29 octobre 1985

Depuis quelque semaines je n'ai plus des règles. C'est normal à 51 ans que le retour de l’âge arrive, mais pour le moment je suis plus nerveuse, plus fatiguée. Pour le reste, on verra.

Hier, j'ai réussi à reprendre en mains - d'une façon élégante - la direction de la boutique : de toute façon, rien n'allait plus. Il le fallait.

Paul ne boit pas - pour le moment. Et j'espère, qu’il ne le fera plus, ou moins souvent. Il a plus de confiance en lui-même. Mais ce soir, il est venu à Bip uniquement pour se quereller, hurler contre mon fils.

Lionel travaille merveilleusement bien et sérieusement, pendant que Paul ne fait plus rien d’autre que de se quereller avec nous tous. Je commence à en avoir assez. Je travaille énormément, je suis fatiguée, et il arrive à ce moment-là pour chercher querelle.

Parfois la vie est si triste.

Par contre j'ai tellement de joie avec mon fils ! Et dans mon travail je rencontre beaucoup de gens intéressants.

Donc en réalité, la vie est belle!!!

Rien ne va plus

5 septembre 1985

Je suis très fière et très heureuse : Lionel est fantastique et depuis qu'il a commencé à travailler à Bip, il s’est épanoui - ça marche beaucoup mieux que je n’aurais pensé. Hélas, cela a créé des problèmes côté Paul. Alors que tout allait bien, d'un seul coup rien ne va plus avec lui. Que faire ?

Á cause de Paul, je deviens de plus en plus nerveuse. Je ne peux pas lui permettre de « jouer au chef » encore longtemps. Il se croit à l'armée et je me demande où il a laissé sa tête. Il en avait, pourtant!??

Depuis quelques semaines, il est tellement désagréable et agressif au travail - et même avec moi! Je ne sais vraiment pas que faire. Il “ne supporte pas” tant de choses et tout décision pour la société est repoussée à plus tard ; on ne peut plus avoir confiance en lui de rien important!

En plus, depuis un moment, il ne m’a plus rien acheté, ce n’est pas importante mais j'ai l'impression qu’il se fout tout à fait de moi. C’est uniquement quand il veut que je lui pardonne ou quand il est jaloux qu’il s’intéresse un peu à moi. Où sont passés mes rêves de couple uni? J'ai très peur de ce qui arrivera. Pour lui, pour moi.

Où peut-il être? Où a-t-il pu passer tout l'après-midi?

Je ne devrais pas être aussi bouleversée. Est-ce à cause de mes règles? Je suis toujours nerveuse juste avant. Mon âme, mon cœur ont de la peine, je souffre.

Qu’est-ce qui nous arrive?

19 juillet 1985, Paris

Je suis très contente de ma fille et de mon fils et depuis quelques jours même de Paul. Depuis qu'il est devenu Directeur de la société BIP.

Mais de moi‑même, non. Je devrais être très heureuse et m'occuper plus d'eux.
Agnès a besoin que je l’appelle plus souvent, que je lui parle plus. Lionel a besoin d'étudier plus. Et Paul a besoin qu’on lui donne plus d'importance. De toute façon, c’est un bel été et même si certaines personnes ne se conduisent pas comme il faut, leur trahison ne doit pas me toucher tant.

Je ne suis pas assez attentive non plus.

Comment montrer à ma fille qu'elle compte énormément pour moi, beaucoup, beaucoup plus que mon travail ? Comment lui donner des conseils relatifs à son mari ? J'espère aussi que travailler pendant une année, avant aller à l’université, aidera mon fils à mieux savoir ce qu'il veut faire, à mieux démarrer. Je l'espère. J'espère apprendre à me comporter d’une façon à ne heurter ni Paul, ni mes collègues de travail.

De temps en temps, comme maintenant, il pleut, tout paraît grise, d’autres fois le soleil brille. C'est la vie. Mais j'ai beaucoup de chance avec tous autour de moi et qui m'aiment, avec Bip qui se développe, avec mes enfants. Ma famille est en bonne santé, l'été est agréable.

Comment apprendre à avoir plus de tact ? Avec tous ! ? Julie, réfléchis un peu !

30 juin 1985

Nous sommes à Berlin pour quatre jours, cette ville n'est pas comme je l’avais imaginée et il n'est pas bon de voyager quand je suis tellement fatiguée. Mais il est possible aussi, que "décompresser" fatigue, comme dit Paul.

La semaine dernière il m'a surpris : il a démontré qu'il savait présenter nos produits et il sait même nous représenter et si je le laisse choisir, il sait aussi réfléchir. Je vais essayer de lui laisser la responsabilité de la société.

Maintenant, je sens que ça pourrait marcher.

J'ai toujours été satisfaite de travailler en coulisses, peut-être aurais-je ainsi plus de temps pour mes enfants qui ont vraiment besoin de moi ces jours-ci-ci. Il faut faire très attention, ne pas être avec eux comme mon père et sa deuxième femme ont été avec moi pendant vingt ans.

Nous sommes entrés dans notre troisième année avec Paul et l’on se connaît mieux. Deux heureuses années, n'est déjà pas si mal. Même si on a eu aussi des problèmes, des peines, mais en général c’étaient de bonnes années. Nous pourrons en avoir encore.

Paul est attentif à mes besoins profonds. Il est aussi poli, distingué, élégant.
Ce n'est pas vrai, ce que Stéphanie dit, qu'il ne sait pas aimer. Il sait. Ce n'est pas vrai, ce que Rosie dit, -qu'il ne sait pas travailler. Il sait. Il faut seulement lui donner la possibilité de refaire son amour-propre. Lionel aussi a besoin de plus de confiance en soi.

Pourquoi suis-je tellement épuisée ?

31 mars 1985

J'ai plus de cinquante ans, même “partagés”. (Paul a deux ans de moins que moi). Je suis heureuse et pleine de vie, d'activité, d'amour - et entourée d'amour, d'un amour aussi fort que celui de Paul. Je travaille en informatique, en ce que j'aime, j’ai réussi à établir de nouveaux contacts, à connaître des gens intéressants dans divers métiers. De nouvelles choses passionnantes. Je vis en harmonie avec moi-même et en harmonie parfaite avec Paul, je dors dans ses bras, il dort dans les miens.

Partie en Amérique depuis trois jours seulement, et il me manque déjà.

J'ai une confiance agrandie dans la vie, dans le futur, puisque je sens qu’il sera là si un coup dur arrive, et je sais aussi que je serai là pour lui. Ensemble on est beaucoup plus fort et indiscutablement plus heureux.

Je connais enfin ce qu'est la vraie harmonie d'un couple, mariés officiellement ou non, nous formons un couple uni, plus couple que jamais j'ai été et - j'espère un peu - plus qu’il a jamais été. Je vis pleinement, même si je suis submergée de travail.

Et un jour, Paul travaillera aussi.

Nous avons réussi ce printemps, une escapade extraordinaire de quatre jours dans un autre monde, autre siècle - au Portugal. J'ai toujours su que voyager avec Paul était agréable et cette fois c'est lui qui a tout planifié, tout réalisé. Et, c'était si bon ! et pas trop cher, non plus. J'espère seulement réussir à le rendre aussi heureux que lui il me rend.

Le problème que je ne sais pas encore résoudre, c'est le temps. Comment tout finir sans être débordé ? Comment avoir plus du temps, comment établir les priorités ? Je dois à apprendre à déléguer davantage, à ne pas me mêler de tout. Mieux réfléchir avant d’agir. Mais la logique n'est pas mon fort.

Je suis épuisée, je dois dormir.
J'étais et je suis toujours épuisée quand je ne veux pas réfléchir profondément à quelque chose!

15 janvier 1985

Il y a des choses qui changent, peut-être que tout change. Vers la fin de l'année dernière c'était de pire en pire et puis d'un coup, l'année nouvelle a commencé très bien.

Qu'est-ce qui est arrivé?

Pourquoi tout allait-il si mal et pourquoi, en quoi, comment cela a changé?

Je sens une énergie et un sérieux nouveau en Paul, une nouvelle flambée d’amour chez moi, un rapprochement sentimental de nous deux. Je le constate avec joie mais je ne le comprends pas - de toute façon je suis trop fatiguée aujourd'hui pour réfléchir sérieusement, profondément.

Je me sens si bien dans ma peau! Que c'est bon de se sentir proche de lui.

20 décembre 1984

C’est de nouveau un jour de samedi, juste avant Noël. De nouveau, il m'a laissé seule l'après‑midi: “repose-toi une heure”. Le soir est arrivé. Il n’est toujours pas rentré. Avant, c'était lui qui voulait être tout le temps avec moi.

Il ne m'aide plus du tout dans le travail, il vient même de moins en moins. Qu'est-ce que ça signifie? Il me dit «Je suis malade». Je ne le crois pas, à part ses nerfs.

Que nous arrive-t-il?

Ca sera ce que ca sera

5 décembre 1984

Certaines choses ne vont pas bien, d’autres si. Heureusement je suis fataliste. Inch Allah. Je fais ce que je peux.

Je me soucie davantage d’Agnès et de ses problèmes avec son mari que de moi‑même. Pourquoi ? était-ce trop beau pour être vrai ?

Lionel m'a dit que « L'amour rend aveugle ». C'est possible. Mais comme c'est agréable !

Paul pense probablement qu'il ne reçoit pas assez et j'ai l'impression qu'il offre trop peu. On verra. Il est possible que ce soit moi qui aie abîmé notre relation, mais on ne peut être autre qu'on est. Il est aussi possible que c’était pourri depuis le début et que je ne m’en sois pas rendu compte, ne voulais pas le voir.
Que sera, sera.

Stéphanie m'a dit : “Teste-le encore trois semaines, mais pas plus, jusqu’à la fin de l’année!”

Mes rêves étaient-ils seulement des leurres ?

Avoir quelqu'un qui m'aime, qui est tendre, sur qui l’on peut compter, avec qui l’on peut vieillir, voyager, vivre, dormir, rire - seulement un conte? Je ne suis pas assez riche, assez belle et gentille pour lui? Je n'ai pas assez de tact, de patience, je ne suis pas assez ordonnée, assez mûre?

Je ne veux pas encore croire que mon rêve soit fini ; mais j'ai peur, je le sens pourtant. Il faudra faire le tour du monde avec Paul avant que tout s’écroule.
J'ai déjà vu qu’avec Sandou ça n'a pas été bon de vivre (seulement faire l'amour) et finalement j’ai été mieux seule.

Avec Paul c'était mieux de voyager, dormir près de lui et aussi marcher, se balader. Mais pas de travailler ! Hélas. Pourtant j'ai toujours espéré. Je n'espère plus. Et si on ne résout pas ça ? Étrange, je n'ai plus peur.

On verra... Une partie de moi-même regarde tout de l'extérieur, curieux de ce qui arrive. Je sens que c'est moi qui l'aie abîmé, pourtant les autres autour de moi ne le voient pas comme cela, elles croient et me le disent qu’il n'y avait rien à faire. La vie est comme ça. Il faut payer pour tout et il n'y a pas de bonheur sans nuage.

Il vient de rentrer à la maison et, bien sûr, complètement ivre. Où a-t-il été pendant ces 11 heures ? Qu’a-t-il fait ? Curieux et dommage - mais je m'en fous. Ça ne compte plus.

Je fais ce que je peux

8 oct. 1984

Je viens de regarder les trois photos de Paul.

Paul, en juillet 1983, souriant, inquiet, pas sûr de lui, mais formidable déjà. Paul, ce printemps en Alsace, souriant et très fier, trop peut-être, changé et tellement plus satisfait, sur de lui-même. Et Paul avec moi, le septembre en Amérique, détendu et tout à fait à son aise, déjà en couple habitué l’un à l'autre.
On se connaît déjà depuis un an et demi, un an de cohabitation. Attention Julie, tu es heureuse, fais en sorte que ça dure, ne lui fais pas une vie difficile, rend-le heureux.

Je pense que les ennuis passagers s'en iront - on les chassera - et, ensuite on pourra bâtir en toute quiétude notre vie de couple (Existe-t-elle ?)

Je commence à croire que j'ai trouvé quelqu'un avec qui passer la reste de mes jours. Mais pas avec qui vieillir ! Où es-tu ? Tu me manques déjà après une heure d'absence. C'est terrible.

Mais c'est si bon d’être amoureux…

23 Sept 1984

Agnès s'est mariée. Ma fille est heureuse, mûre et même si je dois encore l'aider, elle est partie, elle s’est envolée. Elle vole et marche sur son propre chemin, loin de moi, en Amérique.

J’ai l’impression que cette année ne sera pas facile pour BIP, pourtant j'ai déjà réussi à lui créer un renom. Nous sommes connus (peut-être trop) et la concurrence l'attaque sérieusement à cause de cela, je dois bien réfléchir et me concentrer là-dessus.

Par contre il semble que c’est le “beau fixe” dans ma vie privée, le soleil brille de nouveau. Il ne faut pas trop y croire, mais j'ai quand même l’espoir que Paul va rester. Hier soir, il m'a dit que l’année dernière a montré qu'on peut vivre ensemble et qu’il sent qu'on pourrait rester jusqu'à la fin de nos jours.

Moi, je le sentais ainsi depuis longtemps, Paul me convient, il est celui qu’il me faut, mais j'ai eu peur (j'ai encore) que moi, je ne lui convienne pas tout à fait, même si d'un certain point de vue, je suis celle dont il a besoin.

Je commence à le présenter comme "mon mari", pas trop vite? Je ne le crois pas. Je sens, qu’il ne m'a pas demandé en mariage seulement à cause des problèmes juridiques, lui aussi me considère déjà comme si j'étais sa femme. On verra si j'ai eu raison. Je l'espère.

C'est difficile d’expliquer à quelqu'un d'autre pourquoi je suis si heureuse avec lui, mais j'espère que mes amies le voient et le comprennent.

Bientôt la vie de mon fils va aussi démarrer sur un bon tracé. Lionel a déjà compris ce qu'il doit faire avec sa tête, maintenant il doit s'habituer. S’il part lui aussi en Amérique, on pourrait vivre seuls. Ces trois dernier mois se sont bien passés en trois, ensemble. Assez bien.

déjà une fille qui se marie!

2 septembre 1984
Dans deux semaines ma fille se marie. Quelques années s’envoleront rapidement et je deviendrai grand–mère, c’est presque incroyable!

Curieux, combien je ne sens pas en moi-même les années, combien au fond je me sens celle que j'étais dans mon enfance. Encore plus bizarre: la naissance d'Agnès me paraît plus éloignée que ma propre enfance. Je devrais apprendre pourquoi, d'où me vient cette sensation.

Julie, fais attention, ne pas heurter Paul même sans le vouloir. Parle un peu moins. Tu espères vivre heureuse, longtemps, avec un homme agréable, n'abîme pas cette possibilité.

J’ai toujours aimais dormir près de quelqu'un, le sentir à mes côtés, mais je n'avais pas expérimenté jusqu'ici cette proximité, se blottir l'un contre l'autre, ce sentiment merveilleux de chaleur humaine. Stéphanie m’a dit que je commence à me réveiller et me comporter comme une femme adulte et à ne plus aimer "comme une fille de 16 ans". Mais il est resté en moi aussi une petite fille, parce que j'ai l'impression que Paul est comme “Le prince sur son cheval blanc” de mes rêves d'enfance, même mieux.

Il est possible que je me trompe. Il est possible que je me réveille à un moment donné de mon rêve. Comme je suis une optimiste, j'espère que non.

Que faire avec Lionel? Il me semble qu’avec lui ça ira, même si ce ne sera pas facile. Je crois que j’ai réussi à lui donner confiance pendant notre séjour à Boston. J’ai davantage de soucis avec Agnès, je crains qu’elle ne se fasse plus de tracas que de bonheur. Mais j'espère qu'elle a bien choisi.
Hélas, ce n'était pas le bon, mais avec le temps... et hélas, je me trompais aussi mais je ne voulais rien savoir, pas voir l'évidence devant mon nez ni écouter ce que mon amie Stéphanie me disait.

17 août 1984

Décidément, je dois apprendre à avoir plus de tact, à ne pas faire involontairement mal aux autres - et indirectement à moi-même - à ne pas ouvrir des anciennes blessures, à vivre dans l'aujourd'hui et me réjouir avec ce qui est là. Impliquer Paul plus sérieusement dans notre travail, éviter de le diriger. Demander son opinion, ensuite réfléchir à ses conseils et les discuter.

Apprécier ce qu'il fait et ne pas avoir follement peur de ce qui arrivera.

Depuis un an que ça dure entre nous, c’est bien, qu'est ce que je veux enfin?! Chacun craint de perdre ce qui compte pour lui, c'est humain. L'important est d'aider, ne pas le contrarier, faire tout pour qu'il se sente mieux, pour qu'il devienne plus sûr de lui-même. En général - au moins quand il prend le temps - il réfléchit mieux que moi, donc lui donner du temps. Utiliser sa pensée réfléchie avec ma pensé intuitive, ensemble.
Je voyais bien que cela ne marchait pas mais je lui trouvais tout le temps des excuses, et des torts à moi. Je lui a donné encore deux ans de temps, mais...

20 juillet 1984

Qu’est-ce qui est le mieux dans notre relation avec Paul ? Comme on s'accroche la nuit pendant qu’on dort, on se sent si près l’un de l’autre à ce moment-là.

Combien il y a de vrai dans “l'Art du temps” par Ormaisson.

La vraie matière première de l'amour, c'est le temps.

Temps rêvé, temps de nature, temps de la société.

Temps vécu : long, court, calme, fou, passionnant, triste selon les circonstan­ces. Le temps de l'affectivité, de la création, de la jouissance, de la connaissance et de la réflexion. Il est aussi fragile qu'essentiel, car le temps de la société l'interpénètre.

Il y a une grande différence entre savoir ce qu'il convient de faire et le faire, lié au degré variable de motivation et aux inégalités des capacités.

Il faut utiliser mieux notre temps et profiter du moment avec l'intensité de nos 7 ans. Mieux explorer notre propre passé, puisqu'il renferme les explications de nos difficultés ou blocages actuels.

La durée perçue par nous se déforme sous l'influence de nos émotions. Nous traitons souvent les problèmes, pas par leur ordre d'importance mais dans l'ordre où ils se présentent.

Les tâches : en principe c'est nous qui choisissons leur priorité, mais d'habitude nous faisons :

· ce qui nous plaît avant ce qui nous déplaît

· ce qui va vite avant ce qui prend longtemps

· ce qui est facile avant ce qui est difficile

· ce que nous savons faire avant ce qui est nouveau pour nous

· ce qui est urgent avant ce qui est important

· ce que d'autres nous imposent avant ce que nous avons choisi

· et ce qui est noté sur un agenda... (pas toujours)

L’enfant rêve, accueille les surprises avec joie, sait tout oublier pour profiter de l'instant, sans le poids de passé ni le souci de l'avenir, sait vivre la plénitude de l'instant, intensité de ce que l'on ressent.

Voleurs de temps :

Externes : coups de fil imprévus, longs ; collaborateurs et leurs problèmes ; porte ouverte et disponibilité ; visiteurs ou clients arrivés à l’improviste ; personnel insuffisamment formé

Internes : objectifs et priorités confus et changeants ; travaux en cours, manque d'ordre ; ni plan ni date auto-imposé ; perfectionnisme et attention excessive aux détails ; délégation insuffisante ; intérêts dispersés et trop nombreux ; inaptitude à dire « non » sans blesser (ceci fatigue).

Le temps passe sans s'arrêter. On peut en perdre, on ne peut en gagner.

Objectif : demandez-vous : viennent-ils de l'intérieur ou de l'extérieur

À court terme : faire un plan réaliste, satisfaisant, faisable

À long terme : l'intensité compte plus que la probabilité de réalisation

Les objectifs de vie
peuvent subir d'importantes variations. Le plus important est qu'ils nous
permettent de nous dépasser et d'affronter sans fléchir les intempéries de
l'existence.


Demandez-vous, pendant les six derniers mois avant de mourir, que ferez-vous?

Des problèmes partout

14 juillet 1984

Aussi incroyable que cela paraît, j'ai eu 50 ans il y a deux jours. Peut-être les autres me voient-ils ainsi, mais je ne me sens pas de cinquante ans, d'ailleurs même pas de quarante. C'est vrai que si je regarde mes photos d’il y a cinq ans, j’y parais très jeune, très décontractée et heureuse, mais je me sens plus jeune, plus vivante et plus heureuse aujourd'hui, même si j'ai trop de poids, plus de soucis et que dans la glace je parais moins bien. La photo fait par l'ordinateur avec Lionel me dit par contre que je suis encore pas si mal.

Agnès s’est fiancée et très bientôt elle va se marier. Elle a fleuri, elle s’est ouvert d'un coup - elle est absolument éclatante.

Le temps passe sans que je m'en rends compte.

“Pendant que je m'occupais, sottement, nécessairement, de l'urgent qui nous assaille, l'essentiel comme toujours, me filait sous les yeux et entre les doigts”
Jean Ormaisson

Pourquoi cela m'a-t-il frappé ? Parce que je crains que cela m'arrive.

"Cet animal est très méchant, quand on l'attaque il se défend" Qui ? Lui, moi ? Un autre ?

J'ai des problèmes. Avec le travail, Bip, Lionel, l'argent et avec Paul. Pourrais-je en avoir moins? Même si je travaillais davantage et je me promenais moins? Il faudrait me reposer. Réfléchir, je pourrais n'importe quand. Fais-le, alors!

C'est vrai que depuis un temps, je vis plus que je ne lis, je me réjouis plus que je ne réfléchis, mais il y a aussi du travail que je devrais déléguer aux autres. Certaines choses dans ma vie sont devenues d'un seul coup plus importantes. Je suis Julie, je sais (sais-je?) je sens ce dont j'ai besoin, ce qui est bon pour moi, les autres ne peuvent pas le savoir, même s'ils essayent de penser à ma place.

Celle-ci est la troisième année de la société BIP et c’est très important, c'est vrai, mais je ne dois pas la faire passer avant ma vie personnelle.
Le soir.

Nous avons refait notre chambre de façon plus agréable et plus intime.

Je viens de relire “l’Art du temps“ :
"Nous consacrons des miettes de temps à une multitude de plaisirs, à la place de profiter à loisir des rares moments qui nous conviennent vraiment".

12 juillet 84 (collé)

Je suis arrivée à ce que ma famille “m'admire” pour mon habilité en ceci ou cela - ce n'est pas ce que je voulais. J'en ai même peur. Comment faire qu'on admire plutôt Paul, Lionel et Agnès? Ils le méritent plus que moi, chacun différemment.

Le courage et le sérieux d'Agnès, la connaissance des hommes et la pensée pénétrante de Lionel, la profondeur et l'attention de Paul, et tant d'autres de leurs qualités sont plus importants que “ma réussite”. J'ai créé la société Bip puisque j'y ai été obligée, j'ai persévéré puisqu'il n'y avait pas d'autre issue, et en plus, j'ai aimé la développer. C'est plus difficile de continuer à l'agrandir, la maintenir, mais il y a encore tant de possibilités.

Comment persuader mes enfants qu'ils sont capables?

Comment épauler Lionel, tout en lui laissant en même temps assez d'espace pour qu'il se rende compte de ses possibilités. Et comment aider Agnès et son futur mari?

Comment apprendre à me retirer assez pour que Paul se sente responsable et le tenir quand même au courant et l'avertir pour lui éviter mes mauvaises expériences.

Je les aime tellement. Comment les aimer mieux?

D'après Stéphanie, les laisser agir seuls.

l'art d'aimer

3 juillet 1984

Ma fille pendant ma visite, m'a donné le livre par Erich Fromm "Art d’Aimer", voilà quelques observations intéressantes.

Devenir amoureux --> que le mur entre eux soit détruit, se sentir près.
Aimer c’est un art comme la vie. Son principe est la "permanence dans le changement".

Pour pouvoir vraiment aimer il dit, qu'il faut :

  • la connaissance de soi,
  • la capacité d’aimer son voisin,
  • une vraie humilité,
  • du courage et de l’optimisme.

Plus on connaît quelque chose, plus on l’aime. Égalité, mais les différences doivent être respectées.

Aujourd’hui c’est l'anniversaire de Paul, mais il me l'a caché, il m’a dit que ce serait seulement demain.

Une autre réponse à notre besoin d’affection est l'activité créative, où l'on est uni à son matériel, mais c'est une réponse partielle - seulement moi qui vois le résultat de mon travail.

Les unions peuvent être différentes d'après From:

  • symbiotique, besoin l’un de l’autre ;
  • passive ; masochiste en renonçant à leur intégrité.

"Par contraste, l’amour est l’union sous condition de préserver l’intégrité et l’individualité de
chacun. L’amour c'est surtout donner - pas recevoir. Il n’est pas l'oublie de soi, ou marchander pour. Paradoxe : devenir une, mais rester individuelle."

"Pour un caractère productif donner c’est l’expérience suprême de sa force, santé et puissance, le rendant vivant et heureux. Ce n’est pas celui qui a beaucoup qui est riche, mais celui qui donne beaucoup. "

"Les vrais conflits ne sont pas destructifs, ils apportent nouvelle connaissance et
force. Aimer, veut dire donner sans garantie, se donner complètement, en
espérant que notre amour va apporter l’amour dans la personne aimée."


"Aimer c’est croire. Croire nécessite du courage, et savoir prendre des risques, être prêt à accepter les peines et à être déçu. Seulement alors peut-on avoir réellement de la joie. "

Je crois que From a raison.

2 juillet 1984, Strasbourg

Cher Stéphanie, (copie du lettre: pas expédié finalement?)

Je suis heureuse que le concert a si bien réussi et j’espère que tes deux expos suivants aussi. Hélas, je ne sais pas si ce n’était pas trop précipité d’avoir confié l’écriture de l’article à Paul, parce que beaucoup de choses qu’on lui confie est mis à plus tard et je ne vois pas ce qu’en sort.
J’ai écrit hier quelques lignes avec les idées, de ce qu’on pourrait faire là-bas, je l’ai ‘oublié’ à l’hôtel, mais il ne l’a même pas regardé. Il faut lui laisser de temps, ce que je fais maintenant aussi mais d’après moi il faudrait que je le prépare en secret, ainsi s’il ne sera pas prêt à temps, qu’il y a quelque chose - sûrement il le fera mieux s’il si met.

Hier au téléphone n’est pas arrivé au meilleur moment, mais la vie est la vie, et bien sûre, à côté des études universitaires de Agnès et Ionel, il faut supporter d’un façon aussi les études dans un école privé de ses fils et peut-être bientôt il aidera aussi sérieusement et il gagnera aussi pour tout ça. Pendant les voyage il est fantastique, malgré que deux jours ont été nécessaires pour qu’il se déride, mais pas autant que chez vous. Demain c’est son anniversaire. Un énorme quantité de travail nous attend parce que le printemps a démarré lentement est j’ai trop de stock.

Je pensais qu’on pourrait faire des portraits ou tee-shirt, on peut passer de papier avec machine à repasser, qu’en pense-tu ?

Quand serait de nouveau vide la chambre de « Mamouchka » et pourrons y aller. Mes enfants m’ont reproché - et peut-être ont-ils un quelconque raison - que je ne m’occupe pas assez d’eux. De nouveau, Pierre est parti « y a quelque chose urgent à discuter » voir sa ex femme et avant cela il m’a dit que « nos deux anciens compagnons étaient des primaires et ne peuvent pas supporter de ne pas tout savoir, de ne pas avoir toujours raison et ne peuvent apprendre ou écouter l’autre parce qu’ils savent mieux que tous, de tout façon. »

Il m’a fait écouter une fois quand il parlait avec elle, et il a insisté qu’elle lui rapporte la table portugaise, il voudrait recréer la chambre qu’ils ont eu en Portugal, un bon souvenir pour lui. Et dit : tu veux vraiment prendre son fils Nicolas vendredi ? puis des contradictions nouvelles et nouvelles ; puis « comme tu le veux » et de nouveaux des raisons contre. Lui aussi, Nicolas aussi, ont cédé, sans lutte. J’ai discuté avec Nicolas avant qu’il part pour une mois à Munich (dimanche et pas vendredi), entre quatre yeux, et il m’a dit : « ma famille ne compte pas pour moi, ils crient et se querellent tout le temps, son frère fait des crises de nerfs et on ne peut parler avec lui, les filles se querelles aussi, et ma mère ne me donne pas d’argent pour l’école que si je lui obéis. L’école est ma vrai famille, là j’ai des amis. Si je fais comme elle le veut, comme ils le veulent, et je cries contre mon père tout le temps, alors ils continuent me donner d’argent pour l’école pour que je puisse être avec mes amis. Et il m’a aussi raconté que les vieux (ses grands-parents), sa mère l’a déjà « presque » mis en tombe, il n’y a plus beaucoup pour eux, les enfants partiront et il ne veut pas rester seul.

Il ne veut pas de changer de nouveau sa vie.

Elle se souvient maintenant comme si c’était Paul qui les est quitté et elle met la plus d’énergie possible pour le récupérer. Elle ne travaille plus dans le bureau de son père et demande Paul maintenant de l’aider avec des formalités, demande qu’il l’aide à choisir un ordinateur, etc. etc. Elle l’a aussi invité pour les vacances - à condition qu’il vient seul, mais autrement elle ne veux pas qu’on y va puisqu’elle le lue. C’est elle qui dira quand on pourrait y aller.

Cette fois, pourtant fort fatiguée et sombre, mais il est revenu à la maison sobre.

Tu me l’avais annoncé dès le début, tout ceci. Puis tu as ajouté « ce n’est pas celui-là ! » Maintenant que tu le connais, que tu nous a vu, tu peux mieux donner ton opinion. Comment il s’est comporté d’après toi.

De tout façon, j’ai dit au sujet de ordinateur que je ne suis pas d’accord de l’aider, je ne veux pas qu’on vient tout le temps chez Bip. Comment peut-on, si jamais c’est possible, de lutter avec une femme comme ça ? Dois-je laisser le tout à Pierre qu’il se débrouille comme il veut, peut ? Nous allons en parler encore ou écris moi, de tout façon il me fait bien de l’écrire, le raconter à quelqu’un.

Bien sûr, après qu’il est couru pendant des années, lui après elle, maintenant, il est contant que c’est elle qui courre après lui. Mais…

Moi, je suis bon pour lui de mille point de vues mais m’aime-t-il vraiment, en soi ? Il sait qu’avec moi il est bien, mieux, mais est-ce assez ? Peut-être, plus, mais de temps en temps quelque chose manque.

Je m’en suis habitué tellement déjà, il m’a habitué, que même quand il dort un peu plus loin il me manque déjà. Nous sommes tellement faibles et un peu de chaleur est tellement bon, ce que je devrais regarder et pas penser à autre chose.

Peut-être, il devrait avoir peur qu’il me perd, à place qu’il se fait désirer et qu’il soit occupé de ceci au lieu des vieux choses pour qu’au moins il n’y pense plus. A peine nous sommes retournés à la maison, il y avait un message au répondeur : qu’il la rappelle. Bien sûr.

« Il y a pire que n’avoir pas réussi, c’est de n’avoir pas essayé. »

6 Mai 1984

De jour en jour, j'aime davantage Paul et je suis plus heureuse. Nous venons de faire un beau voyage au bord de la mer et au long de la Loire. Et, en cette belle journée de mai, nous avons même bien travaillé ensemble à Bip. Hélas, c’est encore l’exception.

Bientôt une année qu’on s'est rencontré.

Que c'est bon d'être vraiment, profondément amoureuse ! Il me suffit de le regarder et la chaleur m’envahit, quand il me sourit je fonds, quand il me serre contre lui je me sens en paix, chez moi, à ma place et je m'endors.

Lentement, on commence à s'habituer, avoir une influence tranquillisante l'un sur l'autre et vouloir être ensemble non seulement des jours, des mois, mais des années. Je commence à espérer que cette fois mon bonheur durera. Ensemble on luttera mieux contre les difficultés de la vie, on les passera mieux.

J'ai peur que ce sentiment soit trop fort et que je me sois un peu éloignée de mes enfants. Pourtant j'avais été toujours convaincue que l'amour est infini et qu’il y a de la place pour tous. En réalité je ne les aime pas moins : mais le temps est fini. Attention Julie ! Mais momentanément, c’est très fort.

Que c'est bon d'être amoureuse !

"Les temps de transition entre les sociétés, sont les temps où les entrepreneurs fleurissent! ils sont pleins d’opportunités. Si on apprend à apprivoiser l’insécurité, on peut réaliser beaucoup plus que dans les étapes stables.”
Les caractéristiques que j'ai eues m'ont aidée: l’éducation généraliste souvent, ré-apprentissage, besoin de s’adapter vite. Dans la chaîne de création - réalisation - distribution de l'information où suis-je intervenue? La création n'est pas mon fort (seulement rarement, à petite échelle). Réalisation ? Distribution?? Mais il y là, justement des possibilités multiples, grandissantes.

8 février 1984

La dernière question de l’avocat au procès avec ma belle mère : Êtes-vous venu au cimetière où votre père est enterré depuis sa mort? Quel plaisir d’avoir pu répondre: Oui, j'y suis allée et j'ai même fait ajouter une vase de marbre.

La question m'a montré qu’eux (ma belle-mère et le frère de mon père) ne sont pas allés au cimetière, n’ont pas vu le tombe de papa, depuis fort longtemps. Cela fait déjà deux ans que j’ai ajouté les cendres de ma mère, pour qu’ils soient ensemble, comme ils l’auraient souhaité et comme mon père me l’avait demandé dans son testament ! Et j’y est fait poser une vase de marbre avec le nom et l’année de naissance et mort de maman gravé dessus.

12 février 1984
J'ai pris deux semaines de vacances en février autour de ces deux jours difficiles de procès. Hors des jours habituels. Nos vacances ont été très agréables mais - il y avait d'où. Attention! il faudra quand même regarder combien je dépense!

Julie, fais aussi gaffe avec ce qui pourrait arriver avec ton fils, en aucun cas ne perds pas le contact ni avec tes enfants, ni avec tes amies, même si tu t'occupes moins souvent d'eux. N’être pas seul c'est fantastique à beaucoup de points de vue, mais il vient avec certaines choses. Il faut y mettre du temps et de l’attention, bien sûr, réciproquement. Je me réjouis du présent.

Ne fais pas trop de rêves ! Mais c'est dur de ne pas en faire. Sois heureuse de ce qui est sûr.

Attention! Ne pas perdre à cause de Paul le sol sûr que tu as sous tes pieds, ne pas oublier de penser, et quelquefois me comporter, de façon indépendante.

Je n'ai pas pu raconter pendant l’audience tout que j'aurais voulu, mais au moins une partie je me sens soulagée. J'espère qu'en gros, ce que papa voulait arriverait, contre leurs complots et leurs années de préparation. C'est vrai aussi que mon père était convaincu qu'il n'y aurait pas du procès. Il n’avait jamais imaginé que son propre frère mentira et témoignera contre ses dernières volontés, contre sa fille, son propre nièce. Mais procès il y a, et il durera encore longtemps, tel qu’il se dessine maintenant.

C’est encore mieux qu’il ne se rendait pas bien compte comment étaient les gens qui l'entouraient, sa femme, son frère, les autres., et ne se doutait pas ce qu’ils feraient après sa mort. Mais il aurait été tellement heureux et fier de savoir quelle femme d'affaires sa fille est devenue !

Je commence aussi à avoir un meilleur aspect, même s’il faudrait que je maigrisse pas mal encore.

Au revoir, Julie.

1er janvier 1984

Que c'est bon de se réveiller ensemble, de se blottir plus près et de s’endormir de nouveau. Que c’est bon quand quelqu'un s'occupe de toi et essaye de deviner tes pensées. Que c'est bon d’espérer de nouveau et de commencer l'année avec optimisme.


J'entrai dans ma 50e année.

Stéphanie dit "ce n'est pas cela!"

7 octobre. 1983

Stéphanie me dit ‘Ce n'est pas celui-là’

(Celui que j’attends, celui qu'il me faut, celui qu’elle me l’a prédit que j’aurai un jour)… D'après elle, de cette relation restera - au mieux - seulement une longue et belle amitié, parce que Paul a trop de choses sur la conscience, elle croit que pour lui je ne serai jamais la première. On verra.

Maintenant c'est bon, c'est agréable, et depuis longtemps je n’espère plus des choses "parfaites".

Depuis longtemps personne ne m'a autant étudié, autant compris. Il est profondément attentif à moi. C’est important. En plus, il m'attire et, oui, il est bon “cavalier” - il sait, il sent quand et ce qu'on peut faire, quand il doit céder, quand il peut demander plus, etc. Homme intéressant, il y a encore beaucoup à découvrir en lui, avec lui. On veut partir bientôt pour deux semaines en Allemagne.

Que va-t-il en sortir ? Cela dépendra de nous.

J'ai vu LISA et je ne suis pas “morte de plaisir”, j'étais même déçue. J'ai eu l'ordinateur Lisa pendant trois semaines à la maison, mais tout en ayant de très bonnes fonctions, facile à utiliser, des sérieuses avancées, elle a les défauts du début et en plus, est très lente à charger. Je m'en suis séparée sans tristesse, avec soulagement (je l'ai vendue), comme je l’avais escompté.

Il faudra acheter un PC - IBM. Mais j'aurais envie plutôt d’une Sharp 5000 : deux kilos, 256K de mémoire, clavier normal, imprimante incorporée et écran plat ! Le futur, un pas, grand pas vers le futur ! Pas besoin d'un grand monstre comme LISA. Bientôt tout sera miniaturisé, même les micros ressemblants à Lisa !

Évolution, révolution, c'est quand même passionnant d’assister à cette révolution informatique du monde, d'en faire partie, d’être là, au courant. Le fait que Paul est ici, me permet quand même de ne pas trop m'y perdre.

Trop, c'est trop. Peut-on trop aimer quelque chose ?

Je ne le crois pas.

Mal aimer oui. Mais pas trop.

Il ne faut pas avoir peur des passions! Des hauts et des bas arriveront, mais cela veut dire seulement qu'on vit, qu’on existe et qu’on reste jeune intérieurement.

Comme disait un jour Stéphanie : on ne doit pas mourir avant de mourir. Il n'y a pas de certitudes, d’absolu, mais il ne faut pas renoncer à chercher, à regarder, à prendre plaisir à la vie.

Attention, Julie!

19 août 1983

J'ai réussi à me revaloriser. C’est le plus important, et je ne dois plus le perdre en aucune façon.

Que Paul m'aime ou non, qu'il soit vrai ou faux, que je compte ou pas vraiment pour lui, mon assurance ne doit d’aucune façon, dépendre de ça. Continuer mon chemin, avec ou sans lui, ne pas me détourner trop loin de mon chemin.

Vivre intensément, mais ne pas oublier de réfléchir, de raisonner !

Fais très attention Julie, n’oublie pas que tous les hommes sont méchants, même, et surtout, quand ils sont si attentifs, si gentils et te répètent sans cesse qu'ils t'aiment. N’oublie pas de le laisser attendre, de dire de temps en temps non, surtout si tu crois que cela peut devenir sérieux. Et attention ! ! !

On doit choisir avec soin quand et avec qui l’on partage nos expériences, nos sentiments, nos désirs" - et quand il ne faut pas le faire !”

Fais attention au lavage de cerveau, conscient ou non !


C'était plus facile à me le dire, que d'obéir même à mes propres instincts...

Je m'approche de 50 ans (journal)

16 novembre 1982

Je m'approche de 50 ans. L'âge de maman, elle n'a pas vécu beaucoup plus. Quelquefois, à cause du regard des gens, je me sens lourde et surtout, vieille. Mais ma dernière photo sur ordinateur me dit que je suis encore pas mal du tout.

Pourais-je encore plaire à quelqu'un, sérieusement ? Et lui à moi? Tout est possible dans la vie, même ça. Ou pas ? On verra.

Probablement, je ne suis pas assez gentille, je devrais être plus chaleureuse, plus femme, plus faible - mais ce n'est pas très compatible avec “femme d'affaire” ?

Je dois surtout être “moi”, mais comment est-ce cette Julie ? Comment suis-je ? Est-ce trop absorbée, trop passionnée de ce que je fais ? C’est vrai, quand je me lance dans quelque chose, je me lance complètement. Entièrement.


De Nathaniel Brandess : "L’amour passionné peut durer"
Entre différents facteurs nécessaires au succès, aucun n’est plus important que l’estime de soi. La première affaire d’amour qu’on doit réaliser est l’amour de soi-même. Accepter l’amour ouvertement, le bonheur n’est pas un rêve mais une réalité, c’est normal, je peux l’accepter, je peux nager avec lui.
Les gens autonomes comprennent que les autres n’existent pas seulement pour satisfaire leurs besoins, que nous sommes finalement responsables de nous-mêmes. Nous avons passé le temps d’avoir besoin d’un conjoint pour remplacer notre mère ou notre père. Respectez le besoin de votre conjoint de suivre son destin, d’être seul quelquefois, d’être préoccupé, de ne pas penser à vous de temps en temps. Donnez-vous la liberté que vous aimeriez avoir.

Habileté et volonté de voir son partenaire comme il (elle) est, avec ses faiblesses et ses forces. La vérité est qu’au fond de nous-mêmes nous savons qui nous avons choisi, mais c’est si facile d’ignorer ce savoir, quand il nous semble plus désirable de le faire. Connaissez vos besoins.

Un grand degré d’ouverture mutuelle. Chacun étant prêt à se connaître soi et l’autre, dans une atmosphère de respect et d’acceptation. Créer le contexte dans lequel le partenaire peut se sentir libre de partager ses sentiments, émotions, pensées, fantaisies - sans craindre d’être condamné, attaqué, critiqué, refusé. Et mutuellement.

Enthousiasme, les passions ne disparaissent pas, elles changent. “L’émotion vive” est l’énergie que nous sentons, qui nous traverse au début, on reste vivant, près de nos sentiments, fantaisies et jugements - de son expérience intime. La partager et l’exprimer.

Il faut du courage quand on tombe amoureux, expérimenter l’autre être humain est énormément important pour nous, il y a une “soumission” de nos sentiments à l’autre. Le problème est dans la possibilité de perte, de ne pas être aimé en retour ou ne plus être amoureux. "


Mais, un jour, une semaine d’amour déjà en vaut la peine!!

"La difficulté vient de l’envie de permanence et de l’inévitabilité de l’évolution.

Les années suivantes vont avoir des hauts et des bas, des détours inattendus, des problèmes et des difficultés, des “défis”, des remises en question. Chaque étape a ses propres difficultés et ses propres gratifications. Les gens trop peureux se renferment. Quand on sent la peur, on doit l'exprimer, ne dites pas que cela n’existe pas. Au début, c’est la passion de la nouveauté, plus tard c’est l’harmonie, la sérénité. La vie est mouvement. Notre chance la plus grande de permanence est notre habilitée à savoir se comporter face au changement.

Ayez la sagesse et le courage d’être ami des rêves et des aspirations de votre partenaire.
"


Soit. Existe-t-il cet oiseau rare ? Oui. Puis-je le trouver ? Cela c'est moins sûr. On verra, je deviens un peu fataliste. Julie, bonne nuit !

17 décembre 1983

Nous habitons ensemble depuis deux mois, mais j'ai impression qu’il y a des années que je le connais, il me semble si près de moi et si normal d’être avec lui.

À l'aéroport de Dallas j'ai trouvé ce poème :

Il y a des gens dans votre vie
Avec qui vous devenez amis en un instant
Pourtant vous n’avez pas parlé avant.
Je savais depuis le début que je peux
Avoir confiance et croire en eux

Ces personnes en ma vie que j’appelle mes amies,
Mes amies les plus vraies,
Celles que j’ai aimé tout de suite
Sont très peu nombreuses.

Les rencontrer donne
Un des moments
Les plus spéciaux de la vie
Inattendu, comme le moment où je t’ai rencontré.

Un autre poème : Ajouté beaucoup plus tard :

Je te supporterai (autant que je peux)

en tout ce que tu fais

Je t’aiderai
en tous tes besoins (tant que je peux)
Je partagerai tes expériences
Je t’encouragerai
en tout ce que tu essaies

Je comprendrai
tout ce qui est en ton cœur
Je t’aimerai
en tout ce que tu es ! (tant que c'est possible)

Ceci est un bon contrat de mariage, d’amitié.

Est-ce possible de trouver un homme comme cela ? en vraie ? et de le garder ? Je l'ai trouvé. Et maintenant ? Je l'aime. Ça ne vaut pas la peine de craindre, de me préoccuper de ce qui arriverait. Utiliser le moment, tous les jours et les nuits, vivre le présent. Et si on peut, bâtir le futur.

Je ne savais pas qu'être ensemble peut-être ainsi. C’est aussi bon que je n'arrive pas à y croire, aujourd’hui, hier, et, peut-être, demain. Maintenant, je suis heureuse et je vis pleinement.

On ne meurt pas de plaisir

17 août 1983

"Avoir Lise et mourir de plaisir" : on ne meurt pas de plaisir. Mais avoir le micro–ordinateur LISA, le dernier d’Apple donne-t-il du plaisir ? ! Je verrai, on verra.

Jouer avec un jouet neuf donne toujours un plaisir. Mais ensuite, il faut qu'il y ait toujours de nouvelles choses à découvrir, des profondeurs à creuser.

Tout comme dans l'amour. En Micro c'est facile, c'est normal. Comment faire cela pour la vie, dans la vie? Réfléchis-y sérieusement.

Mais c'est merveilleux d'être aussi profondément heureux parce que quelqu'un d'autre est heureux à cause de moi, parce qu’on est heureux ensemble!

Rencontre avec Paul (je me souviens)

Rencontre à Montmartre

Je me souviens de cette nuit, comme si s’était hier : la nuit de ma rencontre avec Paul. Mon coeur battait si fort quand cet gentleman élégant, grand et mince s’est assis à nos côtés.

Nous étions allés au Lapin Agile avec ma tante et mon oncle, il y avait été cinquante années auparavant et voulait y retourner. Le cabaret Lapin Agile était près de mon appartement, Butte Montmartre (y est toujours et y sera probablement dans d'autre cinquantes ans encore).

Paul leur a fait aussitôt un bon impression. Bien habillé, se tenant droit, il parlait en allemand avec mon oncle, en anglais avec moi, croyant que j'étais une touriste.

Puis ma tante, fatiguée, s’est décidée de rentrer, je suis sortie avec eux. Oh, que mon coeur saignait! Je n'avais envie de quitter ce "gentlemen".

— Retourne ! me conseilla ma tante.

— Dois-je ? me suis demandée.

Mais pas trop longtemps.

Je suis retournée. Depuis des années, personne ne m’avait pas regardé ainsi, avec tant d’intérêt que lui.

Pourtant, cette nuit-là, la première nuit, je savais déjà que quelque chose ne va pas. Mon instinct hurlait : Faux ! Il y a chose de faux en lui. Mais quoi ?

Cette intuition ne modifiait en rien ma détermination de rester avec lui, de me laisser embrasser en haut des escaliers de Montmartre, de l’aimer, ni mon coeur de palpiter et n’a pas empêché non plus de faire l’amour avec lui...

La même nuit.

Je me rappelle de mes pensés, pendant que je marchais à ses côtés, vers trois heures de matin, en cherchant un hôtel, un lieu pour rester ensemble. Il avait une démarche militaire, un maintien droit et des grands pas.

Je le suivais et je m’imaginais déjà le pire qui pourrait m’arriver : «Il pourrait être un espion soviétique! Quels affreux problèmes va-t-il m’apporter? Que des tristesses? Quels ennuis? Mais malgré tout, je ne renoncerai pas à lui. Je tiens tant à lui déjà!»

Je m’en souviens aujourd’hui de ces minutes comme si j’étais encore là,.

Je me souviens aussi, quand me suis-je rendue compte pour la première fois qu’il ne m’aimait pas vraiment, qu’il le disait et répétait, seulement. Je ne voulais pas croire à cette intuition, cette découverte et je l'ai vite enfuis, chassé vite de mes pensés.

A l’époque, il habitait déjà chez moi et je venais de l’engager à travailler à la petite société que j’avais créée deux ans avant. J’espérais qu’il nous aidera, n’avait-il pas des hautes diplômes et des connaissances commerciales qui me faisaient justement défaut?! Et puis, il était en difficulté, c’était normal de l’aider.

Rapidement, je me suis rendu compte qu’il fallait «lui laisser du temps» pour se remettre nerveusement, il n’était pas capable de travailler «encore».

Je me disais:

— En quelques semaines, il commencera à nous aider, travailler, laissons–le tranquille pour le moment !

Je me suis cassée une dent au cinéma en mangeant de pop-corn qu’il m’avait offert. Il est venu me prendre à la sortie du dentiste.

— Ma dent a du être arraché, c’était irréparablement cassé, lui ai-je dit. Puis j’ai ajouté: Il faudra mettre une couronne, mais cela coûte 7000 francs! Énorme, n’est pas?

— Oui, m’a répondu Paul. Tu as raison, ce n’est pas urgent...

L’alarme a sonné alors en moi : Julie! que veux cela dire? Est-ce vrai? Ma santé ne l’intéresse pas? Alors...

C’est seulement plus tard, beaucoup plus tard que j’ai compris combien j’avais eu raison dans mes soupçons rapidement enfouis.

Il pensait que nous pourrions mieux utiliser « notre argent», mon argent, pour des choses valant plus : des restaurants et hôtels « bien », du vin fin, de nourriture raffiné et d’autres choses qu’il aimait, que quelqu’un de « bien », comme lui, se devait s’offrir à soi.

Il me montrera comment vivre mieux! Lui, « colonel en retrait » et « légion d’honneur », descendant d’un « grand famille », même si seulement par adoption, Parisien depuis fort longtemps, avec des Hautes études commerciales... il me montrera! Il me montrait, comment «il faut» vivre.

Regrettant mon manque d’élégance, mon manque d’intérêt et d’admiration pour le 16e et ses habitants où il avait habité un temps avant son divorce, son ex-femme et ses enfants, quoiqu'en difficultés, y habitaient encore. Il en était toujours fier de tout ça.

Je me souviens, pendant je travaillais durement (et lui, toujours pas), ceux autour de moi m’avertissaient de faire gaffe, et je leur en voulais.

Je pensais : combien d’épouses ne travaillent pas hors de maison! Même s’il ne fait rien d’utile au travail, même si même après une année, puis deux, j’attends en vain qu’il s’y met, et alors ? Il s’occupe de notre appartement, il est plus soigné que moi. Il fait les courses pendant que je travail. Même si de mon argent... Tout n’est pas commun dans un ménage? Il fait la cuisine, puisqu’il n’aime pas ma façon « trop » diététique de cuisiner. Il conduit notre voiture, bien, malgré que depuis si longtemps il n’a pas eu l’occasion de conduire, n’a plus eu de voiture. Il connaît si bien Paris, beaucoup mieux que moi; il sait tellement des choses que je ne connais pas!

Et puis, je me disais aussi :

— D’accord, je travaille beaucoup, énormément. Mais j’aime travailler, je peux, je travaille pour deux. Nous partageons tout. Je partage, je suis heureuse de partager avec lui tout que je gagne, je l’aime. Lui aussi...

Hélas, plus tard, et je me souviens aussi de ce temps-là, de la période quand je ne gagnais plus assez d’argent, quand ma société ne marchait plus bien. Et il ne voulait pas m’aider, il promettait mais ne faisais rien.

Il continuait à dépenser sans compter, même quand on n’avait plus d’où prendre. Et ne faisait rien pour en gagner.

Je me souviens aussi, comme si s’était hier, de jour où j’ai découvert qu’il me haïssait profondément, qu’il se réjouissait quand je me sentais mal : il en éprouvait un réel plaisir. Le moment, où je me suis décidée de rompre.

Notre avion avait été bousculé par le Mistral pendant sa descente vers Nice. J’avais envie de vomir, ma tête tournait. J’était tout blanche. J’ai surpris son regard, contant, se réjouissant de mon malaise !

Est-ce vrai ? Si, Julie ! me suis-je finalement dit. C’est hélas, vrai.

Il pensait qu’une leçon me fera du bien, d’avoir peur, d’avoir mal. Comme lui après avoir bu, après s’être drogué; quand il avait marre de tout. Ce n’est pas vrai! je t’aime! m’a-t-il répondu. Je t’aime.

Mais en vain. J’avais enfin compris.

Il m’a fallu pourtant long temps, pour me rendre compte du degré qu’il m’avait utilisé, abusé, menti, en tout. D’apprendre, non pas ce qu’il était ou non, qu’importe qu’il n’était pas colonel et n’a jamais reçu la légion d’honneur, mais comment il s’était comporté envers moi.

J’ai fort peu écrit de mes déceptions profonds, non pas de tout qu’il n’a pas été réellement, mais son comportement envers moi.

Ses bonnes manières ont impressionné aussi pas mal d’autres que moi. Et j’étais tellement attendris par ses malheurs ! Certains, n’ont pas vu non plus à travers cette façade d’élégance, toujours habillé impeccablement, son bon maintien et bon manières, le savoir faire superficiel, le savoir se comporter... quand il n’était ni ivre ni drogué.

Il était raide, mélange de trois cultures. La société prussienne « Je n’ai jamais vu ma mère avec ses cheveux blonds défaites, seulement en chignon. » La haut société bourgeoisie parisienne, enfant adopté il n’y appartenait pourtant tout à fait, l’enseignement de collègue jésuite. Et la Société de noblesse de province, de son beau-père adoptif. Élevé autour de gens oisifs, avec : on ne fait pas ça, on doit tenir le niveau.

Après notre séparation, il a utilisé le chéquier d’un compte commun pourtant fermé depuis des semaines, et non pas pour acheter des degrés de premières nécessités, ne pas mourir de faim comme il prétendait, mais pour offrir un repas royal de 2000 francs à quelqu’un, et une autre fois, pour acheter des vins chers et du saumon.

Mais attention, attention, c’est un…

Mais attention, attention, c’est un…

Chanté par Jaques Dutronc

16 août 1983, Paris

Je n'ai pas écrit de nouveau depuis fort longtemps.

De nouveau la roue du monde tourne. Il est effrayant de voir que tout change et arrive trop vite et, comme une boule-de-neige m’entraîne avec lui. Dois-je me laisser entraîner? Mais de nouveau, le ciel est bleu, le soleil brille, et quelqu'un a besoin de moi.

De toute façon, je prends plaisir à cette minute, au jour, je ne peux pas dire encore aux mois. Je fais, nous faisons ensemble beaucoup de choses que depuis longtemps je croyais, nous croyions finies à jamais. De nouveau je ris, je fais des blagues, j'ai envie de maigrir, de m'habiller, d’avoir bonne apparence et de vivre aussi hors de mon travail.

D'un coup, l'importance des choses, le poids des choses est changé, change. De nouveau, je fonds quand il me touche (peut‑être jamais tant), s'il met la main sur moi ou quand il m'embrasse.

Est-ce vrai, tout ça? N'est-ce pas trop beau?

Paul me paraît déjà plus important, compte plus pour moi, est mieux que Pierre, avec qui j'ai vécu pourtant un an entier, Pierre qui ne m’a jamais fait de mal.

De nouveau j'ai quelqu’un avec qui dormir la nuit et même prendre un “petit-déjeuner complet” au lit. Qu’apportera le futur - je verrai, mais c'est bon d'être heureuse.

Bien sûr, Paul a raison: il ne faut pas changer ma vie, tout, à cause de ça. Mais il faut profiter du plaisir autant qu'on le peut, avec ce qu'on a, et avoir l'espoir dans l'avenir.

Et puis, pourquoi ne pas rêver?! Personne ne peut nous voler nos rêves - qu'ils se réalisent ou non. Alors je vais tout imaginer, avant de penser à sa réalisation, aux possibilités réelles et espérer que j'aurais, enfin, un vrai compagnon.


Paul n'était pas vraiment son prénom, je me suis permis de changer les prénoms mais pas le texte de ce que j'écrivais.

La caverne d’Ali Baba

Un jour, un reporter de télé visita Bip, Julie lui montra ses nouveautés. C’était lui qui avait répondu le bruit par la suite :

« Bip, c’est la taverne d’Ali -baba ! »

Il y avait, dans une seule minuscule pièce plusieurs Apple II, ses yeux: les écrans gris et couleur, ses mains: le clavier incorporé prêt pour écrire, et dans son corps, enfermé le reste, le cœur qui battait dans ces machines. Mais beaucoup plus !

L’un des Apple était relié à un clavier de piano électronique et les notes jouées s’inscrivaient sur l’écran à fur et à mesure. On pouvait les sauvegarder, les rejouer, choisir d’autres parmi les 50 instruments virtuels disponibles et réentendre le tout joué différemment. Sélectionner une partie, varier la vitesse ou le ton, lui allouer des instruments différents, le mettre sur une autre échelle.

Un autre des Apple II était relié par un boîtier à un caméra vidéo permettant à capter des images. Les images ainsi captées pouvaient êtres modifiés des dizaines de manières et mélangés aux textes, même aux mélodies.

Le troisième ordinateur Apple portait en lui un programme permettant à composer plusieurs pages ! Des textes mises en colonnes, des images placées aux emplacements fixes, contournés ou entourés par texte. Le tout relié à une imprimante et, sans photogravure ni caractères de plomb, sortaient des pages d’une qualité… acceptable. Il permettait à faire des pubs, sans colle et ciseaux... avec d’instruments virtuels.

Se trouvaient aussi, pleins des jeux pour les enfants et les « grands enfants », et même une boîte pour enregistrer paroles ou chants, permettant comme pour les autres modifier, changer d’avis, revenir... créer, transformer. Accomplir plein de merveilles.



S'il te faut,

par Jaques Brel

S'il te faut des trains pour fuir vers l'aventure
Et de blancs navires qui puissent t’amener
Chercher le soleil à mettre dans tes yeux
Chercher des chansons que tu puisses chanter
Alors...

S'il te faut l'aurore pour croire au lendemain
Et des lendemains pour pouvoir espérer
Retrouver l'espoir qui t'a glissé des mains
Retrouver la main que ta main a quittée
Alors...

S'il te faut des mots prononcés par des vieux
Pour te justifier tous tes renoncements
Si la poésie pour toi n'est plus qu’un jeu
Si toute la vie n'est qu'un vieillissement
Alors...

S'il te faut l’ennui pour te sembler profond
Et le bruit des villes pour saouler tes remords
Et puis des faiblesses pour te paraître bon
Et puis des colères pour te paraître fort
Alors...

Alors, tu n'as rien compris

Jaques Brel, du 'la Bastille'

Mon ami qui croit que tout doit changer

Dis-le-toi désormais, même s'il est sincère

Aucun rêve jamais ne mérite une guerre!

... Tendons une main qui ne soit pas fermée

Créateur d'entreprise, souvenir

«J’aimais bien la chimie, mais j’aime passionnément l’informatique» J’en ai fait mon métier. D’abord, en enseignant pour une société de Formation Permanente. Ensuite en commençant à programmer pour gagner davantage.

Après quelques mois de formation, on commençait à me donner de moins en moins d’heures (j’étais payée par heure). Que faire ? Comment vivre ?

Pendant ses vacances de Noël j’ai était allée visiter ma fille continuant ses études en Amérique.

A Washington, j’ai visité le Club Apple. Son président m’a invité chez lui et dans son sous-sol il m’a montré, tout émerveillé, deux cartes d’interface :

— Regarde, celui-ci, peut transformer les paroles analogiques en digitale, on peut ensuite les entendre avec l’Apple! Et regarde, l’autre ajoute du mémoire à l’ordinateur, ainsi on peut faire plus de calculs avec le tableur, c’est comme une feuille de calcul.

— Comment faire pour l'avoir en France?

— Appelle si tu veux les constructeurs, ils n’ont sûrement personne encore pour distribuer encore en Europe! Et il m’a donné leur numéro.

Le lendemain, tremblante mais décidée, j’ai appelé le président de Legend Industry, fabriquant la carte Mémoire.

David me demanda :

— Etes vous distributeur ou détaillant?

— Qu’elle est la différence? je demande, naïvement.

— Le détaillant à une boutique dans laquelle il vend, le distributeur lui vend aux détaillants. (Il croyait que ne comprenais bien l’anglais.)

Le choix n'était pas difficile : je n’avais pas de boutique, donc je me suis déclaré sur le champ « distributeur » - et c’est ainsi qu’a commencé ma carrière de distributeur européenne.

J’ai commandé, acheté la première carte pour le montrer en France.

Revenu en France, on m’a expliqué qu’on ne peut pas distribuer, ni avoir compte en banque, ni ventre aux détaillants, sans avoir une entreprise.

Une entreprise? Bon, alors, comment en former une?

« Il faut déposer 20 000 francs, mais qu’on vous rend ensuite pour faire les affaires, les achats, il faut un nom et au moins, un autre associé. »

On ne m’a prévenu de toutes les tracasseries comptables, si j’aurais su ce qui m’attendait aurais-je eu le courage de me jeter dans l’eau?

J’ai cherché un associé, P. le fils de Stéphanie (chez qui j’avais dormi la première nuit en arrivant à Paris) était informaticien et avait envie de s’y mettre, à côté de son travail, même s’il n’avait pas beaucoup de temps à y consacrer. Il connaissait quelques jeunes vendeurs.

Nous avons ainsi décroché une grande commande FNAC ce qui nous a permis de lancer notre première commande et obtenir un bénéfice double, nous permettant de démarrer, nous donnant courage.

J’ai cherché et trouvé un beau nom pour la société, BIP, bureau d’informatique personnalisée. Une copine m’a aidé d’écrire un annonce que j’ai fait publier dans un des premiers journaux micro-informatique français, et me voilà gérante de l’entreprise de distribution des produits informatiques.

J’ai tout fait : président, décideur, garçon de courses, traducteur, empaqueteur, tout à partir mon petit appartement.

Un jour on voulait me mettre dehors du maison : « Vous recevez trop de courrier sur le nom d’une entreprise! Interdit, ici! »

J’ai trouvé une petite boutique au pied du Butte Montmartre. J’y ai mis une table, deux chaises, un ordinateur Apple et mes produits importés.

C’est alors que j’ai découvert que je dois faire des déclarations à l’état.

— Comment?

— Je peux trouver quelqu’un qui regardera vos factures... Où sont-ils?

Ben... dans un énorme tiroir de mon salon...

J’avais fourré tous les papiers pêle-mêle dedans.

J’étais l’acheteur, le vendeur, le traducteur, le gérant, l'emballeur, le programmeur, le formateur. J’adorais tout ça.

J’ai pris finalement une aide-comptable à mi-temps, payer quelqu’un d’extérieur coûtait trop. Plus tard, même une secrétaire. Michèle m’a énormément aidé. Elle a été la première employée salariés à temps complet.

Des entreprises se sont mises à utiliser des Tableurs et Visicalc et ils avaient besoin de « nos mémoires ». Et l’enfant, Bip, s’épanouissait.

Bilan 1982 (page journal)

5 décembre 1982

Quand je pense qu'une année seulement s'est passée ! Il y a un an BIP n'existait pas encore ! ! Bien, si je faisais un bilan de 1982 ?

Où étais-je il y a une année ?

Pas de travail. L’enseignement d’informatique, même si je l'aimais, ne marchait plus, je savais qu’on voulait me remplacer par un autre enseignant moins cher et beaucoup moins scrupuleux. Je réalisais quelques petits programmes de temps en temps.

Je venais de faire le tour de l’Amérique avec Agnès. En Floride, nous avons admiré les pélicans roses malgré la pluie et j’ai découvert le programme Orgue de Feu, à Las Vegas, nous sommes allés au théâtre, à San Francisco, nous avons admiré les maisons multicolores et les arbres fleuris.

Au retour... et il le neige tombait sur Washington.

Chez le présidant du club d’Apple, je découvre les Cartes Mémoires Legend. et le Digitaliseur de Son Écho. Je dépense de l'argent en téléphonant pour savoir si je pourrais importer leur cartes et Dave, le président de la société, me demande :

Êtes-vous revendeur ou distributeur ?

Quelle est la différence ?

Le revendeur est dans sa boutique, le distributeur lui vend les produits.

Oui, je suis un distributeur, je distribuerai vos cartes mémoire.

(Je n’avais pas de boutique).

C'est comme cela que tout a commencé. Il y a juste une année.

Depuis, BIP est arrivée à deux millions de nouveaux francs de chiffre d'affaires, en dix mois, à plus de 80 clients revendeurs, dont certains, les plus importants, et même certains, importateurs. Nous sommes arrivés à être reconnus en France comme un distributeur sérieux, rapide, “bon service” (même trop d’après la concurrence).

On me demande : Puis-je vendre vos produits ? ! Bip est connu dans la communauté micro-informatique américaine et recommandé d'un producteur à l'autre comme « le distributeur français digne de confiance”. Bip distribue en exclusivité pour l’Europe les cartes mémoire Legend et le logiciel Vagabondo, pour la France les produits de RH Electronics (les ventilateurs pour Apple) et Kraft (souris et tablettes pour jouer et dessiner). Bip n’accepte que de distribution exclusive et obtient des prix d’achat spécialement avantageux. Bip est connu et estimé par la plupart des boutiques importantes de micro-informatique en France et crainte par la concurrence. Et, depuis juillet a une mini boutique.

J'ai fait des nombreux voyages depuis une année : quatre en USA, deux en Allemagne, trois en France. Et maintenant, une à Budapest (celui-ci pour me réposer).

En France, “Radio T.V.” a demandé l'annonce de Bip, aux USA, cette Noël, “Bonnes fêtes de BIP” sera publié dans toutes les revues micros.

Je suis à la tête de BIP, avec Rosy pour l'administration, Pascal au commercial, Michèle pour correspondance et Pierre en technique (même s'ils ne travaillent qu’une demi-journée par semaine ou des soirs). J’ai commencé ainsi à former une équipe.

Jusqu'en septembre j'ai travaillé seule, sept jours par semaine, 10-12 heures par jour mais souvent davantage, je n’ai pas fait presque rien d'autre. J’ai perdu (ai-je eu ?) les contacts humains autres que de travail, j’ai aussi trop grossi. J’ai appris beaucoup sur le commerce, sur les revendeurs, sur Apple, sur le tableur Visicalc et sur les cartes d'interface.

Je crois que je peux être contente de moi et de mes réalisations pendant cette dernière année. Finalement qu'est-ce qui est le plus important ? Pour moi le fait que j'ai créé quelque chose. Je l'ai “enfanté”, je l'ai fait grandir, fait connaître - presque seule.

N’oublie pas ceux qui t'ont aidée, Julie !

Je dois réfléchir et voir que faire l'année prochaine et comment. Planifier un peu plus, plus loin. Le temps passe si vite, mais que de choses se sont passées depuis une seule année ! L'automne avait été spécialement fructueux, mais c’est aussi le résultat de longues préparations. Je ne sais pas encore combien d’argent restera, mais j’aurai certainement plus que l'année dernière !

J'ai vu juste quand je suis retournée en France : Apple est maintenant le plus connu des ordinateurs personnels. Mais attention ! IBM ne va pas se laisser faire longtemps. À suivre de près.

Que faire avec l’immigration en Amérique, devrais-je le demander, au moins pour les enfants ? Pour le moment pas question de partir.

Suis-je une femme d’affaires ?

Je me suis sortie de la misère et je "souffle la victoire. Le chemin d’aller à étincelle " dans ma tête - il y a un an.

Ainsi de suite !

« Continue ainsi, puisque de plus petite idée, est arrivé tout, que vaut, en humanité »

L'informatique dans ma vie

Je suis arrivée en France avec un diplôme d’ingénieur chimiste presque terminé... presque, et sans parler bien la langue française. Après plusieurs années et deux enfants, après une amère désillusion dans la fidélité de mon mari, je me suis inscrite à l’Alliance Française. J’en ai fait presque deux ans mais je n’ai pas pu finir, non plus.

J’avais trente-sept ans.

Pour m’arracher à mes souvenirs amers qui tournaient rond dans ma tête, j’ai commencé à lire des mathématiques modernes. Au moins, je pourrais ainsi aider ma fille, me tenir au courant, dans le vent.

Dans une de ces bouquins j’ai lu le mot étrange et appétissant « informatique ». Qu’est-ce ? Cela me paraissait magique, cela m’attirait, Dieu sait pourquoi. Je me suis acheté une livre d’auto-apprentissage. J’ai appris sur les nombres binaires, sur l’assembleur, j’ai appris surtout que je ne sais rien mais que c’est intéressant. Je me suis pris au jeu. Que faire ?

J’ai lu dans une revue sur une école aidant à passer le CAP d’Informatique tout en travaillant pour un prix abordable. J’avais mes enfants et mon travail, peu d’argent mais beaucoup de chagrin. Étudier, me plonger dans quelque chose de passionnant pourrait m’en sortir, me suis-je dit, pour me justifier de ce plaisir naissant et secret qui bourgeonnait déjà en moi.

– Tu ne pourrais jamais ! me dit d’un ton bourru mon mari. En français, ici ? Même l’Alliance Française tu n’as pas fini. Recommencer à étudier après quinze ans d’arrêt, c’est ridicule.

– Cela ne coûte pas cher et tu sais que pour aider Maria que je n’ai pas fini...

– De l’argent jeté par la fenêtre, du temps perdu.

– Toi, tu fumes...

Je n’ai pas ajouté : « et tu bois, tu cours les femmes », s’était inutile et cela aura sauté dans ma figure. Sans rien dire de plus je me suis inscrit au CRED. Qu’est-ce que c’est le CAP je ne savais pas, je ne comprenais pas, mais qu’importe. J’apprendrai plus sur l’informatique, je verrai si je peux encore passer des examens ou si s’était fini comme il me le annonçait.

L'informatique était fascinante, encore plus que je le croyais, mais il fallait passer aussi l’arithmétique et français. A ce niveau, le math ne me faisait pas peur mais le français ? On verra toujours. Ne peut réussir qui n’essaye pas.

A la maison s'était impossible, mon mari me trouva toujours quelque chose d'autre à faire, puis mes enfants avaient besoin de moi. Heureusement, je travaillais à l’époque dans une pièce toute seule comme laborantine et étant sur-qualifié je réussissais à m’organiser à terminer mon travail en quelques heures, il me restait du temps pour étudier.

J’avais vu juste. Me préparer me pris tout mon temps, toute mon énergie et l’informatique réussit à repousser au loin mon chagrin. Déjà la première réussite ! Comme il me plaisait, j’ai lu des livres supplémentaires de ceux recommandés, heureusement, sinon je n’aurai réussi à passer l’examen. J’ai eu aussi de la chance avec le français, on ne nous demanda qu’à résumer, avec les mêmes mots, un text. Nous étions 3000 inscrits, combien se sont présentés à l’examen ? Plusieurs centaines. Trente-huit ont réussi, j’étais la trente-septième. Bien, fantastique !

Je sais encore étudier ! Après toutes ces années, je n’ai pas oublié comment passer un examen, même en France, même en français. Jamais de ma vie je n’ai pas été si heureuse d’un diplôme que de celui-ci. Ni avant, ni après. Ce diplôme a plus compté pour moi que tous les autres, il m’a signalé que ma vie n’est pas fini, il m’a signalé qu’il y a encore de l’espoir.

L’espoir à reprendre mes études que j’ai été empêché à finir dans ma jeunesse, l’espoir de me créer une nouvelle vie en France. J’ai décidé à continuer.

Mon mari la prit très mal.

– Tu es une éternelle étudiante, me dit-il en persiflant et fonçant son nez

– Mais je travaille en même temps

– A quoi servent tous ses études ?

– Au bout, je pourrai gagner plus...

Je n’ai pas ajouté à voix haute « puis c’est intéressant ».

J’ai essayé faire une DEA d’Informatique à la Faculté Pierre Marie Curie, chez un certain Suchard, réputé le seul professeur enseignant aussi la pratique. Il a dit :

– Vous n’y êtes pas assez préparé.

Bon, je me préparerai, je verrai.

Pour couper l’histoire court, j’ai réussi à finir mes études de chimie commencée des années plus tôt, j’ai aussi réussi à divorcer puis m’éloigner de tout. En emportant mes enfants avec moi. Là-bas, à Washington, loin de ma vie ancienne, j’ai eu l’occasion enfin d’Utiliser les ordinateurs, de pratiquer l’informatique.

– A quoi sert-il, tu es chimiste ? me demanda mon chef

– Je pourrais vous faire une autobiographie et modifier vos articles.

C’était passionnant, il y avait tant à découvrir. Lentement je me suis rendu compte même si je n’osais pas encore à m’avouer franchement que les ordinateurs me passionnaient plus que mes éprouvettes, l’informatique plus que la chimie. Ai-je fait tant des années de chimie pour rien ?

J’avais quarante-sept ans quand j’ai du retourner en France et chercher du travail.

Je vais chez la secrétaire de direction de l’Institut où je travaillais avant mon départ et elle me répond :

– Vous avez trop de diplômes, vous êtes trop âgé, vous êtes femmes et par dessus de tout pas né en France. Vous n’allez plus trouver de travail...

Il fallait que j’en trouve. Chaque jour je visitais un autre office de placement jusque l’un d’eux, en m’écoutant énumérer ce que j’avais fait me dit :

– Tu sais enseigner l’informatique ?

– Pour les débutants, oui. Traitement de texte et programmation débutant.

– Nous avons une demande pour ça en attente, voulez-vous les voir ?

– Aujourd’hui ? Demain matin ?

– Je vous annonce pour demain matin.

C’est ainsi que ma vie changea de nouveau.

J’ai laissé sans regrets la chimie derrière moi pour toujours et j’ai mordu dans la pomme, dans l’informatique. J’ai enseigné, j’ai conseillé puis j’ai acheté et j’ai vendu, j’ai importé et j’ai traduit, j’ai étudié et j’ai écrit, j’ai exposé un peu partout.

En descendant les marches de Montmartre

En descendant l’escalier

Je suis en train de descendre les marches à Montmartre. Plus de deux cent et pourtant je n’ai pas peur. De temps en temps de tiens la balustrade, mais surtout quand il risque de glisser par terre. Sinon, j’ai appris à descendre en tenant l’équilibre jusqu’à la dernière seconde sur mon pied qui est encore à terre et ne pas le changer que quand le pied qui a descendu est fermement par terre.

J’ai appris cela depuis longtemps et je n’ai plus peur. Toutefois, quand je descend ces longs escaliers et souvent d’ailleurs n’importe quelles marches, les paroles de l’amie de maman qui m’a appris comment descendre des marches « comme les actrices » sans regarder en bas, comment ne plus avoir peur et ne pas descendre en me cramponnant et en mettant les deux pieds sur la même marche, me reviennent dans la mémoire. Je n’ai plus peur, mais je me rappelle que je n’ai plus peur.

Souvent, l’image de l’escalier en escargot, de ses marches très hautes dans ce chic résidence de Washington me reviennent et avec elles, tout une passé oublié, ou jamais oublié réellement : quand j’avais l’impression qu’avec ma jambe cassé, disons plutôt, ma cheville abîmé, mon deuxième chance a aussi dégringolé. Je me vois pour la première fois dans ma robe longue récemment acheté, avec des chaussures (mes dernières chaussures à talon) nouvelles descendant de étage de ce logement vers en bas, dégringolant l’escalier. « Ce n’est pas notre faute ! » est venu avant qu’on m’aide ou en même temps. L’idée d’assurance et qui doit payer le docteur n’a même effleuré mon esprit à moi, tout préoccupée d’ailleurs à m’excuser.

Le pied n’a pas commencé à me faire vraiment mal que le lendemain, tout gonflé, je ne pouvais plus m’y appuyer.

Arriver (souvenir)

Partir c’est difficile, douloureux, mais arriver n’est pas facile non plus. C’est angoissant. Que j’étais triste à quitter Washington, l’Amérique, se dit Julie, toute suite après le mort de mon père. Nouvelle déchirure, sauter dans l’inconnue.

Paris la nuit. La gare de l’Est.. Et maintenant ?

Stéphanie lui avait dit qu’elle pourrait dormir une nuit ou deux chez la famille de son fils. Elle les a appelé.

— Viens, mais nous n’avons de place que dans le salon, tu pourras y dormir après que nous avons fini regarder les émissions télé, répondirent-ils.

Le lendemain, elle trouva un hôtel pour dormir à sa guise. « Hôtel Californie », oui, n’avait-elle pas rêver de habiter en Californie ! La voilà, ou presque. Une minuscule chambre de grenier, Rue d’École, en plein centre ville. Près de l’endroit où son amie Stéphanie avait habité, hélas, elle était partie habiter près de Toulouse, si loin.

Que Paris était belle !

Elle parla avec Sandou, son ex.
— Tu ne m’as pas donné aucun aide pour les enfants pendant quatre ans. Maintenant...
— J’en ai pas. De toute façon, je prends Lionel pour six mois. Tu enverras de l’argent à Agnès en Amérique. Pour « étudier » : elle aura mieux fait de retourner ! Nous sommes quittes.
— L’université coûte cher là-bas et ici je débute seulement.
— Je ne peux pas faire plus. Elle n’a qu’à revenir en France.

Il vint la visiter et essayer de la persuader d’habiter de nouveau avec lui. Il aurait voulu recommencer leur mariage « maintenant que ton père n’est plus entre nous ».

Il essaya de la séduire.

Pourquoi pas ? se dit Julie. Je suis seule depuis des mois. Elle constata, ce qu’elle savait déjà : quand il le voulait, il pouvait être un amant pas trop mauvais. Familier et agréable. Mais aussitôt après, il essaya à lui dicter que faire, comme d’habitude. Elle dit « non, pas question ».

Quand il insista, elle regarda la chemise blanche posé sur l’unique chaise..

Combien de fois, ne lui avait-il répété « Se coucher avec quelqu’un ne comptent pas plus pour moi que changer de chemise » !Cette fois-ci, c’était elle qui sans mot dire, ressentait la même.

Il comprit. Écœuré de son échec, ayant perdu de prise, il ne vint plus la voir. Tant mieux, se dit Julie. Plus tard je trouverai quelqu’un.
Cherche un logement, vite ! se dit-elle.
L’hôtel coûtait cher, même une minuscule pièce où on pouvait à peine bouger autour du grand lit. Le Figaro, les annonces, les coup de fil.

Dans les deux semaines suivantes, en cherchant un logement, elle découvrit Paris. Chaque jour, elle choisit un appartement à louer dans un autre arrondissement de la ville. Bien sûr, entre ceux moins chers. Mais, une fois, pour s’amuser, elle visita aussi des luxueux appartements de six pièces longeant le parc Monceaux. Aucun envie d’y vivre ! C’était trop moderne, pas chaud de toute de façon.

Elle appris qu’il faut appeler tôt, être à l’adresse indiquée au moins une heure d’avance, sinon... Rapidement, elle choisi le 18e, « je me sens à l’aise, cela me rappelle ma ville natale » et dorénavant elle ne regardait que les annonces derrière le Sacré-Cœur, autour de la rue Marcadet et la Mairie 18e.

On lui demanda partout combien de salaire elle en avait. Que répondre ? Elle se rappela du papier « Représentant en Cosmétique » que son cousin de Californie lui a donné. La somme écrite sur le papier, en dollars, était grande, même si ne correspondait pas à rien en fait.
Deux jours plus tard, elle aperçoit une annonce dans le Figaro, pour une appartement, rue du Mont Cenis. À partir de deux heures. Oh, c’est juste à côté rue Mercadet ! « Bien, je serai là à une heure déjà, ou midi et demi. Mais où est-ce ?

» Tiens, le numéro est encore plus haut, il faut monter encore d’autres marches. »

Tant mieux, se dit-elle, j’aime habiter haut, puis monter donne la santé, c’est bon pour le cœur.

Le numéro indiqué était près de place de Tertre et le Sacré-Cœur en haut de tous les marches. Elle y arriva à une heure, déjà un jeune homme s’y trouva devant l’immeuble. Elle était déjà la deuxième!

L’agent immobilier n’arriva qu’à deux heures trente, ils étaient déjà sept à l’attendre.
— Venez, qui est le premier ?
— Moi, dit le jeune homme.
— Puis-je le voir en même temps, même si je ne suis que le deuxième ? demanda Julie.
— D’accord, mais je parlerai d’abord avec monsieur.

Un petit logement sans salle de bain, juste une douche dans un coin de la chambre, une minuscule cuisine donnant dans l’entrée et un salon lumineux. En plus, l’appartement coûtait nettement moins que les autres visités.

Aussitôt qu’elle entra dans cette appartement, le cœur de Julie commença à battre fort, elle se sentit chez elle déjà. Elle jeta un œil par la fenêtre du salon : « Nous sommes tout suite à le quatrième étage de derrière ? »

Lumière, soleil, un bel arbre devant la fenêtre mais sans le couvrir, une vue sur le nord.
— Je voudrais beaucoup l’avoir, déclara-t-elle aussitôt que le jeune homme sortit.
— Vous êtes que le deuxième sur la liste, mais si l’affaire ne se conclut pas avec le premier. Nous avions eu déjà un étudiant, et plein de problèmes avec lui, tandis que vous paraissez plus sérieux. Nous verrons.
— Je voudrais beaucoup avoir ce logement.
Le lendemain elle leur apporta les papiers.
— Je voudrais une réponse rapide et si possible aménager rapidement, j’en ai assez de l’hôtel de rue d’École, même si c’est un beau quartier.
— Il n’y a pas électricité ni gaz pour le moment, ils ont été coupés quand l’ancien locataire n’a plus payé, ni charges, ni loyer.
— Ce n’est rien. Je préfère cela à l’hôtel. J’arrive des États Unis.
— L’installer de nouveau, peut durer deux semaines, dix jours au moins.
— Je suis prêt à payer la garantie aujourd’hui.
— D’accord, alors vous ne devez pas payer le loyer les deux premières semaines, jusqu’à tout est réinstallé. Je dois reconnaître, je vous préfère plutôt que l’autre.
Julie avait envie de danser !

Le logement était à elle, demain elle pourra quitter cette mini-chambre d’hôtel où le lit occupait toute la pièce, cette place souillée par le souvenir de Sandou qu’elle y avait bêtement accueilli même si seulement une fois.

Avoir de nouveau un chez-soi. Son château fort. Vide, pour le moment.

Lors de son dîner à son oncle, sa tante lui avait raconté qu’une ancienne copine, habitait aussi à Paris. Elle l’a appelée pour annoncer à quelqu’un la bonne nouvelle.
— J’ai un logement ! J’ai trouvé.
— As-tu besoin d’un matelas ?
— Ah oui, merci !
— On t’apportera demain soir, après le travail, ça va ?
— Parfait.

L’ancien locataire avait laissé un étagère et un lampadaire délabré dans la cave. Julie les répara et acheta deux bougies pour s’illuminer la nuit.

Elle rencontra sa voisine de palier : une veille dame hongroise.
— Quoi ? Vous n’avez pas encore gaz, ni électricité ?
Le lendemain matin quelqu’un sonnait à la porte, la voisine apportait de l'eau chaude pour le café.
— Je dois m’en aller, mais je vous apporterai demain aussi.

J’ai vraiment bien choisi mon appartement, se dit Julie. Des voisins sympas, pièces lumineuses, chaleureuses, tranquilles et, en même temps, dehors, juste à quelques pas sur la rue et c’est plein de touristes, des gens venant de divers pays.

Elle équipa rapidement la cuisine, en attendant le gaz et l’électricité. Elle posa ses livres sur des étagères récurés. C’est bien chez moi ! se dit-elle.

Le soir, à la lumière de bougie était romantique.

Femme d'affaires?

2 octobre. 1982, Paris

Je viens de réaliser que je n’ai rien écrit depuis l’ère BIP, d'après certains, depuis que je suis devenue une “femme d'affaires”. Toute a commencé au début de cette année 1982.

L'idée m’est venue à Washington, pendant mon séjour chez Agnès. En février BIP est né: "Bureau d'Informatique Personnalisée" et moi, son chef. C'est vrai, qu’en même temps PDG, secrétaire, garçon de courses, magasinier, réparateur, traducteur (et d’après les papiers gérante)... je suis tout cela à tour de rôle et en même temps. Après plusieurs mois de travail tout seule, j'ai enfin une secrétaire et même un vendeur à mi-temps. Mon associé, le fils de Stéphanie, m'aide chaque fois qu’il peut. J’ai enfin un peu moins de poids sur les épaules.

Le début de septembre j’ai dû déménager mon travail dans un bureau «boutique», parce que la concierge de mon immeuble m’a dit que je ne peux pas avoir une activité commerciale dans notre immeuble d’habitation (pourtant ce n’étaient que des lettres qui arrivaient). Depuis, la société Bip paraît plus sérieuse, et finalement c’est même plus agréable de travailler là, pourtant j’avais cru qu'à la maison ce serait mieux.

Lionel a grandi, il est devenu un homme, il a déjà connu plusieurs filles, femmes. Un garçon fantastique, c'est un plaisir de le regarder. Agnès est devenue plus jolie, elle rayonne quand elle se sent bien, mais depuis quelques mois je ne l'ai pas rencontrée, hélas, que deux fois. Je devrais lui écrire plus souvent, peut-être alors me répondra-t-elle, m'écrirait plus fréquemment.

J'ai mis trop d'énergie, et énormément de temps dans Bip - tout ce que j'avais - sans même avoir le temps de réfléchir: est-ce que cela vaut la peine?! J’ai senti, je le ressens encore, comme s’il était mon enfant, pourtant Bip n'est pas un enfant! Mais elle doit aussi, mûrir, et je ne sais pas très bien comment l’épauler à chaque fois.

Les idées Bip marchent bien, en général, d'autre fois moins, mais il n'y a personne sur ma tête pour me dire que faire. Et l’atavisme m'aide: l'héritage de papa, brillant organisateur et commerçant. Hélas, nous avons tellement d’ennemis. Je suis beaucoup plus dans le monde que jamais, mais je reste isolée, personne ne me regarde comme une femme, telle que dorénavant, quelquefois, je le voudrais. On verra. C’est intéressant, presque incroyable, combien nous avons grandi en quelques mois et que de choses nous avons fait à travers la société, combien j'ai appris sur le commerce, l'importation, la direction d’une entreprise et la micro-informatique...

Je l'absorbe rapidement, trop rapidement peut-être. Il faudrait quand même m'arrêter quelquefois. Où je courre? Entre-temps ma vie s'en va. Apple et l'Informatique c'est un trop bon jeu pour moi et il faut s'occuper aussi de la société Bip. J'aime énormément enseigner, étudier et je fais vraiment et surtout ce que j'ai envie. Il faudrait de l’énergie aussi pour autre chose. De temps en temps j'ai envie de rencontrer quelqu’un qui conterait pour moi, mais je n’ai pas le temps, c’est peut-être pourquoi je ne trouve pas.

J'ai la grippe, j’ai dû rester au lit pendant 3 jours - il faudra m’occuper d’installer rapidement le chauffage en bas, à Bip qui est au-dessous des escaliers de Montmartre. Et même ici, chez moi, si je pouvais, je me collerais à l'ordinateur pour essayer de nouvelles applications ou pour écrire des lettres.

Quand on ne croit plus que quelque chose de vraiment nouveau puisse arriver, alors arrive un changement complet.

C’est seulement une année depuis que je me suis acheté mon premier ordinateur, mon Apple II à l’expo Sicob et cette année, BIP figure déjà dans le catalogue de Sicob, juste après l'importateur Apple en France, mais aussi dans les journaux, sur les stands, dans les prospectus et dans des nombreuses boutiques informatiques ; surtout avec ses Cartes Mémoires et les Ventilateurs pour l’ordinateur Apple II. Bientôt, il faudra que je trouve quelque chose du nouveau à vendre.

Est-ce bien ou mal qu’à mes yeux cela ressemble à un jeu? Jeu sérieux, mais je ne le fais pas pour de l’argent, du sang, de l’ambition. Ce n'est pas facile de décider de tant de choses. Et surtout toute seule, pour la plupart des problèmes sérieux! Il serait bien de savoir (pourquoi?) ce qu'ils pensent de moi ceux qui m'ont connue cette dernière année. Une foule d’argent vient et part, mais très peu reste ; mais je vis, voyage, achète, vends, donne et BIP devient de plus en plus connu. Je commence à connaître les gens et devenir connue. (En bien ou en mal ?)

Quelquefois, je n'arrive pas à croire que j'ai commencé il y a sept mois seulement. Ils ont été tellement pleins! Avec quantité d’événements depuis le début de l’année et davantage ce dernier mois! Que va nous apporter l'avenir ?

Est-ce moi qui le porte où me porte-t-il ?