Nous, les jeunes retraités

Nous nous réunissons toutes les semaines jeudi à deux heures et nous nous mettons à écrire. Nous sommes les jeunes retraités, le moyen d’âge est de 66 ans. Exactement mon âge. Les vieux, surtout les vieilles, ont 92 voire 88 ans, mais font d’autres activités.

Entre nous, le plus âgé, peut-être Pierre, doit avoir 69 ans à peine et Lucette, la plus jeune a 62, elle a eu une retraite anticipée. Jeunes et enthousiastes, nous nous lançons dans une activité désiré depuis toujours et de côtoyer d’autres, qui aiment écrire nous donne de courage.

Nous avons commencé à écrire cinq à sept minutes, puis dix, écrire autant sans s’arrêter leur paraissait beaucoup. Une année plus tard, de nombreux récits derrière nous, une heure et demi s’envole trop vite et l’on voudrait continuer à écrire. On le continue… À la maison. Nous, les jeunes…

Nous voulions une relation qui dure: souvenir

« Des airs qui vous remuent jusqu’au fond du cœur,
qui vous font pleurer, qui vous rendent fou ! »


Le dîner était fini, tout paraissait être dit, ou plutôt, tait. Elle n’aima pas le paprika et ne s’était pas laissé approcher. Il se sentait gauche. Il avait réussi à l’attirer pour un dîner, la première fois chez lui, malgré toutes ses hésitations. Elle était même resté longtemps, écouté avec plaisir les enregistrements de jadis de Saint Germain de Pré, regardé et admiré ses livres.

Et maintenant ?

- Je veux vous dire…
- Oui ?
Elle se tourna vers lui.
- Asseyez-vous encore une minute. Je ne serais pas long.
Elle s’assit et le regarda. Des yeux chauds. Il se lança dans l’eau. Qu’avait-il à perdre ?
- Je veux une relation qui dure. Au moins, quatre mois. Pas moins. Ou alors, rien.
- Oui.
- Je voudrais qu’on se dise sincèrement quand quelque chose ne va pas, et…
- Bien sûr, répondit-elle des yeux étonnées.
- Etes-vous d’accord qu’une relation qui dure pas trois mois ne vaut…
- Hum, répondit-elle d’un air convaincu.

Elle se leva. Elle part? Il voulut l’attirer vers lui. Elle eu peur subitement.

- N’ayez pas crainte, je ne veux pas vous embrasser. Pas aujourd’hui encore. Juste vous serrer un moment dans mes bras, vous enlacer.

Elle le regarda et se laissa attirer par lui. Non, elle se lova dans ses bras. Encore plus près. Elle n’y croyait pas à ses sens. Elle tremblait non pas de peur de lui mais de plaisir. Il sentit son émotion, sa sensualité s’éveiller au contact de son corps, la sentit répondre. C’était incroyable !

- Comment avez-vous deviné ? demandait-elle alors.

- Deviné ? Quoi ?

- Ce que je pensais, ce que je voulais… espérais.

27 mars 2000

De nouveau avec Gabrielle. Elle a plus de dix mois. Être avec elle me rappelle les enchantements avec mes propres enfants. Le premier pas! Elle vient d’apprendre à descendre à recoulons! Elle mange seul un biscuit! Demande un peu d’orange!

Ce matin, nous avons regardé ensemble par la fenêtre Annelise partir au travail. Ma belle-fille s’est retournée vers son bébé avec quel sourire! Il n’y a rien de plus belle qu’une jeune mère souriante, heureuse de sa petite fille! Mon regard vers Agnès bébé, le regard d’Agnès vers ses enfants, fierté, enchantement, il y a tellement qu’on ne peut pas tout décrire.

Depuis qu’elle attend le deuxième, elle est encore plus épanouie, plus belle.

Je crois que Gabrielle s’est endormie. Elle se frottait les yeux et je la mise dans son lit.

***

Non, elle ne dort pas, elle s’exprime. Peut-être elle s’endormira quand même bientôt. Sinon, elle se repose au moins. Elle se dépense tant, elle en a besoin.

Aujourd’hui, je lui ai mis par terre l’oreiller dur et elle a pu grimper seule sur le sofa en se servant de celui-ci comme une marche. Elle était moins par terre que d’habitude. Tant mieux, il fait froid encore. Dehors c’est couvert.

Ce printemps tard à venir.

J’ai bu une quantité énorme de café et j’ai sommeil malgré tout. Je n’arrive pas à me détendre, me reposer. Elle ne dort toujours pas ? De tout de façon, jusqu’à quand ? C’est quand même une occupation de tous les instants, un bébé.

Je suis en train de recopier ce texte dans l’ordinateur. Quelle rencontre fantastique avec moi‑même et les temps passés !

Gabrielle a neuf mois!

22 février 2000

Gabrielle se frotte les yeux et de temps en temps crie, mécontente.

Je lui donne un biberon avec 100 ml de lait, elle le boit goulûment jusqu’à dernière goûte. Et sa mère me disait de ne pas lui donner du lait jusqu’à ce soir. Mais aussitôt après, elle se frotte des yeux encore. Je lui tapote le dos, elle met son visage sur mon épaule. Je la serre davantage contre moi et je la berce deux minutes. Elle ferme les yeux. Je la berce encore un instant, puis je me lève doucement, tout en la serrant contre moi.

Je la dépose dans son lit, met la sucette dans sa bouche. Elle bouge à peine. Je la couvre et sors au point de pieds. J’entends sucer encore deux trois fois. Je retiens ma respiration. Va-t-elle s’endormir ?

Oui, elle respire paisiblement. Elle dort.

Vite ! Déjeuner : j’ai trente minutes jusqu’à ce qu’elle se réveille.

Elle vient d’avoir neuf mois, elle commence à se déplacer avec une rapidité surprenante. Il y a deux semaines encore, elle se hissait les mains sur terre, au point de pieds, se balançait, se projetait en avant et se déplaçait ainsi, difficilement. Maintenant, elle coure à quatre pattes, elle grimpe partout, elle touche à tout. Surtout, pas à ses propres jouets, qu’elle délaisse, dégoûtée. Le journal de papa, le livre de maman, les chaussures de mamie sont beaucoup plus intéressants. Les fils, les prises, les ampoules. (Oh, vite, les retirer, les cacher).

Tout qu’on lui interdit, l’intéresse. Les lacets de mes chaussures ont un meilleur goût que le cercle dentier acheté spécialement? Le carton de son livre, mieux que la sucette? Ce que je mange paraît l’attirer davantage que le purée d’épinards pour bébé. Elle n’a encore que quatre dents, mais déchire avec eux tout qu’elle peut, ne se contentant plus de sucer comme auparavant le pain. Puis s’étrangle, attention!

Elle tient le mur et se hisse à deux pieds, relâche une main pour attraper un objet intéressant. Une seule main n’est pas encore suffisante, elle se balance, menace de s’effondrer. Ouf, elle s’assoie et heureuse enfin, joue avec ce qu’elle réussi à attraper. D’abord, elle le goûte, puis le secoue, le regarde de chaque côté. La découvre, tout à fait concentrée dans ce qu’elle fait.

L'accepter, tel quel

16 février 2000

Je me suis senti coupable ce matin : j’avais envie qu’on me fasse l’amour. J’avais l’impression qu’il n’avait plus envie de me caresser, me satisfaire. Après douze ans, après diverses choses…

Hier soir, j’avais même demandé : « as-tu encore envie de me caresser, me faire crier, me faire réagir ? » Il a répondu en me serrant dans ses bras, sans paroles.

Ce matin, j’avais mal partout, je désirais un café chaud pour ma gorge irritée. Il m’a pris près de lui et m’a caressé. Tiens! Je l’ai caressé, il était intéressé. Soudain, il s’est rué sur moi. En moi. Fier et heureux qu’il le pouvait encore.

Soudain je me suis rendu compte… et j’ai eu honte.

Ce n’était pas qu’il ne m’aimait plus, que j’avais tombé dans ses yeux comme je le voyais. Il est déprimé et c’est l’opinion sur lui-même qui est devenu de plus en plus gris, voire noir.

« Je suis quand même un mari acceptable, quelquefois ? » me demande-t-il depuis encore et encore, fier de son exploit.

- Et moi, suis-je acceptable ?

Il me serre la main d’un air bien entendu, en silence.

Je devrais avoir beaucoup plus de patience avec sa maladie. Quand s’en sortira-t-il?

L’accepter, le prendre tel quel. Être heureuse de tout qu’il donne. Me contenter et ne pas croire tout de suite que c’est moi qui ne vas pas : l’âge, graisse, rides…

Ce qui lui manque ce n’est pas un sous-vêtement noir que je voulais m’acheter en désespoir de cause, mais la confiance en soi-même. Il n’est pas dégouté de moi, comme je le croyais, mais de soi-même. Au lieu de l’encourager, je lui avais fait des reproches à lesquels il ne sut comment répondre, et l’on ne pensait pas aux mêmes choses.

On peut faire l’amour de toute les façons. En réalité, il n’y a pas un jour depuis douze ans qu’il ne m’a pas montré le sien envers moi d’une façon ou l’autre. Amour, besoin, appréciation, essayant de faire plaisir. Me montrant de belles tulipes du parc, préparant un bon plat, me serrant près de lui.

15 fevrier 2000

Après avoir lu les 95 pages de l’Escaping into the open de Elizabeth Berg (the art of writingtime), ce matin je me suis réveillée inspirée, porté par des ailes. D’accord, c’est un cliché.

« Plongez toute nue et laissez sur le bord les lecteurs, vos inhibitions héritées ou amèrement appris, votre éditeur potentiel et surtout, votre éditeur interne critique le plus acharné. Plongez et nagez toute nue.

Délectez-vous avec l’eau vous caressant sensuellement. Lavez-vous de tous vos soucis quotidiens et laissez-vous aller, être tel quel. Avec seulement le plaisir du cahier et papier, le stylo choisi. Dans le secret, loin des yeux de tous, avec votre cahier personnel. Nul ne vous épie. Et puis, si… ? Vivez dans le plaisir d’écrire nu, profondément, sensuellement.»

Et j’ai commencé d’écrire, en plongeant profondément, toute nue.

15 janvier 2000

Que de différentes façons de voir une même chose !

J’ai fait relier les premiers deux romans courts de fiction que j’ai écrit «Ma princesse aux pieds nus» et «Sans limites» pour donner courage aux participants dans mon atelier d’écriture, pour qu’ils écrivent eux aussi.

Nicolle, a lu les romans et m’a demandé: «Comment vous faites pour qu’on ne puisse pas la déposer, qu’à la fin d’un chapitre, on a envie de lire la prochaine aussitôt?»

Alice a pleuré en les lisant. Elle a pensé à sa fille et s’est identifiée à la «princesse» qui croit qu’on veut lui enlever son fils, en négligeant ses intentions à lui, pourtant exprimés. Elle m’a dit tout comme Nicole qu’on ne devine pas d’avance ce qui arrivera et l’on continue à lire pour le savoir.

Une des participants m’a dit que Sans Limites est comme l’histoire d’O, trop hard pour elle, et, au contraire, Danielle m’a affirmé que ce sont deux récits à «l’eau de rose», avec l’homme, qui vient la sauver.

Que d’avis différents sur les mêmes récits !

En réalité, ils sont un peu la mixture de tout ça.

Ah oui, et Danielle a ajouté qu’elle préfère qu’on suggère plutôt (et qu’elle puisse imaginer) que l’on montre cru. Y a-t-il beaucoup de « cru » dans ces récits ou a-t-elle une imagination débordant ? De tout de façon, il y a qui aiment plus, d’autres moins de détails. Je voulais me tester surtout jusqu’où je peux aller dans les descriptions. Les nouveaux romans d’amour vont d’ailleurs souvent beaucoup plus loin.

Finalement, la divergence d’opinion m’a ravi, même si seulement trois entre sept l’ont lu aussitôt et m’a rappelé aussi que ces romans sont mieux finalement que je les croyais, même si beaucoup moins importants pour moi que les livres venant de mes journaux. Je suis curieuse ce qu’ils diront là-dessus.

Il continue à me rabaisser

« Ne pas le montrer, mais peut-être s’y inspirer »

S'exprimer en toute liberté

2 janvier 2000

Cela fait curieux : 2000 ! J’y suis arrivée quand même. Il y a cinquante ans, je l’espérais seulement.

La nuit de Saint Sylvestre et la grande partie de première janvier passés avec Gabrielle, rien que nous deux. Finalement, passer environ 27 heures avec elle, était plus facile que la garder l’après-midi seulement pour six heures.

Elle commence à observer, essaye d’imiter. Que de sourires charmeurs venant de tout le cœur ! Elle a une façon très spéciale d’avancer : se hisse sur le point de pieds et se pousse en avant à quatre pattes, elle réussi à se tenir assise déjà sans qu’on la soutienne même si peu de temps encore et elle est ravie de se hisser sur les deux pieds si on lui tient la main. De s’assoire ensuite. Recommencer. Ravie aussi de jouer cache-cache et hier elle a commencé à apprendre qu’elle peut utiliser ses petits doigts séparément, pas seulement la main entière. Et la manière qu’elle a de manger tout seul un bout de pain sec, comme sa mère m’a conseillée, est inoubliable !

Que c’était agréable, sinon de tout repos, d’être ensemble, rien que nous deux! François, grippé, a préféré rester à la maison. Nous n’avons pas pu aller chez Stéphanie, l’ouragan a cassé les poteaux électriques et les fils, la circulation vers Toulouse est arrêtée. J’espère que nous pourrions aller en février pendant les deux semaines » libres » de l’animation d’ateliers.

Aujourd’hui, c’était moi avec la gorge malade (Gabrielle est enrhumée, François grippé). L’année commence bien et mal, mélangé. Ce midi, après avoir entendu de la nouvelle année canadienne, François répéta un mot que je ne comprenais pas.

Que veux-tu dire ? Que signifie ceci ?

Même ça, tu ne comprends pas ! s’écria-t-il comme tout réponse d’un ton qui me mis en fureur.

Je me suis habillée et je suis sortie écœurée de l’appartement.

Il continue à me rabaisser. Enfin, il essaye. Depuis des jours, des semaines, il gémit, il a mal, il ne trouve pas de passion pour s’y accrocher. Il est pourtant plein de savoirs, probablement c’est « la moelle épinière » qui lui manque.

Se rend-il compte qu’en tapant (et sans raison) sur moi, il tape finalement sur lui-même ? Ses méchancetés naturelles se retournent contre lui et l’éloignent de moi et d’autres. Pourtant, ce dimanche nous aurions pu passer une bonne journée ensemble.

***

Voilà un échantillon de son monologue (vers moi) :

« Tu parles méchamment tout le temps. C’est systématique. C’est complètement inconscient. Tu feras mieux de penser avant de parler. Le tourner dans ta tête. Je n’admets pas que tu dises n’importe quoi ! Arrête d’affirmer n’importe quoi. Moi, j’affirme quand j’ai une référence, toi tu affirmes seulement tes fantasmes. »

En fait, c’est lui qui fait tout cela, pas moi. Il est de plus en plus agressif avec moi devant tous, et de plus en plus souvent.

Il dit encore :

« Je n’affirme pas des choses pour lesquelles il n’y a pas des références sérieuses. N’affirme pas et je ne serai pas obligé de te contredire. N’oublie pas que je suis referant pour plusieurs sociétés. »

Lesquelles ?

« Tu veux pas admettre ce que je dis qui est basé sur une longue expérience de… » Et il continue ainsi, sans fin.

Recopie des phrases, Salomé?

S’abriter ou laisser aller ?

« Se laisser aller dans l’amour ou une passion pour peu de temps peut approfondir le sens de soi. Quelquefois, l’union peut-être annihilant, on peut ressentir de la perte. Nous nous demandons : comment pouvons-nous être tant sans contrôle?

Le besoin de devenir un être séparé est aussi grand que celui de s’unir. Nous ressentons envie de s’éloigner, explorer, marcher, partir. Passer la rue ou des continents tout seul.

Être séparée est finalement une perception interne. Chaque fois qu’on va de la sécurité vers le risque, on répète certaines joies et terreurs de premier départ. L’enfant apprenant à marcher et les premiers pas sont en nous.

Osant, se sentant à tout puissant. De temps en temps, on peut retrouver cette sensation.

On tombe, on se blesse, on est trop préoccupé à s’attarder. Plus tard, le dilemme : si je pars, survivrai-je? Est-ce ma mère me laissera revenir? Plusieurs fois dans notre vie, nous sommes confrontés à ce dilemme: combien veut-on sacrifier pour l’amour ou pour trouver un refuge.»

«On s’imagine mal que la même personne peut être bon et mauvais. On croit que ce n’est pas la même. On cherche l’idéal ou on le croit tout mauvais. Lentement, on arrive à vivre avec l’ambiguïté. Pendant toute la vie, on recommence.»

« Il neige à Paris ! »

31 décembre 1999

Je sais, c’est vrai, j’ai entendu et même je l’ai vu de mes propres yeux : il neige à Paris ! affirme François.

C’est vrai, nous avons vu ensemble à la télé et même les speakerines ont déclaré « Quelle chance, pour ce spectacle de patinage aux pieds de tour Eiffel, il neige. »

Il neigeait sur les patineurs. Au moins, selon le numéro.

 — Ce n’est pas vrai ! je me suis exclamé. Regarde, il ne neige pas dehors.
 — Mais si, tu vois, tu as entendu !

Je regarde par la fenêtre : rien. Le temps est plutôt pluvieux. Pas le moindre flocon de neige. Quand il neige à Paris, les premiers flocons tombent ici, à Butte Montmartre, la colline dominant la ville.

Il neige là-bas ! répète-t-il encore mon mari.

Je me suis souvenue qu’il y a quelques jours, on a raconté, toujours à la télé, qu’on va faire de la neige artificielle sous le tour Eiffel, comme on le fait sur les pistes de ski, mais je n’ai pas eu envie de me disputer pour quelques flocons de neige. Pas ce soir. Je lui dit, il ne me croit pas. Il a vu « de ses propres yeux » qu’il neigeait ».

Que c’est facile d’entuber les gens ! Leur faire écouter, lire, voir, imaginer.

Dans ma jeunesse, on m’aurait fait à moi aussi croire n’importe quoi. Que les communistes vont établir le paradis sur la terre, il faut seulement… Le paradis s’éloignait de plus en plus et j’y croyais encore. Qu’il m’aime et je dois donc lui donner ce qu’il veut. Qu’il veut m’épouser, que nous serons heureux toute notre vie. Que dehors, ailleurs, c’était mieux. Que c’est normal de renoncer, accepter. Que la jalousie ne mène à rien. Qu’étudier encore et toujours est bête. J’ai commencé à me réveiller, à vivre vraiment, seulement quand je ne croyais plus à rien, quand j’étais en bas du pente, quand je n’avais plus rien à perdre. Quand, au lieu de croire, j'ai commencé à voir de mes propres yeux.

Je ne lui réponds plus, j’ai renoncé à argumenter : pour François ce soir, il neige à Paris.

Bientôt la fin d’un…

3 décembre 1999

Bientôt, la fin du siècle.

J’ai 65 ans et François 69. Gabrielle aura bientôt 7 mois et Stéphanie 87 ans. Mon oncle aura 93 et maman aurait eu 94 si elle n’était pas partie depuis quarante ans.

Est-ce le désespoir qui a tué ma mère? La maladie? Les médicaments ou le chirurgien que Dori a visité et payé? Maman est partie bien avant son heure, à peine avait-elle dépassé 50 ans.

J’ai mal aux muscles à cause du nettoyage sous le lit, mais c’était nécessaire et à mon âge un peu de mal est normal. Bientôt, avec un léger analgésique, cela passera.

***

La fin d’année, et d’autant plus, la fin de siècle, sont de bonnes occasions pour faire des bilans. Des réalisations, succès, échecs et des problèmes. D’abord, puisque c’est plus facile, faisons-le pour l’année dernière de ce siècle.

  • Bonheur : la naissance de Gabrielle en mai.
  • Joie de bonne entente, surtout avec Henry de deux ans.
  • Réussite de l’atelier d’écriture que j’anime, progrès des participants. Les voilà qu’ils sont revenus pour une deuxième année ! Sept nouvelles en plus, dont hélas, deux qui contestent tout et me fatiguent davantage que les autres douze réunis. À la longue, elles me permettront d’apprendre, j’espère, comment on se comporte dans des pareils cas.
  • Réussite, grand plaisir que j’ai pu donner courage aussi pour ceux qui avaient suivi mon atelier d’initiation à l’Informatique « N’ayez plus peur de souris », ils ont avancé de plus en plus vite.
Problèmes de relation avec François en mai et juin et avec Agnès, la fin du mois juillet. L’apprentissage de ce qu’on a entendu, mais jamais voulu croire : «En maladie, temps bas, on reste finalement tout seul». Problèmes avec les docteurs qui ne vous disent pas tout. Avec ma santé. Guérison lente. Fatigue.

En gros, voilà l’année 1999 pour moi, au moins ce qui m’a frappé, ému le plus. Il reste encore presque un mois.

Et les 50 dernières années ?

Mais à qui écrit-on ? Au moins pour une autre facette de soi. Écrire aide aussi à mieux se comprendre, mieux se souvenir.

Il y a cinquante ans, j’avais 15 ans et demi, c’était le décembre et Noël le plus sombre de ma vie. Juste après qu’on avait emporté mon père vers une destination inconnue au milieu de la nuit, qu’on avait arrêtée brusquement mes activités de jeunesse en m’excluant avec un prétexte inventé de toutes pièces.

Le jour des ballons rouges énormes pendant comme des têtes ensanglantées sur le sapin près de l’immeuble de Securitate où plus tard s’est avéré qu’on avait tenu papa dans la cave pour deux mois en faisant pleurer un enfant près de sa cellule (ou un magnétophone le jouant) pour qu’il craigne que ce fût peut-être moi celle enfermée là-bas. Je me sentais exclue de tous, de tout, un paria. Mes repères bouleversés, je me sentais comme un oiseau tombé de son nid, blessée, perdue.

C’était il y a juste cinquante ans.

Que de chemin parcouru depuis!

Des hauts et des bas, des joies et chagrins.

Une année après, en 1951, rencontre avec Alina : enfin une amie. Puis, on m’interdit de continuer mes études universitaires, à dix-huit ans un immense chagrin non mérité. Et ainsi, la roue monte et descend sans cesse.

La nouvelle siècle quels bouleversements apportera-t-il au monde, au mien, à moi ? Que m’attend les prochaines années ?

1er décembre 99

Ici, dans le salon de Valérie et sa famille, le tic-tac de montre bat le rythme du temps qui passe. La respiration de Vincent devient de plus en plus régulière. Je caresse de temps en temps ses boucles noires abondantes, seul signe chez lui d’un héritage kabyle. Il n’est encore pas complètement endormi, de temps en temps il suce sa sucette ou bouge son bras.

Sur la rue, les voitures accélèrent, heureusement pas trop près. Dedans, il fait chaud même si dehors la froide pique de plus en plus. En venant, j’ai dû m’acheter un bonnet.

J’ai mal à ma vertèbre jadis cassée, tassée. Pas trop.

Le cœur trop rempli du plaisir d’être près de ce petit bout de choux blottit dans mes bras. À quatorze mois, il trotte déjà, même s’il n’est pas encore sûr sur ses pieds. C’est la première fois que je le garde. Sa sœur, avec qui j’ai passé par contre plusieurs jours, de nombreuses heures, a quatre ans. Non ! Elle l’aura seulement en trois jours.

Hier, Vincent était à la crèche et nous sommes allées, elle et moi, faire des courses. La grande mademoiselle s’est choisie finalement, après beaucoup de fureur, « non ! pas ça ! », un manteau d’hiver, mon cadeau de Noël pour elle. Puis nous avons acheté une deuxième qui était plus chaude, tel que j’aurais voulu acheter depuis le début. Il lui a tapé aussitôt dans l’œil. « Ça ! » Ça s’est rouge avec des jouets imprimés dessus, une vraie veste d’hiver. L’autre, beige claire, élégant, fragile mais tant qu’on ne l’a pas acheté elle ne pouvait choisir celle-ci.

Je ne puis critiquer le comportement de cette mademoiselle de (bientôt) quatre ans, elle me ressemble trop. J’ai des coups des foudres. Ou alors, je ne veux pas. On ne peut pas « passer sur moi » des choix venus d’extérieur.

***

J’ai quatre petits-enfants en France, Nadia, Vincent, Gabrielle et David, et trois en Amérique, Alexandre, Thomas et Henry. En plus, d’autres petits enfants de François que nous voyons rarement ou pas du tout.

Sauf David, qui vient à peine de naître, tous aiment les livres, les images, les animaux et écouter des histoires. Nadia et Thomas, ont dessiné et « écrit » (dicté) leurs propres livres, comme moi à leur âge.

(2007 familles réconstitués: elles ne tiennent pas toujours plus tard, hélas)

Grande mère!

Après avoir été grand-mère près de Gabrielle deux fois pendant six à huit heures, je sais que je ne pouvais pas écrire longtemps au moins pendant que mes enfants grandissaient: ils occupaient chaque minute avant de s’endormir, et ensuite, épuisée, je dormais ou lisais, ou faisais l’amour.

Les grands bonheurs, l’amour ou l’enfant, on le vit, on ne le dissèque pas, on ne le décrit pas. Au moins, pas toujours.

Les bras de Stéphanie ont tellement maigri! Vivrai-je jusqu’aux 86 ans qu’elle a? Alors, je verrai Gabrielle jeune fille…

J’ai vécu jusqu’à la fin de siècle, c’est déjà pas mal. Encore quelques années, pour terminer le Journal et l’Écriture. Que c’est agréable d’écrire sur ses pages veloutées!

Pertes

Novembre 1999

Nous sommes complexes et en même temps comme les autres.

Chacun a dû perdre, laisser partir ou s’en aller, changer.

Perte d’illusion idéologique, d’une relation, de la sécurité, de l’amour idéal.

Renoncement de relation idéal, accepter la connexion réelle.

La protestation, tant qu’il y a espoir, suivie d’un profond chagrin et désespoir, d’un sentiment d’impuissance, puis le détachement avec rage, nous change. En nous comprenant, conscientes de nos anciennes envies et terreurs, nous pouvons trouver la sérénité. La sagesse arrive au prix d’un grand chagrin.

Nous sommes tous vulnérables, avec des rides externes et internes.

Rien n’est tout à fait permanent. Tout connexion humaine a des défauts. Nous ne pouvons pas gagner à chaque coup. Nous sommes tous vulnérables à la perte de nos rêves, espérances, attentes. L’apprentissage n’est jamais terminé.

Ne pas croire, ne pas le voir ou

Protester, espérer, angoissé, désespéré ?

Impuissant, chagriné. Se détacher, terminer le deuil.

« Qui voile son visage en profitera puis en souffrira. »

Celui qui aime, reçoit plus, même si elle doit payer ensuite.

« Ce qui ne te fait pas mourir, te rend plus fort. »

Il y a dix ans

9 novembre 1999

Il y a dix ans, la chute du mur de Berlin. Symbole de libération des pays de l’Est, puis de l’effondrement, morcellement de l’Union Soviétique. Bush, Gorbatchev et Kohl ont parlé devant le Parlement à Berlin, chacun ayant fort contribué pour que cela devienne réalité.

Les relations de confiance entre eux, de bonnes relations, ont joué un rôle important pour que cela puisse se produire. L’absent était la Hongrie, mais on a rappelé son important rôle dans l’ouverture des frontières. Encore plus absent étaient l’Angleterre et la France qui à l’époque étaient fort frileux, craignant que la réunification des deux Allemagnes ne renforce trop leur voisin et ancien rival. Leurs conducteurs n’ont pas vu plus loin que le bout de leur nez.

Finalement, j’ai l’impression que c’est l’Allemagne qui aide le plus ses voisins à s’en sortir - et bien sûr aussi ses propres ressortissants de l’Est.

Quel changement depuis dix ans ! Même si le chemin est long encore.

Se rappeler de nos morts

1er novembre 99

Aujourd’hui et demain on se rappelle ici les morts, chacun les siens. Certains restent en nous, les autres il faut se les rappeler.

Qui sont mes morts ?

Ma cousine Magdalena, disparue sans traces avant ses dix ans. Sans lieu où la pleurer. Qu’a‑t‑on fait d’elle à Auschwitz ? Après avoir espéré, attendu en vain un miracle de survie, j’ai cru pendant longtemps qu’on l’avait transformé en savon. Elle était rondelette, douce et dure à la fois, obéissante et rusée en même temps. Elle est l’affaire non résolue dans ma vie, même si depuis deux ans je me suis un peu tranquillisée en me rappelant que pendant trois ans, nous avions toutes les deux, six ans au début, j’allais la prendre de leur maisonnette louée, lui donnant la main pour la conduire à notre école, l’asseoir au banc près de moi dans la classe.

La première mort que j’ai pleurée avec des larmes pas seulement versés à l’intérieur comme avec Magdalena, était… Staline. Comme nous étions naïves ! Edith a pleuré avec moi et je ne comprenais pas comment les gens continuaient à circuler normalement dans la rue. Et pendant une ou deux ans, je voulais me sacrifier, dédier ma vie « à la cause », engagement que j’avais pris à sa mort. Mes yeux se sont ouvert lentement (4e, 5e journal).

Mon arrière grand mère est disparu toute doucement à 96 ans (non pas 10 comme Magdalena), abandonnée depuis quelques mois par son fils dans une maison privée pour vieux, loin de nous, à l’autre côté de la Roumanie. Je me suis sentie coupable après coup. Cinq ans auparavant, à douze ans, je n’ai pas voulu moi non plus partager ma chambre d’enfant avec elle, à cause surtout, ses odeurs. Quelle femme pourtant et combien je lui dois dans ma vie ! Le lien avec toute la famille à travers ses récits et surtout ses conseils :

« Sache que de tout malheur, quelque chose de bon en sorte ! » me disait-elle. Qu’a-t-il sorti de « bon » de la mort de six millions et celui de ma cousine Magdalena ? Au moins pour elle, pour moi, je ne vois rien. Rien. Sinon, oui, de presque tout, le dicton est vrai, même si on prend quelquefois longtemps à s’en apercevoir, à se rendre compte quel bon en sorte

Le mort suivant était maman. Jeune, elle est disparue à 53 ans, les nerfs détruits, ne marchant plus depuis plus d’un an, charcutée, pas opéré de cerveau. Est-ce Dori, future marâtre, alors maîtresse de papa, qui l’a tué par procuration ? Sinon, maman aurait vécu davantage, c’est sûr. Elle pesait de temps en temps, mais elle m’a surtout horriblement manqué. Je me suis mariée rapidement après sa disparition à cause de l’absence de ma confidente qui m’écoutait, me caressait, rarement avec les mains, très souvent avec ses yeux,. Trop vite, bien sûre, mais cela m’a donné mes deux enfants, donc je ne le regrette pas. Maman reste en moi et je lui parle souvent, plus qu’une fois par an.

Ensuite ? Anna, mon amie de Hongrie, puis de Londres est mort elle aussi jeune et d’une façon fulgurante. On n’a pas trouvé de motif ‘organique’. Elle est la preuve pour moi que le cœur peut se fendre. Elle n’a pas supporté la trahison de son mari acceptant sans protester ce que sa mère lui avait écrit de sa bru, présentant Anna comme une méchante intrigante, une intruse. Elle avait tant souffert avec son premier mari qui l’avait délaissé alors qu’enceinte de leur deuxième fille, pour « une femme mieux que toi, une vraie femme. »

Elle était une VRAI FEMME pourtant et quelqu’un d’une très grande valeur. Finalement, elle était heureuse dans sa vie, mais pas pour très longtemps. Stéphanie m’avait hélas prédit que « ça finirait mal, l’argent est trop important pour elle », ses enfants, son mari, son travail, l’amitié prédominait pourtant pour elle. Plus jeune que moi, sa disparition soudain fut un choc.

Le prochain à disparaître fut Sandou, mon ex. Même divorcée, je l’aimais bien, de loin, c’était quand même le père de mes enfants et mon premier amant (et pendant longtemps le seul homme). J’ai regretté, non pas l’homme qu’il était devenu vers la fin de sa vie, plus gros qu’un porc probablement à cause de son foie abîmé par les litres de vin avalé chaque jour, son poumon mangé par les cigarettes fumées en chaîne. Non, il n’est pas mort parce que je l’ai sorti de Roumanie, c’est probablement la Securitate et soi‑même qui l’ont détruit.

Longtemps encore, après notre divorce, il était resté le beau garçon, fier de ses muscles et ravissant des jeunes femmes avec son ‘vigoureux instrument’ comme avait dit l’une d’elles dans sa lettre ; les changeant ‘comme ses chemises’ qu’il appréciait tant, vivant avec la postière. Même mettant à côté de l’argent, achetant une maisonnette. (2001 : j’y suis). Bon, laissons‑le se reposer en paix. Sa sœur visitera le cimetière à Bucarest où il a été inhumé, à Bucarest où il aurait voulu vivre. Au moins théoriquement, souhaitant revenir vers ses « copains et copines ».

Non, ce n’était pas lui qui est parti le premier. Même avant Anna, il y avait mon père, mais il est entré en moi lui aussi, et quelques mois seulement après sa mort, je suis devenue commerçante, entrepreneur, vendeur, osé, bon pour négocier comme jamais je n’aurais pas cru que je le pourrais, tout comme lui avait été pendant toute sa vie.

J’ai mélangé les cendres de maman avec la terre sous le tombeau de mon père et depuis ils sont de nouveau ensemble et en paix. En moi. J’avais déjà commencé à ‘l’imiter’ à Washington (en mes rapports avec le sexe opposé), mais en revenant en France, un moi tout à fait inconnu a surgi le moi entrepreneur. J’avais toujours cru de ne jamais pouvoir gagner d’argent, acheter et vendre de marchandise pour de millions nouveaux francs par an pendant quelques années !

Oui, finalement ma confiance vient aussi du fait que je suis sûre : les deux seraient fort fiers de moi, chacun pour d’autres raisons. Et si j’ai mon mari qui me fait rire (de temps en temps) comme me conseilla papa, j’ai aussi le mari intellectuel avec qui je peux partager comme aurait aimé maman. J’ai deux enfants, trois petit-fils et une petite fille et ils vont en bonne voie. Je n’ai pas vécu ‘pour rien’, même si je n’aurais jamais un ‘renom’.

Je désirerais seulement aider quelques‑uns avec mes livres que je prépare.

Il me faut un peu plus de sérénité, du temps, d’aide, réfléchir, travailler et ça ira. J’ai encore quelques années et puis, mon tour viendra. J’ai encore un enfant à aider. Puis-je davantage ?

J’ai fait quelquefois de bonnes choses aussi, quand j’ai pu. J’ai réchauffé les derniers jours de l’ami de ma tante. J’ai promené Alina et je viens de lui offrir un ordinateur. J’ai souvent sorti François du gouffre où il s’était mis. Mais je n’ai rien pu faire pour que Magdalena vive. En écrivant ceci mais mains tremblent. Au revoir.

31 octobre 1999

J’ai fait (je suis en train de faire) quelque chose d’interdit, « hors régime » : j’ai mangé un chausson à pommes près de mon café au lait. Que c’est bon ! Croustillant, frais, un tout petit peu brûlé et la compote de pommes qu’il contient… pas du tout sucré.

Peut-être ce n’est pas tout à fait interdit, il faut seulement veiller à ce qu’une chose outrepassé ne mène pas à l’autre.

Hier matin j’ai passé avec Alina et ma petite fille rayonnante, elle avait envie de bouger de plus en plus. Alina a mauvaise mine, elle m’a dit qu’elle a décliné physiquement depuis cet été.

Elle m’a aussi raconté qu’un des amis de son ex-mari lui avait dit que Sandou a été recruté avant son départ déjà (même si au début on l’a laissé ‘dormant’) et qu’on a laissé sortir ses frères express, en laissant croire au dernier frère qu’il avait échappé en les trompant pour que tout paraisse encore plus vraisemblable. Traian y croyait vraiment, c’est sûr. Devrais-je la croire?

Mais elle m’a aussi dit qu’elle avait refusé absolument à coopérer, quand en fait (elle parait l’avoir oublié) la première fois qu’elle est sortie de Roumanie et venue en France, elle avait commencé en me demandant ce que je veux qu’elle raconte à la Securitate à son retour sur moi, et une fois qu’on est décidé ceci a dit: «Et maintenant, parlons entre nous, de nous.»

Les séjours à la station balnéaire de la montagne, dans la maison de ses parents récupérés lui ont ouvert des blessures profondes. Elle l’avait habité depuis sa naissance jusqu’à 12 ans quand on les a éjectés brutalement au milieu de la nuit. (Tiens, Julie. Au milieu de la nuit ! Cela te rappelle quelque chose à toi aussi.) Alina, on lui permit d’amener avec soi juste son cartable avec ses livres d’école. Rien d’autre.

"Et l’on ne voulait pas m’admettre au lycée chimique, ni à l’université. Je suis parvenue en insistant et avec ruse. Nous avons appris à persister, toi et moi. Mais nous avons aussi réussi pas mal. On m’a interdit trois fois mon doctorat, c’est un ami de Vasile (son ex-mari en bonne position dans le régime) qui est finalement intervenu. Et comme je ne voulais pas travailler pour la Securitate, pendant 15 ans, jusqu’au renversement du régime, on ne m’a plus laissé sortir. Viorica, qui a essayé d’intervenir pour moi est revenue disant qu’ils ont dit : ‘Elle n’a pas l’obligation de travailler pour nous et nous n’avons pas l’obligation de lui donner de passeport.’ Que je les hais ! a t elle ajouté."

Alina me dit que sa mémoire flanche de temps en temps, elle avait dit ‘pendant 25 ans’ quand c’était en fait 15. Sa main tremble. Quelle maladie peut-elle avoir ?

L’année dernière, elle a pris sa revanche, elle est allé pendant cette seule année aux États–Unis, en Angleterre, au Japon, en Chine, au Moscou, à Frankfort et maintenant de Paris elle ira à Dresde. Elle se rend malade aussi en refusant à manger normalement.

« J’ai dit davantage à Lionel qu’à toi ! » Quoi ? Sur soi ?

J’espère qu’Alina n’est pas trop sérieusement malade. Je dois aussi voir Stéphanie plus souvent, avant que cela soit trop tard.
2007: En ce qui concerne, ce que quelqu'un a dit à mon amie qui m'a dit à moi, qui s'est la vérité, je m'en suis tourmentée à l'époque pourtant. Il peut y avoir une grain de vérité, sinon telle qu'elle l'a dit.

27 octobre 1999

Hier, j’ai déjeuné avec Lionel.

Il n’aura pu me faire un plus grand cadeau, et je ne sais même pas s’il s’est rendu compte combien ce qu’il m’a dit m’a touché. Je crois qu’absorbé par ce qu’il racontait, il n’a rien remarqué. Je ne peux pas le citer exactement.

Quelque chose comme ceci: "J’ai expliqué à Anelise que pour moi il est très important que notre fille soit régulièrement avec toi, que tu peux lui apprendre une façon d’être qui est très bonne pour elle".

C’était encore davantage. Une reconnaissance ouverte, une approbation de la façon à être du fils vers sa mère signifie davantage même que s’il serait venu de mes parents. Surtout qu’avec ma fille, je sens plutôt l’envers.

Lionel est convaincu que mon influence sur ma petite fille serait fort bonne pour elle. Quoique, Anelise me ressemble beaucoup, même si eux, ne le voient pas. Je suis fort heureuse, fière.

Aurai-je le temps? Vivre et voir comment ma petite fille se développer?

24 octobre 99

Alina est arrivée de Roumanie. Elle est trop maigre et veut encore maigrir. Elle tremble de fatigue et peut à peine porter un sac et ne réussit pas à ouvrir la porte de l’hôtel pourtant pas trop lourd. Elle a de grands cernes sous les yeux et je l’aime. Beaucoup.

Nous avons très bien bavardé, discuté. Mercredi, elle tiendra une conférence à Centre de recherche atomique de Sacley. Mon amie est une importante scientiste de haute niveau ne gagnant que 600 francs par mois et vivant en Roumanie, ne mangeant en France presque rien pour économiser l’argent. Trop fière pour accepter une invitation à déjeuner. Mais elle a suivie mes conseils sur son fils et cela a donné ses fruits, elle a une meilleure contact avec lui maintenant.

J’ai mal au bras ce soir, à bientôt!

17 octobre 99

Je vais très bien. Le soir, sera le concert de François, trois jours après que j’ai lu le livre autobiographique d’une de mes participants à mon Atelier d’écriture.

Il y a trois jours, je l’ai lu sans le poser : «Le poids de silence» par Isabelle Marchand (nom adopté) et j’en suis devenue malade, tout comme François hier, après l’avoir lu. Mais après qu’on digère les malheurs, les vérités tellement poignantes et si exprimés, on compare sa vie, son époux, ses enfants à soi. Je me suis dit « Je n’ai rien vécue, rien soufferte, relativement à elle! Comparé à son mari (bisexuel et lui ayant caché qu’il a de sida et continué à avoir des relations avec elle aussi) les miens, le mien, est un ange! » Et les regarder avec beaucoup plus d’indulgence.

Peut-être, les médicaments antidépresseurs ont un petit rôle, mais les bons débuts de mes animations, fait repartir mon courage encore davantage. (La doctoresse me les avait prescrits après que je lui ai raconté que je ne supportais plus mon mari.)

J’ai amené François à Chaumes pour faire la messe et me voilà de nouveau dans mon café habituel. J’entends de loin des gens parler entre eux, des chaises bouger, je suis seule et tranquille, loin de tout. J’ai une table pour moi seule, de bonne lumière, la sérénité.

Devant moi un petit espresso que je vais boire et plein d’idées pour l’avenir. Et Alina arrive à Paris dans une semaine! Vive la vie!

Mon dos se cicatrise cette fois-ci sans problèmes, le dermatologue a bien travaillé et je me suis reposé il y a une semaine en jouant sept heures avec bébé Gabrielle. Quatre mois, quel âge délicieux ! Quels sourires enjoliveurs, enchanteurs!

"Et moi, et moi!"

5 octombre

Je viens de dire à François que je vais être coupé et recousu vendredi soir et je ne pourrais le transporter ce week-end.

« Alors mon concert est à l’eau », me répondit-il.

Son concert n’est pas ce week-end, mais il considère qu’alors il ne peut pas aller répéter. De tout de façon, sa répétition est plus importante pour lui que mon dos rongé de cancer de peau qui cette fois-ci a pénétré plus profondément.

Cette dernière année c’est la troisième fois qu’il nécessite une petite intervention. Une fois plus bas, une fois au nez et maintenant au dos. Pour ne pas parler de mes fibromes.

« Et moi, et moi ! » crie-t-il, prétendant que je ne parle que de moi.

C’est le temps qu’il apprenne à être indépendant et ne plus s’appuyer sur moi. Il est trop lourd et surtout trop égoïste. Je suis révolté, furieuse. Pourtant, j’aurais pu attendre cette réaction instantanée, au moins « sincère » si pas très réfléchi.

Où est mon « bon mari » ?

3 octobre 1999

Je recommence à pouvoir écrire. Enfin. Ce qui vient. Des souvenirs. Un premier jet ou l’écriture libre n’importe pour le moment pourvue que cela revient.

Je me suis rendu compte que je craignais souvent des choses qui ne sont pas arrivés, mais mon intuition n’a pas fait défaut : autre chose a frappé à la place.

2 octombre 1999

J’ai viens de relire les poèmes écrites vers mes 18 ans. Quelle richesse de vocabulaire et d’expression! J’envie cette fille et mon cœur saignait en lisant comparant ce que je sais en français, mon vocabulaire plat, incolore, presque cinquante ans plus tard.

J’ai appris de bonnes choses de ce livre sur l'écriture, mais quel élitiste cet auteur, une professeur dans sa tour d’ivoire. Mais bon prof. Certaines choses, elle les explique mieux que j’ai trouvé ailleurs.

Je me sens mal à l’aise, les médicaments me fatiguent, m’épuisent. Je suis contente, mais j’ai perdu le bonheur rayonnant.

30 septembre 1999

Aujourd’hui j’ai reçu par la poste mon énième livre sur l’écriture. Que peut–il encore m’apprendre? je me suis demandé. J’ai déjà lu, analysé, concentré au moins cent autres livres. Même des pires, j’ai appris quelque chose.

À peine j’ai commencé celui-ci et déjà je suis enchantée.

Une nouvelle façon de présenter des choses déjà connues. Et, en plus, elle a arrangé son livre (au moins les premiers chapitres) tels que moi. Alors, je ne suis pas trop « à côté ». J’espère qu’elle ne va pas croire que c’était après la sienne que je me suis inspiré dans mon arrangement.

J’ai pris des idées de tous les cent livres et j’ai ajouté les miens. Il devient plus touffu, mais s’améliore et ma compréhension sur l’écriture aussi. Un jour, je le laisserai partir. Assez pour montrer aux éditeurs potentiels. Je ne suis pas encore là.

L’auteur, une femme, suggère à se demander « Ce qu’on veut dire. Que fait mal? »
Je n’ai pas envie de m’y plonger maintenant. Déjà en écrivant ce que heurte j’ai de la peine, quelque chose en moi se serre et se fait tout petit.

François hurle de nouveau, furieux pour les assiettes sales dans l’évier et puis, par contre, furieux en ne pas retrouvant ceci ou cela « Tu l’as déplacé! » Il s’agite paniqué qu’il ne trouve pas ce qu’il cherche et aussi qu’il n’a pas réussi à réaliser tout qu’il espérait et promis au Club.

***
Enfin, il regarde la télévision et ne bouge plus. Je sens encore son mécontentement vibrer dans l’air.

Hier, c’était une bonne journée : il lisait avec délice un livre de spécialité, il souriait et était contant du monde et de soi, donc même de moi. L’air était rempli de sérénité.

Bon, je me replonge dans mon livre.

Boule de neige

26 septembre 99

Les problèmes arrivent, hélas, souvent ensemble, les uns après les autres. À peine, non, encore pas sortie de nervosité, le dermatologue m’annonce froidement qu’il doit couper un bout de peau sur mon dos «un petit peu, dit-il, mais il restera une cicatrice». La dernière fois, il m’a pris deux mois à se refermer vraiment et à ne plus me faire mal.

Hier soir, j’étais comme battue sur la tête après cette nouvelle. Je voulais terminer, le faire rapidement, puis je me suis souvenue que non seulement c’est la rentrée de MGEN pour mes formations, mais en plus Alina arrive à Paris en deux semaines. Je mettrai donc l’intervention à plus tard. Ce qui me frappe le plus fort est la question à laquelle personne ne peut répondre : combien de fois encore ceci peut-il m’arriver?

C’est fou, combien a raison celui qui avait écrit «Quand on a besoin, on tombe, par hasard, sur le livre qui vient juste à point, donne l’information intéressante.» Il n’y a pas longtemps que j’ai commencé à écrire le chapitre sur la mise en page, habituellement vingt à soixante signes par ligne.

Aujourd’hui j’ai trouvé la raison.

La façon qu’on lit, que les yeux sautent. Selon les personnes moins ou plus cultivés, disons plutôt, ceux qui sont plus ou moins habitués à lire, on met plus ou moins des signes par ligne. Enfin, c’est expliqué en détail comment les yeux lisent et sautent de fragment en fragment de phrase et de sens.

Je plonge de plus en plus profondément dans les explications, quand finirai je? À un moment donné, il faudra quand même m’arrêter.

Tiens, regardons combien j’écris des signes par lignes dans ce journal manuscrit, habituellement? Environ 40 à 45 caractères. Pourtant je ne laisse pas de blanc à droit et fort peu à gauche. Tout juste un aliéna, au début de paragraphe. Et combien des lignes par page? Cela dépend. La page d’avant avait 19 et celle-ci se terminera à 23.

Que c’est beau, François jouant au piano! Un très bon plat mijotant sur la cuisinière qu’il vient de préparer et que nous dégusterons bientôt. J’ai de la chance. De quoi me plaigne-je ?
J’aime bien finir une entrée à la fin d’un page. Une fois dans mon ordinateur, hélas il ne tombe jamais exact. Eh, bien…
Jó estét ! Bonne nuit.

Ses mauvais et ses bons côtés

Les mauvais côtés de François

Exagère, aime paraître plus grand que nature
admire les gens ayant du renom
mauvais contact humain
ne s’intéresse pas d’opinion et sentiments des autre
se couche devant l’autorité
dédaigne l’inhabituelle
fuit quand on est dans le « merde »
matérialiste, mais aime donner des cadeaux
ne me respect pas devant les autres
veut être ‘grand’, être loué, admiré sans cesse.
se met en avant
diminue mes talents,
quelquefois se moque même de moi et ce que je fais
voudrait m’admirer, a besoin de me déconsidérer
se comporte moche avec la famille, le sien, la mienne
ne sait pas donner élégamment
regret des fois ses propres cadeaux (2007: reprend ses cadeaux!)
le sien est sien, le mien je dois lui conserver pour lui
on peut facilement le convaincre, l’influencer l’admirant
regarde de haut les autres
malade nerveux
un gros ventre,
n’a pas des dents
presque pas de masculinité
a peur de responsabilité
a peur de décider
a peur de futur
a peur de tous

Ses bons côtés

Il est intelligent (2007 surtout énormément des connaissance inmagazinés)
Peut être profond, intéressant
Peut être très chaud (moins qu'avant)
Sait bien caresser (quand il en a envie)
Grande curiosité sur choses diverses
Il sait énormément sur tas de choses
Il aime les promenades romantiques
Peut être fort gentil
Sait beaucoup (mais non sans fin)
Aime lire
Aime programmer
Aime faire la cuisine,
Aime manger,
Aime se promener,
Aime photographier (2007: mais ne me laisse pas moi)
Aime jouer piano, orgue,
Aime écouter de la musique
Aime embrasser, être avec quelqu’un (jamais seul)
Il est assez sincère… avec moi. (Je le croyais vraiment, qu'il était)

Je l’ai. L’ai-je encore ?

François se sent mal. Il heurt partout. Il est tout blanc. Il regrette d’avoir bu un café ce matin.
J’arrête écrire, j’y vais le voir.

Une merveilleuse journée: il n'était pas là.

23 septembre 99

Hier, j’ai eu une merveilleuse journée.

François n’était pas là.

Il est parti à 8 heures de matin et revenu à minuit. Je me suis levée malade, mal à l’aise. Je me suis habillée et je me suis plu dans le miroir tel quel et d’un coup, je me suis mise à travailler. À midi, j’ai mangé et regardé les nouvelles, puis rebelote. Travail. Enfin, j’ai énormément progressé, cela allait fort bien.

À minuit, à peine revenu, il a commencé à rouspéter :

Tu as déplacé, je ne vais pas trouver ! »

— On ne peut plus bouger ici.

Après, il s’est étonné que je n’avais pas envie qu’il met la main sur moi, sur mon épaule.

Ce matin, des gémissements, il a mal. Nerf, os ? Un analgésique lui fait passer, mais il parlait « On se suicide pour ça, on peut l’opérer mais… »

Puis de nouveau éclat :

Pourquoi tu as déplacé tout !

— Pour m’assoir sur la chaise devant l’ordinateur, je lui ai répondu.

Il n’épargne plus rien.

Enfin, il est reparti.

Je me sens encore perturbée, bouleversée de sa façon d’éclater. Il faut que l’air se purifie, le souvenir oppressant s’éloigne, pour me retrouver l’élan de hier.

Il reviendra cette après-midi, mais demain il sera parti encore pour la journée. Des concerts et des conférences sur l’orgue auxquels il s’était inscrit.

Je ne pensais pas que je puisse me sentir si différent en sa présence ou son absence. Je ne devrais pas prendre si mal ses éclats, ses observations. Trouver en toutes les conditions un moyen de travailler. La tranquillité, la quiétude d’esprit nécessaire à créer. Créer !

Oui, hier j’étais heureuse aussi puisque je me suis rendu compte que je suis entre ceux qui se concentrent facilement, s’y plongent, s’oublient. Au moins, quand autour de moi c’est calme, quand j’arrive à la sérénité, quiétude nécessaire.

Pourquoi suis-je si triste?

21 septembre 1999

Les signes étaient là dès le début et à cause d’eux, entre autres, j’hésitais à me marier. Mais… on oublie vite. On croit que c’était 'accident', qu’en réalité 'il n’est pas ainsi'.

Ce n’est pas l’autre qui nous a trompé sur « la marchandise », c’est nous mêmes qui en avons formé une « image conceptuelle » fausse. Puis, chacun a tellement de facettes!

Je pleure mes propres illusions, et la terre qui semblait solide dérobé sous mes pieds. Je travaille des heures, presque mécaniquement ces derniers temps, pour ne pas penser, surtout ne pas sentir. Pas une travaille sérieuse de réflexion puisque je n’arrive pas à me concentrer depuis que je prends ses médicaments. Je voudrais créer de nouveau.

Et maintenant quelqu’un pianote au-dessus ma tête! Qu’ils sont différents ses gammes du jeu de François ! Oui, ce qui est triste presque : il a beaucoup de qualités. Pourquoi suis-je si triste? en le disant, l’écrivant?

Je fais «le deuil» de quoi? Mes illusions? L’amour admiratif que je lui portais? Non, je crois plutôt au sentiment de sécurité qu’il me donnait et qu’il ne me donne plus. Pourtant, les mêmes mouvements, les mêmes mots et je ne sens plus la même chose. À quoi tout ceci servira-t-il?

Le mari, réel

20 septembre 99

Oui, après avoir fait le deuil d’un mari idéal sur lequel on peut compter, je peux m’approcher de nouveau de celui, réel. Attendre ce qu’on peut de lui et l’obtenir par contre fermement et aussi gentiment mais ne pas croire à l’impossible.

Les médicaments me tranquillisent, mais me fatiguent trop. Il est trois heures et je n’arrive plus à me concentrer, à travailler. François n’est pas là, j’ai du silence autour de moi, et pourtant « rien ne va ».

Le travail améliore mon livre sur l’écriture à chaque fois, mais il ne semble jamais finir. Un jour je devrais me décider pourtant. Aujourd’hui, je viens de commander encore une livre de 500 pages sur l’écriture. À la là.

Avant-hier à la brocante j’ai trouvé un manuel de dessin humoristique tellement bien écrit et mise en page ! Et deux petit romans en tout petit formats édités par des magazines, l’un a le titre « les doux cahiers », il s’agit des deux journaux, de la mère et de la fille. Mais pour le moment je suis même trop fatiguée de les lire.

Le deuil d’un mari idéal

14 septembre 99

Je suis en train de relire « Necessary loses » de Judith Viorst (Pertes nécessaires) et prendre des pilules contre la dépression que la doctoresse de l’hôpital Lariboisière m’a prescrite après que je lui ai raconté mes problèmes avec mon mari, le lui avoir raconté que je contemplais de m’en séparer. D’après moi, ce n’est pas une dépression, même si quelquefois je n’arrive plus à respirer, j’ai envie de vomir. Ce que j’ai c’est surtout dû à la fureur.

Je veux bien admettre que François ne peut rien, il s’est comporté tel quel parce qu’il était malade, ‘maniaque’ comme disait le docteur ; je veux bien croire d’après le livre que ses comportements même en temps normal sont dus à son enfance qu’il répète ou essai de rejouer ou le changer ; mais un adulte (et même un enfant) est responsable pour son comportement et doit payer pour lui. Doit ou non, il paye. J’ai appris ceci dès l’enfance. Heureusement. D’autres prendront peut–être 70 ans à l’apprendre. Apprendront-ils jamais ?

C’est trop facile de mettre tout sur la maladie, l’enfance et se comporter sans égard relativement aux autres. Il y a quelque chose de perdu entre nous et je ne sais pas si on pourra le retrouver.

Avant-hier j’étais furieuse. Hier je me disais que c’est moi qui avais une fausse image, une fausse sécurité en fait qu’il ne pouvait me donner, puisqu’il est ainsi. Aujourd’hui je me demande comment me sentir heureuse près de quelqu’un qui est ‘ainsi’ : quelqu’un sur qui l’on ne peut pas vraiment compter en cas de maladie, de l’hôpital, d'une période bas, d'une besoin.

Que désires-tu aujourd’hui ? (exercice)

Aujourd’hui, je voudrais être caressée comme on caresse une femme. Pas avec tendresse, avec désir. Désir, tendresse, caressée jusqu’à l’extase. Attirée à jouir comme un homme le fait avec son amante. Je voudrais trouver un amant, retrouver l’amant dans mon mari.

Il me prend dans les bras comme sa fille et vient dans les miens comme un petit garçon. Il se blottit près de moi comme des frères, mais je voudrais plus.

J’ai faim de ses doigts qui parcouraient ma peau, comme il le faisait en devinant et insistant là où il me faisait frissonner. Descendre lentement. Me caressant, pas distraitement, non pas me laissant en plan, non pas pour que je « m’occupe de lui » ensuite.

Je veux mon amant. Où est–il disparu? Pourquoi? Comment le faire revenir?

28 août 99: un jour d'optimisme

Juillet et août seront bientôt finis. L’été nous a aidé, se refaire. François parait sorti des bas et des hauts et en plus, il est tout contant d’être avec moi et de sa musique dans laquelle il fait des progrès qui l’émerveillent. Mohand est avec Valérie qui resplendit depuis qu’il a réussi de sortir enfin d’Algérie. Lionel a fait des merveilles au travail. Gabrielle commence à s’habituer aux biberons.

Je suis apparemment guérie et j’ai recommencé de nager assez souvent. J’ai maigri déjà dix kilos, ce qui m’enchante, même si c’est loin d’être assez. Je continuerai. D’après le docteur, il faut encore six kilos de moins, d’après moi davantage. On verra.

La nourriture ne m’obsède plus et je trouve d’autres choses pour « compenser » quand l’angoisse ou la fureur m’envahit.

J’ai trouvé, souligné et traduit de nouveaux textes, explications. Je commence à mieux comprendre les BABA de l’écriture, et surtout, ses raisons profondes, pouvoir expliquer non seulement le comment, mais aussi le pourquoi. Tout cela étale devant moi énormément de travail à réaliser, mon livre se trouvera de nouveau bouleversé « de-françisé » mais nettement meilleur.

Nous sommes à Celles, François joue à l’orgue, il prépare la messe de demain. Son petit orgue nouveau, acheté pendant que j’étais en Amérique, a des sons très agréables. Je suis dans mon bureau, assise sur le sofa, la fenêtre ouverte. Des muscats roses dans la fenêtre de la voisine. Prête à démarrer bientôt mon atelier d’écriture. Un peu mal à la gorge, je tousse trop souvent, le dos m’embête de temps en temps aussi. Mais la vie est belle. Même si elle ne sourit jamais assez longtemps, je m’en réjouis, je la goûte avec délices.

Et il m’a fait l’amour hier soir, ce matin de nouveau, à sa manière, mais très efficace. Je me sens merveilleusement bien dans ma peau.

Mes 65 ans, ses 70 ans, ne pèsent pas trop.

19 août 99

Je n’ai pas réussi à l’exprimer aussi bien : pendant sa période « haut » François parlait très fort et surtout très agité. Ce qui rendait encore plus fatigant de l’écouter. Il était aussi irritable et vexant.

Tout cela je le comprends avec mon intellect : « Il était malade ». Mais avec le cœur, quand pourrais-je lui pardonner ? Si jamais. Quand reviendra l’enthousiasme, l’admiration, le bonheur ? Je voudrais le retrouver. Ils me manquent.

Le mari de Valérie a réussi enfin à sortir d’Algérie où le gouvernement le retenait parce qu’il avait négligé de demander son récent passeport Français. François est au cirque avec Nadia qui est revenue avec son père. J’étais avec Vincent.

Il faudrait entre temps penser moins à l’Amérique et ce qui se passe là, reporter toute mon attention à mes petits-enfants d’ici. Et à leurs parents. Agnès ne veut pas de mes conseils, ferme le contact. Je ne l’appellerai plus. Laissons le sort, le temps agir.