Touriste chez soi

« Regardez avec intensité ce qui est autour. À la place de filtrer les distractions et se concentrer vers une destination, laissez entrer l’environnement, comme un touriste. L’important n’est pas de trouver le chemin, me laisser le lieu me toucher. Flâner dans sa propre ville.

Imaginez votre chambre comme celle d’un hôtel, regardez dehors, sortez, flânez. Ensuite assis écrivez ce que vous avez vu, entendu, senti. Éventuellement, promenez-vous avec un appareil photo en prenant ou non des images ».

Dimanche dernière, en obéissant aux suggestions d’un livre sur l’écriture, je suis sortie vers huit heures de matin, l’appareil photo en main, puis autour du cou, comme un vrai touriste.

Tiens ! Cette maison complètement caché par deux étranges et énormes buissons. Clic. Et ces fleurs couchées par terre par le vent puissant de cette nuit en fleurissant de plus belle! Quelle force et quelle résistance. Clic. Avant de sortir par la porte, j’ai aperçu près d’un mur de béton une plante égaré là par hasard, grandi, fleuri malgré tout. Clic. Je sors, la rue est tranquille, je regarde le portail avec des yeux d’un touriste.

Une rue sans parcmètres, des voisins s’arrangeant amicalement où garer leurs voitures et il ne faut pas de signe pour qu’ils sachent ne pas garer devant un portail utilisé. Si par hasard il le font, ils entrent chez toi d’abord, comme l’a fait l’autre jour ma voisine et s’expliquent et t’avertissent qu’ils ne resteront pas longtemps. S’excuse. Te demande s’ils ne dérangent pas.

C’est une chaude journée de fin juillet à Argenteuil, mais le matin de bonne heure ça va encore. À pied, j’arrive en vingt minutes près du centre, le marché de dimanche est près de la Seine immortalisée par les impressionnistes.

Avant le marché, près de la rivière, un petit brocante. Des vieux meubles, chaises et un étalage de livres, plein de bric à broc. J’aime chiner, mais pas ce matin. Je pourrais m’acheter pourtant un sofa pas cher, non, pas avant l’automne. Les livres m’attirent. Clic. Je n’achète pas : je suis touriste, je ne vais pas m’encombrer.

L’autre côté de l’allée, des tissus et des tapis, des chaussures. Clic, clic. Les tissus arrangés avec goût de divers couleurs, ce côté du marché est presque arabe, fort coloré. Pas cher. Je suis touriste, je n’achète pas aujourd’hui, je rince l’œil, j’écoute les gens marchander, acheter sera pour un autre jour. Je chasse des souvenirs et des images.

Je me décide et j’entre dans la halle, au marché d’aliments. Un type vraiment intéressant, un vieux Arabe souriant, vendeur de légume, me demande si cette ville me plaît, si j’ai de bonnes vacances.

Je n’habite pas loin, puis-je vous prendre en photo ?

Combien me coûtera ? Je pourrais dire « rien », mais je dis « 1 franc ». Pas cher, répond-il, allez-y.

Il ne peut pas imaginer qu’en réalité, je le fais pour mon plaisir.

« Je vous apporterai la photo dimanche prochaine » Il me sourit. Clic.

À côté, on me demande : « C’est pour quel journal ? » Me voilà de touriste, devenue journaliste. Je réponds : « C’est pour le plaisir, je peux? » « Allez-y! » Il appelle son collègue, ils posent. Clic. Plus loin, un vieux vend des légumes, un belle étalage. « Je peux? » Non. Il ne veut pas être pris. « Sans moi, oui. » Bien. Cette fois j’ai triché, au bout, mais il est quand même entré dans ma photo. Clic. Bon, je fais ensuite le boucher, enchanté, son fils, le fromager et ses fromages.

J’hésite devant un étalage des foies sanglant, dégoulinant de sang, dégoûtant. Non. Ils resteront malgré tout à jamais dans ma mémoire, tout comme les brebis entières de marché avant les pâques de mon enfance. Non, pas de clic cette fois. L’insolite oui, le dégoûtant, non.

Je sors par l’autre côté de halle. De foule, on se bouscule. Je m’éloigne un peu, je prends de dos le marchand perché, ventant ses marchandises posées sur des boîtes et les gens lui tendant de l’argent de loin. C’est le côté moins officiel, sans étalages fixes. Une veille vend des galettes au coin qu’elle a dû préparer. Non, c’est trop tôt, ou trop tard, je n’en achète pas.

Je passe de l’autre côté de la rue. Deux gendarmes distribuent des contredanses aux voitures arrêtées en double fil. Je peux ? Non ! Non ! disent-ils l’un après l’autre. Au coin du centre, près du port, est l’école de musique. Une énorme guitare de pierre dans le jardin fermé. Clic. Un fort beau bâtiment.

Je débouche sur la rue centrale. Tant de monde se bouscule au marché et ses environs, presque personne ne passe par ici. Une dame me demande pourquoi je prends des photos, puis me dit qu’elles sont chères - juste pour distraction. Est-ce « juste pour distraction »?

Dans un étalage, des petits robes comme il y a cent ans. Clic. Un banc et la station de bus au centre d’Argenteuil, je m’assois me reposer. Clic. Il commence à faire très chaud. En face, l’autre côté de la rue, l’arcade en verdure, des bancs. Il n’y a pas longtemps, je lisais là en attendant que l’heure passe et je puisse récupérer mes photos, tout en grignotant une croissante et lisant le journal. Hélas, les voitures parquées, parcmètres ici, au long de trottoir gênent la vue de l’arcade. Je trouve quand même un angle, clic. Je continue ma route.

Tiens, un poissonnier, des gens intéressants. Je peux ? Non ! Refus hautain, ici, sur la rue centrale. Je prends leur étalage élégant de vin et le sigle, poisson. Plus loin, les poulets rôtissent, le vendeur mange un sandwich à la baguette. Je peux. Allez-y ! me dit-il avec un grand sourire, tout en grignotant. J’arrive à la poste, un immeuble intéressant. Clic. La mairie est fermée, son parc aussi le dimanche. Dommage !
Il faut de plus en plus chaud et je suis fatiguée, je voudrais retourner en bus. J’attends. Un premier bus passe sans s’arrêter. Ne m’a-t-il pas vu ? J’attends ensuite une demi-heure dans le soleil brûlant.

Au marché, deux heures sont passées sans que je m’en rends compte, ici trente minutes paraissent sans fin

Tiens, un pigeon au milieu de la rue. Même les voitures ne passent presque jamais par ici ce dimanche. Le pigeon s’arrête près du ligne blanche continue.

Passera-t-il la ligne ? Clic.

Près de moi, un alignement des marronniers qu’on reconnaît presque pas, coupés courts et carré, comme à l’armé. Clic. En face de la station de bus, un grand portail fermé toujours et des hauts pics. Clic. Des pics comme ceux qui ont tué le gosse de Romy Schneider. Les grands parents l’ont mis contre les journalistes, mais c’est leur propre petit-fils qui y a été pris et a détruit à jamais aussi leur vie et ceux de leur enfant. Je crois que c’est la seule image triste.

Enfin le bus arrive. Me prend. À la station près de marché, une foule entre. Puis on arrive, je descends. Encore quelques pas en plein soleil.

Oh, qu’il fait chaud ce dimanche !

Au coin de la rue, j’entre chez la boulangère. Elle me sourit.

J’achète un petit pain à la noix et une mini-brioche. Je peux? Bien sûr! Clic. Elle est sympa, je ne suis plus une touriste ici, je suis rentrée chez moi. C’était de toute façon, la dernière de mes 36 images.


Je rentre. Madame Filipetto me guète.
- Où vous avez été? Qu’avez-vous fait?

L’autre voisin prépare son barbecue.

«Mon chat» arrive aussi, m’accueille, m’accompagne, entre, sort de la cuisine. Je lui verse du lait. Il en a besoin aussi de liquide, davantage dans cette chaleur.

Je prépare un plat et je sors dans le jardin à l’ombre, manger puis lire. Après mon «grand tour» c’est bien de revenir chez soi.

2008:

c'est ce jour-là que ma nouvelle vie a vraiment commencée, celle que je serais obligée de quitter bientôt...

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