J'ai survécu ma panique

24 juin 2002

C’est important de ne pas avoir peur. Quand on est terrorisé, on panique : figé on ne peut pas agir. Ou alors, on le fait sans réfléchir. C’est important de ne pas avoir peur. Mais tout le monde a peur. Moi aussi. Le héros aussi.

La différence est que le héros vainc, dépasse sa peur. Alors, il peut agir, secourir soi et les autres. On dit « avec sang froid ». Qui a le sang froid ? Personne.

Nous avons tous le sang chaud, des émotions. Mais quand on agit en faisant intervenir aussi la tête, on a plus de chances de réussir à s’en sortir, réussir à atteindre notre but.

Tant qu’on est paniqué, on est coincé par notre peur. On respire difficilement, on a les membres comme paralysés. Les yeux ne voient pas clair, les oreilles entendent mal, le cœur bat trop fort.

Comme moi, la nuit dernière. Paniquée à ne plus pouvoir bouger, à peine osais-je respirer.

« Et maintenant, que vais-je faire ? »

Respirer profondément.

Lentement, oui, trop lentement, les moments paraissent alors des heures interminables, le cœur commence à battre moins vite.

Bouger la tête. Écouter.

Silence.

« Que signifie ce silence » ? J’étais toujours paralysée.

Rien ne paraît bouger.

Pourtant, tout à l’heure…

Les mains, les pieds bougent enfin, commencent à fonctionner. Se lever. Doucement, le cœur bat encore fort.

Fermer les fenêtres, les volets !

Regarder dehors, sans ouvrir la lumière.

Personne visible.

Ouvrir la lumière de la cour. Faire peur à ceux qui sont dehors, tapis dans la nuit. Y a-t-il quelqu’un?

On ferme la lumière. On le rouvre.

On ouvre la fenêtre, une autre, on écoute. Plus aucun bruit. Mon pulse bat dans le cou encore trop fort. Mais on commence à raisonner.

« Qu’est-ce que j’ai entendu ? Vu ? »

Un bruit de moto, de la lumière vers la maison, des pas se rapprochant au milieu de la nuit. Les pas décidés et rapides, forts. D’une seule personne arrivant jusqu’à ma fenêtre.

Il n’y a personne devant la fenêtre ! Sont-ils cachés ?

Peut-être ce n’est pas les jeunes qui m’ont quémandé de l’argent à l’intérieur de supermarché, et dont je me suis plaint à la caisse et qui plus tard, (étaient-ils les mêmes ?) se sont arrêtés avec une petite moto sans casque près de ma voiture en voulant la vandaliser. La voisine d’en face les a vus, et frappant sur sa fenêtre les a fait fuir hier après-midi.

Où est-ce la sorcière Africaine de François qui a envoyée quelques-uns de ses nombreux parents ? Je vis au parterre, les fenêtres ouvertes l’été.

Il est trois heures de nuit, la fête de la musique.

Je suis terrée, tremblante de peur dans ma petite maisonnette du fond de la cour. La voiture n’est plus devant la porte, elle est devant le garage et le garage rempli des choses pas à moi.

Qu’est-ce que j’ai entendu ?

Peut-être simplement mon voisin du fond de la cour revenant avec sa moto et rentrant chez lui. Sa porte donne tout près de ma fenêtre.

J’ai dû paniquer pour rien.

Malgré tout le raisonnement, j’ai eu tellement peur que je ne suis plus sortie la journée. Toute la journée, les fenêtres fermées malgré la chaleur étouffante, je me suis terré chez moi.

Le soir, un peu de brise devant ma porte, je sors, lire et manger. Une voisine arrive. Nous parlons, chacun préoccupé de ses propres problèmes. Je lui offre un café, elle n’en veut pas.

« Je reste juste un moment, me dit madame Filipetto. Lisez. »

Une minute après, elle parle de nouveau. Puis s’arrête. Rote. Au troisième rôt, je rentre lire à l’intérieur. Quelques minutes plus tard, elle se lève et part.

Je peux lire tranquillement de nouveau.

Cette nuit-là, je laisse mes fenêtres grandes ouvertes. L’air plus frais du soir rentre. Je m’endors. Je dors sans peur. La peur m’avait envahie, la peur est partie, ma quittée.

Le pire est arrivé.

J’ai imaginé le pire (être tuée, blessée, dévalisée, etc. etc.) et j’ai survécu. À partir d’ici, du creux, du gouffre, cela ne peut que remonter, aller mieux.

Le matin suivant, je travaille, à midi je vais à la boulangerie acheter de pain. L’après-midi j’écoute les invités de voisin bavarder derrière les arbustes. Je ne les vois pas, mais je les entends. Je note. Je prête un ballon à un petit garçon qui s’aventure près de moi, puis je rentre. J’écoute les oiseaux par la fenêtre grande ouverte. Je me sens de nouveau en paix avec le monde. La crise est passée.

Même si on vandalisait de nouveau ma voiture, il ne sera pas la fin du monde. Je peux la faire réparer. Je peux aussi vivre avec une voiture moins belle, je peux même vivre sans voiture. Utiliser le bus, le train.

Écouter plus souvent les oiseaux.

Il y a fort peu qui osent s’en venir à la main. Mieux vaut ne pas avoir un pistolet chez soi. Une alarme sur la voiture pour leur faire peur ?

En Roumanie, on nous a volé l’alarme avec la voiture sous la fenêtre. L’alarme, les feux, mais pas la voiture.

Nous sommes revenus cette année-là avec.

Oui, Sandou se croyait intouchable en Roumanie. Une année plus tard, en fonçant sur une nouvelle route interdite, notre voiture se heurta d’une barrière surgissant dans la nuit trop vite pour freiner. Heureusement encore, il réussit à sortir la voiture dans les champs. Secoués, pas blessés, nous sommes sortis indemnes, mais pas la voiture. Vendue aux enchères, nous sommes revenus cet été par le train.

Comble de tout, on ne nous fut pas permis d’acheter les billets avec l’argent roumain de la vente de la voiture, il fallait trouver des dollars ou francs. Nous n’avions pas assez avec nous. Mon père a dû nous envoyer le reste. Nous sommes partis plus tard que prévu à cause de Sandou qui avait tant de hâte à arriver et marre de suivre les autres voitures embouteillées sur l’autoroute, l’entrée de week-end dans la capitale.

Non, je ne veux pas vraiment savoir qui et pourquoi et comment est intervenu et à cause de quoi il se sentait intouchable, plus fort que tous, même introduisant un été un fusil à vue des douaniers. Cet été-là j’eus des doutes que j’ai enfuis profondément en moi, éloigné. Tout ça est si loin, laissons les reposer. Je voulais voir le dossier de Securitate, mais la lettre écrit, je ne l’ai jamais envoyé, préférant ne pas finalement ouvrir le boîte de Pandore.

Personne n’est entré chez moi la nuit de la fête de la musique, avant-hier, mais depuis ce matin, le chat n’est plus là. Les pucerons m’ont piqué, les bandits n’ont pas entré me nuire.

Quelquefois, un moustique heurte davantage et c’est plus dur de s’en défendre. Mais je ne vivrai pas les fenêtres fermées, ni le jour, ni la nuit. Caché, tassé, écrasé, ce n’est pas vivre. Le pire est déjà arrivé, au moins dans ma tête, et j’ai survécu, surgit, rebondi.

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