y avait des problèmes ce temps-là. Des problèmes dans moi, mais aussi d’autres autour de moi. Tout était sale, tout était sans espoir, tout était gris et je me sentais misérable.

Je vois encore devant mes yeux ce mur gris et mes cheveux se hérissent, me démangent juste à son souvenir. La première nuit dans cet hôtel, je me suis réveillé piqué. J’ai allumé et j’ai aperçu le mur ... infesté, tout un mur rempli des punaises!

Sandou, mon mari, dormant par terre, il n’était pas dérangé ni effrayé comme moi. Ma fille était partie chez papa et heureusement, mon fils ne s’est pas réveillé. Sandou a réussi faire fuir momentanément les punaises, mais j’ai refusé de fermer la lumière, j’étais trop épouvantée.
Le lendemain, j’ai voulu déménager, mais on a refusé de nous rendre l’argent de mois payé d’avance, partir signifiait prolonger encore plus la précarité de nos finances. Sandou a refusé de partir: où aller? Partout, ça coûte trois fois plus. J’ai acheté de soufre pour les chasser, qui a provoqué une allergie de longue durée chez moi et mon fils. Oui, c’est cette misérable chambre hôtel où j’étais le plus bas de toute mon existence. Le plus misérable aussi dans mon âme.

Comment suis-je arrivé là?

Ma vie de femme “bien rangée” est dégringolée à la minute que j’ai ouverte une lettre arrivée de la Roumanie. Ma belle-famille y habitait, je n’avais pas pensé une seconde que cela pourrait être de quelqu’un d’autre que de la famille de Sandou. Il était allé visiter ses parents, la première fois depuis sept ans, et il était revenu un mois auparavant. Nous étions la fin septembre.

J’avais trente-trois ans et mon mari trente-quatre. Suis-je trop vielle? Á trente-trois ans? Suis-je une mauvaise amante? Pas assez expérimenté? Comment le savoir? Je n’ai jamais était qu'avec lui. Ma vie est-elle finie? Pendant deux ans, ces questions me hantaient, me rongeaient. La vie continuait.

Puis, un jour, le verre est débordé.

Sandou était parti en vacances sans moi de nouveau pour un mois entier (et je soupçonnais avec sa maîtresse) et pour la première fois, pendant ce temps, je l’ai aussi trompé sans lui dire avec Pierre. Sandou, revenant a presque toute suite déménagé près de Paris où sa maîtresse avait déménagé aussi avec son jeune mari, finalement revenu de l’armée. Pour la rencontrer plus facilement et plus souvent, mon mari a changé de travail, il a laissé sa famille seule et loin, venant nous voir une fois par mois.

J’ai séduit Pierre en septembre, à mon retour d’une voyage faite avec mes enfants en Italie. Pierre avait dix ans de plus que moi. Pour lui, j'étais jeune et belle. Sandou ne soupçonnait pas que moi aussi, j’étais dorénavant ravie de rester sans lui, pour vivre de plus en plus avec Pierre.
Nous avions un logement de fonction, Pierre côté cour, moi avec mes enfants au deuxième étage, dans une maison agréable et pas trop loin de notre travail. Pierre, amant merveilleux, compagnon agréable, m’a rendu la confiance en moi, la confiance que l’infidélité de Sandou m’avait détruite. Il me tenait en bras toute la nuit, nous parlions de notre travail, je vivais avec lui, mieux que jamais avec mon mari. Il avait un vécu très différent du mien, ne lisait rien, avait passé par tant des choses ! Mais à travers nos différences et nos expériences, nous nous entendions si bien !

De septembre jusqu’en septembre, Pierre. L’année la plus heureuse de ma vie de jeune femme. Mon travail allait très bien aussi, j’avais réussi à créer un nouveau laboratoire d’analyse chimique dans l’usine, j’avais réussi de former plusieurs laborantines, de créer des méthodes d’analyses, de choisir la place appropriée pour chacune d’elles. Mes enfants se développaient bien, ils étaient dans l’âge gentil, agréable, me procuraient que de plaisirs.

Pierre m’aimait tendrement et je l’adorais. On déjeunait ensemble et le soir, après que les enfants s’endormaient, je descendais sur le point de pieds, déchaussée, pour que les voisins travaillant dans la même usine ne m’entendent pas descendre. Nous restions ensemble jusqu’à l’aube. Á cinq heures de matin je rentrais pour que les enfants me trouvent là à leur réveil. J’étais pleinement, complètement heureuse.

Seul point noir étaient les visites de Sandou - qui me paraissait de moins en moins mon mari. Je suis de tempérament monogame. Mon mari, c’était Pierre! Hélas, Sandou revenait, une fois par mois “faire son devoir d’époux”. J’avais l’impression de tromper Pierre, je supportais Sandou de moins en moins, je ne savais plus qu’inventer pour me dérober, moi, qui auparavant, était celui se plaignant de sa froideur, de son éloignement.

Une année plus tard, la patronne du café, l’ancienne maîtresse de Pierre (ceci je l’avais appris seulement plus tard) a parlé de nous devant Sandou quand celui-ci était entré pour boire un coup. Il est devenu fou furieux. Lui, le mari avait le droit d’avoir une maîtresse, plusieurs mêmes, mais pas “sa femme”, la mère de ses enfants, ça non!
Fou de rage, il est venu me voir:
— Tu sais ce qu’on dit... (et il me dit)
— Ce n’est pas vrai!
— Promets-moi, jamais plus ne plus le revoir.
— D’accord, mais toi?
— Je ne la vois plus, me mentit-il.
— Alors, bien.
J’ai essayé, mais je n’ai pas pu tenir longtemps. Comment ne pas revoir Pierre? Dans mon âme, il était devenu depuis des mois mon mari, mon vrai mari!

Un soir, Sandou est revenu à l’improviste au milieu du mois, au milieu de la semaine, au milieu de la nuit. J’étais chez Pierre, je dormais dans ses bras, comme d’habitude. Sandou n’a jamais voulu dormir près de moi!

Ma copine nous téléphone au milieu de la nuit:
— Faites attention! Sandou te cherche. Avec un fusil dans ses bras.
— Merci.

Que faire? Á peine, le téléphone fermé, on sonne à la porte.

Pierre m’a poussé dans la douche avec tous mes habits dans mes bras et il est allé ouvrir la porte, tout nu:
— Que veux-tu? demanda-t-il à Sandou.
— Je cherche Julie...
— Elle n’est pas là! Il ouvre la porte grande.
— Mais
— Veux-tu entrer, vérifier?
On voyait le lit, vide. C’était un appartement avec une seule petite chambre.
— Non. Je n’entre pas. Bonsoir.

Bon. Et maintenant?
— Il faut que tu rentres!
Je me suis habillée. Nous avons attendu. Les pas se sont enfin éloignés.

Dans la nuit sombre, les lumières éteintes, j’ai ouvert la porte, j’ai regardé en haut. Dans la fenêtre au deuxième, l’appartement illuminé. Un fusil, une silhouette. Sandou, veillant, attendant. Que faire?
— Ne rentre pas! Mais ne reste pas ici, non plus. Il pourrait revenir.
Je me suis rappelée de Sandou si brusque quand le sang lui monte dans la tête. Il ne se contrôlait plus à ces moments-là. Mes enfants! Je ne pouvais les laisser à la portée de ce fusil, de cet homme excité. Si quelque chose arrivait... Bon, je monte.
— Bien, monte. Mais n'avoue pas que tu as été ici!
— Où ai-je été?
— Invente quelque chose...
Je me sentais trahie, même par lui, qui me laissait aller seule devant le danger.

Avec infinie précaution, en longeant le mur pieds nus, en faisant un pas, puis attente, un autre pas. Attention, sans bruit, sans qu’on me voie, sans qu’on m’entende, sans qu’on sache d’où je viens! Les feuilles d’automne craquaient doucement sous mes pieds, mais c’était seulement moi qui pensais qu’ils faisaient un bruit d’enfer.

J’arrive enfin jusqu’au coin. Après le coin, je ne suis plus visible de la fenêtre. J’arrive au coin. Clos ma belle aventure avec Pierre, perdu mon mari imaginé, il me laisse à mon sort, je l’ai perdu, alors, là, je l’ai perdu pour toujours.

Et maintenant? M’enfuir? J’hésite encore quelques minutes devant l’escalier. J’avais l’impression d’aller vers ma mort. Mais il le fallait, il fallait sauver mes enfants.
C’est en montant un pas à la fois, doucement pieds nus les marches des deux étages, qu’à commencé ma nouvelle descente vers l’enfer. Et ma descente, vers cette chambre hôtel plein de poux, vers mon malheur me faisant gagner dix kilos dans un seul mois.

Oui, je me souviens, de cette montée, qui a duré longtemps. Des minutes? Une demi-heure? Une heure? Pour moi, des années! Toute ma vie a changé à cause de cela.

Ce soir-là, malgré mes peurs, Sandou ne s’est pas montré violent, pas violent en faits: il a pleuré. Mais il ne m’a pas laissé dormir... pendant des heures et des heures. Il a commencé à raconter ses propres torts, tout qu’il a fait contre notre mariage, notre famille. Il m’a avoué de m’avoir trompé... dès notre première semaine de mariage! Et toutes les autres fois... Il a détruit en moi tout en quoi j’aurais pu croire encore.
Puis, il dit:
— Je comprends, tu es malade, tu ne peux pas t’empêcher...
— Je ne suis pas malade. J’étais au cinéma. Je n’ai pas eu tant d’autres, comme toi. Mais si tu le fais, pourquoi pas, moi aussi? Nous avons les mêmes devoirs ou droits.
— Je te promets...
— Tu me l’as déjà promis! Tant de fois!
— Cette fois-ci, vraiment. Je veux refaire notre vie, notre famille. Si tu me quittes, je retourne en Roumanie, si tu me quittes, ma vie est finie.
— Comment puis-je être sûre, que tu romps avec elle?
— Va la voir, je te donne son adresse. Je romprais déjà demain.
— Donc, ça continue encore... Alors, comment se fait-il que tu m’attendais, me cherche partout avec un fusil? Quelle différence entre nous?
— Ce n’est pas la même chose! Tout le monde en parle de vous!
— Qui est ce tout le monde?
— Au café, par exemple.

Pierre et moi, nous aurions dû être plus discret. C’est dur, c’est impossible, quand on est amoureux, quand on est tellement heureux ensemble, on se sent presque marié. C’est dur de se cacher dans une petite ville. Pierre a essayé, je ne l’avais pas compris, je ne l’avais pas admis. Je n’avais jamais habité une petite ville. Cacher son bonheur.

Mon bonheur? J’avais le sentiment que Pierre m’a laissé tomber, lui aussi. En montant, peur à l’âme, l'estomac noué, vers mon bel appartement de fonction devant lequel Sandou m’attendait avec son fusil chargé, chaque marche que je montais seule, affronter mon destin tout seul, m’éloigna de Pierre, me menait vers un autre destin, inconnu, un nouveau destin que le sort me réservait.

Vers le matin, épuisé, mon cœur saignant pour mon mari, celui imaginé en moi si pas celui réel, en sentant ma responsabilité sur sa vie, j’ai abandonné, j’ai plié armes. Et si nous pourions devenir vraiment de nouveau une vraie famille comme il promaittait?
— Je veux refaire ma vie avec toi, pour nos enfants, pour le souvenir de notre amour.
— Recommençons! répétait Sandou encore et encore, jusqu’à épuisement.
Je ne savais pas encore que c’était impossible, mais je savais que ce sera très dur.

Pierre m’était devenu si cher, Pierre était devenu l’autre côté de moi, mon bonheur, mon amant, mon copain, mon vrai mari - même si pas sur le papier. Mais il m’avait lâché. Il me lâcherait encore, je me suis dit. Divorcée il ne voudrait plus de moi, il ne m’accepterait pas ouvertement, publiquement. Pierre, catholique, vivait séparé depuis des années de sa femme mais il ne divorcerait pas, il ne m’épouserait pas, il ne me reconnaîtrait même pas ouvertement, devant tous comme son compagnon.

Et si c’était possible de recommencer? Si quelque chose de mon rêve, notre rêve d’antan a pu encore rester intact? Famille, enfants, entente...
— Peut-être, d’accord, j’ai dit finalement.

Aussitôt, Sandou a commencé ses revendications:

— Tu viens avec moi, dès demain! Tu ne restes plus ici une seule journée!
— Demain? Aujourd’hui? Et mon travail?
— Tu démissionnes ce matin!
— On a besoin de moi, ils n’ont personne pour me remplacer, pas encore...
— Nous partons demain! J’irai là avec toi, pendant que tu leur dis.
— Et nos affaires? Nos meubles? Nous ne pourrons pas partir demain!
— Nous ferrons les bagages, les affaires des enfants. Mais on n’emportera pas les meubles, ni tes vêtements, ni la télé, ni.... il a pu les toucher!

Pourquoi ai-je accepté tout cela?

Ni mes meubles, ni mes habits ne m’ont pas trop manqué, malgré le besoin d’argent, malgré qu’on n’a pas eu la première année qu’une caisse à la place de table, mais j’ai mise des années à pleurer Pierre, le regretter. Sa tendresse, son attention.

Mon travail me manquait aussi, jamais plus je ne suis redevenue chef de laboratoire. Mon directeur a mal supporté mon départ précipité, subit.

Le matin, je suis allée démissionner, mort en âme et Sandou à mes trousses.
— On vous reçoit dans une heure, me dit la secrétaire, mais seulement vous pouvez entrer chez le directeur. Revenez dans une heure.
— Nous reviendrons.
Je suis entrée, Sandou attendait dans l’entrée.
— Êtes-vous sûre de vouloir partir? Nous avons besoin de vous!
— Oui, hélas. Il le faut. Je le dois. Je regrette...
— Entrez pour quelques minutes dans la pièce voisine.
Là-bas, Pierre m’attendait, soucieux et blême.

Je me suis rendu compte par ses étreints fiévreux et tremblants qu’il tenait davantage à moi que je croyais, il m’aimait, me regrettait lui aussi. Mais, me rappelant les minutes interminables, le monté d’escalier, seule, pendant la nuit, montant seule vers mon destin, seule à affronter le fusil et Sandou, je me suis refermé et je lui dis ma décision de partir.

— Adieu. Je lui ai promis ne pas t’écrire. Nous essayons refaire la famille.
— Dois-tu vraiment partir?
— Oui.
— Reste !
— Je ne peux pas, Pierre. Je ne peux pas.
Il m’a embrassé encore une fois, m’a donné un dernier baiser. Doux. Déchirant.
Mort dans l’âme, je retourne dans la pièce du directeur. Il est furieux que je parte, il avait espéré que Pierre me décidera de rester.
— Bien, viens l’après-midi, pour tes papiers, le reste de paye on vous enverra.
Sandou m’attendait dehors. Nous sommes partis, faire les bagages, le peu qu’il m’a laissé prendre. Retirer les enfants de l’école, de la maternelle.
J’ai ainsi perdu dans une seule journée, mon travail, mon logement tout.
— Où allons-nous?
— Nous allons habiter chez moi, bien sûre.

Sandou prétendait habiter depuis quelques mois avec son frère à Meudon la Forêt. Chacun avec sa chambre, partageant le reste.
— Moi aussi, j’ai perdu mon travail, « mon ami » Fani m’a trahi à mon employeur, dit Sandou.
Sur la route menant à Meudon, mon beau-frère me dit :
— Vous vous trompez, il n’y a pas de retour en arrière possible. On ne retrouve plus l’amour perdu, la confiance perdue. On ne peut pas recoller les morceaux cassés!
— Nous arriverons, nous.
J’étais furieuse contre lui, il parlait de sa propre expérience pourtant. Je pensais encore qu’il me le disait parce que j’avais déçu sa perception sur moi. Le lendemain matin, le beau-frère a commencé à me faire la leçon :
— Ici, tu es chez moi, ne l’oublie pas! La salle de bain doit être toujours nickel!
Et puis, la cuisine et ... etc.
— Je croyais être chez Sandou, mon mari, chez nous.
— Non, ceci est MON logement. Il habitait chez moi, mais seul. Ne l’oublie pas, tu peux y être mais seulement à condition... et il recommence, hautain, désagréable, une longue litanie de ce que je dois faire, ce qu’est interdit, etc.

J'étais choquée. J’ai tout quitté, pour ça? Que faire? Je n’ai plus une chez moi!

Pourtant ce beau-frère a habité chez nous pendant des mois, à son arrivé en France. Nous l’avons accueilli chaleureusement et sans conditions. Même si de point de vue matériel c’était difficile à l’époque pour nous avoir une personne adulte en plus. Jamais je ne lui ai fait des leçons, j’avais renoncé à m’acheter des vêtements, sans brancher.

La gratitude n’existe donc pas? Encore une chose qui fout le camp. Encore une chose apprise.

— Sandou, je ne vais pas supporter ça! Je m’en vais.
¬ On s’en va...
¬ Toute suite!
— D’accord.
—Où?
—Allons à l’hôtel, puis nous verrons.

Nous n’avions plus de travail, ni l’un ni l’autre. Son frère ne lui a pas remboursé son loyer pour le mois, ni le mois suivant. Moi, je n’étais pas payé pour le moment, ils tardaient à m’envoyer ce qu’on me devait encore.

Sandou avait fait des dettes, nous n’avions pas assez d’argent pour payer trois mois d’avance, un mois de commission et deux mois de garanti qu’on demandait à l’époque pour entrer dans un logement. En attendant, nous sommes allés avec les deux enfants, dans une seule pièce, au seul hôtel de Meudon la Foret.

J’ai mis les enfants à l’école. J’ai commencé à chercher de travail dans Paris, dans la banlieue. Au début, un travail comme chef de laboratoire d’analyse, le travail que je venais de quitter.

On ne me recommandait pas, j’étais brûlé à cause du départ précipité:
—Pourquoi êtes-vous partie?
Comment l’expliquer?
— J’ai dû suivre mon mari, refaire la famille.
Ce n’était pas très bien reçu par les futurs employeurs:
— On n’a pas de place, pas d’ouverture maintenant, pour longtemps encore.

Les jours passaient. Les enfants, ouverts et bavards ont raconté à l’école où ils habitaient. Ou une dénonciation en plus? Une femme est venue, une assistante sociale, vérifier si je suis "digne, capable" d’élever mes propres enfants:
— Peut-être, pour leur bien, c’est mieux de les prendre, les placer!
— Mais c’est provisoire!
— Montrer moi, où vivez-vous?
— Voilà. Pour le moment.
— Ah!
— Mais nous allons partir, bientôt.
— Où travaillez-vous?
— Je cherche...
— Votre mari?
— Lui aussi, mais...
— Ah!
Elle me regardait avec des yeux, dans lesquelles je lisais que je n’ai pas réussi à la convaincre. Elle me voyait déçue, indigne, étrangère, tout à fait différent des autres.

Dans cet hôtel déjà, mon mari m’a traité de putain devant mes enfants la nuit, peut être ont-ils entendu, peut-être ont-ils raconté, sans bien savoir ce que cela signifie, peut-être l’assistante sociale a cru que c’était mon vrai métier.

Je sentais toute la terre disparaître sous mes pieds.

Vite! Il faut partir d’ici, coûte que coûte, il faut aussi retrouver de travail. J’avais parcouru toutes les adresses, gens connus, je n’ai rien trouvé. Je me suis rabattue sur le journal Figaro. Le matin, aussitôt que le kiosque s'ouvrait, j’étais là pour l’acheter et la parcourir, la souligner, être la première à téléphoner.
— Vos diplômes?
— Je suis ingénieur chimiste.
— C’est trop, pour ce poste.
Après trois ou quatre réponses comme cela, je me suis décidée. Il fallait que je retrouve du travail, même comme laborantine. Je me suis souvenu que j’avais obtenu à dix-huit ans un diplôme de technicienne.
— Vos qualifications?
— Technicienne...
— C’est trop pour ce poste, mais si vous êtes libre de suite venez nous voir.
— Je peux commencer, rapidement.
Ils avaient besoin en fait d’un technicien expérimenté, mais ils ont décidé de ne payer qu’un salaire de laborantine.
— Bon, j’accepte.
— Un mois d’essai.
— D’accord.
— Vous aurez une pharmacienne comme responsable.
— Bien.
La pharmacienne n’avait aucune connaissance de chimie, mais elle avait un bureau pour elle où elle signait, tout, n’importe quoi. J’avais pour moi tout seul tout le grand laboratoire d’analyse. J’apprenais les analyses nécessaires, ils avaient travaillé après le Codex, écrit il y a 50 ans ou plus sans modification, je les simplifiais, les l’améliorais, les modernisais, autant que les moyens de là-bas me permettaient.
Et maintenant, partons vite de Meudon, tant qu’on ne nous prend nos gosses!

Une semaine plus tard, Sandou a retrouvé lui aussi, un travail comme ajusteur, chez Dassault. Il a appris de moi à ne pas mentionner qu’en réalité il était chef meunier, ne pas parler de ses diplômes. On l’a testé, on l’a engagé. Enfin, nous travaillions, tous les deux, à Argenteuil. Allons-y, habiter, disparaître vite, avant que cette assistante sociale revienne, cette femme qui voulait nous prendre de force nos enfants!

Sandou a trouvé un petit hôtel du centre, le moins cher de la ville, pour un mois.
— C’est à côté de l’école, près de ton travail, pas loin du mien.
— Bien, cela nous permettra de rassembler plus rapidement l’argent pour le dépôt de garantie qu’on nous demande et nous permettra d’avoir une chez nous plus rapidement. Je commence à chercher dès demain, dans la region.

Nous avons déménagé à Argenteuil, quitté l’ancien hôtel minable mais propre. J’ai envoyé ma fille chez papa et mis mon fils au jardin d’été maternel. Je ne me suis rendu compte de saleté de l’endroit où nous allions habiter au moins un mois.

Je me suis réveillé la nuit dans cette chambre grise, cette nuit avec le mur infesté des poux. Ils grouillaient, noircissaient le mur. C’était comme un cauchemar. Ils n'avaient pas peur de nous. Finalement, après des coups sur le mur ou la lumière ils se sont cachés, momentanément, mais très lentement, comme à regret. C’était leur domaine, comment osait-on les déloger de là?
Je n’ai pas dormi cette nuit-là, même avec la lumière allumée. J’ai surveillé, est-ce qu’ils ne reviennent pas? Où sont-ils disparus? Ne nous mangeront-ils pas?

Je me suis rappelé de mon enfance, de la fille de six ans, battue chaque matin par l’institutrice parce qu’elle avait encore trouvé de nouveau des poux dans ses cheveux. Où suis-je arrivée? Que faire?

À l’hôtel, ils n’ont pas voulu nous rembourser le mois payé d’avance. Les autres hôtels demandaient trois fois plus de loyer. Où aller?

— Tu es trop fragile, c'est fini ta vie de “dame”, me dit Sandou
— Tu t’en fous de moi?
— Tu ne mérites pas plus! Autre chose! Supporte, maintenant!

Le lendemain, je suis allée m’intéresser, que pouvait-on faire. On m’a conseillé, comme le seul moyen sur, rapide, le soufre brûlé. Oui, ça marche, mais cela a donné des urticaires horribles, d’abord à mon fils, puis à moi. Pendant des semaines, nos corps nous déménageaient. Et il fallait mettre régulièrement du soufre, sinon, cela revenait, les autres chambres en étaient pleines de toute de façon.

Finalement, j’ai trouvé un logement pas loin de nos lieux de travail, à Eaubonne, où l’on ne demandait que deux mois de caution et seulement un moitié de mois pour l’agence; un logement propre, assez bien. L’école de la petite ville était juste à l’autre côté de la cour, l’appartement à l’étage, avec une terrasse et une belle vue vers les champs des cours d’Enghien. Ce n’était pas très loin d'Argenteuil. Mais hélas, on ne pouvait y aller que dans deux mois.

Cette nuit-là, passé sans dormir, avec la colonie des poux se promenant sur le mur, à côté de notre lit, je me suis rendu compte de tout que j’ai perdu, du trou où me suis laissé entraîner. Dix jours plus tard, mon père m’appelle:
— Déborah, nous est quittée. Pour le moment, ça va avec Agnès, me je ne pourrais pas me débrouiller longtemps avec ta fille. Viens! Je te rembourse ton voyage.
Agnès avait dix ans à l’époque. Difficilement, j’ai obtenu de partir deux semaines avant la fermeture de laboratoire pour les vacances d’été. Sandou a acheté un billet de voyage en groupe, le moins cher possible. Je suis parti avec mon fils, sans raconter à personne où j’habitais.
Pourrais-je jamais me plaindre à papa? Je me suis marié avec Sandou malgré lui, je n’ai jamais pu lui dire: tu avais raison! Et puis, de toute façon... les poux n’étaient pas sa faute, même si son indifférence envers moi presque aussitôt que j’ai tout abandonné, oui. Je n’ai raconté à personne en quel hôtel nous nous sommes trouvés.

Puis arriva les vacances chez mon père en Israël, continués dans la famille de Sandou en Roumanie. Au retour, nous avons enfin, aménagé. Enfin de travail, enfin un logement!

Une semaine plus tard, Sandou m’a frappé, parce que je ne voulais pas recevoir chez nous son frère venant à l’improviste, frappant à notre porte, celui me considérant « femme perdue ».
J’ai osé dire : « Pas en même temps que moi, alors, moi je sors! »

Que faire ? J’avais quitté mon logement de fonction, mon bon travail, Pierre, tout.
Sandou était de plus en plus distant et maussade, hélas, son frère avait eu raison: nous n’avions jamais plus réussi à boucher le trou géant existant entre nous. Trou? Non! Précipice!

Au travail, j’étais seule pendant huit heures. Pendant les premières deux heures, je faisais mon boulot, je terminais presque tout et je mettais en route le reste. Puis, que faire?

D’abord, j’ai écouté de musique, puis des cassettes anglaises. Ensuite, je me suis acheté des livres d’occasion. Sur l’histoire de la France, la physiologie, j’essayais me comprendre, moi et les autres, je cherchais une issue.

Je pleurais Pierre, notre séparation forcée.

Plus le temps passait, plus je me rappelais surtout de nos étreints fiévreux, de sa tendresse, de ses soins pour moi, de nos nuits côte à côte.

Sandou dormait dans une autre pièce, jamais dans la chambre à coucher, jamais dans le grand lit où il venait seulement rendre visite quand il en avait envie, lui. Et même alors, il se souciait fort peu de mes besoins, mes plaisirs.

Mon cœur saignait toujours et encore.

Ma fille avait des problèmes en math modernes. Qu’est-ce que c’est ça? J’achète « Papa et les math modernes » et je découvre dedans l’informatique. Je m’y passionne. Je m’inscris dans une école d’une année par correspondance, préparant une C.E.S. de l’informatique. Enfin, quelque chose à faire pour m’en sortir de cette obsession, pour cesser de penser comment Pierre me recevrait, me prendrait dans ses bras, si.... Ne plus me tourmenter pour la vie, ma vie, mon sort. Sans espérances, sans illusions.

J’ai eu le tort d’écrire dans mon journal en anglais - que Sandou ne savait pas lire - une texte sur les amours illicites et heureux de Wells, se terminant par « je ne regrette rien », en le soulignant. Sandou l’a pris comme si j’aurais brisé ma parole et c’était pour lui un prétexte pour faire dorénavant tout qu’il voulait, quand il le voulait, avec qui il le voulait. Prétexte de courir après d’autres, me prendre tout en me traitant de putain, ne plus m’adresser de parole chaleureuse.

Il m’a empêché à revoir mes amies, il brutalisait nos enfants.
Finalement, j’ai dit:
— Assez! Je ne permettrai pas que tu les battes avec ta ceinture!
Il m’a jeté par terre et j’ai tombé sur la bicyclette de ma fille dans l’entrée.
— Tu n’avais qu’à ne pas te mettre sur mon chemin.
Il s’est enfermé avec Agnès et a battu son derrière nu avec sa ceinture, derrière la porte verrouillée. En lui faisant mal, en voulant me faire mal à moi aussi ainsi, me donner une leçon. Montrant qui est le chef.

J’ai appris la leçon, je ne lui ai jamais pardonné.

Que faire? Comment m’en sortir? Je gagnais peu, je n’avais plus de logement de fonction, je ne pouvais pas vivre avec mes deux enfants de mon salaire. J’avais peur de mon mari. Supporter. Attendre l’occasion. Je me desséchais. J’essayais de m’occuper de mes enfants, je leur faisais écouter, quand Sandou n’était pas là, de la musique classique, de musique hongroise, lire des poèmes, des histoires.

J’ai réussi mon examen informatique! Après tant d’années, j’étais encore capable d’étudier, d’apprendre et même en français! C’était une grande victoire et j’étais très contente de ma réussite. Des nouvelles portes s’ouvraient devant moi.

Á partir de ce moment-là, la vie m’a souri de nouveau, le trou noir était dépassé et j’ai commencé à remonter la pente, la pente que j’avais commencé à descendre. J’ai trouvé du travail à l’Institut de Recherches à Gif, travail qui me permettait à préparer d’abord un DEA, puis un doctorat d’état. Remontant doucement, lentement, avec effroi et beaucoup de persévérance, beaucoup de travail.

Ma vie m’a menée de plus en plus loin de Sandou. Il n’a pas supporté mes succès, il l’a pris mes études en grippe. J’avais peur de lui, j’ai commencé à le haïr de plus en plus. Peut-être, il n’ira pas jusque... je me disais.

Au fur et mesure de mes études, de mes examens menés pourtant parallèlement avec mon travail, il m'abaissait, me déconsidérait, me regardait avec plus d’ironie et méchanceté. C’était de pire en pire. Agissait-il ainsi de lui-même ou était-il téléguidé, je me demande encore aujourd’hui. En tout cas, j’étais absorbé de plus en plus par mes études.