Le chemin parcouru

Nous rentrons chez Clara. Elle habite toujours la maison à côté près de celle de Suzanne, la maison où j’habitais moi aussi jadis dans l’appartement de ma grande mère.

D’où viens-tu ?

De Paris.

Que fais-tu ?

Je visite ma tante, toi, Suzanne, mon oncle.

Vas la voir.

Suzanne n’est pas à la maison. Voilà mon mari, il ne parle que français et anglais.

Je n’envie personne, sauf pour savoir parler des langues.

Où peut-on manger de poisson par ici ?

Prends le bus 55 jusqu’au centre, je m’excuse, je dois faire une soupe pour ma fille, elle vient d’avoir un bébé. Bientôt nous déménageons.

Au revoir.

Tu ne reviens pas ?

Je ne crois pas.

Je dois me dépêcher.

Bonne journée !

Elle a parcouru des étapes, elle aussi.

Je l’ai connu jeune mère, sa première fille avait juste une année. Aujourd’hui, son troisième petite enfant est née et elle est pensionnée. Elle habite toujours dans cette banlieue lointaine, à côté d’où un bus n’arrive que toutes les 45 minutes. Elle m’envie, et non seulement pour les langues que j’ai appris, de mon mari, des pays que j’ai parcourus, de ma richesse qu’elle s’imagine, mais surtout des tournants radicaux dans ma vie que m’ai menée loin d’ici, où j’habitais, il y a trente-cinq ans, moi aussi avec un bébé.

Ma fille est à Washington, mon fils à Paris. Elle se compare à moi et à mon parcours et on lit l’envie sur son visage. Suzanne aussi m’envie, pourtant elle m’aime. Elle habite aussi toujours là, son logement commence à décrépit. Pourtant c’est à elle, moi, je n’ai jamais eu un à moi. Je voulais pouvoir bouger, m’en aller sans regret. Je l’ai fait, trop souvent. Mais je ne les envie pas qu’ils ont un appartement qui leur appartient. Ma vie a tourné souvent, au tournant, le chemin est dur, le chemin est intéressant. Des rives inconnues, des rives enrichissantes.

Aujourd’hui, devant l’ancienne maison de grand-mère, en attendant le bus, j’ai mesuré le chemin parcouru. Je me suis dit, j’ai dû partir d’ici et je le dois à Sandou, je l’ai suivie en France. Une nouvelle voie s’est ouverte à moi au tournant. Pour ma fille, en Amérique. Pour mon fils à Paris. Tellement différent !

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