Même les roses se sont fanées

Closure (7)

Pour 14 ans, c'était notre chambre à la compagne, dans sa maison oui, mais la nôtre. C'est toujours à lui probablement, mais les roses si vivantes et abondants sont toutes déchechés, même celles arrivant jusqu'à la fenêtre.

J'ai passé près de là et j'ai fait le détour y revenir, et j'ai constaté que même les roses se sont fanées devant la fenêtre derrière laquelle jadis j'étais heureuse. J'écrivais, je dormais dans ses bras. Non seulement elles sont fanées mais désechées, néglisées - les roses si resplendissantes jadis.

En anglais on appelle "closure" (et je n'ai pas trouvé une bonne traduction puisque fermeture ne me va pas), et en passant par là hier, faisant cette image, je sens va m'aider à m'en distancer de toutes ses années. Puis reprendre, continuer ce blog à partir de 15 août.

28 Avril, 1988

De plus en plus je sens que - d'une façon ou une autre - on doit de temps en temps être séparés, François et moi.

J'ai besoin de silence et entendre les oiseaux chanter devant la fenêtre, de tranquillité qui m'aide à réfléchir et à travailler. Lui a besoin de sa musique, d’agir. Mais c’est vrai que depuis qu'il sait que je l'aime et je l’attends avec tendresse, il est devenu beaucoup plus calme, moins agité, et terriblement plus fort. Quel plaisir de le voir ainsi, avec les yeux remplis d'amour, de tendresse, de fierté et de savoir que cela reflète moi.

Et, il a le même plaisir, besoin de donner, de me voir heureuse, que moi. C'est fantastique. Plus ça va, plus on se rapproche et plus on se découvre des qualités et des défauts communs. Dans d’autres domaines on est complémentaires: je m’intéresse sérieusement aux détails, avant d'en faire une synthèse qui les simplifie; lui il voit en gros, d’extérieur et tire des conclusions plus générales. Si on s’habituera - et on va - à travailler ensemble, quel équipe formidable on va former!

Il est magnifique et tendre en même temps, le rêve de toute femme, surtout, la mienne, et lui dit que je suis merveilleuse et ce qui lui faut, à lui. De plus en plus, j'ai l'impression qu’il m'aime moi, Julie, et pas une partie, une façade d'elle. Mais ces dernières trois jours m'ont montrés qu'il a une telle frontière mince entre entente et mésentente, bonheur fantastique et profonde amertume; de deux côtés.

Il faut bien faire attention et bien réfléchir comment vivre, comment faire durer la joie?

"Que ma joie demeure!"

au début

1988

Lors notre premier promenade ensemble, tout au début et avant l'Angleterre, avant tout.

20 avril 1988

Aujourd’hui nous avons merveilleusement travaillé ensemble, pendant que les autres choses pour lui vont aussi mieux et j’ai fait de bon ordre. Enfin, mon livre progresse de nouveau. Le printemps est beau. Les oiseaux chantent. La communication avec mon fils est fantastique, quel garçon ! Et quelle joie de travailler ensemble avec François – quand cela marche !....


Mon fils est toujours fantastique comme il avait été alors, mais travailler avec "lui" n'était pas toujours de repos malgré le fait qu'il était génial et pleine des vraies - et quelques faux - savoirs. Comme un encyclopédie, il avalait, depuis sa jeunesse tout (mais hélas, croyait aussi tout mieux savoir que ceux autour de lui) et ne supportait pas quand j'avais succés, même s'il en était fier.

J'ai pris longtemps à comprendre que notre mesentants de l'Angleterre (où en générale j'avais été et lui aussi, très heureux) avaient commencé quand il avait entendu qu'aussitôt sorti, mon livre a été réedité en plus d'exemplaires, puis ayant lu dans le Point un article très élogieux au sujet du livre et moi.

8 avril 1988

Je suis assise près de l’orguedans l’église d’un petit village près de Cambridge, . Nous sommes partis depuis une semaine, la route nous a uni sérieusement, nous avons découvert pleines des nouvelles choses l’un dans l’autre. J’espère de nouveau. Mais malgré tout je ne crois pas au miracles, mirages, nous verrons. Près de moi, Français joue de l’orgue.

Ce matin, j’ai vu et entendu les jeunes sonner les cloches d’une autre église et hier nous avons pris sur casette le chants des oiseaux aussi et nous avons découverte ce coin de village. Un vieux château, une champs plain des narcisses, un grand mur sous lequel un cheval blanc broutait – et nous nagions dans le bonheur

Aujourd’hui François et plus nerveux, qu’est-je dit ? J’apprends beaucoup et pas seulement sur lui, aussi sur le monde et sur moi, donc je change. Qu’on réussisse ou non à rester ensemble, à la fin et longtemps, quelque chose restera en moi, avec moi, parce que vivre avec lui, près de lui, c’est une expérience complet, profond et formidable.

Je ne le connais pas plus de deux mois, mais je peux déjà dire qu’aucun homme ne m’a compris, ne m’a pas étudié aussi profondément et sérieusement, n’a pas était aussi heureux de donner (et recevoir) avec un tel abandon que lui. (l’expression hongrois disait : donner à paume ras le bord, paume pleine)

Tous les jours on découvre des nouvelles choses en quoi nous ressemblons que ne savions pas encore, ne rêvions pas l’un de l’autre et qui nous approche davantage. C’est formidable comment il réussi à me caresser et me satisfaire, et je n’arrive même pas à croire que c’était moi qui disais et croyais que je n’en ai plus besoin de cela.

Va-t-il me laisser écrire, vivre tranquillement, de temps en temps me reposer et m’arrêter, quelquefois décider , conduire, saurais-je obtenir avec assez de tact et féminité ces choses quand c’est importants pour moi. Dorénavant je ne sais plus vivre sans cela et je ne suis pas prête à sacrifier trop, surtout pas ma tranquillité, pour cette énorme choses qu’il peut donner, avec plaisir, bonheur et enthousiasme.

Donner, recevoir, c’est bon. Être contrainte, avaler non. Souvent la frontière est mince. Le passé est dur, la volonté est présent, on peut espérer peut-être. Le monde pourrait être, est beau avec lui et près de lui, comme à lui aussi la vie est merveilleux près de moi. Même si la vie est fatigante avec lui, tellement il est affamé et avide. J’espère et j’ai l’impression que lentement cela passera

Pendant qu’il joue à l’orgue, deux femmes plus âgés (de mon âge ou quelques années plus) ont rafraîchi les fleurs de l’église, elles chantent splendidement maintenant la gloire de l’église. Français fait des efforts, des fois il joue très bien, des autres fois c’est juste de l’exercice, d’autre fois avec l’âme ou trop sérieux. Mais c’est vraiment une expérience inoubliable – surtout la découverte hier, par surprise, de l’église et de l’orgue. Sinon, la dame m’a expliqué qu’ici c’est la coutume pendant les paques à aller de l’église en église et sonner les cloches

Aujourd’hui nous nous sommes pas mal disputés, à la fin de nouveau nous nous sommes compris. Je dois faire attention à sa sensibilité ; et aussi que les mots ont des significations différents et c’était bête à se disputer sur ce que cela dit à chacun ; l’aider à comprendre : il est capable de quelque chose de bon et important.

9 mars 1988

Que c’est bien de vivre. Se réveiler le matin dans le bras de quelqu’un avec caresses…

Nager ensemble. Travailler – et sérieusement – il sait. Se reposer. Attendre ? Non. Je n’aime pas ça. Mais cela aussi dépend seulement de moi si j’attends, travaillle, lis ou dors. Avec le temps j’apprendrai – le faire attendre au lieu d’attendre. Peut être. Mais attendre habillée d’une façon « intéressante », en bonne mine et que cela compte à quelqu’un et qu’oil l’observe. Et bientôt il sera ici et me prendra dans ses bras et nous dormirons. Je vis.

Devant nous, beaucoup des choses nouvelles, intéressantes – cela dépendra de nous à y veiller, l’utiliser. Réfléchir. Le laisser donner, être femme, ne pas exiger mais recevoir avec gentillesse et donner sans l’affirmer, délicatement. Et pas d’un coup, pas trop – cela est difficile. J’aime tellement donner d’un coup, tout. Si déjà.

3 Mars 1988

C'est il y a 1 mois à peu près que j'ai connu François*. C'est curieux, il me semble qu'il y a beaucoup plus de longtemps.

Je commence - mais pas encore complètement - à le connaître. Il croit souvent à des informations partielles, comme s’étaient des faits et gare à toi, ou à ceux qui le contredisent. Jusqu’à la preuve contraire. Á ce moment là il reconnaît de bon gré, c’est vrai. Mais hier il m’a raconté des bobards sur le plan de travail, pour réaliser ce qu'il veut, en quoi il croit.

Le grand problème n'est même pas là, ni qu’il n'est pas extrêmement solide- comme la plupart des hommes - et s’effondre facilement, mais s'il m’a menti sur ce plan là - pourquoi croire en lui dans tout qu'il m’a dit en domaine privé et comment croire qu'il ne le fait pas par intérêt, par calcul, et qu'il m'aime désintéressé. Bien sûr, aucun amour, s'il existe, n'est pas complètement désintéressé. Il m'a dit que ce qu'il a besoin le plus c’est de tendresse et de contact; mais je sais et (il l'a aussi dit) qu’il est aussi heureux de moi amante, de moi dame, qu'il a besoin des conseils sincères, de quelqu'un à qui parler de ses affaires, ses problèmes, etc.

Il y a des possibilités extraordinaires de combinaison pour nous deux dans l'avenir, ceci je l'ai vu déjà et il l'a aussi compris. Mais on a deux personnalités "bien formées" et, mon dieu, qu’est ce que cela donnera.

Est-ce que ce qui nous unit - il y a beaucoup - qui nous unira, et aussi nos complémentarités ; où ce en quoi nous sommes différents qui nous séparera? Peut-être s'habituera-t-il à être sincère? De résister à la tentation de s’enfuir auprès toutes les minettes? Il ne pourra cela, tant pis, pour cela. La vie devient intéressant, très intéressant avec lui. Je crois que pour lui aussi tout tourne mieux depuis un mois.

Que les grands hommes - puisque je ne doute pas de cela une minute - peuvent être tellement enfantins quelquefois. Ce qui est quand même ravissant, extraordinaire. Mais surtout, je crois qu'il a conservé, comme moi, l'esprit jeune et une soif de faire, de vivre, enfuis, emmagasiné, inassouvie. Que des choses pourrait-on faire ensemble! Si. Bon. On verra.

Je suis très curieux de ce que Stéphanie dira?? verra, mais comme elle dit, ce n'est pas ce qui décidera (dit-elle aussi) mais moi. Non, la vie, le sort.

Ce qui arrivera, arrivera.

Je l’aime? Je l'aime! Avec tendresse. Et j’aime ses mains, ses yeux heureux; sa voix; ses pensés profondes. Mais il vit, a vécu, dans un milieu si différent du mien! "J'attends avec impatience de valser avec toi!"

Quelle joie! Je suis pleine de joie. Je ne nage pas dans le bonheur, mais je crois que la joie est plus saine, réel et immédiat.

Mon bouquin se vend bien, mais surtout les gens l'aiment, ce qui était mon intention et aussi qu’ils veuillent - après l’avoir lu - aller plus loin, continuer. Je crois que j'ai réussi. Daniel Garic a écrit dans Le Point ce qui m'a fait le plus grand plaisir: “on ne sort pas de ce bouquin de façon qu'on est entré: on se sent plus intelligent, plus fort, et on a envie d'aller plus loin.” C'est exactement ce que je voudrais apporter avec chaque livre, ce que je voulais réaliser avec celui ci. Le fait que des gens l'ont compris, vécu, c'est magnifique.

Comme dit Spinoza, "Ma joie est que les autres gens connaissent ce que je connais"; mais ma joie à moi est aussi qu'ils sentent qu'ils sont capables d’aller loin et que tout ceci l’informatique ne soit pas un domaine réservé, mais ouvert à tous!

*François est le nom que je lui avais donné dans mon livre s'appellant "le enième chance" et c'est ainsi qu'on le connaitre ici.

18 février, 1988

La vie court avec une vitesse effarante.

Puisque je l'ai voulu - ou presque malgré moi ? - ma vie tranquille est bouleversée et en tourments de fortes émotions, des happenings, tous les jours. À côté de quoi, la disparition de ma voiture cet après–midi paraît banale.

Hier, j'ai vu mon livre d'HyperCard dans la vitrine de la Société Apple à PC Expo : entre les livres de Gasse et Skuley, les présidents d’Apple France et USA, en « Haute » compagnie... Ha, ha ! C’était surtout amusant.

Le matin on s'est manqué et je me suis rendu compte que j’avais horreur d’attendre, puis j’ai enfin aperçu François, heureusement qu’il est si grand, et finalement nous avons passé l'après-midi au stand Helwett Packard entre le responsable commercial et un technicien. C'est bien passé.

François est remarquable! moi efficace. Nous avons formé, improvisé sur le champ, une équipe fantastique. Je me suis amusée à jouer pour l'aider - avec plaisir - celle qui veut "traduire" pour le commun des mortels les propos du Génie - ce qu'il EST apparemment, et ce que je vais vraiment faire. Comme François est "anti-commercial" j’essayerai de l'aider aussi dans ce domaine, surtout pour son contact avec cette société.

Hélas, il y a autour de lui quantité de choses qui ne me plaisent pas, qui paraissent louches et je ne sais pas comment nous allons nous en sortir, plein des choses que je ne comprends pas. Mais nous nous ouvrons et nous rapprochons l’un de l’autre avec une vitesse vertigineuse. Oui, cela me donne le tournis, et j’ai toujours mal supporté la précipitation, la vitesse, l'inconnu.
Maintenant, j'attends avec impatience qu'il arrive, qu'il me regarde, qu'il me serre contre lui, qu'on dîne et ensuite on discute interminablement ensemble - interrompu seulement par ses caresses ou nos doux baisers.

Est-ce le début ? De quoi ? Où cela nous mènera ?

Cet après-midi ma ex belle-sœur en visite en France, m’a dit que finalement c’est la vie qui décidera et pas nous mais «notre destin» et Stéphanie m'a conseillé de suivre les conseils d'Ovide, surtout un d’eux, si je veux que cela dure, que ce soit beau: le faire attendre. Ah oui, sauf que je n'y crois plus.
J’ai tellement envie d’être enfin avec lui.

Pourtant, je me demande: aimons-nous, vraiment? On se plaît énormément, sur des plans très divers et nombreux, mais... Où est le mais?

15 février 1988

Est-ce vrai ou non? Jeu ou vérité? Possible ou impossible? Suis-je encore en train de courir après un rêve impossible, ou ai-je rencontré enfin avec François mon égal? Mieux, quelqu'un de plus fort que moi à beaucoup de points de vue, qui pourrait, s'il le veut, me supporter, continuer à m'aimer après m'avoir connu vraiment, moi ; et surtout avec qui je pourrais enfin vraiment communiquer à deux voix et non seulement de moi à lui, mais aussi de lui à moi.

Va-t-il avoir le courage de s'ouvrir et la volonté de continuer, continuer à maintenir cette communication qu'il a réussi à établir. Il dit que je suis classique, cela veut dire stéréotypée? facile à comprendre et conduire? Il y a une vérité là.

J'ai quand même, cette force que maman m'a donnée - et puis qui n'ose pas, n'a rien. Mais il y a beaucoup à découvrir, à explorer et au-delà des innombrables choses qui nous unissent et qui tissent autant de liens entre nous, n’y a-t-il pas des incompatibilités invisibles, pas encore apparentes mais primordiales. D’un côté ou de l'autre.

Je trouve qu’il décide et dit quelquefois trop vite "oui, d'accord" sans prendre le temps de réfléchir assez sérieusement. Dans quel monde a-t-il vécu, presque sur une autre planète que moi.

Nos deux mondes sont probablement vrais. Peut-on se rencontrer vraiment? Oui. Mais rester longtemps? En venant de mondes si différents, ou bien est-ce que ce sont les mêmes expériences diversement vues et vécues?

Comment cela se fait-il que je prenne tant au sérieux tout cela? Parce que François a déjà réussi à bouleverser ma vie - et c'est sérieux. Bouleverser mes priorités, est-ce vrai? Au moins, momentanément. Mais Julie, ne sois pas sotte, n'oublie pas ce qu’Ovide et ton vieil ami t'ont appris: laisse-le lutter encore pour toi, pour qu'il t’apprécie encore plus et qu'il soit heureux!

Est-ce un tournant de ma vie?

9 février 1988

Est-ce un tournant de ma vie ou seulement une étape nouvelle ? Il y a un mois, je me demandais, je le souhaitais et pourtant...

Je me croyais courageuse, c'est maintenant que je mesure de quelle façon profonde et inavouée j'ai été atteinte, blessée, non, heurtée par Paul. C'était facile pour mon amie Stéphanie de me dire : “Tu es comme une petite chienne, on la jette dans l'eau, elle remue ses pattes, se bat, ensuite sort, secoue l'eau, puis recommence à courir plus loin, joyeusement.“

Non. On sort, de toutes les situations dans lesquelles nous nous sommes mis, avec des empreintes, bonnes et mauvaises.

En quelques jours mon existence, (la coquille où j'étais où je me suis réfugiée volontairement) a été bouleversée : je le sens comme si un raz-de-marée était arrivé. Oui, je le souhaitais, j’étais prête.

Suis-je prête ?

Je sais que si c'est vrai, si je m'emballe, cela en vaut la peine même si, momentanément, mes instincts hurlent...

Mon fils vient de rentrer. Qu’est-ce que je voulais dire au fait ?
Quelques précisions sur cette entrée et la dernière.

En contemplant le dessin de Durer, fait il y a 500 ans, un dessin de soi nu et très vulnérable en même temps, j'était attiré fortement de lui, en le sentant tout près à travers le temps. C'est ce que l'art, la vrai peut provoquer.

Puis, en parlant de cette entrée-ci, c'est quelque jours après ma rencontre avec "lui". Bien sûr, je ne savais pas ce qui va advenir, mais quatre mois ou toute une vie, j'étais prête à oser m'y lancer.

Est-ce possible?

9 janvier 1988

Il y a deux semaines, début novembre, j'ai découvert Dürer. C'est presque incroyable! Il a vécu vers 1500 il y a 500 ans déjà! J'ai admiré ses images gravées, je les ai numérisées avec le scanner, je les ai inversées, ainsi on les voit comme lui-même sur ses gravures originales. Il s'en dégage une telle force que je suis entièrement sous son emprise.

Et hier, je suis tombée amoureuse.

Est-ce possible de s’émouvoir ainsi pour quelqu’un qui a vécu il y a 500 ans ?

Sa gravure de lui même, nu et vulnérable - c'est comme s'il était là. Vulnérable comme homme - mais quelle force, quel travail et quel courage dans sa vie! Et quelle volonté de poursuivre son propre chemin. Avec les notes de Léonard de Vinci, les images de Dürer et le livre sur l'épopée des livres - je me suis rendu compte quelle image fausse j'avais jusqu'à maintenant du temps et des gens d'il y a 500 ans, 1000 ans. D'autres gens comme nous, comme moi, d’autres civilisations, savants, chercheurs, voyageurs. Que de courage il leur a fallu, autrement plus qu'à nous. Ils ont vécu, lutté, souffert, créé, comme nous le faisons aujourd'hui. Et notre temps vient et passe, comme le leur est venu et passé...

Que m’est-il arrivé l’année dernière ?

J’ai découvert Spinoza, publié un livre réussi, PostScript à votre Service. Je viens de presque terminer sa suite. Nous venons de finaliser les 300 pages du Livre de l'HyperCard et j'espère que ce sera un succès. Va-t-il aider ma société Bip à survivre ? De toute façon, j’ai eu beaucoup de plaisir de l'écrire et il aidera sûrement beaucoup de gens différents qui le liront.

Je suis dans une période créative et j'envisage déjà deux autres livres mais je suis épuisée après le sprint de mois décembre. J’ai dû lutter avec mon co-auteur qui voulait le terminer plus rapidement sans se soucier autant que moi de sa qualité. J'ai réussi à imposer ma volonté et mes idées à quatre-vingt pour cent, mais au prix de quels efforts ! J'espère que le prochain livre va être plus reposant nerveusement.

J’ai découvert Dürer, les Manuscrits et appris sur la façon que nous percevons, regardons. J’ai réalisé et appris énormément la dernière année mais après cette année de solitude, je me suis rendu compte que créer, travailler ne remplit pas toute ma vie. Mon fils revient demain d’Amérique, il commencera presque aussitôt son service militaire, à cette occasion j'ai fait un grand rangement et j'ai retrouvé d’anciennes affaires.

Vais-je encore trouver un compagnon ? Quelqu'un pour qui je compte ? Qui compte pour moi ? Je crois que c’est plus important que le reste...

Cette vie est à toi !

le 1er janvier 1988,
Traduit librement, d'une carte postale américaine, debut 88

Cette vie est à toi !
Prends la volonté
de choisir ce que tu veux faire
et fais le bien.

Prends le pouvoir
d’aimer ce que tu veux dans la vie
et aime-le honnêtement.

Prends le temps
de te promener en forêt
et de devenir part de la nature.

Prends le pouvoir
de contrôler ta vie,
Personne ne peut le faire à ta place !

Prends la force
de rendre ta propre vie
heureuse !

Tu as des forces dont tu n'as jamais rêvé.
Tu peux réaliser des choses
que tu n’as jamais pensé pouvoir faire.

Il n’y a pas de limites à ce que tu peux faire
sauf les limites de ta propre pensée,
disant ce que tu ne peux pas.
Ne crois pas, « je ne peux... «

Dis-toi : « JE PEUX ! »

22 novembre 1987 Paris

Il y a un bon bout de temps que je n'ai plus écrit. En quelques jours, ma vie tranquille sera bouleversée pour quelques semaines, mais c'est moi qui l'ai voulu. J'ai trouvé normal d'aider ceux que je pouvais : j'ai invité la fille d’Anna et aussi le fils de son nouveau mari. Avec elle je m'entendrai sûrement très bien.

En rencontrant Renée, que je n'avais pas revue depuis un an, je me suis rendu compte du progrès que j'ai accompli depuis notre dernière rencontre. Je suis devenue plus sûre de moi, nettement plus tranquille. J'aime ma solitude, j'y reviens avec un grand plaisir ! Spinoza, sa lecture, sa relecture m'ont expliqué beaucoup de choses sur ma vie, il y a projeté une nouvelle lumière.

Merci ! à mes ennemis volontaires ou involontaires. «Ce qui ne vous détruit pas, vous rend plus fort!» Je suis devenue plus forte. Mais aussi plus tranquille.

HyperCard, son concept et tout ce qu'il suscite chez les autres et chez moi, me passionne. Je sens le souffle de la renaissance déferler à nouveau. Mes recherches sur l'édition électronique m'ont apporté une nouvelle lumière sur l'histoire, sur les caractères et sur les images. Depuis, je regarde, j'observe tout différemment.

25 Août, 1987 - Washington

J’ai vraiment de la chance dans la vie ! J’ai deux enfants merveilleux, devenus adultes, sachant plus que je savais et meilleurs que... j'étais à leur âge, peut-être même meilleur que je suis. Ils sont en pleine activité ! Quelle joie !

J'ai adoré le "Zen de Serveur" que Lionel a écrit et m’a lu, je l'ai même compris. J’ai aussi un peu mieux compris les hommes, en regardant le vaudeville qui se passe dans son appartement. Les trois pièces. L’un occupé par un couple homo, sympas, le deuxième par Lionel où sa copine se promène toute nue, même devant moi, et au milieu son collègue d’université tellement « américain sportif ». Chacun vit son propre vie, différente et en bonne entente.

Je suis heureuse de la romance d'Agnès et surtout du club des filles autour d’elle ; ce n'est pas un vrai club mais une entre aide réciproque. Agnès a fait aussi un pas extraordinaire dans sa personnalité. Tout en conservant sa chaleur, elle est plus ouverte qu'avant. J'espère qu'Agnès et Lionel vont bien s’entendre.

J'ai confiance maintenant, si quelque chose devait m'arriver, ils pourront se débrouiller dans leur vie, ils seront capables de se prendre en charge.

Partir loin m'a beaucoup aidée cette fois-ci, cela m'a mis les choses en perspective. Cette dernière semaine de paresse chez Agnès m'a fait tellement du bien, c'était le vrai repos dont j'avais besoin.

Je devrais recommencer à travailler, au moins un peu. Je devrais acheter un livre ; récupérer l'argent de l'Institut de Recherche où jadis je travaillais et le donner aux enfants ; voir ce que je peux faire au sujet de vente mon livre sur PostScript aux USA, mais je ne me sens pas encore d'attaque, pas encore prête à foncer.

Dans cette chambre de sous-sol d’Agnès dans laquelle on entre par une trappe, il y a tellement de quiétude, de tranquillité, une telle sensation d’éloignement de tout Je me délecte avec les histoires de détective pour adolescents sur « Madame Polifax », je me réjouis des rayons de soleil tombés sur le tapis d'enfance de ma fille, j'écoute le chant des oiseaux et des grillons et de temps en temps je prends une douche bien forte. Même mon rhume va mieux.

On a besoin de se régénérer, de se reposer vraiment, même intellectuellement. Et bien, fais-le ! Washington me paraît tellement calme, pour moi cette semaine, elle l’est vraiment.

Pendant ce temps, tout autour de moi, la vie continue !

Le rendez-vous d'Agnès s'est bien passé et elle s'est sentie bien avec son copain. Sa voisine, que son ami a trompée, vient d'apprendre qu'elle est enceinte, elle ne peut plus continuer à danser à la suite d'une chute, elle avait déjà perdu ses deux enfants et son mari dans un accident. La meilleure amie d’Agnès vient de perdre son travail et en cherche un autre. Va-t-elle venir à Paris, habiter quelques jours chez moi ? à Boston, Lionel change d'appartement. J'aime bien son collègue, bien que ce soit seulement une première impression. J’ai un bon fils et je suis heureuse pour lui.

Je devrais téléphoner à Stéphanie, à Anna. Appeler l'éditeur d'Addison Wesley. Mais j'attendrai encore deux à trois jours. De toute façon je ne suis pas encore prête à agir.

L'avenir ? Qui sait. J'espère que je ne suis pas devenue trop fataliste.

Je devrais m'occuper de tout ce que j'ai à résoudre à Washington, discuter davantage avec mes enfants. Et à cause d’eux, je devrais parler sérieusement avec Sandou, il boit trop. Mais puis-je l'influencer en quoi que ce soit ? Je consulterai Stéphanie, savoir ce qu'elle en pense.

Pour le moment, c'est tellement facile de ne rien faire ! Seulement regarder l’écureuil sautiller devant la fenêtre avec une balle dans sa bouche.

Agnès est prête pour une vraie relation. Elle a enfin compris qu'elle vaut quelque chose et ne se sent plus coupable de « ne pas, ceci ou cela ». Lionel a appris, ou commence à comprendre, à ne plus croire aveuglement en ses copains, et qu'il faut continuer sa propre route, tracée par lui-même et le destin.

Julie te souviens-toi de la Bible ? ! « Ne pas te laisser dévier de ta route par des faux amis ».
J'avais quel âge ? 20 ans ? 19 ? quand j'ai découvert ce texte.

Il y a encore tellement de choses à découvrir ! Comme je l'ai dit hier à Agnès, jusqu'à ma mort, si j'ai de la chance, je continuerai à apprendre.

Je devrais m'en aller d’ici, au moins pour quelques jours pour essayer de réfléchir : qu'est-ce que je voudrais vraiment faire encore dans le temps qui me reste ?

Bip, Paris, tout ça, me paraît si éloigné !

De toute façon, si on « joue bien les mouvements », on a déjà gagné pas mal, et si mon idée de traduction rapide marche aussi, je ne perds pas mon temps ici.

5 août 87

Décidément, la couverture dure de ce cahier me gêne. Pourquoi?

J'ai trouvé ces notes si vraies! prises d'où? Les voilà:

Le but compte moins (disent ces notes) que le chemin pour y parvenir. Prenez de la distance (mes voyages m'aident). On domine mieux la situation si on s'en détache un peu. Prenez du recul. Alternez les périodes intenses et rêveuses (Ou alors être intense en choses très différentes ?) Prévoir (le sais-je ?), vouloir (mais attention à pourquoi on le veut) se préparer, bâtir des projets et se demander : sont-ils au¬thentiquement nôtres ? D’où viennent les objectifs ? et puis vous demander :
« Si c'étaient mes six derniers mois de vie ? »

Qu'est-ce que je voudrais encore réaliser? Que voudrais-je faire si je n’aurais que quelques mois devant moi ?
Me sentir utile.