Sois. Bilan de fin d'année

18 décembre 1989

Une nouvelle année s'achève, 1989. Extrêmement chargée et pleine pour moi et elle a tout à fait l'air de se terminer bien pour tous.

Mon fils vient de finir définitivement l’armée et s'est remis à étudier, mais aussi enseigner brillamment deux langues à la fois à l’école Berlitz des Champs-Élysées ! Anglais pour les françaises et français aux Américaines et Japonais. Ma fille, après avoir obtenu son contrat Apple pour l’école où elle enseigne les handicapés, a trouvé un vrai ami, Donald, et peut-être beaucoup plus !

J’ai réussi à aider François, il est de plus en plus heureux, équilibré et épanoui. Je ne l’ai pas fait en le planifiant, c’est le résultat de nos nombreux éclats et âpres discussions, d’ouragans, de la confrontation de nos deux mondes.

Il aurait fallu le faire - comme quelquefois je l'avais réussi avec Alina, mon amie d’adolescence - en montrant plutôt qu'en parlant. Comme il me l'a dit aujourd’hui. Stéphanie aussi m'a conseillé ceci une fois : « ne pas discuter, montrer ». Il faudrait que je me le rappelle plus souvent. C'est formidable mais très fatigant de vivre avec un homme aussi brillant et si fougueusement énergique que François.

Le samedi 16 décembre 1989, il m'a demandé de devenir sa femme : "Commençons l'année 1990 comme mari et femme" ce qui signifie beaucoup pour lui.

Il y a une année c'était mon rêve. Est-ce bien de réaliser nos rêves ? Il faut réfléchir, lui l'a fait. Qu’est-ce que cela comporte ?

Surtout ne pas oublier les quelques vérités fondamentales que François m'a dites : “Un homme est un enfant, il veut, veut, mais en réalité pas du tout ce qu'il demande. Il demande la reddition, mais ce qu'il désire vraiment c'est la personnalité.”

Tel qu'on est où tel qu'il s'imagine qu’on est ?

Il lutte tout le temps pour me convaincre que “LA VÉRITÉ” est telle que lui la voit, perçoit, croit. En même temps, il espère que je resterai la même. C'est très, très fatigant. Heureusement j'ai toujours eu une base très stable. Évolutive, Dieu merci, et toujours prête à apprendre de nouvelles choses, sur mes bases stables et certains buts bien déterminés. Comme dans la Bible : on ne peut pas facilement “me détourner de mon chemin”.

J'ai fait des haltes dans ma vie. Des détours. Mais pas sans poursuivre mes buts principaux et sans jamais vraiment les abandonner.

Dans certains domaines François est très fort. Il dit qu'il m'aime, qu’il a du bonheur de vivre avec moi. Moi aussi avec lui. C'est vrai que des dizaines de liens divers nous unissent. Mais quelquefois trop, c’est trop.

Il voudrait m'impliquer dans tous ses plans, mais il a de moins en moins la patience d'écouter mes désirs, plans et besoins « c'est secondaire, c'est un détail, etc. ». Cela me paraît de plus en plus inégal.

Pas de paroles, Julie, action ! Laquelle ?

J’ai des soucis de tous les jours, en plus des grandes émotions à cause des bouleversements des pays de l'Est. L’actualité devient brûlante en cette fin de siècle. Nous observons ensemble aussi les bouleversements dans l’Informatique et chacun de nous a besoin d'en tirer ses conclusions. J’ai aussi des soucis pour l'avenir de mes enfants. Et l'espoir de réussir à faire coexister assez pacifiquement dans la vie quotidienne Lionel et François.

Comment faire pour que nos instants formidables d'entente et de tendresse durent et soient stables, durables dans le futur, sans qu’aucun de nous ne doive faire des concessions dans sa personnalité, renoncer à ses aspirations profondes.

Y a-t-il une solution ?

Si j'avais perçu François aussi complexe, difficile (aussi merveilleux et génial) qu'il est, peut-être n'aurais-je jamais osé l'approcher. Il est beaucoup plus complexe et profond qu’il m'a paru au premier instant, ceci est un énorme gain et poids à la fois. Pourrais-je me maintenir à sa Hauteur ? La réponse est bien sûr de conserver chacun sa personnalité et travail.

Mais mon travail, c'est quoi ? Ma vie (hors lui) devient quoi ?

Mon silence, mon besoin de foyer tranquille est bouleversé par un ouragan chaud, tendre, fougueux, exigeant, musical et sans la moindre notion de Silence, de Repos qui m’est pourtant absolument nécessaire à ma réflexion, ma reconstruction, ma créativité est incompris, inconnu ou pire, inadmissible par lui. Là, il y a un très grave problème. Peut-on le résoudre ? Par les faits, pas par des mots ? ?

François dit que certaines choses sont secondaires, d'autres « Primordiales ». Mais comment peut-on savoir lesquelles ?

J'ai besoin d'une amie femme près d’ici, pour lui parler. Une femme qui aura la patience de m'écouter raconter ce qui parait des « babioles » pour François mais important pour moi. Est-ce que notre amitié est seulement unidirectionnelle ?

On ne peut pas changer nos rapports, tant que certaines de ces questions ne seront pas mieux réglées, au moins dans mon esprit.

Être sa mie, une vraie, une bonne, merveilleux ! C'est mon rêve et il est en train de se réaliser. Mais à côté de ça conserver un but. Mon but d’épanouissement. Lequel ? Là, est la question.

Je viens enfin de retrouver mon stylo noir, j'ai été encore une fois injuste envers François, il ne me l'a pas repris, au contraire, c'est lui qui me l'a donné son stylo préféré.

François m'a dit qu'il trouve extraordinaire que dans ses ennuis et bouleversements j’étais là, à côté de lui en l’épaulant. C'est vrai qu'ayant eu plus que les autres mon compte de problèmes j'ai appris comment en tirer le meilleur parti, j’ai même appris à en profiter, anticiper ou surnager.

Et maintenant ?

Je vois l’ancienne Bip qui s'écroule, la récente vacille.

Et l'avenir ?

Je vois une nouvelle génération de micro-ordinateurs naître à l'horizon que nous avons su le déceler peut-être un peu plus rapidement que beaucoup d'autres. Il y a encore et encore.

Je me laisse bousculer par François, par sa curiosité, par son sérieux intellectuel, de plus en plus loin. Mais pour construire il faut s'arrêter de temps en temps et le faire avec les briques les plus modernes mais disponibles. J'ai besoin de Réaliser. Comment concilier les deux besoins légitimes mais différents ? Le sien, le mien.

Merveilleux homme, merveilleuse femme, humains tous les deux, avec tout ce que cela comporte. Comment les concilier, comment faire que - comme nous le souhaitons tous les deux - cela dure, très longtemps ? !

C'est tellement humain, confortable, agréable mais dangereux de "laisser aller", flotter, s'enivrer de bonheur sans y réfléchir, puis un jour se réveiller avec son "portefeuille vide".

Comment faire pour conserver cet immense bonheur - d'avoir trouvé, reconnu, retenu et aimé quelqu’un qui est son égal dans tant de choses fondamentales ? Et réciproquement. C'est une immense responsabilité pour tous les deux, ensemble et séparément.

Après deux ans ensemble on commence enfin, à vraiment communiquer sur ce qui est au fond de nous mêmes. On le sentait, on le savait plus ou moins, mais maintenant, comme dit François : "on communique sur un autre niveau".

Sa carrière, être finalement reconnu, qu’on reconnaisse qu’il a raison, est d'importance capitale pour lui. Longtemps il m'avait dit qu’il n'était pas ambitieux. Mais de plus en plus je vois qu'il a une soif inassouvie depuis longtemps d'être reconnu, estimé, admiré, écouté, cru, suivi. Ce ne sont pas des ambitions pécuniaires.

Plus ça va, plus “le Lion s'éveille”.

Il disait aimer le travail qu'il avait. Ceci paraît de moins en moins vrai. Tout semble merveilleusement se cristalliser vers un de ses projets qui permet d'un coup l'utilisation de toutes ses expériences, compétences extraordinaires et variées. Je lui ai donné un peu - beaucoup - de confiance et un petit coup de pouce ici ou là, quelques nouvelles orientations et perspectives, puis je lui ai laissé la liberté totale (je lui ai dit de ne plus m'aider à faire mon livre, notre livre - qui lui pesait tant). Le résultat paraît merveilleux, même si cel n’est pas encore tout à fait là. Périls ? Gigantisme, et ne pas tenir compte assez des facteurs humains qui sont piétinés en chemin... Important ? On verra.

Julie, ce n'est plus ton rôle de lui rappeler à nouveau de tenir compte des gens, tu l'as déjà fait, cela suffit. Il est fonceur, comme moi. Laisse-le foncer, assiste-le tant que tu peux, sois là à l'encourager quand il en aura besoin.

Trouve ton chemin, réalise tes ambitions. Tu as su le faire pendant 55 ans sans lui, continue. Sors davantage. Sois plus avec les autres. SOIS.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

cela n'a pas du être facile de s'adapter dans le monde de l'informatique .... vu la vitesse ou s'est imposé le changement ....
Cela a du changé beaucoup de chose pour toi !!!!

Jer comprends tes questions, tes hésitations ... Pas évident de s'engager, surtout quand opn sait que l'on abandonne beaucoup de soi-même, surtout là, pour toi, pour ta création.

Sophos