Souvenir: le baiser de Butte Montmartre

Paris, Butte Montmartre, près de la cathédrale Sacré-Cœur à minuit. Un couple enlacé, s’embrassant, enflammé à côté du Dôme. Un spectacle habituel, qui n’arrête personne, n’étonne personne en ces lieux, même à minuit. Un homme élégant, cheveux grisonnant, taille haute tient dans ses bras une femme élégante, fondant de bonheur sous sa tendresse.

On m’avait dit, j’avais lu, se dit-il, que Paris était la ville d’amour. Je viens ici pour une seule journée, et me voilà avec une femme intéressante, attirante et qui sait, peut-être même, avec une nuit d’amour devant moi. Voudrait-elle ? Que dire ? Que faire ? Mais avant, profiter de cet émerveillement, encore un baiser !

— Que veux-tu me montrer encore ?

— Notre Dame illuminée, de dos.

— Allons-y.

Que c’est beau ! Notre Dame côté parc. Le parc est fermé, mais une autre bonne place pour s’embrasser, d’autres souvenirs envoûtés de Paris.

Nous sommes restés aussi longtemps, près de la cathedrale sur la Butte Montmartre, en nous embrassant de plus en plus fiévreusement.

Je rêve ? se demanda Julie. Est-ce possible que je puisse encore plaire à quelqu’un ? À quarante-trois ans? Même à un homme aussi intelligent, agréable, tendre comme Ab ? Depuis des années, personne ne m’a pas embrassé sur la bouche. Alex disait, si je me séparais de lui, que personne n’en voudrait plus de moi. Avec mon corps, mon âge... Alex a eu tort ! Ab me veut, c’est clair ! Il est avide, il est tendre, il est reconnaissant pour chaque baiser, chaque parole. Pourquoi ne me demande-t-il d’aller à son hôtel, de rester avec lui ? Le veut-il vraiment ?

Elle le reconduit en voiture, devant son hôtel. Pendant une heure, ils s’embrassent, ils parlent encore, dans la voiture. Aucun d’eux n’ose pas demander à l’autre « veux-tu ? », chacun attend de l’autre la suggestion, aucun d’eux n’est habitué à lire les « signes », à faire des signes compréhensibles sans paroles, pourtant leurs baisers parlent d’eux-mêmes.

Enfin, à trois heures de l’aube, il lui demande. Elle l’enlace, sourit, heureuse. Il me veut ! Ab soupire, content : elle veut bien !

Le lendemain, il lui fait l’amour encore une fois, puis l’attire devant le miroir :

– Regarde, comme tu as changé !

Julie voit dans le miroir une jeune femme rayonnante. Est-ce moi ? Où a disparu la triste femme, presque fanée ?

– Et pourtant, je ne sais même pas ton prénom.

– Tu connais mes yeux, ma voix, ma bouche... C’est plus important que mon prénom.

Ils étalaient rencontrés hier, à une conférence qu’il donnait. Était-ce seulement hier ? Pour eux, cela paraît déjà si loin, comme dans un autre siècle, un autre monde.

Justement, il doit repartir, dans un autre monde. Adieu ! Ou au revoir ?

Il n’oubliera jamais cette nuit magique de Paris, et cette femme de plus en plus rayonnante. Elle n’oubliera non plus ces baisers dans la nuit, ces baisers qui lui ont rendu l’espérance.

Un jour de bonheur vaut déjà !

Parmi tant d’années grises, quelques lumières surgissent, illuminent mes souvenirs. Des étincelles rapidement éteintes, des feux d’artifices pourtant inoubliables. Aujourd’hui, au crépuscule de ma vie, ils pèsent autant que mes longues années de mariage dans laquelle bonheur et souffrances se sont mélangé, les moments merveilleux de passion et bonheur ensevelis, enfouis sous les cendres des ressentiments.

Restée seule, Ab, le premier qui m’a fait la fête, m’a tenu dans ses bras une nuit entière, m’a apprécié, m’a aimée - pourtant juste une seule nuit - illumine plus fort mes souvenirs que les dizaines d’autres hommes qui ont suivi, qui pendant les deux ans de recherche avide de partenaire m’ont apporté pourtant la plupart de temps de sexe agréable, mais finalement surtout la conviction que je plais encore. Aussi, en m’apprenant, que je veux beaucoup plus d’une liaison. Je veux pouvoir compter pour l’autre. Je veux qu’il soit libre, qu’il m’écoute, qu’il m’entend, qu’il me parle, qu’il s’ouvre. Je veux qu’il sache exprimer son amour avec tendresse.

Je me souviens mieux de chaque geste dans notre rencontre avec Ab pendant cette seule nuit magique que des autres jours qui suivirent une année plus tard. Me disant surtout: «ce n’est pas ça, non plus!»

Je ne les regrette pas, non plus, il fallait que j’apprenne aussi ce qu’il ne me fallait pas.


Sandou m'a fait la cour pendant des années avant que je sois "à lui" et devienne femme et nous avons été en tout quinze ans des amants (et épouse, mère de ses enfants). Pierre, je l'ai connu plusieurs mois avant de coucher la première fois ensemble et nous avons dormis dans le bras l'un de l'autre presque une année entière très heureuse.

Abe, je l'ai connu quelques heures à peine avant, l'après-midi, monté dans sa chambre d'hôtel vers trois heures de nuit et nous nous sommes séparés le matin - pourtant il restera pour moi toujours mon "troisième" et important. J'ai vécu des mois avec le souvenir. Et il était arrivé juste quand il me fallait, et il s'était comporté juste comme il me fallait: il m'a rendu confiance et appris une leçon.

Ce n'est pas la quantité qui compte mais la qualité, je me suis alors rendu compte. Mais aussi, si je regards tout cela de loin après tant des années, ce qui est dans notre tête.

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