Adieu mon cher journal!

18 mai 1996

Je suis assis avec François sous un parasol, au bord de la piscine de notre motel Vagabond à San Jose. Demain matin, retour à Paris. Ce matin, nous avons fait un brunch festif à Hayat Hôtel, moins de 45 francs par personne : champagne, saumon, crêpes, fruits exotiques, divers viandes et gâteaux (auxquels nous avons su résister vaillamment) et un formidable café. Nous sommes restés discuter encore une heure dans le jardin du café, à côté de leur grande piscine, sous les roses.

Ici, c’est tranquille, François lit son journal obtenu gratuitement à l’hôtel, comme chaque dimanche il est copieux. Hier, nous avons visité Sunnyvalley et nous achetons chez Frey plusieurs programmes, dont l’une de traduction. La semaine dernière j’ai commencé traduire, je fonctionne mieux que le traducteur automatique. Hélas, ou plutôt, heureusement.

Nouvelles de Washington : Thomas a vomi, ventre abimé, mais il conserve même ainsi son bonne humeur habituelle. Agnès et Don fatigué et soucieux, mais plein d’énergie. Quelquefois c’est dur d’être mère, même quand on est extrêmement heureux.

Grande nouvelle : Agnès a « juré » et elle est devenue citoyenne américaine!!! Aussitôt, elle a envoyé les papiers à son frère, sur ce qu’il devrait ressembler pour demander aussi à venir ici. Il y a quinze ans, je rêvais devenir américaine, mon rêve se réalise à travers ma fille.

« Rien de spécial » pour eux, sauf « je voterai dorénavant ». Et pourrais, j’ajoute aider son frère à s’y établir aussi. Elle aura aussi une meilleure protection pour elle et ses enfants et, j’espère, des meilleures possibilités.

Même sans papiers, je me sentais américain, à ma place ici (mais ce n'était pas mon destiné). Hélas, c’est difficile de l’aider de loin quand elle est fatiguée. Je me fatigue, moi aussi davantage avec mes petits-enfants que mes enfants.

François m’a acheté deux autres journaux très agréables que j’avais choisi. Des livres blanches. Je suis heureuse de finir ce cahier, par la nouvelle que ma fille est devenue Américaine. Elle vit ici depuis dix-neuf ans, en fait elle a vécu plus ici qu’en France. Son fils parle deux langues, j’espère que plus tard, je pourrais lui raconter des histoires de Hongrie et d’ailleurs.

Adieu, cher journal.

5 mai 1996 Washington

Enfin, Agnès s’est réveillée. Elle doit partir à l’école où elle aide les enfants handicapés, c’est à plus de 45 minutes d’ici, près l'aéroport Dallas, avant l’école, elle doit encore déposer le bébé, non grand garçon, déjà sur ses pieds.

Alexandre vient se réveiller aussi.

Hier soir, nous avons fait une agréable promenade avec François et Alexandre, le petit parle de mieux en mieux, faisant des phrases entières en anglais surtout mais aussi en français.

Avant-hier, j’ai réussi les faire jouer avec la balle ensemble, les deux petits-fils, ils ont besoin de nous. Même François s’est rendu compte, et leur père aussi, je crois que ma fille le savait déjà que j’ai bonne influence sur eux. Hier soir, elle paraissait étonnée. Elle veut absolument que je parle seulement en français. Finalement, je me suis tellement perturbée que j’ai commencé à leur parler… Roumain. Comme je parlais à mes enfants, petits. Je ne comprenais pas pourquoi ils ne comprennent ce que je disais, ils me regardaient avec des grands yeux étonnés. Enfin, j’ai compris.

Ils m’ont parlé anglais et à la place de leur répondre en français, je parlais en roumain. Je ne parle presque plus ni n’écris en hongrois. Avec mes enfants et mon mari, je parle français, rarement avec Lionel nous tombons en roumain et je pense aussi de plus en plus en français. Je ne pense pas en français sophistiqué’, ni en hongrois, ni en anglais. Dans « mon français » à moi, ce qui ne me gêne pas, c’est l’écrire que je dois faire plus d’attention.

François m’a acheté une carte postale le jour que nous sommes allées dans l’office de Copyright à la librairie de Congres. Il dit qu’en anglais, il exprime tout qu’il sent envers moi, mais que les mêmes mots traduits en français deviendraient des platitudes vidés de sens.

Essayons quand même.
Someone
Who makes you feel good about living
Who brings out the You who is joyful and giving
This is the meaning of love.
Traduction?
Quelqu’un qui vous fait sentir bien de vivre,
qui suscite le Vous joyeux et offrant.
La signification de l’amour.

Quelque chose vous donnant la chance d’être fort
ou avoir confiance dans l’autre pour vous aider,
c’est la signification de l’amour.

Un lieu où vous pouvez progresser et apprendre ensemble.
Quelque part où vous sentez que vous y étiez pour toujours,


Avec toi, j’ai trouvé quelqu’un qui m’accepte comme je suis et en même temps m’aide devenir mieux, une personne plus épanouis.

Avec toi, j’ai trouvé celle qui me permet d’être fort, me donne confort et support chaque fois que j’en ai besoin

Avec toi, j’ai trouvé un lieu qui me fait sentir à l’abri et sûr, en même temps libre à m’épanouir et me développer seul.
Avec toi, j’ai trouvé ce qu’il paraît que j’avais cherché toujours,
la signification belle, réelle de l’amour.


Merci, François!

25 avril 1996

Je déteste attendre, c’est éprouvant.

Attendre que Robert Laffont réponde, ne sachant même pas si le livre lui est vraiment parvenu, attendre que S. m’appelle et me rende la première partie, attendre que Didier le lise et le commente. Je suis trop impatiente, je sais.

Entre temps, j’ai fini la base de donné pour le réseau.

Demain, j’irai acheter avec le curé de Crécy son Macintosh, puis l’installer, l’initier. J’ai réussi à lui scanner quelques magnifiques images religieuses de Durer.

Je n’ai pas du tout envie de m’occuper de mon livre, le toucher même. Est-ce temporaire? ce sentiment d’éloignement? Je numériserai encore des photos, mais même ceci sans la passion et feu dévorant qui me possédait, m’envahissaient et en même temps, me remplissait la vie.

Je sens un grand vide qui doit être comblée, c’est pour cela que mon amie m’avait conseillé de commencer une deuxième livre avant de finir celui-ci.

Heureusement, nous partons en Amérique, voir mes petits-enfants et la famille, Washington et ses librairies et livres, puis à San José pour une conférence à laquelle François veut assister. En retour, nous allons visiter une autre région qu’il connaît bien, puis réunion des réseaux à Orly, puis une semaine de stage d’animateur encore. D’ici mi juin, le temps sera bien rempli et d’ici-là…

À Washington, j’irai déposer pour copyright «Au fil de la pensée» en hongrois et en français et j’essaierais de m’acheter une application de traduction français - anglais. D’ici là, j’aurai une réponse ou je l’envoie aux autres éditeurs. Je devrais écrire une bonne lettre d’accompagnement.

Il m'a dit

15 avril 1996

Hier, François m’a ait cadeau de son visage heureux : comme si trente ans se seraient envolés, il paraissait tout jeune.

Nous avons regardé une bonne émission télé, le témoignage de cinq femmes amoureuses.

Il m’a dit :

- Ce que tu m’as apporté le plus important est que je suis devenu moi-même. Il a ajouté : je n’ai jamais été. Je vivais derrière un rideau, barreaux, une carapace qui déformait le moi et même à moi, comme un miroir, me montrait quelque chose de fausse.

Puis encore, il a ajouté :

- Maintenant, je suis moi, je fais ce que j’aime vraiment, profondément, plus moi-même que je n’ai jamais été.

Donc ‘devenir nous en restant soi’ comme dit un titre que j’avais fait, va pour moi et aussi pour lui. En plus, même moi, je vis davantage selon mes rêves, s’épanouir ira mieux. Il faudra savoir mieux l’exprimer. C’est vrai aussi qu’il a fait un chemin bien plus long depuis huit années que moi.

Au réseau d’échange des savoirs, je suis en train de finir leur programme et pendant le stage des animateurs, je me suis rendu compte que je peux enseigner d’autres sujets aussi que l’informatique. Et mon fils a fait un programme pour l’Université qu’on dit être un « Rolls‑Royce « - relativement à mon ancien programme- 2 CV! Il est très doué.

12 avril 1996

Je suis de plus en plus fatiguée, épuisée. Je me suis rendu compte en plus que relâchée, il manquait trente pages des huit livres assemblés, puis de temps en temps deux fois «le» et d’espaces libres, etc. Sinon, il a pris une bonne tournure. De bons débuts, de bonnes chutes, je le trouve vraiment intéressant à lire.

C’est horrible. François chante, non, il hurle, puisqu’il croit qu’il doit se déchaîner, relâcher tout le volume dont il est capable pour s’exercer à chanter. C’est très fatigant. Je veux bien qu’il a besoin d’une carrière nouvelle, mais ces chants religieux sont désagréables à écouter, même s’ils sont de Händel. Et puis, en plus, quelquefois, il chante carrément faux.

Il y a deux semaines, j’ai interviewé JP pour le journal de réseau que je prépare. Il a passé mon numéro de téléphone à S. qui nous a interviewés hier, Michel B. et moi. Avec cette occasion, j’ai découvert plein de choses nouvelles sur Michel. S. est sociologue et étudiant, mais il travaille aussi pour la télé, c’est lui qui produira les cent fois trois minutes sur les rencontres de Réseau de Savoirs.

Trois heures de tournage pour toutes les trois minutes, et cela après l’entretien préalable, de presque une demi-journée, enregistré, réfléchie auparavant. Il a regardé le début de mon journal, il a dit « c’est très cinématographique ». François le croit aussi. S. dit « je connais un scénariste. » On ne sait jamais, à quoi quelque chose mène.

2007 : Finalement, ce n’est pas cette interview qu’on a diffusé sur TV5 mais une autre avec une petite fille de dix ans de banlieue et moi, et c’est elle qui m’expliquait des choses. C’est sorti chouette!

Retravailler sur ce blog

Passé au nouveau blogger, on peut y ajouter des "mots clés" appellés "labels". J'ai commencé à prendre donc les entrées, journal par journal, et lentement (cela prend pas mal de temps) ajouter le nom du journal auquel chaque entrée appartient.

Cela vous permettra avec le temps à regarder seulement (pour le moment) le journal 1, et bientôt les autres, petit à petit. Toujours à l'envers, bien sûr, les entrées plus récents étant audessus des anciennes.

Probablement, c'est plus facile de les lire "façon livre" comme j'ai fait dans le journal de julie (seulement la partie jeunesse jusque maintenant), mais j'ai quand même envie d'ajouter plus d'aide et orientation aussi dans ce Retro-blog que vous suivez fidèlement depuis deux ans.

6 avril 1996 en attent

En regardant le film hier soir Souvenir de Vienne, je me suis rendu compte combien chaque mot pèse et que j’avais tort me laisser convaincre quelquefois de les changer de l’original. Je n’aurais jamais dit «comme est habitude chez eux», il faudrait relire les corrections avec attention.

Pour le moment, j’ai envie de passer à autre chose. Un jour, j’écrirai des explications.

J’ai de nouveau envie de scripter et écrire sur les nouvelles façons de diriger son micro. Je le dois à mon Macintosh portable auquel François ne touche plus, le temps de jouer et réfléchir, puis écrire. Puis, peut-être, traduire en anglais mes journaux? Ou simplement attendre, laisser décanter, passer à autre chose.

François joue, c’est de plus en plus beau. L’encourager davantage, me reposer mieux, je me sens encore épuisée, ce qui est normal d’ailleurs après un énorme effort.

3 avril 1996

Hier, j’ai déposé mes journaux pour Robert Lafont. J’étais tendue, nerveuse, j’ai même réussi à enfermer mes clés dans la voiture. Aussitôt, comme un poids aurait été enlevé de mes épaules. Je me suis sentie toute légère.

Stéphanie dit ‘l’enfant est sorti, les neuf mois sont terminés’, d’après elle, il lui plaira. Qui sait? On verra.

Hier soir, François m’a dit qu’il était fier de moi. J’ai répondu : Il n’y a pas de quoi. Il dit, si. Pourquoi? « À cause de ton courage et ton persistance. » C’est vrai, mais mon courage ne veut dire que je n’ai pas peur, des découragements aussi de temps en temps.

Michel a-t-il raison que le début est ennuyeux? Et moi qui étais si bien depuis hier, en repos.

Maintenant, il faut que je décompresse de tout de façon pour un temps. Je me sens épuisée, comme un torchon. Difficile se relâcher après le travail haut tension des derniers temps.

30 mars 1996

Ce matin, nous avons perdu une heure. François voulait arriver tôt à la messe, parler de celle de Paques qu’il jouera dans une semaine, hélas aussi ruer dans les brancards à son habitude.

Heureusement, le destin (ou hasard) fait bien des choses, nous sommes arrivés avec presque une heure de retard puisque l’heure d’été s’était instaurée pendant la nuit. Hier, préoccupés par la messe des rameaux qu’il devait jouer, (et moi par la énième correction de mes journaux), nous n’avons pas ouvert la télé pour l’apprendre.

De tout de façon, je ne devrais me préoccuper, il ne peut tourner que bien. Si François met sur son dos ceux qui organisent la musique dans cette paroisse, ils ne le programmeront plus ou moins, s’il se fâche avec eux, je ne devrais plus l’accompagner à la messe et faire semblant ou non de faire la croix, me lever avec les autres, etc. On passera à autre chose.

Sinon, il sera heureux de jouer aux messes, deviendra «maître de musique» à la place de «maître en informatique», nous lui achèterons une voiture sans permis qu’il puisse se déplacer et «devenir indépendant de moi», comme il le dit. Je lui offrirai cela pour sa retraite, je lui ai promis et j’espère, je pourrais le payer à la sorti de mon livre.

Julie, attention, rien n’est définitivement gagnée, hélas.

Au salon de livre, j’ai rencontré Robert Lafont. J’ai assisté à son interview au Club des Écrivains, oui, c’est lui qu’il me faut, il a passé le « test ». Je suis allée avec l’idée de regarder à quel éditeur je peux confier en confiance mon livre. A lui, je peux. Il n’est plus propriétaire des Éditions Lafont, mais il peut y jeter un regard de pro et m’être de bon conseil.

Quel homme ! Des yeux chauds, intelligentes, plein de l’humanité et d’esprit. Critique, courageux et mordant à la fois. Cela transparaît aussi de son livre autobiographique. Il a beaucoup des idées ressemblantes aux miens. Une destinée, vie agitée, même s’il était nettement plus protégé, choyé. Je sens que mes journaux pourraient l’intéresser. Je ferais tout qu’ils arrivent à lui. Ce n’est pas pour rien qu'il a écrit dans son livre comme dédicace pour moi: "J’espère mieux vous connaître."

Sinon, Michel B. a raison lui aussi, il y a encore pas mal de travail sur les journaux pour les rendre publiables et intéressants, lus par beaucoup comme je le voudrais. J’ai aussi écouté Stéphanie, et je viens de commencer écrire aussi autre chose. Je vois les scènes tellement vivides devant mes yeux, plus qu’un feuilleton à la télévision, je dois trouver les bons mots pour les transcrire pour les autres, alors, je pourrais dire «, « je suis écrivain », comme je le disais à treize ans.

Je me suis rendu compte que je n’écris pas plus vite, je pense plus lentement, ainsi ma main peut suivre mes pensées.

Jamais sûr où

21 mars 1996

Le premier jour du printemps.

Hier François m’a dit :
"Lionel est génial, génie."
Venant d’un autre et encore très critique, c’est quelque chose!

Puis il a ajouté :
"Il me ressemble en beaucoup. Génie veut dire d’après lui avoir la curiosité dans tout et le courage de poursuivre ce qui l’intéresse. Comme il m’a bien expliqué cela a son bon côté, mais aussi son côté dangereux : on s’intéresse à tout où que cela puisse mener, qu’est ce que cela donne, mais comme une drogue ou le minitel rose, ceci peut aussi détruire."

J’ai répondu :
- Mais il est maintenant sur une bonne voie !

Lionel est en train de programmer jusqu’à quatre heures de matin, satisfaire les exigences de la secrétaire de direction de l’Institut de Programmation, qui pourtant n’est pas facile à satisfaire, il reprend avec courage de nouveau, le refait et le rebâtit encore de mieux en mieux.

Mais François m’a prévenu : « Il n’y a jamais de sûre où la curiosité d’un génie peut-il le mener à un moment donné. » Avis à l’amateur…

Oui, je sais, rien n’est jamais tout à fait gagné avec François non plus. Génie et instabilité s’avoisinent quelquefois. Il faut lutter tous les jours, tous les mois, le surprendre, l’intéresser, l’intriguer, le conquérir… de nouveau. Mais d’une façon qui me convient beaucoup plus que le besoin de mettre une robe nouvelle qu’il était nécessaire et même pas suffisant que momentanément pour reconquérir à chaque fois Sandou. Un avis intéressant sur ce qu’il fait, une nouvelle lumière apportée sur quelque chose, intéresse François autant et l’impressionne plus durablement, qu’un habit. Un regard éperdu, chaud bien sûre sont aussi nécessaires.
En relisant dix ans plus tard ce qu'il m'avait dit, je ne peut dire qu'il ne m'avait pas prévénu, seulement, je ne comprenais pas de quoi il parlait à ce moment là.

12 mars 96

De nouveau chez Stéphanie, de nouveau à côté de bonnes idées qu’elle nous a données; j’ai trouvé aussi de la lecture qui m’a inspiré, appris. La dernière fois c’était la vie d’Agatha Christie et surtout un livre de Jung sur l’inconscience collective. Quand elle est trop forte elle se heurte contre les intérêts personnels, le développement de Soi, envahi trop l’individu.

Cette fois, j’ai trouvé un texte de Cicéron «De la vieillesse. » Écrit il y a des centaines, milliers d’années, que c’est actuel encore!

Cicéron répond à certains mythes répondus sur les vieux. « La vieillesse rend incapable de nous occuper d’affaires ». De quelles affaires? De celles qui requièrent les forces de la jeunesse? Il y a des tâches convenant aux vieillards : les conseils éclairés, le courage de dire, de défendre ses idées. S’il ne fait pas ce que font les jeunes, leur tâche est autrement grande et haute. L’expérience, l’autorité, la justesse des opinions accomplissent des grandes choses avec l’aide de l’expérience acquise, la réflexion, les avis sages.

« Mais, dit-on, la mémoire s’affaiblit. » Assurément, si on ne l’exerce pas ou si l’on a de nature la tête un peu faible. Les vieilles gens se rappellent de ce qui les intéresse. L’esprit demeure vigoureux pourvu qu’on porte intérêt à ce que l’on fait, qu’on s’en occupe avec zèle, dans la vie calme d’un particulier aussi. Aux écrivains, leur activité n’a-t-elle pas duré autant que leur vie?

« On plante des arbres par le bien de la génération à venir. » Beaucoup de jeunes prennent plaisir à écouter leurs conseils. La vieillesse est laborieuse, toujours occupée à quelques œuvres.

« On n’a pas la vigueur de la jeunesse. » D’accord. Il faut donc faire bon usage de ce qu’on a. Former les jeunes. Il faut user de mieux possible les forces qu’on possède : la force d’esprit.

« Ils sont sans force. » Mais on ne lui demande pas d’avoir de force physique. À la place de corps, ils ont ceux de l’âme et de l’esprit. On suit une voie simple, tracée par la nature : à chaque âge correspond une certaine manière d’être. L’ardeur fougueuse de la jeunesse, le sérieux puis la maturité. Bien mieux, n’y a-t-il pas des vieillards qui s’appliquent à une étude nouvelle! Moi–même, écrit Cicéron à 84 ans, je me suis mis à l’étude des auteurs grecs, je m’y suis lancé avidement comme pour satisfaire une longue soif et c’est ainsi que je puis les citer.

Affaiblis mais pas brisés. Et ce n’est pas seulement aux besoins de corps qu’on pourvoira, on aura égard bien davantage à ceux de l’âme et de l’esprit : faut d’aliments leur vie s’éteindra comme meurt une lampe où l’on ne verse pas d’huile.

Même aveuglé et âgé, Cicéron avait l’esprit tendu comme un arc. (Stéphanie aussi!)
Le vieillard est honoré quand il sait se défendre, quand il garde contre toutes ses indépendances. Vieux de corps, son cœur restera jeune. «Ma pensée est constamment active, autant que possible, ma vie restera active.»

« Il lui faut renoncer aux plaisirs. » - afirmait Cicéro. Repas avec des convives, le plaisir de la conversation? La vieillesse n’en a pas entièrement privée. Par contre il prétend qu’on n’a plus d’appétit sensuel. Ce n’est pas vrai que dans la mesure - comme il le dit de celui d’esprit - qu’on ne l’exerce point. Preuve entre autres ce que m’a raconté Szent-Györgyi à ses 92 ans savait encore et se délectait de le faire, satisfaire sa jeune et belle femme de 33 ans. Même si plus tard il avouait à mon chef, vers 95ans qu’il ne savait plus que la caresser…

« L’humeur morose » cependant n’est pas bien, mais on peut le justifier tout à fait sans excuse : on se croit dédaigné, méprisé, bafoué, et l’on ressent cruellement tout offense.

Combien cependant la vieillesse est plus douce quand on a su se donner une bonne formation! et… quand on a un heureux naturel.

2 mars 1996

Je dois faire attention; ne pas casser la véridicité de mes journaux. Je suis poussé par Michel, rencontré récemment, il est curieux de ce qui s’est passé, de mettre plus, décrire plus explicitement « ce qui s’est passé ». Ses suggestions m’ont aidé à me souvenir, décrire certaines choses plus plastiquement, imagées, détaillées, mais attention Julie ! ne pas casser l’unité.

Je vais commencer à écrire des histoires séparées dans un volume à part. Mémoires, récits.

Je chercherai une autre forme, trouverai un moyen de mieux les décrire. Peut-être, même comme continuation du journal? Non, ceci les rendra artificiels.

Cette fois-ci, même si liée à la première, écrite en cinquante ans, il faudra que chaque histoire tienne pour lui seule, forme une unité. Étudier, tester, peaufiner, travailler sera un vrai travail d’écrivain. Le défi est intéressant. Pourrais-je le réaliser ? C’est de toute façon la seule moyenne de me démontrer à moi-même suis-je capable, suis-je écrivain ou seulement témoin.

Unité : un seul récit à la fois. Sur moi ou sur ceux qui sont autour de moi. Début, développement et une fin bien forte.

Une histoire que j’avais envie de décrire était « coucher avec une femme ne compte pas plus pour moi que de changer de chemise » de Sandou, puis plus tard, « Tu n’es plus qu’une entre autres pour moi » et quelques années, longues années plus tard, ma démonstration (involontaire? volontaire?) qu’il n’est plus pour moi lui non plus qu’un 'chemise' entre autres…

Autre récit possible. Je me rend compte aujourd’hui, de plus en plus clairement, que le vrai raison pour laquelle je suis devenue non religieuse n’est pas été, comme je le disais et croyais jusque maintenant, la discordance entre la Géologie et la Création de monde en sept jours, ce qui n’était que le motif rationnel, mais mon réelle non-acceptation dans la paroisse, dans la communauté calviniste ressenti après mon confirmation. Le « non vrai chrétienté » de ceux qui fréquentaient l’église de mon quartier. Ils ne m’ont pas vraiment admis entre eux à 14 ans comme disait notre enseignant prêtre « dans le sein de l’église », pas autant que les autres filles dont les parents fréquentaient régulièrement, se rencontraient chaque dimanche. Je me sentais paria. C’est cela qui a pesé le plus lourd à mon abandon de l’église.
C’est aussi arrivé à Agnès et Lionel aux cours de catéchisme où ils voulaient aller et je les ai laissés. Pour que l’intégration ait lieu, il faut deux côtés : ceux qui désirent s’intégrer (jeunes ou nouveaux arrivants) et ceux qui voudraient que les autres s’intègrent - mais il faudrait encore qu’ils l’admettent vraiment.

Tant qu’on dirait : « Vous savez, ces gens-là… », chez « ces gens-là… », jusqu’alors on ne peut demander l’intégration et pour survivre, ils resteront entre eux, là où ils ne se sentent pas rejetés. Toute ma vie, j’étais « les autres, l’autre ». À cause de ceci, je vis et j’ai vécu, déjà depuis 52 années de plus que Poussin, je ne peux pas me plaindre donc.

Accepter l’autre, différent, a été mon rêve depuis longtemps. Il y a vingt ans, quand je me promenais avec Agnès en Angleterre pendant nos vacances, j’ai découvert le livre « The book of Ruth » sur l’amour entre une jeune enseignante juive, Ruth, je me sentais dans sa peau presque, et un prêtre catholique, Jim, si chaud, vulnérable, tendre.

J’ai trouvé François, il y a huit ans. Pas prêtre, heureusement, mais catholique et organiste, dans son cœur indésolublement lié, intérieurement, avec la messe. Ce qui a été le plus difficile à comprendre, c’est cette notion de « pêché » dont on parle tout le temps pendant la messe, notion que ni la culture juive, ni la religion reformate hongrois ne m’a jamais inculquée, appris. Puis, je me suis rappelé! on nous obligeait de faire de l’auto critique publique en communisme et "Tu es coupable" de toute façon de quelque chose. Ceci diminue, à la place d’augmenter, les capacités d’agir, se développer.

Mal au ventre

1er mars 1996

J’ai mal au ventre. A Celles, maison pourtant paisible, l’atmosphère est orageuse.

François râle.

J’ai voulu prendre notre petit-déjeuner sur une table 'net', n’ayant pas dessus le repas de hier soir, de demain, des casseroles. D’après lui "C’est vide et pas pratique". Et le couscous qu’il a acheté hier et que j’ai mangé pourtant avec bon appétit, m’a mis à plat.

"Tant mieux, tu maigriras !" dit-il.

Moi, j’aurais préféré maigrir sans mal de ventre.

J’ai réussi à perdre déjà mes premiers dix kilos, mais je dois continuer.

Malaises

14 février 1996

François, ça ira. Ce n’est pas son cœur d’après qu’il parait et Max, le bon spécialiste le dit aussi, ce n’est pas le cœur, mais pourrait être une nouvelle embolie. Max, le cardiologue a dit que depuis deux ans on a découvert de nouveaux facteurs génétiques de coagulation qui provoquent des embolies répétitives, il faudrait alors prendre toute sa vie des anticoagulants, une fois commencé, on ne peut plus arrêter à en prendre. C’est fantastique comment Max, à 80 ans, se tient au courant des nouveautés médicales. Je suis sûre que François fera de même dans son domaine. Quels exemples! Le contraire d’ossification!

François va mieux. Mais le choc a été sévère et il faudra de temps, de soins et dans le futur faire gaffe, être vigilant. Depuis deux ans, je suis plus près de lui, mais je serai encore davantage. Il m’est tellement cher et il faudrait que notre bonheur dure, dure…

Pour que mon livre puisse bien se terminer. Et ma vie.
Un livre peut se terminer, une chapitre de la vie aussi, sans que cela signifie que la vie entière va s'écrouler! (remarque 2007)

13 février 1996

Il y a juste dix ans...

Non, vraiment, vraiment, je n’avais pas besoin de Ça pour recommencer d’écrire.

Il y a juste deux ans qu’on a emmené François à l’Urgence et voilà, il a été ce soir de nouveau emmené par des pompiers - directement de son dernier cours à l’Université. Cette fois, nous sommes à Pitié Salpetrière. Mais il ne paraît pas si mal au point…

J’espère, j’espère que ça sera juste un avertissement sérieux : soigne-toi mieux! fatigues-toi, énerves-toi moins.

Il a la morale, même le sourire, au moins depuis qu’il est sans perfusion. Ce soir encore, je dormirai seule. Je n’aime pas dormir seule, sans lui. Mais l’important est qu’il soit bien soigné. Il parait. Et qu’il se rétablisse vite, surtout bien.

Je t’aime François!

Je viens d’apprendre qu’il a une sérieuse arythmie cardiaque et que c’est le même hôpital où j’étais à cause de ma vertèbre (mal soignée). Peut-être demain il revient à la maison. J’espère. L’important est qu’on le soigne bien, qu’il aille mieux!

Bonne nuit, Julie

28 janvier 1996

Mon fils est née, il y a trente ans. Que de joies j’ai eu avec lui !

Et comme j’étais malheureuse, il y a trente ans, mon mari trouva dès lors un prétexte ne plus dormir à côté de moi. « Le bébé me réveille », d’abord, puis « Je dois aller au milieu de nuit au moulin, je ne veux pas te réveiller. » Je me sens plus jeune qu’alors, malgré mon âge double.

Je sais que François sera bientôt près de moi, et demain il me dira de nouveau : « Que c’est bon de dormir, de se réveiller, de vivre à côté de toi! »

Hier nuit, pendant que François dormait à mes côtés, je me suis rendu compte que j’avais écrit dans mon journal en Hongrois, Français, Anglais, pratiquement rien en Roumain. Et quelquefois, je pense avec des mots mélangés, les uns avec les autres, mais de plus en plus en français.

Je me suis rappelée de l’Organisation de Jeunesse Communiste : après l’arrestation de mon père, ils m’ont exclue et ont même réussi à me faire sentir coupable. Pourtant, ni lui, ni moi, n’avons fait que du bon travail.

Je ne me laisse plus aussi facilement influencée, même si quelquefois cela arriva par la suite avant de me réveiller : «Qu’es-je fait au juste? Pourquoi veulent-ils me faire ressentir ainsi?»

20 janvier 1996

Hier, nous avons fêté. Le dernier mois était fort difficile, le dernier mois de François comme professeur à l’Université, le dernier mois pour enseigner, son dernier mois, la dernière semaine, ses derniers cours. Je craignais, je ne le comprenais pas, je me souciais.

Il m’avait pourtant dit, qu’en réalité il était contant que c’était fini pour le moment. Il enseigne avec passion, mais chaque mois, c’était un travail nerveusement l’épuisant.

Et hier, il s’était réveillé prêt à faire l’amour: que c’était bon! J’ai même joui deux ou trois fois! Après, blottis tout près l’un de l’autre… Et puis, toute la matinée, presque toute la journée, il a joué du piano magnifiquement: du clavecin, du piano et de l’orgue. Content de soi. Chaud et libéré.

On aurait dû partir à Celles, mais il a commencé à neiger, la première fois à Paris cette année, et je suis restée toute la matinée au lit à me prélasser avec un bon roman 'rose'. Une atmosphère tellement tranquille.

J’ai décidé que je ne me dépêcherai pas de donner à traduire le journal, ni le montrer encore au 'pro', jusqu’à ce que je ne sente pas que le temps est arrivé et que je peux avoir confiance. Cette décision m’a apaisé.

L’après-midi j’ai travaillé. Un peu, mais bien. Diviser les journaux en trois parts, c’était une bonne idée: (a) Julie fillette et jeune fille; (b) Julie femme luttant avec la vie et rebondissant encore et encore; (c) Après le départ des enfants, seule et ensuite avec Lui, et enfin le Nous.

Au milieu, la maturité ou lutte avec la vie ou « Au milieu de l’orage ». Oui, ce dernier titre est bon. Puis « Le Calme retrouvé » pour le dernier? Au début, «Lente éclos d’un bouton»? Le soleil parait derrière les nuages? Finalement mes meilleures idées paraissent pendant que j’écris.

Hier soir, c’était moi qui câlinais François et il m’a répété, encore et encore: «que c’est bon avec toi!»

Ce matin aussi.

Mais ensuite, je lui ai parlé de l’Université et de diplôme reçu (mais c’est lui qui a commencé d’en parler) et maintenant, il est en train de jouer si tristement. Certaines choses font encore mal malgré tout : attention de ne pas les éveiller. (Il n’a pas passé un doctorat comme moi, et alors? moi je n’ai pas été prof à l’université). Comme j’avais écrit une fois sur moi, ils mettent leurs poignes dans ma blessure.

Oh, depuis si longtemps je ne lis plus en hongrois qu’écrire en français devient de plus en plus naturel. J’écris ceci en hongrois, pourquoi ? je voulais te l’écrire seulement à toi et à moi, pas vers l’extérieur, pas pour un bouquin.

J’attends avec impatience que ces deux cahiers se remplissent, que bêtement j’ai commencé deux à la fois, pour écrire enfin dans un seul tout, pêle-mêle, comme avant. Ceci sera déjà le quinzième cahier. Écrire est bon. Et j’en ai besoin. Comment pouvais-je sans ? Je n’ai jamais été trop longtemps sans. Ceux d’Israël, deux! l’est-je laissé chez ma tante ? les ai-je jetés ? je ne le crois pas. Mais j’avais écrit aussi sur le bateau et en arrivant en France aussi. J’écrivais vers la fin 1963 et le printemps 64. Je n’ai pas écrit en 65 à 67, pendant les trois ans de grandes misères d’âme, ou alors seulement de temps en temps dans mes cahiers au travail. Je pleurais, je tétais Lionel, j’ai travaillé et j’espérais : peut être, ils vont rappeler Sandou dans l’armée et il murera. Je ne voyais pas d’autre sortie de ma misère, malchance.

Quand Sandou m’a apporté en 1966 ou 1967 mes journaux anciens de Roumanie lors son premier visite là-bas : en les relisant j’en ai puisé de nouveau énergie. J’ai commencé à prendre des cours par correspondance à l’Alliance Française et apprendre sur la Chromatographie et je me suis décidée que si ce n’est pas la maîtresse de Sandou qui viendra nous dépanner quand notre voiture était tombé en panne, mais Pierre, alors… quand l’occasion se présentera… ce qui est arrivé une année plus tard, et alors…

Je me souviens encore notre première fois avec Pierre, qui n’était pas l’amour mais juste de sexe, il utilisait l’occasion et moi j’essayais me prouver presque froidement mettant tout mon « art » dedans. Mais déjà la deuxième fois, et surtout la troisième! quand il sentait déjà qu’il serait durable entre nous, c’était fantastique, tendre et en tenant compte de moi, d’abord de moi et pas égoïstes. Tous les deux, nous avons étés et sommes restés contents et heureux. Au deuxième fois, Sandou était déjà revenu de Roumanie et ne voulait pas aller au cinéma voir ce film sur Angélique II. Je suis allée le voir avec Pierre - et je ne l’ai jamais vu - nous nous sommes arrêtés sur la route et nous avons fait l’amour dans la voiture, le DS du Pierre, la première fois que je faisais ça dans la voiture et oh, comme c’était bon ! Je suis retourné tellement heureuse. Et j’ai pu répondre ainsi tranquillement à Sandou un mois plus tard quand il avait déclaré : il part à Paris et je serais encore pendant de nombreux dimanches et jours seule, (avec les enfants mais sans lui).

Déjà j’allais de temps en temps seule au cinéma - chez Pierre en fait. Presque aussitôt qu’il partit me laissant seule, j’ai obtenu un logement de fonction dans la même maison que Pierre.

Quel beau printemps qui suivit! Nous racontions de plus en plus l’un à l’autre, nous nous aimions de plus en plus. Que j’aimais caresser le dos de Pierre, d’être couché dans ses bras. Qu’il caressait et faisait l’amour bien. Puis nous déjeunions aussi ensemble : un jour c’est lui qui faisait la cuisine, l’autre jour moi, et il m’a habitué même à manger de l’ail grillé. Il ressentait tellement tous mes besoins, plus que moi…

À un moment donné, c’était presque l’été, il voulait absolument m’acheter quelque chose, l’automne je me suis acheté finalement avec les 500 francs qu’il m’a donné un zircon, une bague ressemblant au diamant qui nous reliait. Et j’ai porté cette bague jusqu’à 1975 quoique je ne l’aie plus revu longtemps, j’avais au moins sur qui rêver pendant les jours maigres. On appelle ceci « traversé du désert ».

Pendant ce temps, j’écrivais des longues lettres à un femme écrivain de Bucarest. Avant? J’apprenais l’Anglais, Math modern, Informatique. De temps en temps, j’écrivis dans mon journal. Qui a traduit à Sandou ce que j’avais écrit en anglais recopié d’un roman de Wells? Qui voulait nous séparer et pourquoi? Il a réussi.

Mais c’est vrai, après Pierre, pourtant j’étais fidèle à Sandou, je ne l’ai plus aimé profondément, vraiment. En réalité donc notre éloignement venait des deux côtés. Il devenait de plus en plus sauvage, mauvais, odieux, égoïste. Mais je n’avais plus peur autant de lui qu’avant Pierre et surtout je n’avais plus de doute que je ne sois pas une bonne amante. Mais j’ai commencé à grossir et être blessé. En réalité j’étais nettement plus chique et belle que maintenant, mais Sandou ne me voyait pas ainsi et moi non plus. Il avait réussi à détruire de nouveau ma confiance et même s’il ne m’importait plus à moi, il avait un mine merveilleux et plaisait aux « filles » et il cherchait tout le temps celles de 25 ans comme j’étais quand je suis devenue « à lui » et même, de plus en plus jeunes.

Enfin, François se sent mieux, sa musique est devenue plus légère, plus aérée. J’ai tellement de chance qu’il est apparu, que nous nous sommes rencontrés, que nous avons eu la patience de nous découvrir et d’attendre que l’autre change lentement, a le courage et s’ouvre.

Hier François m’a dit : «Tu m’as attendu depuis ton enfance, mais en réalité, moi aussi, seulement je n’espérais plus que se soit possible, vraiment réalisable.»
Puis, il a ajouté que mon journal n’est pas assez littéraire.

C’est vrai que mon livre, mon journal, n’est pas de vrai « littérature, art », pas assez « taillé » mais si on le ferait ainsi il perdra sa sincérité, sa fraîcheur. Devrait-il paraître dans trois volumes ou en un seul? C’est un tout, mais c’est aussi trois vies différentes (en réalité plus que trois).

La première est la fille de mes parents. À la fin, mon premier décision seule, indépendante, la première déchirure réelle. Devenir femme. « Sans grandes conséquences » croyais-je au début. Oh que si!

La deuxième partie est celle de la femme face aux réalités de la vie, ses luttes professionnelles, ses joies d’être mère (qui n’y figurent que fort peu, pourquoi?) et les déchirures de la femme mariée, douleurs et les recherches de vrai partenaire, de survie et le lente mûrissement. On ne devient pas mûre dans un jour!

Le début de 11e journal est « l’intermezzo » le deuil de déchirure de Paul, me pardonner mon aveuglement volontaire. Restée seule et sans enfants qui sont partis ou étaient déjà en USA. Écrire, faire enfin ce que j’aime vraiment. Oui, tout ceci appartient vraiment au début de troisième partie du livre. Ma vie nouvelle me permettant de rencontrer François, puis lentement, devenir « nous »… tout en restant moi et lui entiers. En gardant nos personnalités, ça c’est le vrai «jackpot»(chance).

Ce qui est le plus fantastique - comme François vient me le dire - c’est que dans ce Nous, on s’est épanoui, moi aussi, lui aussi.
Mon coeur se serre, en lisant ces lignes si pleins d'espoire - je ne savais pas qu'à partir de ce temps, et son retraite, le "nous" va se desintegrer de plus en plus. J'y croyais vraiment tellement alors à ce "nous" malgré tous nos différences et même heurts.

Avis aux amateurs

Dorénavant, on peut lire les messages un à un ou mois par mois, en bas du page aller en avant ou après. Je viens de découvrir...

As-tu touché le bois? - nouveau volume

C'est le début d'un nouveau volume, après le volume "nous" ou le nième chance
Il existe, non seulement la deuxième chance dans la vie de quelqu’un, mais même, l’énième. Toutefois, touchons du bois, ne croyons pas trop vite que « tout va bien » et c’est gagné à jamais.
1er janvier 1996

Le concert des valses de Vienne de nouvelle année vient de commencer. Les sons caressent mon âme et cœur, me réchauffent d’intérieur.

Quelqu’un m’avait dit (était-ce François?) que quelquefois après qu’il avait retourné un problème par tous ses côtés, examiné, réfléchi dessus, je lui dis quelques mots qui l’illuminent, l’éclairent différemment, mieux. C’est ce qui m’est arrivée maintenant, mais cette fois-ci c’est François qui m’a expliqué des comportements, des paroles de Sandou qui m’ont pesé, qui me paraissaient insensées. J’ai dû lui raconter seulement quelques éléments qui, à moi, paraissaient sans liaison, pas importants.

La discussion a commencé en parlant des racines et pourquoi moi, j’ai pu me retrouver, et légèrement, mais poser mes racines à chaque fois, là où je me trouvais.

Pourquoi d’autres ne peuvent s’adapter jamais et souffrent déracinés toute leur vie. Sandou m’avait reproché souvent que, à cause de moi, il a dû partir de son pays. Il se sentait déraciné. Je ne le comprenais pas : tout le monde voulait s’échapper de la Roumanie, du communisme, de cette dictature, y compris ses frères qui ont ensuite réussi de s’enfuire eu aussi et qui habitent en France, heureux d’y être ; et son meilleur ami aussi. Malgré tout ca, il avait toujours envie d’y retourner ne soit que pour les vacances. Être avec ses parents et ses copains, entouré et admiré (surtout puisqu’il arrivait de France.)

Quand je l’avais rencontré, il m’avait raconté qu’il était plus grec que roumain, qu’il ressemblait davantage à sa mère qu’à son père. Sa mère était une « maîtresse femme grec ». Il m’avait aussi parlé son enfance passée entre les deux petites rues de Bucarest et de sa jeunesse euphorique, d’abord faisant des luttes gréco-romaines, puis faisant partie d’une équipe de rugby junior ayant gagné avec eux le championnat de la Roumanie.

Il était petit mais agile, avait un corps d’athlète grec antique. Il avait quitté les luttes en s’apercevant que la plupart d’anciens lutteurs devenaient bêtes à force d’êtres cognés à la tête. Et, il a dû quitter le rugby quand devant de plus en plus myope, ne voyant plus le ballon sans lunettes. Il m’avait raconté une fois ce que représentait pour lui cette atmosphère de l’équipe de rugby et les ovations grisantes du public.

Tout cela s’était passé avant ses vingt ans, longtemps avant notre connaissance. Par contre, au début que nous nous sommes rencontrés, il allait encore aux bains turcs, le sauna, tous les dimanches avec ses copains, perdre du poids, se faire masser, puis passer vis-à-vis et regagner le tout en fait en buvant et en discutant avec ses amis. Les bains ont été fermés parce qu’il faisait partie de l’église gréco-orthodoxe adjacente où allaient pendant ce temps toutes les femmes.

François m’a expliqué qu’il y a deux sortes de gens. Les uns, comme moi, portent leurs racines avec soi, ont des racines culturelles « cosmopolites », peuvent donc s’acclimater ailleurs. Les autres, comme la plupart des gens habitant une petite communauté ou village ont des racines « collectives ». Leur identité et racine est faite des liens divers tissés, de leur « place » entre les autres, leurs interactions. C’est leur culture et c’est immuable.

Je commence après presque quarante ans comprendre enfin que même si Sandou aurait été pauvre, malheureux en restant là-bas, il aurait eu ‘sa place’ et il se serait senti ‘chez lui.’ Tant que je gagnais encore peu d’argent (ou rien), moins que lui, tant que je n’avais pas de succès, Sandou était encore relativement heureux : il pouvait m’offrir quelque chose. Mais dès qu’on a commencé à m’apprécier, dès que j’ai commencé à m’épanouir, tant peu, ou étudier de nouveau, c’était fini. Et, quand mon père nous a acheté le Peugeot 404 presque neuf, Sandou s’est senti définitivement blessé dans sa fierté « macho », comme d’ailleurs à chaque fois que je ne disais pas « non » au début et qu’il ne devait pas employer « toute son ingénuité » pour « me convaincre » d’avoir, moi aussi envie. Il aurait voulu être celui qui m’offre tout.
Il avait en plus besoin de retrouver à chaque fois la jeune fille effarouchée qu’il avait connue et qui lui semblait une statue lointaine et inatteignable, qu’il avait avec tant de patience et volonté paysanne conquise à la longue, tout en regrettant… quoi?

De toute façon, c’était en grand parti ma faute, je ne devais jouer avec le feu, le laisser m’embrasser, ni glisser, lentement, de plus en plus loin. Mon tempérament a finalement vaincu. Puis après la mort de maman, il remplissait l’énorme vide crée par elle et en quelques mois je me suis retrouvée mariée. La sagesse populaire « ne pas se marier une année avant un deuil » a une profonde signification. Malgré tout, j’étais heureuse, Sandou n’était pas un mauvais amant (quand il voulait) et surtout, j’ai Agnès et Lionel que je n’ai jamais regretté d’avoir eu. Déjà, pour eux, je me disais toujours et encore, cela valait la peine. Ils ont un sang mélangé, seine, et leurs enfants auraient encore plus. Lionel a le corps de son père et l’intelligence de sa mère. Agnès ressemble plutôt à maman. Même si tous les deux ont hélas hérité de moi de la sensibilité nerveuse des juifs et de leur père l’envie de contrer (Ion), de se conformer au groupe (Agnès). Je devrais m’occuper davantage d’eux.

François et moi aussi portons en nous-mêmes notre culture et dans notre enfance nous avons été baladés. Nos racines cassés ici et là, les liens sociaux, même si pour des causes différents, inexistants ou à chaque fois renouvelés. Ces tissus sociaux, ou de clan, ou de secte, indispensable à quelques-uns, nous est pas primordial pour nous.

Nous l’aimons, mais nous pouvons vivre et s’épanouir sans, surtout, encore davantage depuis que nous nous sommes retrouvés et nous recevons l’amour, la chaleur et l’appréciation (même critique positive) l’un de l’autre. Ce n’est pas assez, mais nous permet de nous « déplacer », se retrouver ailleurs.

J’ai commencé à écrire à la maison en regardant la télévision et je suis en train de le finir en écoutant la musique que joue François à l’orgue dans l’église de Crécy. Je n’aurais pas dû lui dire « juste une demi-heure », il se dépêche trop.

Pourquoi sommes-nous si fatigués, presque éreintés, à ce début d’année?

Voilà, maintenant ce qu’il joue est devenu très beau et juste au bon rythme aussi. Mais j’ai envie de dormir de nouveau. Pourquoi?

François m’a dit que si je n’ai pas parlé de mariage de Sandou, ni de mort de sa deuxième femme dans mon journal, je ne devrais pas le faire non plus maintenant, après son décès. Est-ce vrai ? C’est mon journal après tout. Quels sont les changements et modifications à faire pour le rendre publiable, lisible, agréable à lire? Peut-être devrais-je laisser à l’éditeur d’en décider, mais, de toute façon je ferais copyright sur l’original, comme un « document ». Peut-on? Ou seulement pour un « œuvre littéraire »?

Oh, maman! Cette année...

26 décembre 1995, Celles

Je n'arrive pas à croire qu'une année seulement s'est écoulée... et voilà de nouveau le 26 décembre, l'anniversaire de maman, l'anniversaire d’Alexandre (il a deux ans déjà!). Bien sûr, il s'est développé plus que moi cette année.

Semprun, dans son magnifique livre sur Yves Montand, raconte avec étonnement que Montand avait l'habitude de parler avec son père longtemps après sa mort. Et portant, je trouve cela normal. Je raconte, moi aussi, à maman (et à moi-même en même temps) les choses qui se sont passées, dont elle aurait été fière, heureuse. Surtout le jour de son anniversaire, c'est une bonne occasion d’être avec elle. Il y en a qui vont au cimetière, d'autres à l'église, moi, d'habitude, je lui achète pour son anniversaire des cyclamens et... je lui parle.

Ainsi je me sens bonne fille de ma mère, en méditant devant les fleurs placées sur le secrétaire, en racontant à maman ma vie, ce qui lui aurait fait plaisir, ce qui m'est arrivé depuis la dernière année, ce que j'ai réalisé et comme je me suis développée. Oui, on ne s'arrête pas, même après soixante ans, sinon on s'encrasse

Ce fut une très bonne année, maman, le début d'une nouvelle vie, ma vie après le travail régulier de quarante-deux années.

Au début, ce n'était pas facile, mais je me suis plongée dans l'écriture, la traduction, l'énorme travail de correction de mes journaux, voilà, c'est déjà presque... terminé (si on peut jamais l'affirmer) et puis le volontariat au Réseau d'Echange des Savoirs, où mon travail a encore à peine commencé.

J'étais très active au printemps jusqu'en août, puis nous sommes partis pour deux mois en Amérique chez Agnès, cette fois être avec les deux petits-fils, puisque entre temps Thomas est arrivé aussi (en juin) et ma fille avait besoin d'un coup de main. Ensuite j'ai passé dix jours avec Stéphanie, chez elle, et finalement j’ai été à la maison pour trois semaines, malade de bronchite. Et l'urgence ressentie à finir le livre.

Il y a deux jours, autre surprise : Nadia est née, la fille de Valérie et Mohand, nous allons pouvoir leur rendre visite bientôt. Elle est née en avance, mais tout va bien, dans une semaine elle sortira de la couveuse.

L'année prochaine j'aurai tant à faire!

Trouver un bon éditeur (et finir l'édition, la correction), s'activer plus sérieusement dans le Réseau et les aider en informatique. Travailler ensemble, aider Lionel à réaliser le programme que Nicole voudrait laisser à l'Université avant de quitter. Et surtout, être là, disponible, à côté de François et l'aider à réaliser, lui aussi, ce cap difficile, entre le travail régulier et la retraite, si possible aussi bien que je l'ai réussi, qu’il apprenne une nouvelle façon de vivre.

« Retraite », mais pas repos, puisque ni lui, ni moi, nous n'allons pas nous arrêter tant que nous n'y serons pas obligés, incapables de continuer à créer, à enseigner, à écrire, à raconter!

Maman, nous nous aimons, nous sommes de plus en plus heureux l'un de l'autre, nous avons même commencé à maigrir ensemble, mieux manger, et François me promet de m'amener danser pour le jour de l'an. Nous allons danser autant... que nos jambes nous le permettront.

Je n'ai pas écrit beaucoup de toi dans mes journaux (ni du passé de François), mais je sais combien je te dois, comme ton éducation libre et responsable m'aide encore aujourd'hui à faire face. Maintenant je vois ma fille continuer ce que tu as commencé, elle est une merveilleuse mère.

François est en train de jouer de l'orgue et d'un coup, je me vois à 12 ans danser pendant que tu me jouais du piano.

Nous nous aimions et apprécions, comme nous le faisons aujourd'hui avec François. Oh, qu'il te plairait! Mon père aura été content aussi de lui, parce qu'il me fait rire, danser, promener... vivre.

23 décembre 1995

C’est incroyable ! J’ai décidé seulement il y a une année de faire un livre à partir de mes journaux, d’arrêter d’y ajouter ce que j’écrirai dorénavant. J’ai fait de tel progrès depuis! En français, en grammaire et tous que j’ai connu de réseaux aussi.

Quelquefois c’est très dur, je ne saurais jamais autant de mots, expressions, style, grammaire française que, ceux qui sont nés ou éduqués ici, mais relativement à moi, et c’est cela qui compte, j’ai fait des progrès remarquables. Même François l’a remarqué. Je m’entends aussi de mieux en mieux avec lui. L’harmonie paisible, lien fort.

25 novembre 95

C’est quand même fantastique avoir un mari qui après sept ans ensemble m’aime encore davantage ! Nous nous sommes promenés dans les forêts autour de Celles cette après-midi. Dans la voiture, il a mis sa main avec tendresse sur mon genou, il m’a embrassé encore et de nouveau sur le sentier ; il m’a montré les peupliers habillés seulement en gui, les nuages en ‘stratus’ presque irréelles à « cause des montagnes et du vent » et puis nous avons respiré avec délices l’odeur des feuilles mortes.

Non, décidément, mon mari ne partira pas seul en bateau ou faire le tour du monde solitaire. Déjà, ses huit jours que j’ai passé chez Stéphanie à travailler sur mon livre, et je viens de retrouver en rentrant un François nerveux, fatigué, épuisé, irrité.

Il a fallu que nous passions une semaine ensemble, des petits plats, Weight Watcher et enfin de « calinotherapie » et puis cette promenade. Et ce soir, travailler face à face, lui dans le fauteuil, moi sur le divan, pour qu’il soi enfin de nouveau en forme, de bonne humeur, avoir envie de « gambader », les yeux rieurs que j’aime tant, et que son travail démarre enfin bien.

Sept ans et l’équilibre est encore fragile. On verra à dix ou douze.

Chez Stéphanie, j’ai passé des jours difficiles mais extrêmement utiles. Elle m’a expliqué, répété (trop souvent pour que cela « rentre ») ce qui ne va pas encore avec mon livre journal. Le contenu ça va (sauf quelques répétitions et dix pages trop longues à la fin) mais la forme et son style ne sont pas assez littéraires. Il y a trop de « ceci, cela », « chose, faire », les mêmes mots les uns trop près de l’autre, et surtout, certaines phrases sont trop plates: je n’ai pas assez de richesse de vocabulaire en français. Depuis, je bosse.

C’est fou combien de progrès j’ai fait depuis un an, mais il y a encore tant…

Stéphanie croit que cette livre peut devenir « best-seller » à condition de trouver un éditeur et le bon moment et si, seulement si la forme s’améliore aussi pour lui donner cette ‘musique’ dont elle me casse les oreilles.

Et puis des « chutes » à la fin de chaque chapitre et à la fin du livre. Des bons débuts. Je crois qu’on a réussi ces deux derniers, déjà ils n’étaient pas trop mal, mais Stéphanie disait en plus : « il faut davantage d’action et de description des événements. »

\

Didier qui a appris à sculpter de Stéphanie est chef de sentier aux Ponts et Chaussés, il habite un petit village près de Toulouse, mais lit beaucoup et avec attention. À l’incitation de Stéphanie qui voulait son avis, il a ouvert le livre à plusieurs endroits au hasard et a lu à haut voix, lentement quelques parties. Non seulement il a aimé, mais il a aussi dit « c’est arrivé aussi à moi, j’ai ressenti ainsi quand… ». Il est le premier homme qui a regardé ce que j’ai écrit et son observation m’a beaucoup encouragé. Il a trouvé un bon moyen de commencer et terminer : je pourrais mettre la fin, le dernier Noël, comme introduction en finissant avec François et Nous. Je peux le faire si j’ajoute les entrés sur les réseaux de savoirs avant, en bouleversant juste un peu l’ordre chronologique. Cela me permettrait d’introduire quelques idées d’aujourd’hui en deux pages sans ajouter un ‘avant-propos que j’avais et finir en « bon, bon, bon, boum » comme me répète Stéphanie. C’est presque fait, il ne sera pas trop dur à réaliser.

Par contre, le style, les mots, c’est autre chose ! Valérie est prête à m’aider et j’ai trouvé quelqu’un connaissant un bon traducteur hongrois et puis, je me suis remise moi aussi au travail sérieusement.

Bon, il est dix heures et demi, je suis crevée, bonne nuit !

PS. Je répète des phrases et notions d’une semaine à l’autre puisque je ne me souviens pas ce que j’ai écrit déjà. Je ne me relis pas et quand je me mets, quand j’ai envie, l’écriture coule tel qu’il vient… bien sûr, il faudra si on veut le publier, l’éditer, l’améliorer, couper les répétitions et ajouter (mais pas trop).

25 novembre 95

C’est quand même fantastique avoir un mari qui après sept ans ensemble m’aime encore davantage ! Nous nous sommes promenés dans les forêts autour de Celles cette après-midi. Dans la voiture, il a mis sa main avec tendresse sur mon genou, il m’a embrassé encore et de nouveau sur le sentier ; il m’a montré les peupliers habillés seulement en gui, les nuages en ‘stratus’ presque irréelles à « cause des montagnes et du vent » et puis nous avons respiré avec délices l’odeur des feuilles mortes.

Non, décidément, mon mari ne partira pas seul en bateau ou faire le tour du monde solitaire. Déjà, ses huit jours que j’ai passé chez Stéphanie à travailler sur mon livre, et je viens de retrouver en rentrant un François nerveux, fatigué, épuisé, irrité.

Il a fallu que nous passions une semaine ensemble, des petits plats, Weight Watcher et enfin de « calinotherapie » et puis cette promenade. Et ce soir, travailler face à face, lui dans le fauteuil, moi sur le divan, pour qu’il soi enfin de nouveau en forme, de bonne humeur, avoir envie de « gambader », les yeux rieurs que j’aime tant, et que son travail démarre enfin bien.

Sept ans et l’équilibre est encore fragile. On verra à dix ou douze.

Chez Stéphanie, j’ai passé des jours difficiles mais extrêmement utiles. Elle m’a expliqué, répété (trop souvent pour que cela « rentre ») ce qui ne va pas encore avec mon livre journal. Le contenu ça va (sauf quelques répétitions et dix pages trop longues à la fin) mais la forme et son style ne sont pas assez littéraires. Il y a trop de « ceci, cela », « chose, faire », les mêmes mots les uns trop près de l’autre, et surtout, certaines phrases sont trop plates: je n’ai pas assez de richesse de vocabulaire en français. Depuis, je bosse.

C’est fou combien de progrès j’ai fait depuis un an, mais il y a encore tant…

Stéphanie croit que cette livre peut devenir « best-seller » à condition de trouver un éditeur et le bon moment et si, seulement si la forme s’améliore aussi pour lui donner cette ‘musique’ dont elle me casse les oreilles.

Et puis des « chutes » à la fin de chaque chapitre et à la fin du livre. Des bons débuts. Je crois qu’on a réussi ces deux derniers, déjà ils n’étaient pas trop mal, mais Stéphanie disait en plus : « il faut davantage d’action et de description des événements. »

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Didier qui a appris à sculpter de Stéphanie est chef de sentier aux Ponts et Chaussés, il habite un petit village près de Toulouse, mais lit beaucoup et avec attention. À l’incitation de Stéphanie qui voulait son avis, il a ouvert le livre à plusieurs endroits au hasard et a lu à haut voix, lentement quelques parties. Non seulement il a aimé, mais il a aussi dit « c’est arrivé aussi à moi, j’ai ressenti ainsi quand… ». Il est le premier homme qui a regardé ce que j’ai écrit et son observation m’a beaucoup encouragé. Il a trouvé un bon moyen de commencer et terminer : je pourrais mettre la fin, le dernier Noël, comme introduction en finissant avec François et Nous. Je peux le faire si j’ajoute les entrés sur les réseaux de savoirs avant, en bouleversant juste un peu l’ordre chronologique. Cela me permettrait d’introduire quelques idées d’aujourd’hui en deux pages sans ajouter un ‘avant-propos que j’avais et finir en « bon, bon, bon, boum » comme me répète Stéphanie. C’est presque fait, il ne sera pas trop dur à réaliser.

Par contre, le style, les mots, c’est autre chose ! Valérie est prête à m’aider et j’ai trouvé quelqu’un connaissant un bon traducteur hongrois et puis, je me suis remise moi aussi au travail sérieusement.

Bon, il est dix heures et demi, je suis crevée, bonne nuit !

PS. Je répète des phrases et notions d’une semaine à l’autre puisque je ne me souviens pas ce que j’ai écrit déjà. Je ne me relis pas et quand je me mets, quand j’ai envie, l’écriture coule tel qu’il vient… bien sûr, il faudra si on veut le publier, l’éditer, l’améliorer, couper les répétitions et ajouter (mais pas trop).

Comme un cristal

15 novembre 1995

(se réfère à la totalité de mes journaux, pas seulement cette partie) - je dois retrouver, il manque sur le pc


16 novembre 1995

Oui, j’ai aimé Simon comme une jeune fille, Sandou en épouse honnête. Pierre avait été le premier homme, pas garçon, que j’ai aimé. Comme je l’aimais ! le toucher, le regarder, le humer, être en sa présence, parler avec lui. Et chaque fois, encore et encore il me demandait avant de me faire l’amour, « Puis-je ? Veux-tu ? », avant d’aller plus loin. Pourtant, il savait même que j’en avais besoin pour dormir plus tranquillement dans ses bras pendant la nuit et ne pas tourner et me retourner souvent. Et comme je l’admirais ! Malgré son manque de culture littéraire. Mais tout le long, je savais qu’un jour nos chemins vont se séparer. Ceci ne m’empêchait pas de l’aimer et en plus, il a été mon premier amant qui réussissait à me faire jouir plusieurs fois, fort, profondément, avant même à penser à lui-même. Vivement.

Il était si beau avec ses cheveux grisés courts, drus, sa peau bronzé de soleil, ses yeux bleus rieurs et chauds, ses bras musclés et tendres, son âme attentionnée et si émue, si reconnaissant de ma jeunesse et de mes caresses.

Pour Sandou, j’étais la vieille épouse de 35 ans (relatif à sa maîtresse de 18), pour Pierre qui avait déjà 50 ans, j’étais la jeune femme. Il m’a rendu ainsi ma jeunesse… au moins pour quelques mois.

Dix ans plus tard, Larry et deux ans avant lui Ab, vers mes 50 ans Paul. Mais avec François même à 55 ans je me suis sentie encore, de nouveau, adolescente, jeune, pleine de vie. Oui, finalement, j’ai eu une vie pleine (même si pleine des gouffres, ici ou là.

Chez Stéphanie

Je suis de nouveau chez Stéphanie à Mirepoix sur Tarne, cette fois pour dix jours entiers. Nous travaillons sur mon livre, elle voudrait en faire « un chef-d’œuvre », « un best-seller ». Je me rends compte de plus en plus que tout ayant un bon contenu, il manque encore beaucoup dans sa forme.

Est-ce trop touffu ?

Non, plein d’évènements, de sentiments. Stéphanie n’a pas raison : il y a assez d’action. D’après moi. Et en plus, un homme du village voisin, de trente-cinq ans y a mis son nez, ici et là, et ça l’intéressé. Il m’a dit que plusieurs des sentiments décrits, lui aussi les a ressentis, vécus. Hurrah!

Mais il y a encore beaucoup de mots utilisés trop souvent, des expressions ne sonnant pas assez bien et des phrases plates…

Stéphanie m’a même dit qu’il y a des places où tu l’as trop « tiré », il y a des trous par lesquels le bon fromage sort, s’enfuit ». Pour le moment, nous n’avons pas trouvé autre que des expressions à modifier, mais nous ne sommes qu’à mes 23 ans, même pas un tiers du début.

J’ai l’impression qu’en général, il y a avec quoi tenir le lecteur en haleine. Stéphanie et Estelle ont aimé mes descriptions d’excursion, celles qui me rasent moi d’habitude. Elle vient de me dire : enfin du mouvement, de l’action.

Devrais-je ajouter une phrase d’action ici et là?

Par exemple sur Bandi qui m’a dégoûté pour toujours à cause de la façon qu’il s’est décomposé quand nous sommes allés ensemble en excursion et comment j’ai dû le tirer, l’obliger, le prier de continuer, retourner, sinon il voulait y rester. Il avait peur d’avancer, continuer, descendre de la montagne. Son visage décomposé, son ventre sorti de sa chemise, tout être était comme en ruine prêt à abandonner. Parler un peu du père de Simon qui était en prison. De la mère d’Edith juste sortie de là (sur civière). Donner plus de « relief » à mes personnages secondaires.

Est-ce qu’il n’y a pas trop?

Comme personnages principaux, autre que moi bien sûr, il y a Poussin, Edith, Alina et Stéphanie, mes amies, et Simon, Eugène, Sandou de ma jeunesse, Pierre (trop pâle relatif à sa vraie importance), Paul, François dans la deuxième partie de ma vie. Mes parents bien sûr et mes enfants, Lionel et Agnès.

Même Alina et son mari Lica ne sont pas assez dépeints. Stéphanie non plus d’ailleurs. Pourtant elles sont si près de moi, importent tant.

Juli ! écris à ton amie Alina! Vite! L’amitié est importante. Au début, je n’ai rien écrit sur elle dans mes journaux puisqu’elle m’avait demandé l’absolu secret de tout qu’elle me racontait.

Je n’ai pas eu envie d’écrire beaucoup d’elles, mais aujourd’hui, quand je le voudrais, consciemment, je n’arrive pas non plus. Ceci me montre que la plupart de temps je n’écris pas avec ma tête mais ce que mon « âme », mon soi me dicte presque inconsciemment, je le dis avec mes mots simples et cela coule, s’échappe...

Stéphanie voudrait quelquefois que mon écriture soit plus "savante", comme "il sied à une femme cultivée, docteur ès sciences". Mais je n’ai pas un doctorat en français, ni même pas une profonde culture française. Hélas, de hongroise non plus, au moins maintenant, après tant des années. Mais mon texte hongrois est quand même la plupart du temps plus "picturale" et plus savoureux. Au moins celui de ma jeunesse. C’est aussi vrai que "les grands mots et jolies expressions" ne sont pas 'moi', ce n’est pas du tout mon style, mon être non plus : ils toueraient plutôt mon texte.

Il faudra peut-être un traducteur hongrois, un vrai, un bon, au moins l’essayer pour certains passages les plus difficiles, les plus importants, les plus cruciaux. Tiens, ça me parait une bonne idée. Même si je n’ai pas d’argent à payer pour traduire le tout, quelques pages je pourrais sans trop de difficulté. Essayer plusieurs, voir qui entre eux peut lui donner le « ton vrai» sans le trahir, en l’améliorant.

Après que la grammaire est été réparée, les répétitions enlevées, le flot établi, je pourrais aussi rechercher quelqu’un qui m’aidera avec mon « style » et m’apprendra mieux décrire, faire vivre un personnage, etc.. Même prendre quelques leçons d’écriture. Aux réseaux ou même à l’Université.

Il faut que je fasse plus d’attention à la susceptibilité de Stéphanie quand elle me fait des suggestions. Me pointer ce qui cloche est déjà énorme, je ne dois pas en plus attendre qu’elle trouve des remèdes. Elle est un grand sculpteur, un bon lecteur, elle ne peut être aussi un bon écrivain. Mais souvent, elle a proposé des bons mots de remplacement, hélas, par contre des phrases plates ou bombeuses, trop rhétoriques.


« Kristàly kéne legyen, de nem felfujt a szövegem. Azért persze, még ma is, még most is, szokszor, könyebben fejezem ki magam magyarul. Jo éjt ! »

Traduction : Le texte devrait être comme un clair comme un cristal, mais pas pompeux. Quand même, souvent je m’exprime plus facilement en hongrois… Bonne nuit !

29 octobre 95

C’est fantastique, combien des gens biens, intéressants j’ai connu depuis que je suis active au réseau de savoirs !

Quand je pense aux années de solitude, recherche tellement infructueuse des autres si longtemps, et puis, d’un coup magique, ouverture. Même si tous ne resteront pas des amies, j’aurai des gens intéressants avec qui parler. À faire et à agir. Hurrah !

François travaille et son travail va à la merveille, Agnès va bien, Valérie attend une petite fille pour bientôt et Stéphanie écoute chaque soir les cassettes que je lui ai enregistrés. Elle croit qu’il aura succès, mais déjà il m’apporte d’amitiés, sympathies.

30 septembre 1995

Et les dix jours se sont écoulés rapidement. Je suis en avion New York, Paris. Je me suis sentie plus près de ma fille. Malgré ou à cause de l’énorme patience et travaille que ses deux fils lui donnent, elle est plus rayonnante que jamais. Elle a fait avec vingt invités une très belle nouvelle année juif (François qui était dans son meilleur élément avait dit « chaud et sincère »).

J’ai raconté à la mère de Don ma tristesse après la guerre, elle m’a répondu « à moi, la guerre n’a apporté que du bien, la fin de la récession pendant laquelle nous étions pauvres, sans travail, presque sans toit. » Je lui ai parlé de ma cousine et mes grands parents tués à Auschwitz, elle disait « Il nous fallait la guerre à nous, pour nous en sortir de trou, bien vivre, mieux. » Mais, fallait-il pour cela que tant de gens meurs ? ! Je commence à comprendre le raisonnement des Allemands, eux aussi étaient en mauvais état après la première guerre. Mais comprendre, ne veut pas dire admettre, ne veut pas dire que ce qu’elle avait dit et la façon de le dire ne m’a pas heurté.

Auparavant, il y avait un problème avec Don pour qui nous n’étions pas assez propres, il rouspète, dit à Agnès qui me le dit et moi je le transmets à François. Finalement, je lui dis qu’il pourrait le dire directement à François sans les intermédiaires. François était heureux que je l’avais défendu et heureux que son travail avait bien progressé pendant notre séjour aux États-Unis.

J’ai assisté au réveil d’Alexandre, on l’emmené à la nounou qui s’en occupe avec trois autres, ramené vers cinq heures d’après-midi, aidé ma fille quand elle revenait avec le bébé, qui est chez une nourrice près d’école où elle enseigne pour l’allaiter dans la pause de midi. Une soirée, j’ai même été avec le bébé et c’était bien passé, cette fois j’avais du soja à lui donner.

François a su mieux s’occuper d’Alexandre qui réclamait de plus en plus son « papy » et lui obéissait mieux. J’étais inquiète pourtant. Pourquoi ? Tout allait bien. Je n’ai pas réussi à travailler sur mon livre pour presque deux mois, François a accaparé l’ordinateur portable apporté avec nous, j’aurais quand même pu lui le réclamer de temps en temps. Que m’arrive-t-il?

Je devais être dispos à tout moment pour les petits, François voulait aussi être transporté souvent ici ou là, je dû m’occuper aussi de ma dent tombée, mais si j’aurais vraiment voulu… Créer, nécessite un certain tranquillité. J’ai travaillé peut-être deux demi-journées les derniers deux mois. Est-ce cela qui me manque?

Goûter, savourer

août 1995

Le goût et l’odeur de Thomas bébé, son visage tout près de moi. Le goût des tomates fraîches. Savourer les fraises de bois.

Goûter. J’aime voir le visage de François quand il voudrait encore un peu de quelque chose que nous sommes en train de manger, son visage avide mais précieux. Il ne demande pas, il ne te regarde pas : il regarde les avants derniers morceaux. Et comme il est reconnaissant quand on le comprend et le lui offre. Quelquefois, il me laisse aussi, sinon il l’avale avec une avidité, rapidité ! Quelque part en lui sont restés gravés, les souvenirs des années « sans », quand il avait treize à quinze ans et il grandissait après guerre dans l’internat. Relativement à lui, finalement, je n’ai pas beaucoup manquée, mes parents ont toujours pensé d’abord à moi (au moins, jusqu’à ce que maman vivait).

Le saveur d’une pluie d’été, le saveur enivrant des baisers de François, m’ont profondément touchés, tout comme le toucher léger de ses doigts.

Goûter ensemble le bonheur familial, le rire et les pleurs, les jeux des bébés pendant longtemps, il n’a pas de patience.

Je m’exerce après les suggestions dans des livres : à quoi cela servira-t-il ?

Une semaine plus tard

Avec un enfant, on doit être toujours disponible, ne pas s’absorber en quelque chose d’autre. Mais que des choses ils m’ont offert tous les deux ! Des sourires et regards magnifiques, leur développement formidable de jour en jour. Oui, c’est fatigant quelquefois, mais le vaut tellement ! Agnès, épuisée quelquefois, quel éclat est a gagné grâce à eux, ses fils qu’elle gâte, cajole, élève, habille, endort. La présence des deux, la visite de Lionel, qui c’est peut-être même ma façon de…

Elle vient de me descendre les deux garçons. Alexandre a mangé un peu et il joue, le bébé de deux mois dort sur mon épaule gauche, me permet à écrire. Réfléchir aussi. Thomas bébé tout chaud, son corps sur moi, sa tête sur l’épaule, sa main gauche m’embrassant, il dort de plus en plus profondément. La façon que ma fille élève ses enfants n’est ni plus ni moins bonne que la mienne, mais différent. Pourtant, moi aussi j’avais tenu Agnès dans mes bras après que je l’allaitais. Mais après, elle était sur le lit, je ne la tenais pas autant sur le bras qu’elle le fait avec son bébé. Dans mes bras, pour cajoler, manger, mais pas pour dormir, vivre dessus.

J’ai demandé à Agnès de m’apporter la corbeille de bébé, mais elle est partie faire une douche avec Alexandre, je suis restée avec Thomas dormant sur mon épaule. Je n’ose pas le reposer sur le divan « S’il se réveille », je ne veux pas être mauvaise grand mère, mère. Encore dix jours, puis de nouveaux je ne les verrai plus longtemps.

Transfert réussi

Il me faudra du temps pour remettre tout tel que c'était avant, en attendant j'ai changé la couleur pour vous signaler le transfert de ce blog - et tous mes autres, enfin réussi (on vera comment) de l'ancien système vers le nouveau Blogger.

L'insistance paye.

Depuis un mois, chaque jour j'ai essayé, à chaque fois j'ai tombé "on ne peux pas"... et aujourd'hui, miracle! je réponse a été différente.

29 août 1995, Washington

Nous sommes chez Agnès depuis trois semaines (Don a dû partir travailler à l'autre bout de l'Amérique pour un mois).

Mon petit-fils Alexandre a déjà un an et demi et nous nous entendons formidablement. Avec moi, il a pris de nouvelles habitudes de “grand garçon” ; par exemple : il va tout seul vers la voiture, y grimpe sans mon aide et en route il prend son livre, ses jouets dans ses bras... Et voilà, le miracle que j'attendais depuis longtemps avec mon optimisme incurable est arrivé ! J'ai retrouvé avec ma fille un vrai, un bon contact à l’occasion de la naissance de Thomas, son deuxième fils. Il a fait des miracles (ou mon livre que Lionel a laissé là, il y a deux mois ?). Agnès a compris peut-être, combien il est difficile d'être mère et probablement elle s'est souvenue aussi de mes bons côtés.

Il ne faut jamais désespérer !

Nous avons passé un très bon mois ensemble avec elle et les mômes. Tous ont apprécié aussi François, son sérieux au travail (il a énormément bossé depuis qu’il est ici, en travaillant sur l’ordinateur portable) et il a très bien communiqué avec le petit.

Que c'est si bon d'être grands-parents !

Boston, le sept août 95

Tout à l’heure, j’étais vraiment «inspirée».

En écoutant François parler (depuis deux heures au moins), d’un coup une idée m’était venue au sujet de mon caractère, l’effort que maman a dû déployer pour me tenir à l’écart de la culture juive, me laisser développer ma personnalité et, en même temps «grise, invisible extérieurement». J’avais pas encore cinq ans quand ils se sont aperçus des dangers nous menaçant comme juifs.

J’ai compris beaucoup de chose subitement de ses difficultés et le courage de ma mère mais aussi son intelligence.

Difficulté de quitter des logements à chaque fois aussi. Douloureux, chaque objet dont je devais me séparer me faisant mal. Un tableau, un lampadaire, un fauteuil aimé que j’ai dû abandonner, l énième fois, recommencer avec presque rien de nouveau.

Combien de fois, déjà ?

Pendant la guerre, l’abandon de logement de Kolozsvàr dans une heure. Au début, ma poupée, mes livres qui me manquaient. Je ne savais encore de ma famille qui disparaîtra. Ensuite, vers Bucarest, quatre ans plus tard, encore six ans plus tard j’y revenais comme si j’habitais là.

Au départ de Roumanie, j’ai laissé (pour quelques mois), mon mari, père de l’enfant en moi déjà, le choc des cendres de ma mère déversée sur un journal, étaient plus importants que d’avoir du y laisser mes journaux, photos et poèmes préférés. J’ai réussi à récupérer « la secrétaire » de arrière grande mère seulement vingt ans plus tard et en même temps je me suis rendu compte de tout qu’on a coupé en même temps.

Puis notre départ précipité d’Ham, quand mon mari m’avait obligé d’y laisser tous les meubles rassemblés longtemps, avec amour. Refaire. Des mois, nous avons mangé sur un coffre, le même avec lequel on était parti de la Roumanie. Plus tard, j’ai dû tout laisser pour aller en Amérique, puis trois ans plus tard tout abandonner pour retourner en France. Recommencer avec un matelas à la lumière d’une bougie à Montmartre où je suis. Mais j’ai dû faire place pour François ici, pour ses affaires, habits, livres, documents, ordinateurs, musique, journaux, etc.

Ces déchirements, sont aussi mes richesses. Des années pleines de bonheur de tous les jours, des années tranquilles, je ne me les rappelle presque pas. Il y avait d’amertumes, des renoncements, des espoirs et joies, mais il devient difficile de les faire revivre.

J’étais hier avec François dans une librairie antique : à la fin de la siècle dernière, écrire de journal était une activité beaucoup plus « avouable », il sera temps le faire revivre. C’est sain, aide à réfléchire… je voulais dire indépendamment. M’a-t-il aidé ? Peut-être pour cela que j’ai des trous de temps en temps.