La fin du monde

11 août 99

La lune va obscurcir le ciel. Fin de siècle. Fin du monde?

L’éclipse doit arriver en quarante minutes.

Le ciel est ouvert à Paris, mais les nuages gris sont menaçants. Je fais comme rien n’était. Comme les Français en juillet 1940.

Je viens de prendre le bus, en quarante-cinq minutes il devrait me déposer près de mon dentiste à l’autre bout de la ville, mais Lionel avec Annelise et leur nouvelle née de trois mois sont allés près de Reims. Mon fils a pris spécialement congé cette semaine pour pouvoir admirer le phénomène. Le beau-fils d’Anna vivant en Toronto croit à la fin du monde, il n’a pas retrouvé sa place dans la vie après avoir émigré de Hongrie.

Le bus part de Pigalle. Nous passons près de salle de ventes Druout, pas loin, l’Opéra. Bientôt, nous arrivons devant l’ancien Bibliothèque National. Au retour (s’il y aura) le bus passe derrière la Bourse près des Halles et Saint Eustache. Il est dix heures et demie. La statue de Molière nous regarde : nous sommes arrivés à la Comédie Française. Tiens ! La fontaine est arrêtée ! C’est triste ainsi, quelque chose manque à cette place. Et voilà Louvre nettoyé et une partie de parc Royale.

Nous sommes arrivés à la Seine, au Pont Neuf. Quand c’était neuf? L’autre côté le Samaritaine, et maintenant on voit les tours de Quai d’Orsay, Ile de France, Notre Dame. Le cœur de Paris.

Nous sommes arrivés près de l’Hôtel de ville blanchi, lui aussi. De loin j’aperçois quoi? Montparnasse grise ou le tour central de Jussieu? Il dérange l’horizon?

Les bouquinistes de quai sont fermés, un policier à bras croisé près du pont que nous venons de traverser. Île Louis, rue des Deux-Ponts. Les contrôleurs sont montés, nous passons le deuxième pont, vue superbe de derrière Notre Dame.

Nous passons près de Monde Arabe vers l’université Jussieu, fermé. Et voilà le jardin de plantes où je ne suis jamais entré. Si, mais de l’autre côté. Nous passons derrière Sorbonne 3.

Il est dix heures quarante-cinq minutes. Le ciel est encore clair mais couvert. À travers boulevard de l’Hôpital, nous allons vers Place Italie. À l’arrêt Art et Métiers les contrôleurs, bredouilles, descendent. Nous fonçons plus loin.

Place Italie, Mairie 13e. Des marronniers aimés depuis mon enfance me rassurent. Le soleil perce derrière les nuages, est-ce le dernier éclairci avant le…?

Il est onze heures, place Rungis, je descends. Je ne peux plus penser à la fin du Monde : je tremble pour ce que le dentiste me fera bientôt. Brrr!

***

Je me suis trompé d’une heure. Nostradamus de 1500 probablement de quelques mois. Le ciel s’est nettement éclairci, on voit du bleu à travers les nuages devenus blancs. Le ciel bleu et avoir fini avec le dentiste me donne une humeur plus rose.

Assis, place Rungis, près d’un verre transparent, buvant de jus d’orange pressé, goûtant un délicieux croissant acheté à la boulangerie, la fin du monde paraît tout à fait improbable.

Mes dents ne sont pas dans l’état catastrophique même si la dent qui me manque et qui a disparu serait difficile à faire tenir sur place, la racine restante est trop courte.

"Mais rien grave", me dit le dentiste, "si les dents se détachent, on les remettra, pas la peine de les refaire, de tout recommencer. " Bien sûr, si je les 'attrape' En estomac, c’est dangereux. Perdu, est perdu. À surveiller quand même. Faudrait traiter mes gingives fragiles. Bon, j’y survivrai à ça !

Le ciel s’éclaircit davantage. Il est 12 heures. Peut-on avoir une éclipse avec un ciel si bleu clair? Ceci paraît incroyable. Des nuages gris poussent l’éclaircis plus loin. Du soleil ! La première fois depuis ce matin! Tout le monde le guette, pas seulement moi. Tout le monde sur la place regarde vers le ciel. Tiens! Voilà un jeune avec des lunettes spéciales.

À quelle heure ?

Cela ne va pas tarder.

Le soleil a disparu de nouveau, les nuages gris épais ont gagné, les gens qui regardent vers haut montrent du doigt, quoi ? Tant que le ciel est bleu comme ça, je n’y crois à rien. Midi et quart, tout autour du place des gens assis, regardent, attendent. Je bois mon café. Non, je sortirai aussi.

« C’est la nuit ! »

***

Un bel homme sympa avec une barbe nordique me prête les lunettes spéciales. J’ai vu! Le soleil comme s’il était la lune, une huitième croissante, puis commence à croître. Et les rayons. J’ai regardé juste pendant un second sans lunettes. Quels yeux chaud a cet homme d’environ mon âge et quelle conversation agréable.

« Vous écrivez l’histoire! Il faudra l’entrer dans l’ordinateur pour qu’il ne brûle pas, comme avant ? Vous venez de l’Est. Ils sont conservateurs. Un de mes fils est parti loin, en Iran pour suivre quelqu’un. Depuis cinq ans déjà. »

Il ne dit pas d’où ils étaient ses parents. Il a soixante ans, il a fait la guerre d’Algérie. « Mais on n’en parle pas, elle a laissé des traces trop lourdes, me dit-il. » Il me parle de difficultés d’être loin de son fils, parti ailleurs, suivre une femme. Moi, je raconte de mes enfants lointains.

Il me regard avec sympathie. (Lui)

***

Midi quarante, le soleil est ressorti de la lune presque complètement.

Je suis de nouveau dans le bus 67, en direction inverse cette fois. En bas les gens regardent encore vers haut, au moins ceux ayant des lunettes. Les autres vaquent à leurs occupations. Quel contact agréable j’ai eu pour quelques minutes! Avec quelle sympathie il m’a regardé, parlé!

François me dit des choses agréables, mais je ne le ressens pas vraiment, en même temps il me regarde autrement. Il ne me regard plus comme quelqu’un d’intéressante, avec sympathie et compréhension.

Est-ce 'un jour comme autre' ou 'un jour historique'?

Mes yeux sont fatigués « c’est dangereux de regarder le soleil en face! »

Nous arrivons à la statue des déportés près de l’institut du monde Arabe, puis nous passons le pont Sully et arrivons à un petit parc de l’Ile Saint Louis. J’aime la Seine!

De loin, j’aperçois le jeune garçon du milieu de Bastille, oui, quelle déception pour les étrangers : plus de Château sur la place, pas la moindre trace. Nous longeons la Seine. Pont Marie, près d’ici la bibliothèque technique dans un vieux château. La première bibliothèque que j’ai fréquentais à Paris, dans une autre vie.

Le bus a quitté les quais, bifurque vers le nord, de très vieilles maisons et puis nous voilà, sur Rivoli à BHV puis à la Mairie, on voit de loin Beaubourg et puis nous arrivons à Châtelet. Des touristes, plein de monde mais personne ne regard plus le ciel.

De plus en plus de couples se tient la main. Le bras, c’est autre chose.

Nous voilà à la Samaritaine et rue du Louvre, la Bourse de Commerce et la Poste Centrale de Paris, rue Montmartre avec Le Figaro et ses tulipes rouges sur son mur.

Au station « grands boulevards » une boulangerie avec énormes pains de tout sort, puis un fast-food cacher, un couscous Bagdad, un Viennoiserie, Lotus de Chine, Bazar Archan. Des petites boutiques de partout de monde près l’un de l’autre.

Place Kossuth, le révolutionnaire hongrois de 1848. Rue des Martyres un merveilleux étalage des légumes. Tiens, encore des jeunes qui regardent le ciel bleu avec leurs lunettes spéciales. Le soleil brille. Les tourtereaux picotent des morceaux de pain qu’une dame aux cheveux blancs leur donne.

Je suis arrivée Place Pigalle, le petit train touriste est là, mais j’attends Montmartrebus. Il vient d’arriver. Il est une heure vingt.

Nous avons survécu, d’autres catastrophes arriveront.

Métro Abbesses « le poète de bute Montmartre » monte, sans sa cape noire et foulard rouge, il s’excuse et bavard avec le chauffeur du bus. Et voilà nous arrivons à Place de Tertre, il descend, moi aussi.

Un père donne à manger aux pigeons puis leur faire admirer à son bébé dans une poussette, des gens sur le banc déjeunent avec leur sandwich, un peintre peint au coin Norvins et Lepic assis, tourné vers la boulangerie et la rue montant vers place de Tertre, lieu des peintres commerciaux et illustrés (de plus en plus belles).

Je préfère prendre la rue Saint Rustique, parallèle, tranquille, étroite, la plus ancienne rue du But Montmartre avec un petit canal au milieu pour l’écoulement de l’eau ou pour les ânes.

Mon épaule gauche me fait mal, mon œil droit et mes chevilles aussi, mais je suis presque arrivé à la maison.

Les dessinateurs travaillent en plein, c’est leur pleine saison. De la musique ! Un saxo et un harmonica, qu’ils jouent bien ! C’est chez moi, mon bute Montmartre. J’y habite depuis presque vingt ans.

Les gens devant les restaurants ou café, la musique mélancolique. Connu : « Larra » Mont Cenis, ma rue. Les voitures ne passent qu’en marchant, presque, sur les pieds des gens. Puis voilà, commence l’escalier qui descend. Des souvenirs.

Une dernière dame entêtée, ne voulant pas renoncer, regarde avec toujours le ciel, pourtant l’éclipse est finie, le soleil caché de nouveau derrière les nuages. La musique s’éloigne en pleurant : de bonnes musiques tziganes ! Combien d’émotion dans leurs sons.

Le soleil revient. J’aime Paris, j’aime Montmartre. Je n’ai pas trop envie de rentrer.

Après quelques minutes, je rentre à la maison, ça sent très bon dans l’appartement. Le radio joue du classique mais moins chaud que le musique mélancolique dehors.

François est fatigué. Il n’a pas encore mangé.

Où sont mes pantoufles ? demande-t-il.

Puis il éclate : « Ça recommence ! » hurlant. Parce que je lui ai demandé qui est ce Castel avec qui nous avons rendez-vous demain.

À peine arrivée, je suis fatiguée, moi aussi.

Cris, hurlements. Yeux blessants.

Je lui trouve ses pantoufles.

Écoute! ce que j’ai écrit pendant le voyage aller et retour en bus.

— T’as repris ta plume, très bien madame. T’as apporté mes pantoufles, c’est gentil. Enfin un joli sourire.

La fin du monde n’est pas arrivé. Et la fin du mien ?


2007: comme c'est long, je vais compter deux jour avant d'ajouter la suite

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