Prendre la main tendue (Souvenir)

Nous nous sommes rencontrés, François et moi, par hasard, comme tant de couples, lors d’une exposition de « la publication assisté par ordinateur » PAO. J’avais envie enfin de nouveau de quelqu’un. Il est paru.

C’était quelqu’un « potentiel », intéressant. Aussi inconnu, donc dangereux. Mon échec, difficilement digéré même après deux ans, m’avait laissé un goût amer et surtout, avec beaucoup de méfiance - mais la statue de Stéphanie, les deux colombes qui se blottissent l’un contre l’autre, m’avait profondément bouleversé quelques semaines auparavant. Il m’avait montré que non, je n’étais pas encore prête, comme je la croyais depuis deux ans, à rester seule tout le reste de ma vie. Que même à cinquante ans passés, on a des envies. On les a encore. François est venu visiter notre stand, et après la première discussion, me dit-il aujourd’hui, le premier regard fort et parlant que je lui ai lancé, il revint deux fois le lendemain et me demanda un rendez-vous. Bien sûr, 'professionnel'.

Comme je présentais qu’il serait davantage et mes soucis professionnels m’accablaient, je ne lui ai donné rendez-vous que pour deux semaines plus tard, ce qui lui semblait fort lointain.

En deux semaines qui suivirent je fis tout ce que je pouvais pour aplanir des difficultés dans ma société, j’ai payé les dettes urgentes, afin que les ennuis ne viennent pas assombrir ce qui arrivera, ce que j’espérais arriver.

François avait créé une application permettant une mise en page automatisée et sophistiqué - aussitôt arrivé à ma Société BIP nous nous sommes mis devant le Macintosh et il commença son demo. C’était compliqué. Il n’avait pas tenu comte de l’interface utilisateur habituel «à la Mac». Trop en lui était encore « grand système ». Professeur à l’Université, d’une grande envergure, il prenait normal de demander beaucoup d’efforts de l’utilisateur.

Beaucoup trop pour que sa création soit facilement vendue, en tout façon. J’ai lui a dit, avec autant de tact que je pouvais. Il défendit son enfant, sa création, avec véhémence. Puis, il commença à raconter les rencontres importantes dans sa vie, comme un CV sans fin.

Grand, imposant, la plupart de temps debout et bougeant, gesticulant comme un Français de sud, exagérant comme quelqu’un venant du pays d’Artagnan, il me raconta sans que je puisse l’interrompre, sa rencontre avec des As de l’Informatique. Pendant deux heures, sans interruption il parla et parla. Les As, que je ne connaissais pas, des histoires que je ne comprenais pas vraiment et qui me laissèrent froide. Il voulait m’impressionner. Au lieu de parler de soi-même, il se définissait à travers d’autres qui l’ont apprécié, rencontré.

J’ai profité d’une seconde de respiration pour lancer enfin :

« Monsieur Professeur, puis-je parler moi aussi ? Vous interrompre?»

Choqué, il resta alors bouche bée. Plus tard, il me dit que c’est alors qu’il s’était rendu vraiment compte que j’ai une 'personnalité'.

Il me sourit finalement :

Puis-je vous inviter à déjeuner ? Je connais une bonne restaurant Pakistanaise près d’ici.

Pakistanais ? Par ici ?

Ma fille n’habite pas loin, une de mes trois filles, Sophie. C’est elle qui me l’a montré.

Bien. Il est midi. Allons-y.

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Le restaurant fut notre premier vrai rendez-vous. Nous pénétrâmes et une atmosphère sophistiquée, mystique presque nous y accueillit. D’étranges décorations sur en haut et sur chaque table.

Je ne suis jamais allée dans un restaurant pakistanais.

Il ne vous plait pas ? demanda-t-il aussitôt.

C’est magnifique ! Tout en rose. Les vases, les fleurs.

Il soupira, soulagé.

Choisir pour vous ?

– Je n’aime pas l’épicée, sinon…

La cuisine pakistanaise est moins épicée que l’Indien, mais, malgré tout…

– Je vous fais confiance.

Tiens, avec ma fille, nous avons mangé…

Et il commanda des plats aux noms étranges.

Nous restâmes enfin seuls, avec des entrés présentés magnifiquement sur un plat surélevé.

– Comment nous allons mangé ceci?

On le trempe dans une des sauces. Celui-ci est fort, mais cela est aigre-doux.

– Très bon ! Alors, parlez-moi, cette fois-ci, un peu de vous. Hors de travail, hors de profession.

Je ne sais plus comment, mais finalement il s’est ouvert et a parlé de sa récente séparation. Divorcé depuis plus de douze ans, il avait vécu huit ans avec une jeune femme, une de ses anciennes étudiantes, et son fils à elle. Après avoir profité de lui, cette femme l’avait abandonné.

Pour la première fois, ses yeux bougeaient. Je le regardais et j’ai serré sa main posée sur la table entre nous.

– J’ai vécu ceci, moi aussi, je vous comprends bien. Trois ans avec quelqu’un profitant de moi. Heureusement, je m’en suis débarrassé, il y a deux ans.

C’est bon d’avoir quelqu’un qui vous donne la main, serre la main tendue.

– Je vous promets de toujours la faire, ne pas laisser votre main tendue sans le serrer.

Moi, non plus, je vous promets.

Nous nous serrâmes les mains, elles parlaient plus que nous. Disaient davantage.

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