26 mai 1997


« J’étais horrible ! »


Je sentais que je devais l’accompagner chez le psychiatre - neurologue. Le matin, il disait encore « Pourquoi y aller? » et cela, après m’avoir raconté pendant deux heures ses craints, peurs et angoisses.
« Le coquillage est en train de se refermer, avait-il déclaré. Puis aussi : je me sens en train de se dessécher. » Finalement, il a ajouté, plein de bon sens: « Je ne dois plus faire de formation, cela ne me va plus, mais plutôt accompagner un projet. Un projet de quelqu’un ayant une idée et ne sachant pas la réaliser tout seul. »
À trois heures l’après-midi, finalement c’est lui qui m’a relancé :
- Alors, on y va pas ?
- Si. Habilles-toi.

Nous sommes arrivés vers cinq heures, quelques minutes d’avance. Il a trouvé la rue, le numéro. Nous entrons dans la maison.

Avant de sonner, il déclare brusquement :
- Pourquoi sommes-nous venus ? Ce n’est pas la peine. Surtout, cette semaine.
Non. Je voulais sonner, mais j’ai seulement dit :
- Si nous sommes déjà ici.
Il sort par la porte et déclare :
- Non, je n’ai rien à lui dire. Que lui dire ? Je ne vais pas revenir pour six mois !
- Ce n’est pas une psycho-analyste, on ne revient régulièrement. Et de toute de façon, s’il ne te plaît pas, tu lui dis : je reviendrai une autre fois.
- Non, ce n’est pas la peine. À quoi sert-il d’y aller ?
- Tu m’as déjà fait confiance et tu ne l’as pas regretté.
- Cela n’aidera en rien.
- Mais puisque nous sommes déjà ici.
J’avais envie de pleurer.

Enfin, il est retourné, c’est lui qui a sonné, il s’est annoncé. Il est en train de parler avec le psychologue - neurologue. Serait-il utile ou non, seulement l’avenir le dira. Aider, dans ces cas, général mais différent pour chacun, n’est pas facile.

Je tremble. J’espère au moins que tout cela ne va pas lui nuire. Je peux me tromper. Avons-nous bien choisi ? C’est encore plus délicat que dans autres spécialités.
Je tremble, j’ai peur.
Espérer !
J’ai déclenché en lui apparemment quelque chose, maintenant je ne sais plus comment l’aider. J’espère que le docteur le saura.

Il m’a dit ce matin qu’il s’était trop appuyé aussi sur sa première femme, qu’il l’avait mal jugé, qu’à côté d’elle, il vivait dans un monde imaginaire, existant dans sa tête. Loin de tous, seul dans sa coquille et agissant souvent mal. Ne sachant pas communiquer, voyant de mauvais en tous, ne se souciant pas des autres.
- Mais tu n’as pas vécu ou agi ainsi avec moi !
- Non, mais j’ai l’impression de régresser de plus en plus, d’être un mauvais mari, de trop te peser.
- Jamais tu ne t’es enfermé depuis qu’il y a un « nous ». Mais, hélas, je sens que de semaine en semaine, tu t’éloignes, tout en m’aimant.
- Je me hais de plus en plus.

Finalement, il a dit lui-même qu’il lui faudra (urgent !) quelque chose qui le préoccupe, quelque chose à réfléchir, à conseiller, quelque chose, même si ne le passionne pas, mais au moins l’intéresse fortement. En absence de ceci, il pense à son passé, à soi, à ses maladies, toutes les façons qu’il a mal agi ou réagi dans sa vie.

« À douze ans, j’étais déjà tout à fait enfermée, je ne vivais plus qu’en moi, ma tête. Même dans l’internat. Je faisais des maths, je pensais aux isomères chimiques, je ne communiquais pas avec les autres élèves. Je vivais dans le monde que je m’étais construit, me disait-il.
Puis, ajouta :
- Et ma femme, elle n’était pas aussi horrible que je le pensais ces derniers temps. Je pensais sur elle aussi, comme je n’arrive jamais à choisir, je lui laissais sur elle, sur son dos, tous les choix. En prétextant que je ne veux pas lui imposer les miens, comme mon père à ma mère.

- Mais elle ne s’est pas bien occupée de ses enfants, m’avais dit une de tes filles.
- C’est vrai. Mais elle prenait pas mal sur son épaule.
Il y a un mois, il se disait coupable de n’avoir pas été gentil avec sa jeune maîtresse, l’avoir abandonné après son mariage, finalement. Qu’il l’avait pris brusquement.
- A-t-elle protesté ?
- Non. Elle m’aimait, éperdument. Elle s’est effondrée seulement quand je lui ai dit qu’on ne va plus se voir. Plus tard, j’ai su qu’elle a même tenté de se suicider.
- Elle savait que tu te marieras, que tu été déjà marié. Et c’était ton contestation contre le mariage forcé.
- Mais finalement, le mariage me convenait.
- Même au temps de la secte ? Quand…
- J’avais beaucoup des torts. Je suis un affreux homme et j’étais un affreux mari. Et encore, je te pèse trop.
- Tu m’aimes ! Depuis le début. Il y a un problème, tu sens, entre nous ?
- Non. Mais je me sens quelquefois éclater. Je me sens, même là, blotti tout près de toi, comme si j’étais sous le lit.
- Nous y sommes alors, ensemble, tous les deux. Ce nous existe. J’ai besoin de toi, François, ne t’éloigne pas, s’il te plait, ne me quitte pas.
- Je suis là. Mais je me sens dessécher.
- Et ta musique, ton concert dans cinq jours ?
- Justement, j’ai peur, très peur, peur panique.
- Oistrach aussi en avait avant chaque répétition, chaque concert. Il en devenait malade. Tu te sentirais mieux après. Tu verras, dimanche soir.

J’ai ajouté ensuite :
- J’ai mal au ventre. Ce n’est pas bon signe. C’est mon signe d’angoisse à moi. Continuons quand même nous rappeler. Et ma traduction, si cela te gêne, dis-le moi.
- Non, mais le faire à côté d’autre chose, pas seul.
Il n’est pas sorti tout suit, c’est bon signe. J’ai pu écrire tout ceci pendant qu’il est en train de parler avec le docteur.

Les livres américains m’ont énormément aidé. Ce que je suis en train d’imaginer pour le moment et d’écrire quelque chose que je voudrais lire, on n’en trouve plus des livres ainsi « ils ont bien marché une période, mais il n’y a plus d’audience pour eux » dit-on. (J’étais en train d’écrire La princesse aux pieds nus). Et à la place des récits sur amour forcé, puis adoré, de luttes contre soi et les fantasmes, on écrit maintenant des récits sur des lesbiens, homos, ouf ! tout que je n’aime pas lire. Qu’il fasse tout ce qu’ils veulent en intimité, mais sans l’étaler, sans racoler des nouveaux adeptes.

J’espère que je réussirais par ce que j’écris, démontrer en même temps, que les fantasmes violents et les réalités ne sont pas la même chose, pas du tout. Depuis que je ne trouve plus d’éditeur à qui envoyer mon journal, j’écris sans arrêt, je n’arrive pas à m’arrêter à écrire.

Choses divers, différents.
Stéphanie m’a dit que je souffre de « boulimie », mais non, elle se trompe seulement sur quoi. Je mange, trop, pas tant que ça, mais par contre, j’écris, j’écris, j’écris.


N’importe quoi ? Utile ? Utilisable ? Exercice ? J’espère, un peu plus. J’apprends, je m’apprends à écrire, en m’inspirant des conseils des livres. Mes caractères sont devenus plus ronds, plus crédibles, plus divers, mes dialogues plus fortes, plus attirantes - je le sens.


Mais à qui je pourrais montrer ce que je viens d’entrer dans ma machine ? De toute de façon, c’est encore loin de la fin. Aurais-je assez de matériel? J’y ai mis, pêle-mêle, plein d’émotions et vécus des personnes diverses, mélangées, selon « la recette ». Je n’ai pas encore envie de le réviser, plus tard ça viendra aussi.


L’angoisse que je vois dans les yeux de François, dans son visage qui devient de plus en plus allongé, me remplit d’effroi et de tristesse, je voudrais tant l’aider ! Je me sens impuissante devant son chagrin énorme, sa peur, son découragement - c’est pour cela que je l’ai emmené. J’ai lutté, lutté, je ne sais plus que faire, comment le sortir de là, comment empêcher de continuer à glisser, plus bas, encore plus bas. J’ai besoin des alliés.


La rencontre avec sa sœur, l’arrêt de ses cours, le mort et l’enterrement de son collègue et quelques mots maladroits de moi ont déclenché tout ça. Cela doit s’arrêter, sinon, Dieu sait où l’on va. Dans cet état, il ne peut vraiment pas trouver, ni chercher de sortie, des contacts, quelque chose à faire.


De temps en temps, il s’illumine, il vit, puis s’éteint, soudainement. Je ne veux pas ! J’ai vraiment, vraiment besoin de lui - je l’aime tellement, il me rend si heureuse, rassurée. Il est vraiment un bon mari. Mais nous devons passer des moments difficiles. Il le faut!


Trouver une solution. Des solutions. Autant qu’il le faudra jusqu’on est sortis de cela. Renforcer, il paraît qu’après une année on trouve. Si on en survit. Il faut ! Le chagrin entraine des maladies. Il faut qu’on lutte ensemble. Que j’y pense davantage, l’écoute plus.


Lui trouver un projet, plusieurs. Réfléchie Julie, à la place de te débattre à gauche et à droite, cela ne te sortira pas, ne le sortira pas, l’enfoncerait davantage. Comme mes mots maladroits : « A quel moment ta vie aurait pu virer autrement? » J’écrivais justement de ça, sur moi, mais en le regardant de loin avec curiosité. Il s’y est lancé avec auto-reproche, douleur, regrets.
J’ai mis neufs ans à lui prouver qu’il était bon, il a mis, combien, un mois pour se prouver le contraire. Tout est à refaire ? Pourtant je sais, (et d’ailleurs même Stéphanie me l’a confirmé depuis le début,) François est bon, profondément.


Mais dérouté, avec problèmes. Je l’ai sorti, il vient de retomber, j’espère, pas plus profondément. Il existe toujours un « nous », il le sait. Il a quand même plus sur quoi s’appuyer. Moi aussi, sur lui au besoin. Maintenant, c’est lui qui en a. Besoin.

Il y a des centaines des histoires à raconter, des gens, caractères, situations, lieux à décrire : même en regardant par la fenêtre sur une rue tranquille. Je vois une femme mince en pantalon salopette et chemise blanche se dépêcher, rentrer en serrant contre elle un grand sac blanc. Où va-t-elle ? Qu’y a-t-il dans le sac bien rempli ? Pourquoi elle se dépêche tellement ? Il y a de quoi écrire, démarrer. Et sur les marches de Butte Montmartre la vie s’écoule, il y a tantd’histoire à écrire!


Il est resté presque deux heures et il compte de revenir dans trois semaines, prendre régulièrement des médicaments et commencer à écrire ! Un pas en avance, il parait. Touchons vite le bois.

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